Chapitre 5
Creusé dans l'un des murs de la chambre où j'ai échoué se trouve une ouverture naturelle d'où respire une vapeur trouble et sombre. Concentrée. Il n'y a que ce chemin à prendre si je veux avancer, ou alors revenir sur mes pas une fois de plus pour essayer de trouver une autre sortie. Je commence à escalader la paroi, à enfoncer mes mains dans la terre, pleines des restes épars d'insectes de moindre taille qui craquellent sous le poids qu'ils doivent subir. Je me hisse sur le seuil de la bouche béante, et un air tiède, presque moite, me prend au visage, contrastant avec ce que j'ai pu respirer jusque-là. Il fait trop sombre pour que je puisse y voir clairement, mais je peux m'aider de mes paumes pour avancer. Je fais les premiers pas à l'intérieur, et je sens presque immédiatement le niveau du sol se relever. En peu de temps, je dois ramper pour monter la pente inclinée. Je sais que je ne m'appuie pas uniquement sur la terre de ce tunnel parallèle. Les surfaces courbes, creuses, aux excroissances cassantes ne me trompent pas. Il y a tout un lit de carcasses qui pavent le chemin. Je dois parfois m'accrocher à ces restes encastrés pour progresser et me tirer plus haut. L'air devient particulièrement pesant sous l'effort que je dois continuellement faire, et une matière filandreuse, étendue sur toute la surface du tunnel, ne cesse de se prendre dans mes doigts. J'aperçois une obscurité moins chargée qui m'attend encore plus haut, m'indiquant que la pénible ascension est sur le point de prendre fin. Un dernier niveau à surmonter, et je retrouve une surface plane sur laquelle je peux reprendre mon souffle. Il fait moins sombre ici, et je peux distinguer ce qui m'entoure. C'est une autre chambre en forme d'œuf, cachée loin des autres. Sur toutes les parois, du sol creusée jusqu'à l'étroit sommet, pendent des lambeaux de soie déchirés, chargés de poussière et de terre, oscillant légèrement comme des draperies abandonnées. Des insectes morts se trouvent également ici. Vidés, creux, comme les autres. Des filaments de soie pèsent sur eux, et j'aperçois maintenant que certains sont pris dans les lambeaux avoisinants. En hauteur au-dessus du sol je peux voir une autre entrée, une bouche plus étroite et plus sombre que celle que je viens d'emprunter. De sa circonférence part en une symétrie parfaite des fils de soie plus épais et solides, aisément visible à l'œil nu, pour s'étendre comme des traits pâles tout le long de la chambre.
Je ne l'avais pas vu à cause de l'obscurité, mais je commence à deviner ses formes, ses contours qui accrochent faiblement les lueurs qui transpirent de la pierre. Des pattes, posées à l'orée de ce nid sur les filaments. Je sais qui tu es. Aussi pure que possible, source des exhalaisons nocturnes qui baignent le puits où nous nous trouvons. Je reste immobile pour l'instant, m'habituant à l'obscurité développée qui pèse autour de moi. Lentement j'entreprends de m'avancer vers elle, confiant, calme. Toi aussi tu as survécu. Du bout de mes doigts je caresse l'un des fils qui s'étendent à mes pieds. Je sais qu'elle devine ma présence maintenant. Enfin je me retrouve au-dessous d'elle, de sa porte surélevée, sous ses chitineux éclats. D'un geste conscient de la main, je fais vibrer le fil de nuit. D'une rapidité que je ne peux suivre, elle a quitté sa stèle, étend son étreinte pour s'emparer de mes membres entre les siens. Immobilisé entre ses bras, vulnérable. Elle ne m'attaquera pas cependant. Je le sais. Je peux sentir la pression de ses pattes qui glissent contre mon dos afin de me maintenir contre elle, contre son ventre doux, accueillant. Amoindrie, affaiblie. Elle a changé avec la transformation du nid, mais elle est encore là, dissimulée à l'écart, sauvegardée dans ses retraites. Je vois ses membres sclérosés, ses teintes délavées. Elle ne résistera pas longtemps à la léthargie ambiante. D'un simple effleurement je passe ma paume sur son corps maintenant docile mais toujours dangereux, éprouve ses subtiles aspérités auquel elle répond en me compressant davantage. Nous sommes pleinement l'un contre l'autre maintenant, sans espace pour nous séparer. Elle agite ses organes sensoriels dans les airs, de plus en plus rapidement à mes contacts. Je passe mon bras autour de sa taille afin de me hisser à sa hauteur. Et de ma paume, je viens caresser les crochets, glabres, luisants de sombre, qui surplombent mon visage. Je sens sa respiration qui s'accélère progressivement, le remous et le flux de ses organes qui dansent contre mon torse. Ce sont nos embrassades, nos échanges. Lorsque je touche certaines parties de son corps plus sensible que d'autres, un sursaut nerveux parcoure l'ensemble de ses membres et se propage dans les miens. Une simple impulsion, nerveuse. Sans d'autres signes annonciateurs, elle recule alors que je suis encore prisonnier de son étreinte. Elle remonte avec moi le long de la paroi pour s'enfoncer dans sa tanière reculée, et elle m'entraîne dans des tunnels aveugles que je n'aurais pu traverser seul. Ses nombreux bras s'agitent étroitement autour de moi, s'élancent avec énergie tandis qu'elle s'avance toujours plus profondément dans les galeries exigües qui courent entre les murs. Elle débouche sur une poche plus espacée mais terriblement sombre et s'arrête sur le seuil quelques instants. Je sais qu'elle n'ira pas plus loin. Relâchant sa pression, ses crochets frémissent une dernière fois alors que je me détache de son corps, et je la regarde s'engouffrer dans les ombres que nous venons de traverser, ses dernières pattes au teint sombre disparaissant sans un bruit dans un noir plus profond, cerclé de la soie de ses travaux. Je ne la reverrais pas.
Je n'avais plus l'envie ni la volonté ni l'hypocrisie de réfréner plus longtemps mon hostilité, de faire semblant, d'excuser faussement mon état, mon laconisme sur une soi-disant fatigue lorsqu'elle me demandait si tout allait bien. Impact résonnant dans les os de mon bras. La main droite, serrée, douloureuse. Mais je ne sentais rien. Le coup était parti tout seul dans la porte. Je regardais le creux supplémentaire qui s'était gravé dans la matière putrescible, frêle qui emplissait tout l'endroit. Je pouvais déjà deviner comment elle allait se servir du prétexte de mes réponses non-avenantes pour me démontrer mon égoïsme. Rien que d'imaginer sa voix relançait mes élans de fureur. Comment allais-je la supporter pendant tous ces jours. Un contact sur mon épaule. Recule. Je m'étais brusquement dégagé, instinctivement, comme si j'avais perforé par une entité nocive. La main de ma mère, qui était entrée à nouveau. Je ne l'avais pas entendu.
- Tu es sûr que ça va ?
- Oui. Je suis simplement fatigué.
Recule, recule loin de tout. Disparais loin de moi. J'avais envie d'éclater, de percer l'abcès, préférant provoquer les conséquences qui devaient survenir tôt ou tard plutôt que subir plus longtemps cet empoisonnement. Sa main m'avait touché. Je savais comment elle pouvait s'en servir, la mère gorgée d'attention pour son fils. Je la regardais s'éloigner, abandonnant ses poursuites. Je ne pouvais tout simplement pas oublier toutes les fois où j'avais pu la regarder se faire user, la manière dont elle le faisait. Ni cette fois, où un homme avait servi de père de substitution à une jeunesse déjà amère. Les ruées mémorielles, à nouveau, dans leur éclatante pertinence. Je ne me souvenais même pas de son visage. Ils étaient tous deux assis sur le canapé, le même où elle macérait son manque d'attention le reste de son temps. Silencieux, droit, tandis que j'étais assis non loin. Ma mère, l'air étrange, les yeux dans le vague, les lèvres entrouvertes, à le regarder lui puis moi, tour à tour, tandis qu'il avait les mains entrecroisées sur la nuque. J'avais conscience de l'inhabituel de la situation. Je lui demandais le pourquoi de son expression béate, et elle me répondait que tout allait bien, l'homme à côté se contentant de sourire. Sa main dissimulée dans les plis de son manteau qu'il avait gardé à cet effet pour pénétrer son pantalon et le masturber devant moi. Comment pouvait-elle oser croire si ce n'est qu'un seul instant que je ne l'avais remarqué, que je pourrais l'oublier. Et elle osait me toucher, elle osait poser sa main sur moi. Frissons de dégoût qui ne faisait que m'enrager davantage, soulever les autres souvenirs. Je devais sortir, je sentais que je ne pourrais pas tenir plus longtemps, à la supporter, à l'endurer. Je ne savais plus si je sortais pour la retrouver elle, pour la fuir elle, pour les trouver eux. Je me sentais tellement, tellement épuisé.
Tard dans la nuit, appuyé contre un angle de mur alors qu'un ruissellement de gouttière retombait bruyamment sur mon épaule. La pluie ne me prenait pas. Ne me touchait pas. N'évasait les sifflements persistants. Je continuais d'errer, de chercher à me perdre en vain sur des tracés connus. Revenant toujours vers des contours distincts, vers des acheminements sûrs. Je regardais les murs d'acier qui bloquaient les ruelles, l'eau qui coulait en centaines de stériles perles sur leur surface. Je pouvais deviner sur certaines de ces entraves les contours des accès, des portes fermées à l'usage exclusif des miliciens. Je m'étais arrêté face à l'un des bâtiments qui avait été entièrement scellé, chaque entrée l'objet d'une vitrification qui semblait définitive. Lorsque l'ampleur des travaux du port se porta à un point de stagnation, la milice en imputa la faute à la population récalcitrante, désordonnée, sclérosée. Et de simples aménagements de quartiers pour rapprocher les travailleurs désignés des différents chantiers, l'on était passé à la découpe de la ville, aux déplacements de familles entières, jugées trop peu efficaces ou trop peu dignes selon des critères que seule la milice était en mesure d'imposer. Il n'y avait plus personne en mesure de s'opposer, et les tentatives de fuite, les explosions de rétributions momentanées n'avaient fait que fortifier la milice dans sa volonté de réformer entièrement la ville. De là le couvre-feu, de là les recensements. De là les arrestations soudaines. Est-ce que le désir de ranimer l'économie de la ville, de ressusciter ses industries avait été sincère, ou bien le port un prétexte pour lentement infuser une domination qui prendrait la forme de plaques d'acier rivées à toutes surfaces. Cela n'importait plus désormais. Je me détournais, me portais vers de nouvelles impass-
Impact de réalité comme des pointes sous ma peau retournée. Cri muselé, endigué par des lèvres fermées. Enfin, elle était là, non loin. Sirène d'agonie. Ce ne pouvait être qu'elle. Ce ne devait être qu'elle. L'expiration étouffée ne se reproduisait pas, mais je pouvais ressentir les vibrations se déplacer dans l'air comme des vagues de violence provoquées par les coups qu'elle devait recevoir, se forçant à les taire. Je ne pouvais qu'être proche. Les nervures de mon épiderme qui exultaient, dansaient d'euphories. Je me forçais à ralentir mon avancée. Je ne voulais pas l'interrompre sur le fait, la confronter à d'inadéquates perturbations.
Je connaissais ces rues et leurs enchevêtrements pour les avoir parcourus à plusieurs reprises. La réverbération des coups s'accentuait, se précisait au fil de mes pas. De temps à autres, gémissements de douleur contenue me parvenant avec peine, témoins de ma proximité. Les pulsations frémissantes qui semblaient révulser à chaque manifestation le tissu même de la réalité. C'était mon cadran, ma boussole, mon moyen de la retrouver. Et je me rapprochais. Au fond de cette ruelle où je pensais deviner sa présence, croisements de chemins. Je pouvais me dissimuler, patienter ses fins. Et la rejoindre, cette fois, plus que tout, plus que jamais. Et après ? Peu m'importait l'après. Je m'engageais dans la ruelle qui devait donner sur elle. Je ne pouvais m'empêcher les tremblements d'excitation, relancés à chaque pas. Impact sonore, proche. Comme partout dans ces entrelacs délaissés, détritus, décombres, meubles brisés s'entassaient en amas insanes. Je m'imaginais la nature de tous ses coups reçus, leur vélocité, les endroits frappés. Je pouvais la goûter dans l'air, humecter ses épidermes en éclosions d'hématomes. Elle, elle. Les envers de sa chair s'engorger de rives vermeilles libérées, colorer, infuser, infecter les lunescences qui devaient nous joindre une fois de plus. D'autres pas, encore d'autres.
Là. Enfin sa vue, enfin sa présence, enfin son intensité. Sa bouche rougie, brutalisée. Debout face à lui, elle relevait lentement sa chemise à hauteur de côtes, exposait progressivement son ventre creusé, gravé de toutes les heures ainsi écoulées. Ses cicatrices. Miroitantes de leurs teintes tranchant dans le froid ossuaire de son épiderme. Les respirations tremblantes dans les températures négatives de la nuit, faisant danser les ombres des aspérités de son corps criblé. Les bras croisés sur sa poitrine à retenir les pans de son habit tombant, patiente, déterminée dans les minutes qui devaient encore s'amonceler. S'aligner avec toutes, toutes les autres. Des mains qui cherchaient dans des ouvertures vestimentaires. Son client qui fouillait ses poches, tandis qu'elle attendait, frissonnante dans les prolongations de sa peau affichée. Objet noir dans sa poigne. Que tenait-il. Mouvement claquant le silence de ces murs. Un cran d'arrêt, au fil buvant aux sources des lumières vacillantes à quelques mètres de là. Elle. Fixant l'acier luisant, inerte dans la vulnérabilité de son ventre dénudé. Que faisais-tu. Elle refusait de bouger, de s'éloigner de l'arme qui pointait ses muscles tendus. Elle avait simplement resserré l'étreinte de ses bras, maintenant sa chemise levée, s'accrochant à ses propres membres pour soutenir les assauts. Ces yeux impassibles, regardant cet homme qui défilait comme de supplémentaires contours. Lui, son client, s'avançant, se pressant contre elle. Et elle regardait, regardait, suivait cette avancée qui empiétait dans les intimités de ses respirations glacées. Elle, elle refusait de bouger, de s'écarter. Statutaire d'atrophie glorifiée, buvant tous les exsudats qui pouvaient être de son goût. À mon image. Le tranchant jouant sur les tension de sa peau. Aaah. Souffle coupé, j'avais senti le froid de l'acier rigidifier ses muscles enlisés. Il ne saurait y avoir de fin à nos veilles prolongées. La lame, entamant la découpe de ses résistances en une lente, lente dérive. Les bras se crispant autour de ses épaules, autour de ses morsures contenues, cadenassées. Paresseuse effusion écarlate qui coulait dans des violences de contraste sur sa peau pâle. Ouvre, ouvre-toi. Ouvre-toi à moi. Le dard retiré, libérant les rivières de palpitations décapitées. Enlacée dans ses propres liens enserrés, une tour, un brasier, un autel dressé de lacérations où étaient gravées dans ses abruptes parois toutes les inversions que je ne pourrais que toujours rechercher. Encore. Encore. Le crochet maculé, appliqué une fois de plus en de muets feulements. Et glissais le sourd sillon de ses ouvertures. Au-dessus de son nombril, remontant en une diagonale vers ses côtes. Répand-nous, écoule-nous. Plonge-nous. Pour toutes ces prochaines fois.
Fin d'entrevue, elle laissait retomber sa chemise sur ses fraîches coupures, les traits de ses lèvres trahissant ce que sa voix se refusait de révéler. Nuages de pigments, carmin bu par ses vêtements. Elle allait se retourner, récupérer son manteau rejeté. Geste éclair de menace. Le cran, contre sa joue. Que faisait-il. Immobile et figée dans ses mouvements qu'elle avait entamés, elle fixait celui qui appliquait la lame contre son visage. Attente. Lentement, lentement, il tirait son arme dans le fourreau de sa peau, déchirait sa pommette en un silence pressurisé. Le cran retiré, dégagé de son lit en une vive et brève impulsion. Elle ne bougeait pas, laissait le sang se répandre en de fines pluies jusqu'à son cou. Ses yeux. Ne comprenait-il pas. Sa violence était hermétique, ses prunelles des vitres que l'on ne pouvait frontalement briser. La distance écrasante, le poids qui coulait de ses regards blasés. Comment m'en lasser. Armature voutée, son client se retirait, disparaissait comme tous les autres, avant, après. Et elle se rhabillait, prenait ses affaires pour s'écarter à son tour. Les palpitations rompues de ruées lâchées, interdit en la voyant marcher le long d'une rue.
Disparue une fois de plus derrière les angles constricteurs. Non. Pas cette fois. Libère toi, écarte toi de ces lieux. Je me dégageais pour la suivre, la seule entité qui me semblait pertinente, tangible. Mes pensées innervées par des sursauts laminaires, je ne savais ce que je voulais faire. Mais sûrs étaient mes pas, affirmés mes débordements. Je voulais davantage d'elle. Il me fallait plus. Elle ne m'avait pas regardé, elle ne m'avait pas regardé cette fois-ci. Savais-elle que j'étais là. Ne m'ignore pas, ne m'oublie pas comme si toutes les viscères avaient été perdues, répandues sur les dalles froides qui supportaient nos éloignements. Ses clavicules qui fumaient des arômes d'oubli, illuminant les tracés que je devais suivre. Sentais-tu les regards qui se rivaient sur elles. Je ne voulais pas la rattraper, lui courir après pour l'immobiliser entre ces espaces indignes. D'abord, d'abord je voulais te voir endurer, me montrer les manières que tu avais de suinter ces exsudats. Je gardais mes distances, m'imposant sa cadence et son rythme, sans la perdre de vue. Pas cette fois. Montre-moi jusqu'où tu pouvais aller. Elle s'avançait d'un pas malaisé, s'appuyant contre le mur à sa droite pour pouvoir continuer tandis qu'elle tenait sa fausse main repliée contre elle, comme meurtrie. Elle butait contre des écales, des détritus épars, s'affaissait partiellement avant de se rattraper. Mais elle ne chutait pas. Ombre de traumatismes et de plaies qui se retirait après avoir été usée. Noblesse atrophiée, sa couronne de douleur. À te suivre, jusqu'à parvenir ici, là où je t'avais perdu. Toute mon attention vissée sur ces secondes que je refusais de laisser s'échapper. Chaque élément enregistré, chaque emplacement, chaque remous sensibles. Elle longeait la surface obscure, dénuée d'éclairage, voisine des eaux stagnantes, des arbres morts, et je ne distinguais plus que sa silhouette pliée. Longe, longe la façade fermée, qui vomissait l'occlusion de mes vues. Montr-
Impossible. Sous mes yeux rivés, avalée dans les silhouettes informes qui se refusaient à moi. Je pressais le pas, m'approchais de l'endroit où je l'avais vu s'évanouir. Reviens, reviens. Ne pars pas de cette manière, ne te détourne pas. Les pierres inondées sous mes paumes, à chercher quel carcan minérale s'était refermé sur elle. Là. Je comprenais maintenant pourquoi je l'avais perdu la dernière fois. Ce n'était pas un mur égal, lissé par des mains consciencieuses. Une ouverture, cachée par l'obscurité. Ce devait être des habitations presque soudées ensemble, si ce n'était pour ce mince espace qui les séparait, sans luminaires pour la révéler. Mais maintenant je savais, maintenant je connaissais son existence. Je ne voyais rien, ne percevais rien, n'entendais rien au-devant moi. Attends-moi.
Je passais entre ces murs rapprochés, dans l'étouffement sonore des pluies continues. Toit refermé en une arche d'ombre, ruelle arrière écrasée, cul de sac assombri. Les doigts courant contre les rugueuses parois humides, seul moyen de s'avancer dans cette chambre aveugle. Où étais-tu, où éta-
Les soupirs murmurés de respirations oubliées. Je m'arrêtais, me concentrais sur les sons alentours, qui perçaient sous la rumeur des ondes. Elle était ici. Mon pied, accroché sur un corps. Trouvée, écroulée dans cette alvéole perdue. Je me baissais auprès d'elle, m'assurais de sa présence. Elle avait perdu connaissance, échouée sur ses côtes, le visage en partie contre la pierre sale. Je captais la très légère émanation de ses respirations, profondes, malaisées, mêlées aux ruissellements qui divisaient leurs courses tout autour de nous. Je restais, comme paralysé, quelques instants à l'écouter. À essayer de suivre son rythme. À partager son air. Accroupi à ses côtés dans le noir pendant plusieurs secondes, plusieurs minutes. Là, enfin, à portée de ses contacts. Je passais, presque imperceptiblement, l'extrémité de mon index sur sa joue, récoltais le sang qui n'avait pas complètement été lavé par la pluie. Blessée. Elle ne pouvait rester étendue ainsi, exposée aux gelures et aux indigences de pieds de murs.
Plus en avant, une porte. Poignée froide qui tournait dans le vide en un blocage sonore. Une clé. Tu devais avoir une clé. Je retournais auprès d'elle, hésitais à pénétrer l'envers de ses vêtements. Mais elle ne pouvait rester inconsciente ici. Plongée, je tremblais sous le contact que je lui imposais. Ses inspirations complexes qui éraillaient l'air que je pouvais goûter. Oxydes teintes qui s'échappaient dans la vapeur de ses lèvres. En la fouillant, sursaut douloureux qui avait parcouru son corps. Quelque chose d'humide et tiède qui entachait ma main, qui accompagnait ce que je devinais comme étant la clé. Je la portais à mon visage. Ces odeurs de fer. Les lacérations. Elle était en train de saigner, de succomber à ses hémorragies au milieu de la nuit. Je me précipitais contre la porte, forçais à plusieurs reprises la clé dans la serrure jusqu'à entendre le roulement positif de ses engrenages. J'ouvrais d'un grand coup d'épaule avant de glisser mes bras au-dessous d'elle. Les gémissements évanouis de douleur alors que je la soulevais. Endure encore quelques instants. À l'intérieur je cherchais aléatoirement jusqu'à trouver son lit pour l'y déposer. Il devait y avoir quelque chose pour faire de la lumière. Cherchant, butant contre les meubles alentours, en écoutant les faibles expirations éreintées. Chaise renversée, prises aveugles. Enfin. Tour de cire érigée sur son support, je cherchais des allumettes pour ouvrir mes vues sur la pièce tremblante. Craquement de souffre grésillant en un nuage igné. Elle. Mais mains, colorées des écoulements qui avaient transpirés de ses vêtements. Son visage. Le trait creusé dans sa pommette empourprée, tranchant dans le souvenir que j'avais d'elle.
Douloureusement belle. Pâle était sa figure, enlinceulée des mèches d'encre trempées. Dans le rythme brisé de ses inspirations malmenées, sa poitrine soulevait la chemise teintée, diluée des pertes de ses plaies. Ses subtiles colorations qui s'étaient en parties effacées sous l'averse. Je resserrais mes poings, les yeux fermés, à contrôler les fluctuations de ma respiration. Et maintenant. J'étais debout, à côté d'elle. Je pouvais encore quitter cet endroit, ne pas me confronter à la déception de ses réalités. M'éviter de m'empaler sur cet édifice soulevé par mes ruées. Fantasmée, elle ne m'était proche que de loin, qu'intouchable, qu'inapprochable. L'aurais-je tant désirée si je savais que je pouvais la retrouver à n'importe quel instant. Bien sûr que non. Mais je voulais plus. Tellement, tellement plus. Rester à la veiller ? Et comment lui expliquer une fois éveillée. Mais je ne parvenais à partir. Je détournais les yeux, sentant les pulsions levées par l'occasion, cherchais à distraire ma vue, à gagner du temps. Je ne remarquais que maintenant la façon dont l'endroit était imprégné de son odeur, de cette présence que j'avais voulu enfoncer par son étoffe dans les souvenirs de ma peau. Deux doigts, contre l'ouverture de mes lèvres devant encore pleinement cicatriser, rompant leur ligne en un trait dansant. Et chacune de ses exhalaisons venait y ajouter un peu plus de l'essence subtile qui constituait son corps. Feint gémissement qui me ramenait à elle, à sa silhouette épurée. Prend la, arrache la. Morsure de mes lèvres, écrasant la peau entre mes dents. Assez de cela. Mais. Ses marques. Ses plaies. Je ne pouvais la perdre maintenant.
J'écartais sur les côtés les lisières de son manteau, dégageais l'accès à sa chemise maculée. Je regardais son visage. Elle semblait souffrante, toujours éteinte. Réagirait-elle à mes touchers, à mes contacts. Comme moi j'avais réagi aux siens. Les soupirs maintenant calmés de sa catalepsie. Elle ne pouvait rester dans le linceul de sa panoplie gorgée d'averse si je ne voulais la condamner à contracter un mal empirant son état. Je la soutenais par la nuque, ses cervicales éteintes se creusant dans ma main. Sa peau. Je la sentais anormalement brûlante. Son visage, relâché en arrière, les soupirs perceptibles dans le silence de sa chambre, subtilement ménagé par les rumeurs étouffées de la pluie à l'extérieur.
Les étreintes noyées de ses vêtements que je retirais de ses membres épuisés. Reste, reste dans ces réparatrices inconsciences. Les conséquences de ses heures passées qui vibraient sous les occlusions de sa chemise. Ce n'est pas ainsi que j'avais voulu approcher l'intimité que j'avais tant, tant souhaité lui dérober. Les effusions d'instabilités internes qui agitaient toutes mes fibres portées à vif. Constat de ces vies de privations, de séclusions répétées, d'échecs martelés. Lui arracher toutes les sensations que l'on m'avait refusé. M'évanouir dans une proximité que je n'avais jamais réellement pu éprouver. Toute cette chair, vidée, vulgaire, qui s'était traînée à mes côtés pendant tant et tant d'années. Toutes les fadeurs continuellement rappelées, imposées. La conscience constante d'une longue descente dans un cul-de-sac garrotté. Mais elle. Elle pouvait m'offrir quelque chose de réel. Quelque chose de matériel à saisir entre mes mains. Lentement je me penchais, tombais sur elle, me forçais dans ses râles exsangues. Juste un baiser. Ébouriffement brusque de ma nuque, comme secouant les animales fourrures qui m'imprégnaient pour me ramener à moi-même. Assez, assez de cela. Pas de cette manière. Je refusais de souiller la seule ouverture dans cette trappe avec des instincts aussi évidents. Contrôle toi. Mais ses plaies. Les ligaments déchirés. Les ruptures d'épidermes. Tous mes fantasmes oxydés, à portée de langue. Je n'y succomberai pas de cette manière. Mais au moins aurais-je sa vue, aurais-je pu toucher ces balises de douleur. Je la soignerais, et m'effacerais. Si la mort de mes gorges devait m'être inévitable, qu'on me laisse graver cette dernière saveur, qu'on me laisse sa vision pour l'écarteler de son carcan originel et l'implémenter dans le mien. Cette unique heure, cette unique sphère. Que je pourrais imposer comme mienne, comme réellement mienne. Les lents soulèvements de son corps qui relançaient les traques internes, les faims séculaires. Cette perpétuelle chasse, usé de courir, usé de ronger les restes indignes, incapables de me nourrir. Au moins une fois, laisse-moi goûter à ta réalité mutilée. Mains tremblantes, instables. Les doigts effleurant son vêtement. Les entraves de sa chemise, obstacle de mes progressions.
Dans l'absolue vulnérabilité de sa position. Les boutons uns à uns qui tombaient, se détachaient, s'ouvrant toujours un peu plus sur son corps. Les dernières oppositions contre la résolution de mes faims. J'étirais sa chemise lâche, dévoilais d'un simple glissement l'épiderme désiré. Les implosions qui se réverbéraient. Mes iris, fracassés contre l'arrière de mon crâne. Enfin, sa chair. Comment respirer le même air désormais. Les artères tendues qui contraignaient mes membres, qui se tordaient en de douloureuses contorsions. Réelle. Elle l'était. Il ne pouvait plus y avoir de doute, de remise en question. Les cicatrices. Les lacérations, les dégâts endurés. Tout son flanc droit, rongé par des stigmates de brûlures qui en avaient irrémédiablement déformés les contours en des renouvellements de textures. Sa poitrine, encore couverte, qui se levait sur des marques de coupures, restes d'entailles cherchant à laminer ses entrailles, à dévorer ses poumons. Une simple lame ne pouvait avoir fait cela. Cette ruine, ce royaume. Les muscles déchirés puis recollés, ces enveloppes reconstruites en de troubles amalgames de tissus noyés dans leur propre croissance accélérée. Les anciennes colorations de sa peau martelée, faussement sauvegardées par la guérison, tranchant avec l'anémie palpable de ses parties non-atteintes. L'exhémie, qui avait laissé le sillon de ses teintes en s'arrachant à la destruction de sa matière cautérisée. Comme une marée entrelacée les tissus cicatrisés venaient s'échouer, grignotant les lisières de son ventre. Les écoulements de sa vie. Ses blessures encore fraîches, ouvertes, qui viendraient rejoindre la cohorte de ses physiques conséquences, dressées sur des lits d'hématomes qui assombrissaient les envers en hémorragies. Du sang en coulait encore en filets malingres, le reste bu par ses vêtements, dilué sous la pluie. L'espace sous les os de sa cage thoracique qui se creusait à chacun de ses râles malaisés, roulant les traits reformés qui striaient sa silhouette. Vraie. Tu étais vraie. Réelle.
Du bout des doigts, je passais lentement sur ses tissus sans réactions, mutilés par d'aussi prégnantes séquelles. Elle était brûlante, ne réagissait toujours pas alors que je traversais ses étendues rompues. Je l'entendais péniblement déglutiner dans son extinction, au milieu de ses souffles inconfortables. Certaines coupures prenaient déjà les teintes violacées des muscles malmenés, avec les pointes rougeâtres des membranes transpercées, répandues sous les surfaces fragiles. Dessinées là sous mes yeux les stries que j'aurais voulu embrasser. Les rémanentes perles de sueur et d'humidité, secouées par des tremblements soudains, roulant sur ces minces crevasses pourpres. Édifice de ruine enfiévrée. L'appel de ces béances non traitées. Tu ne pouvais disparaître de cette manière. Il me fallait de l'eau, quelque chose pour nettoyer. Elle devait avoir de quoi panser elle-même ses blessures, pour survivre à ses continuelles entrevues meurtrières. Je me levais, cherchais dans la chambre faiblement éclairée. Dans les limites indistinctes, mangées par les ombres que la bougie ne pouvait repousser. Je trouvais, posée à même le sol au pied d'un établi, une bassine emplie d'eau, ainsi que des compresses de linge plié, prêt à être usées. Je déposais la bassine sur le lit, commençais par plonger le tissu. La sensation mordante du froid qui s'écrasaient contre mes phalanges embrasées, chargées d'exonérations que je repoussais, repoussais toujours davantage. Le linge, serré dans mon poing pour l'essorer, pour m'essorer. Sa nuque dégagée.
J'appliquais la compresse imbibée sur sa peau endommagée, me concentrais sur l'action entreprise. Au contact du tissu je l'avais senti brusquement se crisper, répondre au choc de température. Sa main valide, tordant le drap qui se trouvait sous ses doigts. Un simple soupir accompagnant la détente de ce soudain spasme. Je m'étais stoppé, suspendu à cette première réaction. Mais elle ne s'éveillait pas. Bien. Je pressais davantage, exorcisais le sang restant pour l'offrir à mes mains. Comme les ruptures de sa chair glissaient les unes contre les autres, se frottaient en des pointes arrachées d'entre ses dents. À nouveau l'étoffe pleine enfoncée sous les eaux qui ne faisaient que s'assombrir à mesure que j'y déposais la coagulation de cette nuit. Transpiration froide qui cerclait son front, ses doigts pris de nerveux tremblements répondant aux spasmes que convoquait l'épuration de ses dégâts. Shhh. C'était bientôt terminé. Le linge qui avait troqué sa couleur originelle dans les fonds encore ouverts. Je déposais la bassine vermeille plus loin avant de revenir m'asseoir à ses côtés. Les ruptures lavées, claires sous mes yeux, exposées par des contrastes de matérialités.
Elle se trouvait là, étendue sur son lit, inconsciente, sans aucune forme de défense. Combien de fois avais-je repeint ses traits sous des convulsions de douleurs, muette de mal, gorgée d'intensité. Je voulais éprouver chacune de ses cicatrices, en connaître la source, l'histoire, apprendre à connaitre l'objet qui l'avait gravé de son fil. Sa poitrine continuait de se soulever avec peine et je pouvais deviner les humides d'éclats de cire incendiée sur ses lèvres. Une mèche s'était prise dans les entrelacs de sa bouche et venait noircir la froideur de sa peau. Reine anémiée, élevée par la douleur qu'elle voulait laisser s'infliger, et chacun des stigmates était le témoignage de sa noblesse acquise au travers de sa chair. Je pouvais l'imaginer liée, solidement et fermement, immobilisée par des entraves la faisant mienne. Et les choses de violence fantasmées surgissaient, dilapidaient d'excitations mes pulsions qui n'avaient cessés de croître depuis que je l'avais vu écroulée, offerte.
Je me penchais sur elle pour admirer la ligne nacrée de sa nuque palpitant faiblement, où les veines couraient sous un toit de tissus cicatrisés, cautérisés, malmenés. Les tempes, bruyantes, machines de violence tandis que l'air que j'inspirais ne suffisait plus à alimenter la fureur grandissante. Je ne souhaitais qu'une chose, sentir la douceur de sa peau contre mes paumes brûlantes. Je ressentir sur son cou le carcan de mes phalanges. Non. Non. Je me crispais brusquement, arrêtant le flot incessant d'images. Assez, assez. J'essayais de me convaincre que ce n'était que le fruit d'une vie de frustrations à côtoyer le pire exemple de féminité. Et à l'évocation de l'image de ma mère, de son ombre à peine distincte, le torrent s'abattait de nouveau sur mes os avec une violence et une haine renouvelée. Au travers d'elle, étendue là, sans défense, je voulais lui faire mal. Et tout le mépris, toute la bile débordait de ma gueule ouverte pour couler en des gerbes de blessures fantasmées sur son visage alors que, genoux appuyé sur le lit, je m'étais penché au-dessus d'elle. Non, pas comme ça. Je détournais de nouveau la tête dans un effort animal, essayant en vain d'endiguer ces pulsions, mes doigts creusant des entailles dans le pli des draps cerclant son visage. Elle n'était pas comme elle, elle ne pouvait pas. Ces cicatrices, ces marques, ces nuits l'élevaient au-dessus de toute comparaison. Je m'étais mordu les lèvres violemment afin de me canaliser, jusqu'à sentir les subtiles oxydations de ma salive, tous mes muscles tendus en un ultime effort visant à me paralyser complètement dans l'acte naissant, quitte à m'en briser, m'en rompre les tendons. Ce n'était qu'après plusieurs longues, épuisantes, étouffantes minutes que je parvenais à reculer. Je ne briserai pas son image à cause d'elle, je le refusais, c'était lui accorder un honneur qui lui était bien trop supérieur. Je retirais mon genou, exténué de ce que j'avais été sur le point de fair-
Ses mains, agrippant mon col pour me retenir, ses yeux semi-ouverts, soulignés par l'entaille encore fraîche.
- Non, ne recule pas..
Ce murmure plein d'attente. Elle me tirait à elle, m'empoignait dans son étreinte, et à mesure que je m'approchais, elle écartait son visage pour dégager l'opalescence de sa gorge. Ses cheveux aux racines de cendre roulaient en une noyade d'encre sur sa peau. Si proche. Si réelle. Mes os raidis, aux lisières de ruptures. Je n'avais plus la force de m'empêcher, de surmonter l'usure de mes sens inanes. Elle avait relâché mon col pour glisser ses doigts dans ma nuque, gravant son emprise en des dizaines de frissons qui explosaient sous ces contacts. Plus de recul. Plus de fuite. Ses veines bleuies battantes sous ces membranes anémiées. Cette chair. Cette chair. Sursauts inutiles de contrôle, mes mâchoires s'ouvraient, rompaient les sarments qui n'avaient plus la vitalité de me réfréner. Offre moi tout. Si proche. Je pouvais sentir les faibles températures de son cou sur mes lèvres. Ses cicatrices. Tout.
Pression souveraine, ouverture de mes mondes, j'enfonçais mes dents dans sa peau, lui arrachant ce gémissement de plaisir et de déchirement virginal. Alors c'était cela. Le goût de son épiderme sur ma langue, l'odeur de sa chevelure emplissant mon visage. La montée de toutes les adrénalines qui s'effondraient dans mes tempes en agonie. La résistance de ses muscles en faillite. La puissance d'ivresse qui s'infusait directement au travers de mes gencives. Élunescence. Comment résister à resserrer mon empreinte, à dévorer plus avidement sa carcasse brûlante. Son artère roulait sous mes dents alors que je m'appuyais sur elle, cherchant à pénétrer de force les plus intimes secrets de ses filaments extasiés. Plus fort, je la voulais davantage. Elle exhalait les soupirs étouffés, congestionnés des plaisirs pleinement avoués alors qu'elle enroulait ses jambes autour de mes hanches pour me maintenir contre elle. L'évider, de tout. Boire ses gémissements jusqu'aux dernières lampées. Graver cette bestialité, fouiller dans sa gorge le remède de mes tares frustrées. Ses bras m'enlaçaient convulsivement alors que je brutalisais toujours plus sauvagement son corps brisé. Épanouir en écailles les floraisons de mes violences éventrées. Plus. Je voulais plus. Plus profond dans sa nuque était enfouie l'extinction de mes soifs les plus primales. Chaque pression, chaque contraction de ma mâchoire irriguait le feu de mes entrailles jusqu'aux dernières parcelles de mon être. La creuser. Je voulais creuser les secrets de son corps. Union incestueuse de gémissements de douleurs aux expressions de bête décharnée. Oui. Animale était ma langue, féroces mes crocs dépossédés. Laisse-moi recouvrir toutes ces sensations, toutes ces émulsions qui m'ont été depuis si longtemps refusées. Ce feu. Ce nectar. Cet éveil de mes gênes dissimulés. Je sentais ses muscles se contracter en des sursauts de sensuelles agonies alors que je la traînais sur son lit, plaçant mes paumes sous son dos pour l'appuyer contre moi. Ses chaleurs de fièvre emplissaient mes mains alors que je parcourais les lignes de son échine tremblante. Désacraliser toute son essence en une éruption de violence éjaculée. J'étais en vie. Pour la première fois depuis plus d'une vingtaine d'années d'enlisement informe. Oui, je comprenais. Que toutes les hématies courant sous ma peau implosent. C'était la seule voie possible, la seule que je pouvais à jamais désirer. Je mordais à nouveau, affermissais ma prise. Il n'y avait plus rien d'autre. Plus. Gorge-moi.
Mes mains appuyées contre le lit, je la soulevais, la traînais à la seule force de mes mâchoires, de mes gueules férales. Écumes enivrées se déversant de chacun de mes pores pour irréversiblement m'infecter de leurs arômes de conflagration. Je la sentais se tordre sous moi, frémir sous les intensités successives qui secouaient ses cuisses. Était-elle en train de jouir ? Jouis, exulte entre ces carcans émaillés pendant que je me nourris des spasmes sanguins de tes hématies en affaissement. Elle tirait les plis de mes vêtements en des gestes contrits alors que ses lèvres scellées d'intensité valaient tous les hurlements que j'aurais pu lui arracher. Morsure figée dans son mutisme exalté. Son étreinte brusquement relâchée après une dernière convulsion pour retomber inerte. Je lâchais sa gorge, écartais mes bouches en ivresse. Parfaite. Douloureusement belle. Maintenant, plus que jamais. Perdu dans les tissus violentés qui apparaissaient sur sa peau malmenée. Les colorations violacées, bleutées qui animaient ces stigmates naissantes. Marquée. Il était facile de s'enorgueillir. Elle ne bougeait pas, mais respirait toujours. Je passais lentement ma main sur son visage. Elle s'était à nouveau évanouie, retournée dans le néant de ses affects immodérés. Elle s'était portée jusqu'à ces extrémités au travers de ses sensibilités hypertrophiées. Je regardais les pulsations rythmées de ses veines qui projetaient de changeantes ombres. Sa poitrine se soulevait péniblement, faisait rouler les gouttes de sueur dans le creux de son torse. Ses lèvres entrouvertes, avec d'encore visible la marque de ses propres dents. Je me sentais en vie. Je me redressais, inspirais les yeux fermés, laissais ces sensuelles infusions se répandre en moi. Cette soif. Cette soif. Enfin. L'air criblant mes poumons, glaçant dans les braises de mes muscles calcinés. En vie. Je me levais, chancelant, plein d'une surexcitation magnifiée au centuple. Pétillements, grouillements de toutes mes cellules. Je m'écroulais sur un fauteuil non-loin. Épuisé de contentement, étiré du trop-plein ressenti. La première fatigue saine que je ressentais depuis des années. Danse, danse sous mes yeux les silhouettes de ma complétion. Et que les averses jamais ne cessent, qu'écroulent les jours les nuits de mes voraces empires. J'étais là. Dans l'étirement prolongé de ces nidoreuses minutes. Ses râles qui poursuivaient les sifflantes éloges de ses poumons criblés en de berceuses vagues sur laquelle effacer mon attention. Par pulses, engourdissant les vibrations de mes membranes exaltés. Les expirations qui creusaient l'espace sous mes yeux. Le sommeil, l'oubli. Ses saveurs. L'oubli.
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