La galère

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La DS3 noire filait à toute vitesse sur la deux fois deux voies qui couraient des alentours d'Arras jusqu'à la mer. Il fallait compter une bonne heure et demi pour qu'Émeline puisse aller travailler et aujourd'hui plus que d'habitude. Non seulement il fallait avoir l'envie, mais aussi une sacrée dose de motivation. La perspective d'assister - ou plutôt de jouer l'arbitre de touche - durant l'assemblée générale de la résidence "Les Voiliers" ne l'enchantait pas plus que ça, elle le reconnait sans problème. Au sein d'un portefeuille de résidence parfois problèmatique, cet immeuble tenait le haut du podium en terme de réunions interminables, de copropriétaires désagréables et exigeants, d'arrachage de cheveux et d'ennuis en tout genre. Tous les gestionnaires au sein de l'agence avaient au moins une brebis galeuse dans son lot. Pour Emeline c'étaient Les Voiliers.

Le coude sur le rebord de la vitre avant, la tête distraitement posée sur le dessus de sa main, la conduite était presque mécanique. Le trajet jusqu'au Touquet n'avait rien de passionnant surtout en cette fin d'année et il se transformait en un véritable enfer en plein été. Par chance, à cette heure-ci on ne pouvait compter que quelques chauffeurs routiers et les lèves-tôt, comme elle, qui devaient se rendre au travail. Le samedi n'était jamais trépidant quand il fallait se rendre au bureau et ça valait pour tout le monde. Emeline restait plutôt absorbée par ses pensées et elle préparait déjà ses contre-arguments sur les sujets les plus épineux à l'ordre du jour.

Tout juste elle décolla les yeux de la route quand son téléphone portable lui annonce la récéption d'une enième message provenant du gardien d'une autre résidence en proie à un problème de sangliers.

— Fais chier, grommela-t-elle en laissant retomber l'appareil dans le vide poche sous la console centrale.

Dans ce boulot, l'attention devait se porter partout et presque en même temps. La somme d'informations a traiter était parfois considérable. Oublier ne serait-ce qu'une réponse à un mail, de faire intervenir un entrepreneur pour une babiole et c'était le pilori qui vous attendait. Par chance, il restait des copropriétaires qui ont gardé une part d'humanité et d'empathie et puis, il y a Amel. Qu'est-ce qu'elle ferait sans son assistante ? D'ailleurs, elle aussi sera présente aujourd'hui pour observer les débats car son évolution au sein de l'agence était imminente. Emeline tenait à la former du mieux qu'elle pouvait quand la jeune femme prendra les rênes de ses premières copropriétés, toute seule comme une grande. Il s'agirait qu'elle ne se fasse pas dévorer toute crûe à la prochaine réunion de crise.

Et son esprit continua de divaguer tandis que le paysage campagnard de ce coin de Pas-de-Calais défilait pour se transformer en un bord de mer huppé. Le temps n'était pas trop mal et la mer un peu agitée. C'était la saison des tempêtes sur la côte et un fort coup de vent viendrait semer la pagaille pour ce week-end. Le front de mer au Touquet demeurait peu habité en cette saison. Il n'y avait que les propriétaires les plus courageux, avec leurs bottes cirées et leur k-way rouge (c'est à cela que l'on repère les "Touquettois du Dimanche") , qui bravaient les éléments sur la digue et ceux qui devaient assister à... une Assemblée Générale de copropriété. La DS3 trouva une place sans mal sur le parking situé devant l'agence SERGIC locale. Un petit coup d'oeil rapide suffit à Emeline pour remarquer qu'elle n'était pas la première arrivée. Une petite Twingo grise bien connue se trouvait garée à sa place habituelle.

— T'es déjà là, Amel ? plaisanta Emeline avec un petit rictus en coin, amusée.

L'attendait sur le parvis de l'agence, située au rez-de-chaussée d'un grand immeuble du front de mer, une jeune femme habillée d'une longue doudoune marron lui arrivant au dessus des chevilles. Elle se dandinait d'un pied à l'autre, serrant d'une main la lanière de son sac à main. Des boucles rebelles de son épaisse chevelure attachées en un chignon haut tentaient de se faire la malle avec les quelques rafales de vent sporadiques.

— Si j'arrive en retard un jour d'Assemblée Générale, c'est pas très pro, répondit Amel

— C'est pas faux, rétorqua alors Emeline non sans un sourire entendu, et avec ce qui nous attend, on a du pain sur la planche.

Au sein de l'agence, on aimait taquiner Amel et son quart d'heure de "retard" quotidien.
Mais pas aujourd'hui ! Pas pour Les Voiliers ! Il fallait être irréprochable ou tout du moins tenter de l'être.

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