Chapitre 9

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Au fond d'une chambre, écrasé contre le mur, je peux voir les restes dépouillés d'un scarabée énorme. Écroulé dans sa fuite, un monolithe oublié. En m'approchant de lui pour mieux le regarder, je distingue quelque chose d'inhabituel. Des plantes, grimpantes sur ce cadavre brutal. Je ne me souviens pas de cette végétation, elle n'était pas là auparavant. Nouvelle, elle pousse depuis que tout s'est éteint. Mais elle me semble apaiser la chute de cet insecte. Elle les soutient. En apaise les échos. Des teintes de poussière, elle conserve encore les colorations pâles de vie en expansion. Directement sur son abdomen retourné et bombé poussent des brins d'herbes qui finiront par le couvrir entièrement. Éclosion tardive, je regarde comment ses bras filandreux enserrent les membres contrits, comment son étreinte silencieuse s'enroule autour de ses formes pour s'y appuyer et sauvegarder son unité. En un tapis hésitant, je la vois s'ériger contre le mur derrière la carcasse en quête d'espace où s'étendre. D'où vient-elle. Qu'est-elle. Les échos parvenant de l'insecte, rémanences de son extinction, me semblent moins déchirants entrelacés de ces croissances fertiles. De ta pourriture, une nouvelle vie. Je fais le tour de son corps massif pour me retrouver face à son visage. Des bourgeons tortueux s'échappent d'entre ses mandibules figées, et je peux deviner comment les filaments végétal nervent l'intérieur de sa carapace. Je m'écarte, et reprends ma progression, laissant ce colosse éteint se perdre dans ses rêves aux saveurs de sève.

À l'extérieur, ménageant ma jambe blessée, éprouvant sa validité. Maintenant. Je ne pouvais me permettre de repousser plus longtemps l'échéance, tenter la durée de l'obscurité. Sous la bruine je rejoignais les lisières du district, en cherchais une sortie. Barricades partielles, j'avais trouvé un accès entre deux planches démises que je replaçais derrière moi, virtuellement inchangées, vierges des traces de mon passage. Ma main droite prise de tremblements face à l'effort que cela m'avait demandé. Le cœur de la tempête était passé, et ne restaient dans son sillage que ces restes humides, ces accrocs venteux faiblissants. Ne disparais pas, ne quitte pas ces arrêtes trempées. Elles respiraient encore.
C'était la première fois que je quittais le quartier du refuge depuis que je m'y étais dissimulé. La première fois que je me confrontais une fois de plus à ces risques, à ces envers. À ces chasses. De nouveau, à découvert. Les grands lampadaires balisant les rues et les allées de leurs structures désormais inutiles sous les retombées de nuit.
Silence, calme. L'emprise de la milice n'avait pu que se renforcer dans le laps de mon absence. Je regardais les alentours. Accueil ligaturé dans des teintes sombres, les scellés s'étaient étendus pour scléroser toute la façade des bâtiments qui me faisaient face. Jointures forcées dans la pierre, le muselage de toutes ces réalités maintenant dissimulées sous des lamelles fixées. Combien de ruelles s'étaient vues garnies de murs d'acier. Aucune intention de le découvrir, je me portais aux remparts.

Je connaissais le chemin pour rejoindre le corridor. Mais depuis la dernière fois que je l'avais parcouru, les restrictions étaient venues en modifier l'aspect. Façades condamnées, bâtisses mortes muselées. La bouche ouverte du métro était le mausolée de souvenirs de mobilités qui semblaient remonter maintenant à des décades. Lentement, prudemment, je rejoignais l'accès qui était le mien, au travers des stations vidées, des inerties inquiètes. La clé dans la serrure, j'entrais. Ici, au moins, tout semblait encore inaltéré. Je baignais une ultime fois dans ces humeurs humides et inhumées. Je le traversais, un pas après l'autre, les faisant aussi long que possible. Face au portail grillagé qui attendait de l'autre côté, la froide poignée entre mes doigts, je prolongeais mes derniers instants. J'aurais voulu emporter ce passage avec moi, le retrouver dans chaque ville, dans chaque lieu. Frissons de contentement, adieux internes. Mélancoliques buées. Je me reprenais en ouvrant le portail, gémissant longuement dans son oubli.

J'atteignais le noir de l'autre station, ses passages délaissés.
Des lisières du quai, je pouvais deviner plus loin les fermetures hermétiques du tunnel que je venais de dépasser. Au moins n'avais-je à m'inquiéter de cette direction.
Je sautais sur les rails, l'impact résonnant sourdement sur les parois circulaires qui accueillaient mes premiers pas. Il n'y avait pour m'éclairer que les diodes de secours, prévues en cas de panne généralisée, émanant des auras d'ambre évanouie. L'eau s'était infiltrée sur les voies, baguant mes semelles alors que je remontais les barreaux, évitant les ramifications divergentes qui s'ouvraient sur des directions qui ne pouvaient que me perdre. De manière similaire à mon corridor, la moisissure avait dû s'étendre, proliférer en des nuages sombres sur les surfaces. Je le sentais dans l'air. L'acrimonie qui s'accrochait à mes sens, embuait mes pensées. À plusieurs reprises je me retournais pour vérifier ce qui s'étendait derrière moi. Rien de plus que ce que j'avais parcouru. Cette étrange compulsion qui me faisait ressentir l'exposition de mon dos. Je me reprenais, rigolais de ces inquiétudes primaires. Comme si toutes les ombres sentines étaient des langues qui progressaient de concert avec moi, glissant sur les murs circulaires, surmontant les aspérités. Longue marche, obscure, à éviter les voies contraires, à ingérer cette humidité enterrée. L'air rance et moite qui battait peu à peu en retraite face à de nouvelles brises. Salines toxicités. La sortie du tunnel devait se trouver encore un peu plus loin. Je pressais le pas, devinais les limites du tunnel plus loin, m'y précipitais.

Sortie. Exposé aux pluies, aux vents qui s'engouffraient dans l'ouverture béante, m'y poussant à y retourner. Je ne le pouvais. Je savourais ces sensations, paupières closes. Je pouvais de nouveau respirer.
Et au loin, au-dessus des étendues de briques et de vitres noires, les débouchées que je recherchais, ouverte dans la pierre, sauvegardée dans les pans irréguliers du rempart métallique. Aucune lumière, aucune trace de passage. Bien. Engorgé, je commençais à suivre le trajet qui m'y menait. La voie, suspendue dans les airs, supportée par les poutres lourdes qui l'érigeait, passait entre certaines des constructions les plus éloignées du centre. Comme de hautes lances, les cheminées noires bordaient mon chemin, saluaient de leur sommeil mon départ. Que leurs entrailles de suie soient les haruspices d'issues favorables. Rivés aux falaises qui cerclaient la ville, les rails montaient encore quelque peu avant de rejoindre la sortie. Je regardais au-dessous de moi les distances qui me séparaient du sol, les bâtisses éteintes, sentinelles de pierre. Est-ce qu'une chute serait mortelle ici. J'en doutais, mais je ne voulais en éprouver l'hypothèse. Je m'avançais sous la bruine continuelle, crachant ses gouttes, brouillard liquide, en prenant soin de bien placer mes pas.

Si proche des remparts, respirer devenait pénible. Comme si la charge de travail qu'avait représenté leur manufacture en avait teinté les proximités d'une manière indélébile. J'avais l'impression de respirer du fer. Des milliers de particules de métal qui, lentement, inspiration après inspiration, venaient déchirer les membranes internes de mes poumons. À mesure que je progressais, les grands immeubles qui se voyaient progressivement remplacés par des habitations plus modestes, plus basses. Plus abandonnées. Les marges les plus pauvres habitaient ici. Les rails que je suivais, délaissant ses bras adjacents, se séparaient d'autres voies pour s'approcher des falaises emmurées en une pente sensible. Plus près du sol, moins exposé. Je pouvais apercevoir des chemins de rails effondrés, victimes de négligences trop persistantes. Je reportais mes yeux sur mon objectif, sur la roche emprisonnée. Fixés solidement aux parois de métal, je pouvais voir s'élever dans la distance les grands échafaudages qui s'agrippaient le long de leur surface, les poulies maintenant de leurs maillons les renforcements, attendant que l'on vienne les joindre aux monuments de verticalité. Rénovations momentanément abandonnées, consolidations suspendues sans le carburant nécessaire à leur complétion. Je n'avais jamais été si proche des remparts, de leur base. Dominants, écrasants, sourds. La nuit ne les rendait que plus troubles, plus froids.

C'était comme si la ville écrouait ses limites de toutes les forces qui étaient les siennes, se faisait une armure des lisières de son territoire. Tandis que la chair recelée en son sein continuait de pourrir aux pieds d'espaces toujours plus restreints. J'aurais presque pu distinguer en marchant l'humidité fiévreuse qui ruisselait sur le métal, buvant les déjections brumeuses qui suaient de la pierre au-dessus. Écrasante, méprisante. Sa linéarité séculaire qui se poursuivait sur des kilomètres. Je m'approchais des mortes raffineries, des industries caduques qui avaient tant désirés siphonner les embryons de la pierre. Épaisses cheminées à la rouille palpable. Les grands tapis actionnés dans des mouvements mécaniques de rouages hurlants jour et nuit. Non loin ces anciennes tours de suie, ces complexes veineux, nerveux, qui s'entremêlaient au tracé de ces voies. Enfin, en vue, la béance du tunnel, son inertie prolongée, son aveu d'échec. Et comme je l'avais espéré, les entreprises de le colmater, interrompues par la panne générale. Inégales entraves, des lamelles de métal qui avaient été soudées ensemble, les unes aux autres pour condamner définitivement l'accès, offrir toute l'hégémonie au futur port. En m'approchant, les aperçus lointaines des percées qui menaient de l'autre côté.

Sortir, je pouvais sortir, disparaître hor-
Grincement lointain, étouffé par la pluie. Subtiles carnations à l'entrée du tunnel. Des lampes. Luminaires gorgés d'huiles, lanternes à main, archaïsme renouvelé par l'absence de courant. Qui s'allumaient, une à une, comme des lucioles mortifères, promesses de garrot. Et souligné dans un infime éclat, un masque d'acier.
Panique sur ces supports ruinés, manquant de tomber à plusieurs reprises dans les débris qui attendaient de recevoir mon corps plus bas, ne sachant où tourner, ne sachant où fuir encore. Un des chemins de rails adjacent, me retournant en panique sous les écrans de bruines qui me dissimulaient les formes que j'avais entraperçus. Dans la distance, plus en avant. Amputation de la voie, écroulée au-dessus d'un large bâtiment, les derniers rails suspendus au-dessus de sa toiture. Les lanternes rassemblées, se rapprochant des voies pour percer le rideau de pluie. Ils allaient me voir. Je ne pouvais rester là. Les lisières des rails effondrés, le bâtiment muet. Me penchant au-dessus du vide, incertitude. Les rumeurs de présence de plus en plus proche. Élan, je sautais.

Impact sourd sur ses surfaces glissantes, fracas de mon corps alors que je déboulais en direction du vide. Arrête saisie de mes doigts, relançant les ruptures de mon bras pour m'accrocher. La pluie noyant les sons que m'arrachaient l'effort, effaçant les distances, battant mes gestes. Encore. Soulevé, hissé, mon pied trouvant un appui. Avançant, glissant, encore, encore. Jusqu'à trouver un accès pour entrer, surface de verre épais coincée dans ses gonds. Retourné, je pouvais apercevoir de troubles halos rejoignant le point que je venais de quitter. D'autres gardes, toujours, toujours. Je ne devais me faire voir, me faire repérer ici. Je forçais sur la poignée de la porte vitrée que je parvenais à faire coulisser. Avant de m'y engouffrer brutalement, de me cacher des luminaires assemblées. Me cacher de ma tentative échouée.

Tombé par l'ouverture, mon bras compressé contre moi, je reprenais mon souffle. Ma jambe me heurtait. Réalisais ma situation. La seule sortie envisageable, fermée. Les gardes avaient tout de même voulu la surveiller, malgré mes prévisions. Adossé contre le mur, je laissais mes expirations s'évaser hors de mes lèvres. De même pour chaque interstice possible. Je secouais mon visage, mes cheveux inondés. Chassais ces pensées stériles. Chaque chose en son temps, plus tard ces entraves. Trompant mon abattement, irriguant les hostilités qui avaient su me maintenir toutes ces années. Je levais mes yeux éreintés sur mon environnement.
Coincé, derrière des murs industriels. Ils devaient avoir été fermés depuis plusieurs mois, abandonnés en pleine activité. Tout semblait atteint d'une étrange paralysie. Comme s'il aurait suffi de lui redonner un souffle pour que tout le mouvement reprenne comme si rien ne s'était passé. C'était la première fois que je pénétrais dans un de ces espaces de manutention. J'avais accédé à une chambre sombre, étroite, cellule ouverte sur un puits central, divisé en plusieurs étages aux compartiments distincts. Ce n'était qu'un grand espace de stockage, aux surfaces de briques usées, couvertes de signaux à la peinture effacée. Je m'avançais auprès de la rambarde de fer bornant le vide, observais les niveaux superposés, emplis de caisses. L'écho métallique de mes pas m'apparaissait presque déplacé après une aussi longue période d'inertie. La toiture de verre morcelée laissait entrer les feintes lueurs de la nuit, ainsi que les retombées de l'averse. Mieux valait ne pas rester outre mesure. Je dépassais la rambarde et prenais les escaliers qui criblaient le mur, descendais en quête de la sortie. De l'autre côté du puits, je pouvais voir les étages fragmentés en plusieurs chambres ouvertes, de dimension semblable à celle où je m'étais trouvé. Les longues chaînes à poulies pendaient inutilement dans le vide, certaines soutenant encore de lourdes caisses sanglées. Leur grincement périodique était, avec le ruissellement continuel de la pluie, la seule chose que j'entendais. Dans l'ombre qui cerclait les niveaux inférieurs, je devinais une masse informe, imposante, qui semblait emplir toute l'envergure du hangar, mais il m'était impossible de savoir ce que c'était. En bas, il n'y avait que la poix pour me recevoir. En tâtonnant, je trouvais une lampe à huile que j'allumais. Monument.

Ainsi, je me tenais. Face aux parois muettes du métal plié. Comme une telle engeance pouvait être silencieuse. Je passais ma main sur la surface de la coque, rêche et rugueuse. Ce n'était pas seulement un navire de pêche en rénovation. C'était un monument. Une stèle inabordable. La peinture s'écaillait en pétales de rouille, l'âge suant de ses structures comme un pollen éventé.
De tout son poids il écrasait l'envergure du hangar, jusqu'aux portes chaînées qui devaient lui permettre de rejoindre les eaux. Mais il n'y avait aucune sortie du côté où je me tenais. Il me fallait le passer. Lampe à la main je prenais la seule échelle montant le flanc du navire, sentais l'éreintement de mes membres alors que je luttais pour ne pas chuter. Arrêt des échelons sur un des niveaux inférieurs, les barreaux ne donnaient accès au pont. Il n'y avait qu'une ouverture, extension de cabine. L'écoutille, entrebâillée. Regardant autour de moi pour d'autres accès, je me rendais à l'évidence. J'allais devoir entrer.
Intérieur.
Presque suffoqué par l'odeur de métal corrodé, de surfaces décapées. À la lumière dansante de ma lampe, je m'avançais dans les entrelacs. Je n'avais jamais vu une telle épave, un état de désuétude aussi avancé. Seuls mes pas et mes inspirations troubles pour me guider. Je tournais, retournais, cherchais. En vain. Il n'y avait pas d'indications, pas de m-

D'autres personnes avaient été ici avant moi. Dans le couloir que j'allais prendre. Des lumières. De petites lampes fumantes, de la taille de ma main. Posées sur le sol, brûlant leurs réserves de graisse en de mince volutes odorantes qui s'accumulaient dans ces espaces fermés. Diffusant les éclats de verres teintés de sombre, animant et accentuant la rouille. J'essayais de distinguer du bruit, du mouvement. Rien. Si du monde était passé par ici, la sortie serait peut-être à proximité. Je n'arriverais à m'extriquer de manière aléatoire. J'abandonnais ma propre lampe, la joignais à cette procession ignée, avant de m'enfoncer plus en avant.
L'âcre saveur de la graisse consumée imprégnait de plus en plus fortement les lieux. Qui avait pu se terrer ici. Long couloir de rouille, résonnent mes inspirations comme un rythme animant les envers oxydés. Ce n'était pas la direction mais l'appel. Aux fonds de ces corridors m'attendent les pulsations renouvelées. Prend ma ruine, prend mes dents, je te les offre de mes mains consentantes. L'abandon veine ces lieux, enferme les râles captifs de manufactures incomplètes. Expire, soupire. Chaque souffler relâché faisait danser les particules oisives, pollen rouillé, engeance des négligences. Confrérie, notre sang partagé. Plus loin je distinguais d'autres lueurs rassemblées, descendais des marches, passais une ouvertu-
Là. En vue.

L'autel de chair.

Placé sur ses genoux, les mains étroitement liées au-dessus de sa tête, suspendues à une corde. Comme des bannières les tentures de voiles déchirées couvrant les murs. Il respirait péniblement, un sac de toile comme visage, altérant le son qui émanait de sa gorge. Son torse découvert était plein de marques, d'entailles dont le sang noir qui s'en était écoulait semblait s'être coagulé depuis longtemps. Mis en lumière par un cercles de lampes brûlantes, m'offrant tous les détails de sa silhouette en tourment. Il était là, offert. Je voyais tout. Les ombres dessinant le contour de ses muscles étirés sous sa peau, la tension constante alimentée par l'angoisse de ce qui allait arriver ensuite. Je m'approchais, le bruit de mes pas non tus m'annonçant. À ce signe de ma présence il s'était crispé d'un seul coup, son corps tendu, tirant vainement sur ses liens dans des gémissements noyés. Il devait être bâillonné. Il ne pouvait que paniquer, d'agiter la tête de droite à gauche. Inutile. Proche maintenant, ses membres se relâchaient désespérément.
Était-ce aussi simple ? Je regardais au nom d'une fébrile précaution autour de moi. La cale où nous étions, jointe à d'autres couloirs, était vide à l'exception de quelques caisses épaisses trainées jusque ici. Nos ombres dansantes aux rythmes des lumières de rouille. Vides étendues, liminaires potentialités. Je me retournais vers lui. Offert de cette manière. L'occasion de déverser des pulsions de corrosion. Je l'avais eu. Elle. Ma subtile anémiée. Mais ce n'était pas pareil. Je participais à sa destruction. Voulue, consciente. J'avais été un acteur de sa ruine. Mais c'était un échange, un partage. Je ne lui avais rien imposé.
Là.
Là, je le pouvais.
Ces échecs répétés. Ma main souillée. Danser les carcasses les charognes sur son corps qui devait en pâtir, payer le prix de ces garrots. Défoule-moi. Qui pourrait résister pareille tentation. Chair abandonnée, aveugle, muselée. Sans personne pour s'interposer. Je regardais sa poitrine se soulever péniblement, les caillots encore humides accrochant sombrement les reflets ignés autour de nous. Humeur tétanisée, fixée aux émanations mâles d'un corps éprouvé au-delà de sa volonté. Je remarquais, dissimulés au milieu des écoulements à moitié séchés, les tracés de l'encre gravée dans sa peau. Des tatouages, des symboles aux arrêtes troubles, couvrant de manière éparpillée des parties de son corps. Des mots, des lettres que je ne connaissais pas, rongeant ses bras, son torse. Un arc de pigment, comme un lunaire croissant noir, renversé sur son flanc. Symboles, imprécations. Éreinte-moi. Des tatouages eux-mêmes suaient des perles sombres. Ils étaient récents. Ils devaient avoir été fait ici. Que disaient-ils.
Frissons crépitants. Rangée contre sa jambe repliée, la longue lame de fer déposée. Les pulsations de mes artères défaillantes. Je touchais du bout des doigts le manche strié d'entailles croisées, creusées dans le matériau vieilli. Ces cavales d'intensité. Je l'empoignais. La lame raclant souverainement contre le sol, relançant les sursauts de panique, les implorations étouffées. La lame. Je la posais sur ma paume pour l'admirer, pour en éprouver le fil, le poids. Usée, tachetée de fines pointes d'usures éparses. L'arrête aiguisée, plus claire que le reste, légèrement écorchée, dos au fer noirci. Le temps en avait damassé naturellement les surfaces. Ne panique plus. Je dirigeais la pointe vers son torse, son ventre, l'approchais progressivement, dessinant d'infimes gestes dans les airs. Mes mains en tremblaient presque. Susurrent les os et vibrent les tendons. Entendez-vous mes dents les appels des autels de chairs.

Bruit métallique de porte que l'on ouvrait je me jetais derrière une caisse pour me dissimuler. Je ne bougeais plus, contre le sol. Mes mains tremblaient encore, le souffle difficilement maîtrisable. Le même bruit de panneau déplacé qui maintenant se refermait. Des pas, plusieurs, écrasant les irrégularités du sol. Est-ce que des gardes m'avaient vu, m'avaient suivi jusque ici ? Non, je n'y croyais pas. Sur le mur non-loin de moi, projetées les ombres des arrivants. Vacillantes, elles se perdaient en contours dansants, agitées par les nombreuses lumières. Impossible de savoir combien. De nouvelles torches avait été apportées, accentuant l'opacité de l'air. Silence. Aucune parole proférée. Ils ne bougeaient pas, restaient encastrés dans l'inertie pierreuse qui me les révélait ainsi. Comment pouvais-je sortir. Je ne pouvais me reculer sans me faire voir. Que se passait-il. Je me risquais à poser un regard au-delà de mon égide, au-delà d-
De nouveau jeté dans l'ombre. Entraperçus. J'attendais quelques secondes, paupières closes. Personne ne m'avait vu. Personne ne m'avait vu. En cercle, autour de l'homme attaché, ils se tenaient, ils se tenaient. Les lourdes lampes qu'ils portaient à leurs mains fécondaient leurs ombres pour les grossir et les voiler. Ils avaient quelque chose agrippant leur visage. De noueux de filaires de la-
Feintes inspirations. Que faisaient-ils. J'entendais de sourds ruminements entonnés, répétés, prenant de l'ampleur. Il me devenait difficile de respirer, la fumée des nouvelles lampes s'accumulait, se chargeait dans la pièce. Les ombres, les ombres bougeaient, oscillaient. Leurs paroles, à peine audibles, compréhensibles comme dans un soupir.
- Nous donnons nos yeux. Nous donnons notre langue. Nous donnons nos mains. Nous donnons notre peau.
Compression de mes mâchoires pour me concentrer, je devais sortir. Sortir. Les sons les chants prenaient de l'ampleur de la profondeur et roulaient sur les parois pour se répercuter dans mes yeux dans mes tempes. Grondent, nos conflits.
- Quittez ce sommeil, mortes industries, humez le glaive de nos trépas fantasmés. Lève-nous, ô cheminées d'incendies. Érige-nous avec la verticalité des océans, bague nos lèvres d'embruns et d'hameçons entrelacés. Pour que de nos entrailles fumantes l'on consacre de nouveaux présages.
Une voix plus forte, dominant la procession. Et en chœur, tous répétaient.
- Nous donnons nos yeux. Nous donnons notre langue. Nous donnons nos mains. Nous donnons notre peau.
Imprécations serpentines, ruminant leur voie jusqu'à mes sens mes perceptions. Se nouaient une place sous mon visage. Ces émanations crépitantes m'étranglaient. Respiration accélérée aucune bouffée ne m'était assez tout apport est un poison. Le rythme le rythme encore qui martèle mes tempes annihile tous les horizons. Vibrations, gorges creusées.
- Respire, bête inanimée, tes râles de scories et tes songes de rouille. Dresse les entailles qui ont caractérisés ta fortune, innerve les câbles tapissant tes paupières d'une puissance qui n'aura plus rien d'amer.
Ne bouge pas, ne bouge pas. Perle brûlante coulant sur mes lèvres, tombant sur mes paumes agitées. Qu'est-ce. Doigts portés à mon visage, me revenant carmins. Je saignais. Synapse, écroule-moi.
- Nous donnons nos tempes. Nous donnons nos bronches. Pour ne faire plus qu'un. Reviens, reviens à nous, de la torpeur de tes songes inanes, retrouve le chemin de tes battements souverains. Nous t'offrons la lame qui doi-
Suspension soudaine des roulements gutturaux, je me penchais pour regarder.
Tournés vers moi les hommes aux visages voilés, tressés de racines, couronnés de bois mort. À mes pieds la lame que de l'autel j'avais retiré.
Titubant le chancellement de mes jambes sapées n'approchez pas n'appr-
Heurtant une des caisses manquant de faire tomber l'une des lampes embrasées. Je la prenais de mes mains. Vos invocations sont des béances. Et la jetais au sol en un bris de verre fracturé. Explosion crépitante de gerbes ignées aux langues se répandant aux autres, je courrais prenais l'un des accès ouvert quittais cette salle surchargée. Courses et sonorités de panique je renversais d'autres lampes sur mon chemin, tournais dans les couloirs sans savoir où aller. Les douleurs de mes plaies relancées. Escaliers montant jusqu'à une rambarde je sautais par-dessus, retombais sur le sol, hors du navire. Je me retournais pour regarder. Les cimes rouillées, en flammes. Illuminant le hangar d'incendiaires luminosités. Partir, par-
Sur le pont, ciblées sur moi. Racines. Les ombres. À ma poursuite ils se lançaient je claudiquais jusqu'à la porte la plus proche que je refermais brutalement de mon dos. Ados-
Le choc d'une masse contre la surface derrière moi. Répété plusieurs fois. Tout mon poids concentré, la poignée qu'on agitait furieusement. Endurance. Accalmie, je cherchais quelque chose pour bloquer l'accès. Caisse de métal que je tirais, tirais de toutes mes forces contre la porte. Les assauts repris j'y ajoutais davantage de poids et d'objets à proximité. Essoufflé, je reculais, la jambe comme transpercée de plusieurs tisons. La porte semblait tenir, malgré les attaques assidues. Je respirais.

Il n'y avait presque aucune lumière dans le réduit où j'avais échoué. Ne retombaient ici que les traits d'or sali d'aube entamée, expulsés au travers de planches de bois barrant la fenêtre. Je m'en approchais, les éprouvais, essayais de les faire sauter. Inutile. On continuait de s'abattre sur la porte avec fureur, dérangeant avec chaque impact la poussière accumulée, envoyant danser les particules dans les rayons maigres. Me faisait regretter de n'avoir emporté la lame avec moi. Est-ce qu'ils partiraient si j'attendais. Passage de ma paume dans mes cheveux trempés de sueur. Je n'y croyais pas. Je tenais ma jambe, essayais d'en alléger l'articulation. Je ne pourrais les fuir s'ils devaient trouver un accès ici. Appuyé contre le mur, mes pas étaient malaisés. Cette course était plus que ce que je pouvais donner. Dans la lueur surannée filtrant des interstices, atténuant l'obscurité de la pièce étroite, recouvrant les surfaces de pierre. En un même horizontal torrent des dizaines de tuyaux de tailles différentes, variations d'un même spectre épuisé. Certains disparaissaient en plongeant sous la vague de béton, d'autres nervaient toutes les surfaces. Face aux compteurs morts et à leurs cadrans éteints, s'engouffrant dans les entrailles pierreuses, un escalier usé, les deux pans métalliques de la trappe qui devait habituellement en bloquer l'accès rejetés sur les côtés. Il n'y avait rien d'autre, aucun point supplémentaire. Salle de maintenance, concomitante des machines de la raffinerie. Peut-être. Je n'étais même pas sûr d'être encore dans le hangar. L'escalier. Les prémices du couloir sur lequel il donnait étaient à peine éclairé par des diodes de secours écarlates, comme soulignant d'agressives corrosions. Ses frêles membres de fer se noyaient partiellement dans l'ombre rouge, alors que les tuyaux reprenaient leur course pour venir en veiner les contours. Qu'une seule direction à prendre. Ou bien rester ici. J'inspirais. Et j'entamais les premiers pas sur les marches grinçantes, me tenant à la rambarde enveloppée de toiles abandonnées. Je délaissais les faibles luminosités naturelles qui mourraient en haut des marches. Et les nombreux conduits de canalisation se jetaient avec enthousiasme derrière les premiers murs d'obscurité, délimités par intervalles sanguins réguliers. Pourquoi une telle méfiance.

Aveugle, ou presque. Les luminaires de sécurité n'émanaient que de maigres éclaircissements aux teintes rouges presque éteintes. Placées au sol, rythmant le déroulé ondulatoire du couloir, alternant les passages occultés avec les pans métalliques dévoilés dans leur détail, leur imposant les allures de gangrène rouillée. Tout semblait pris d'une ancienne sécheresse à mesure que je progressais. Cloisonnement continuel, il n'y avait aucun son, aucune rumeur. La poussière inerte n'avait aucune odeur. L'inanité prolongée de ce couloir abandonné se portait à mes sens pour les engourdir, les nullifier dans sa stase. Il n'y avait que la vague sensation du raclement de mon épaule contre les parois solides, de mes ligaments éprouvés. Par moment je pouvais encore entendre dans mon dos les échos lointains des assauts donnés à la porte. Il fallait que je quitte cet endroit. Vite.
Le support de mon bras s'arrêtant brusquement. J'avais failli tomber alors que le mur qui me guidait s'était soudainement ouvert. Je reculais, me rassurais en me tenant aux tuyaux. Impossible de la distinguer au premier abord, mais il y avait une ouverture, un embranchement auxiliaire quelconque. Ce n'était donc pas un simple couloir sous-terrain, comme je l'avais espéré. La diode à proximité projetait ses ombres sanguines, rendant l'ouverture absolument impénétrable pour mes yeux. Il devait y avoir tout un complexe de maintenance sous la surface. Quel chemin devais-je prendre maintenant. Vive appréhension cerclant mes viscères. Perdu ici, à errer dans le noir, à lécher les murs en quête de vapeur d'humidité jusqu'à mourir de soif, mourir d'oubli. Mais l'autre côté était bloqué. Avancer, ou reculer. Je m'efforçais de dominer ma respiration. Je passais l'ouverture fermée de noir, reprenais la trajectoire initiale qui constituait la majeure partie de ces fondations. Je n'avais vu aucun tuyau s'engouffrer dans la direction annexe, et je voulais avoir cette indication pour me guider. Mes pas continus dans le vide. Les minces ilots de lumière agressive, s'espaçant, disparaissant entre des pans entiers d'obscurité qui se faisaient plus tangibles. Concerts. À tâtonner des mains pour essayer de maintenir son chemin, à ressentir les parois lentement osciller dans des tracés aux proportions me dépassant complètement. Absence de lumière palpable, presque matérielle. Miasme conscient immobile, avalant les corps errants.
Je m'arrêtais. La lumière, amputée. Les diodes cessaient. Il n'y en avait plus en avant. Inspiration. Il devait y avoir un crochet, privant ma vue de ces balises mourantes. Je plaçais mes paumes contre le mur, me guidais sensiblement en avant. Un air, un infime courant, le premier depuis que j'étais entré, était venu se porter à moi. Ce devait être le signe qu'une sortie devait se trouver non-loin. Je me sentais rassuré, m'avançais plus léger. Combien de temps enc-

Chute, réflexes de m'attraper sur le sol. Je me tenais par terre, me hissais hors du creux béant où s'était enfoncé ma jambe, m'en éloignais en rampant. Le cœur battant, ivre d'une amère adrénaline. Une trappe ouverte ? Je me relevais, sueur de malaise. La poussière éreintante s'y collant, se fixant aux parties exposées de mon visage. Amas sale s'accrochant à mes doigts, s'accouplant à ma peau. Il ne fallait pas que je tombe. À longer étroitement le mur, rivé à lui. Où étais la sortie. Je longeais précautionneusement le mur, m'accrochant désespérément aux canalisations, évitant de me tenir au milieu du passage. Sous ma main je sentais le contact froid de la tige torsadée d'une rambarde d'acier. Je ne voulais pas descendre, pas davantage. Amer déglutinement. Ne pas se perdre, ne pas hésiter. Silence lourd, pesant. Air rance. Je prenais cette voie, et descendais les quelques marches, faisant résonner l'impact de mes pas à l'intérieur de ces boyaux dessiqués. Les conduits commençaient à cesser de filer droit sous mes paumes pour s'entremêler, se mélanger, disparaître et ressurgir de la pierre à leur propre guise. Impression de descente. Impression de vapeur. Une très mince pellicule de sudation s'était déposée sur les surfaces de cette branche intestinale. Est-ce que certaines machines fonctionnaient encore pour suer.

Je continuais, palpant l'humidité de mes sens endormis dans l'air moite. Je m'approchais de la diode que j'avais deviné au loin. Elle brillait étrangement, plus puissante, presque tremblante. À partir de là, les lumières fixées au sol qui s'agençaient irrégulièrement, suintantes d'une lueur sanguine agressive, rythmant le rien béant qui subsistait entre ces parcelles inanimées. Viscosité soudaine dans mes yeux. Je reculais, agitais les mains devant moi. Quelque chose pendant du plafond avait frôlé mon visage. En tâtant aléatoirement l'obscurité, je retrouvais le contact flébile. Sorte de toile humide et lâche, légèrement collante au toucher. Désagréable sensation de souillure prégnante qui perdurait après l'avoir touché. Et une odeur étrange, persistante sur mon épiderme. Odeur de macération trop longue. Je progressais lentement, bras sondant ce qui se trouvait devant moi en attendant les balises de sang. Plusieurs fois je rentrais en contact avec les lambeaux abandonnés, pleins d'une humidité poisseuse. De plus en plus huileux, plus prenants. Dans les lueurs artificielles je pouvais les voir, immobiles, coulantes. Elles cherchaient à rejoindre le sol, s'étiraient sous le poids de leur propre sécrétion.

La chaleur augmentait. Je pouvais le sentir. Lentement. Et dans les tuyaux se répercutaient de sourdes vibrations rythmées, mécaniques. Une partie du complexe devait encore être en état de marche. Si je trouvais la salle des machines, il y aurait sûrement d'autres accès menant quelque part hors de ces galeries. Je trouverais une sortie en longeant les murs s'il n'y avait rien pour m'éclairer. Les vibrations. Plus fortes. Elles devinrent sonores. Une rumeur feinte, derrière les parois, plus loin. Impression de sensible ballottement. Comme si le couloir tanguait sur des flots insoupçonnés, roulait sur ses propres fondations. Concentre-toi. Je m'avançais toujours plus en avant dans cette continuelle et imperceptible descente. J'entendais les grondements maîtrisés et ponctuels qui emplissaient les murs pour me parvenir, pour me guider. Presque, j'y étais presque. Les balises ne fonctionnaient plus. Encore plus loin. Une qui clignotait, qui transperçait l'oubli de ses explosions hémophiles, qui dévoilait par à coup les rutilantes parois. Toiles noyées par dizaines. Le son des gouttes de sudation se brisant par terre. Davantage, encore davantage. Arrêt des pulsations, plus de lumière ici. Je me débattais pour écarter les entraves, manquant de glisser sur le sol trem-

Choc aveugle. Je m'étais heurté à quelque chose dans le couloir, sur une surface qui bloquait le passage. Un cul de sac ? Je n'avais pu le voir. Lente suffocation. Ne pas paniquer. Les éclats épileptiques de la diode reprenaient, grandissaient mon ombre sur le mur nervuré de canaux dressés dans des directions contradictoires et incestueuses. Monuments sonores souterrains, pulsant de l'autre côté, séparés par ce dernier obstacle. Je cherchais une porte, une poignée quel-
Suintantes, salivaires. Au contact de la paroi j'avais par réflexe reculé mes paumes. Le mur, couvert des filaments putrides, de cette viscosité débordante devenue tiède dans la chaleur ambiante. Comme une membrane, un tissu déchiré transpirant le pus de ses viscères. Baigné de rouge, je ne voyais que des flots immobiles, suspendus verticalement. Tout était devenu moite, gorgé. Sortie manquée, je n'avais qu'à revenir en arrière. Respire. Respire. J'essayais de me contenir. Mes mains tremblaient contre les conduits plus que jamais enchevêtrés, alors que les langues s'accrochaient à moi sans que je ne les chasse. Juste encore un peu de pa-
Un mur. Impossible. Je n'avais fait que suivre le tracé gravé dans la pierre. La même matière, la même transpiration fétide qui m'agrippait. Je cherchais autour des deux mains alors que le râle étouffé des machines reprenaient exactement comme auparavant, juste de l'autre côté. J'avais dû tourner en rond sans m'en apercevoir. Percussions dans le sol. Rythme de tombe. Où est la sortie. Où est la sortie. Vite. Je passais frénétiquement mes mains sur les surfaces adipeuses à la recherche d'un passage, étalant le contenu graisseux tout le long de mes mouvements. Je devais sortir. Immédiatement. D'autres percussions, plus fort, sensibles sous mes doigts. Choc sourd de l'autre côté.

Là.

Je courais, autant que ma jambe infirme me le permettait. Dans le noir, sans savoir, passais d'autres diodes mourantes, retournais dans le vide. Je tombais, me heurtais aux murs. Je courais, les grondements souterrains accompagnant ma fuite. Je ne pouvais rester. Je ne pouvais rester. Il en était hors de question. Je devais partir, vite. Vite. Le corps contre les parois. Tout tournait, tout balançait. Une ouverture. Je m'y engouffrais, glissais sur le brusque changement de la surface du sol. Il n'y avait plus de sol. C'étaient de nouveaux conduits faisant office de plateforme qui ne devait être parcourue. Je les sentais vibrer sous mes paumes. Lumière rouge vacillante. Diode à moitié morte, se détruisant en une chaotique épilepsie de phosphore exsudée, m'affichant ce corridor constitué uniquement de canalisations. La pierre évaporée, ne laissant que les artères de découvertes en une cartographie irraisonnée, s'ouvrant sur des vides que la lueur de secours ne pouvait atteindre. Seul passage, je ne devais tomber. Je ne devais tomber dans ces gouffres. Jusqu'où s'avançaient-ils ainsi. Impossible de le voir. Je m'accrochais aux tuyaux filant les côtés saillants pour avancer, me déplaçant sur les supports trempés qui s'ouvraient à tout instant pour m'avaler. Le tissu invisible de leur entrelacs de traîtrise. Avancée à tâtonnements hasardeux, craignant de perdre pied à tout moment. Et ces rumeurs de ruptures profondes qui cherchaient à me désarçonner. Les veines murales retournées sous leur épiderme bétonné, disparues pour mieux me perdre. Je me hissais, m'extirpais hors de ces entraves, progressais en m'accrochant aux irrégularités de leur corps. Voyant mes gestes par intervalles d'agression, la lumière me martelant entre les canalisations, cherchant à m'enfoncer, à m'enterrer sous leur mouvements. Percussions, sonorités de débâcle industrielle. Quelque chose d'autre. De l'eau tombait, plus loin. Ramper loin d'ici, ne pas perdre ses appuis. Le sol réapparu. Les tuyaux s'enlisaient à nouveau dans la pierre pour courir sous sa surface. Enfin une surface solide. Je m'y appuyais, m'échappais des tissus hostiles pour retomber exténué sur la surface couverte de poussière. Encore un effort. Une autre ouverture, manquant de chuter dans le vide qui s'était brutalement imposé. J'entendais les bruissements violents d'eaux qui s'écoulaient en cascades, chutant dans des profondeurs que je ressentais au-dessous de moi. Je devais suivre l'eau, elle devait s'écouler de quelque part, elle devait mener à la surface. J'avançais mes mains une fois de plus dans l'obscurité, au travers du rideau aqueux qui criblait mes doigts. Ce n'était pas un gouffre.

J'agrippais les barres transversales, ruisselantes, qui montaient en une échelle de secours. Pente d'où s'évidaient les contenus des mondes du dessus. Je me contentais d'agripper les barreaux les uns après les autres, me démenant, passant sous des rideaux de cataphractes qui me lavaient des souillures qu'abritait cette négation des sens. Les percussions noyées sous les trombes successives, éclatées des teintes d'ambres sombre, luminaires de secours. Presque. Encore. Creusée dans la roche élimée par des mains d'hommes, un passage, un ultime couloir. Une dernière échelle. Un dernier effort. Terminée sur une trappe, lourde, que je repoussais de l'avant-bras. Enfin sorti. Enfin hors de cet endroit. Je laissais les portes de l'ouverture bruyamment retomber sur les côtés en un fracas métallique, tandis que je me hissais pour m'échouer sur le sol. Je reprenais mon souffle, les yeux fermés.

Je n'avais aucune idée d'où je me trouvais. Un petit local, plus petit que celui par où j'étais entré, avec des étagères chargées d'éléments divers dont je n'avais ni l'envie ni la force d'identifier. Peu m'importait dans l'immédiat. Une fenêtre aux volets solidement refermés d'où s'échappaient de diurnes soupirs. Il faisait encore nuit. Je ne pouvais pas ressortir maintenant. Trop dangereux. Trop épuisant. Peut-être encore à proximité des remparts. Non loin de la milice. S'ils m'avaient vu, ils pouvaient venir me traquer. Il me fallait attendre. Le tunnel, surveillé. Trop tard, il était désormais trop tard. Est-ce qu'il y avait un accès que je ne connaissais pas. L'éreintement de pensées informes, je n'étais pas en mesure de me projeter plus loin. De là où je m'étais étendu, je pouvais voir l'unique porte menant hors de ces lieux, sauvegardée par une barre de métal transversale. Au moins étais-je sûr que personne ne pourrait me surprendre ici. Frêle hameau constitué d'étagères, emplies d'outil, de pièces de manutention, de réparation. Épuisé, exténué, je me traînais dans un coin de la pièce, ménageant ma jambe. Lentement, je sombrais. Plus d'autel. Qu'est-ce qu'il s'y était passé. Est-ce qu'il y en avait d'autre en ville, derrière les murs scellés ? Combien de corps étaient actuellement entravés, bâillonnés, aveuglés, à attendre désespérément. En reverrais-je si ce n'était qu'un seul. Si ces illégalités pouvaient se poursuivre, peut-être que les contrôles n'étaient pas si étanches, si impénétrables les sorties. Peut-être était-elle encore là. Elle. Plus de piédestaux, plus d'entraves, plus d'offrandes, plus de glyphes engravés et plus de musellement. Extinction de mes images, évaporation de mes tempes.

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