Le sauveur

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Comme attendu, l'Assemblée Générale fut plutôt agitée et surtout riche en rebondissements. De nombreux points "chauds" étaient à clarifier puis à soumettre au vote dans un ordre du jour quelque peu chaotique. Il fallait admettre que lorsque que l'on touchait un peu trop au porte-monnaie d'un propriétaire de logement secondaire, ce dernier avait tendance à faire preuve tantôt de cupidité crasse, ou de mauvaise foi qui frôle par moment l'absurde. On s'insurgeait pour une ampoule qui n'était pas remplacée à temps dans les parties communes, mais lorsqu'il fallait envisager des travaux réellement importants, là, plus personne ne mouftait. Une histoire de quote-part parait-il. Les joies de la copropriété ! Personne ne dira jamais que c'était simple et avantageux pour tous, ça se saurait et il n'y aurait pas tant de syndic sous anti-depresseurs.

Et on s'invectivait, on se mettait des bâtons dans les roues. Le sarcasme et le cynisme s'invitèrent à la fête dans des débâts houleux qui pourraient résonner dans toute l'agence si Emeline n'avait pas prévu le coup et de caser tout ce petit monde dans les tréfonds du bâtiment. Cela devait bien faire dix bonnes minutes qu'elle avait perdu le fil. Jusque là, avec une certaine malice, Emeline s'amusait à compter les points entre deux factions de corpopriétaires qui s'opposait vertement depuis des mois. Les jours d'AG étaient là pour cristalliser toutes les tensions. C'était aussi le moment pour ceux qui savaient l'ouvrir, de s'exprimer clairement avec une franchise parfois douteuse. Quant aux "révolutionnaires 2.0« qui inondaient les boîtes mails du syndic à longueur d'années, soit ils se terraient dans un coin de la salle, la tête rentrée dans les épaules comme un escargot dans sa coquille. Soit ils sèchaient carrement la réunion. Malgré tout, la feuille de présence étaient bien remplie. Hélas.

Le menton dans le creux de la main, la gestionnaire observait l'empoignade verbale avec un détachement qu'elle ne prenait même plus la peine de dissimuler. Il y avait bien quelques regards dépités en direction d'Amel, assise à ses côtés, cependant on frôlait le tracé plat question attention. Une heure et demi qu'ils étaient tous enfermés dans cette basse-cour et rien n'avancait, à son plus grand désespoir. Amel osa un regard discret vers sa montre puis haussa les sourcils dans une moue presque boudeuse.

— On va jamais s'en sortir, chuchota-t-elle pour son amie.

Emeline grinca des dents et à son tour, regarda le cadran de sa montre.

— Mouais, va falloir jouer les maîtresses d'école et ça me saoule. Pas un pour rattraper l'autre, regarde-les ? pesta la petite brune.

De stature fine, de taille plutôt moyenne, les cheveux sombres coupés très courts et le teint légérement halé, Emeline était une femme énergique. Elle évoluait dans ce métier depuis des années maintenant et connaissait son sujet sur le bout des doigts. La mentalité des copropriétaires n'était plus un secret non plus, même si parfois cela avait encore le don de la décourager. Comme aujourd'hui. Malgré tout, son caractère volontaire et direct faisait d'Emeline une personne que l'on écoutait. Plus encore lorsqu'elle élèvait la voix et quand cela arrivait, il valait mieux s'accrocher. Ce phénomène, aussi soudain qu'une bourrasque sur la côté, restait rare. Dans un sens tant mieux car les copropriétaires des Voiliers allaient s'en rappeler durant quelques semaines encore. Même Marie, la responsable du service dont le bureau se trouvait à l'exact opposé de la salle de réunion, sursauta sur sa chaise.
Maintenant que les enfants étaient calmés, les choses allaient pouvoir de nouveau avancer. Ce n'était pas trop tôt !

On put alors passer au vote du nouveau Conseil Syndical. Las de tous ces dramas, le précédent président ne désira pas rempiler pour une nouvelle année et cela se comprenait que trop bien. Et contre toute attente, tandis que l'on demanda qui souhaitait faire part de sa candidature de dernière minute, Monsieur Leclercq se leva de son siège. C'était un homme d'une cinquantaine d'années bien tapées, grand avec une prestance à n'en pas douter. Tandis qu'il s'avanca pour annoncer son désir de faire parti du Conseil Syndical, un silence de plomb s'abattit sur la pièce. Emeline autant qu'Amel et le reste de l'assemblée furent comme subjugué par cette présence jusque là très discrète. Maintenant qu'il se tenait là, debout au milieu de ses pairs, Monsieur Leclercq dégageait une aura de charisme particulière. Ses dons d'orateur lui permirent d'obtenir l'attention de son auditoire tandis qu'il expliquait ses idées pour l'immeuble et Amel pouvait remarquer des signes d'assentiments bien plus nombreux qu'on n'aurait pu le penser de ces esprits revêches. Les résultats du vote qui s'ensuivit ne furent pas une surprise : Monsieur Leclercq fut élu sans difficulté et on lui confia même la présidence du Conseil Syndcal. Une surprise pour cet homme, célibataire, et surtout présent dans la résidence que depuis à peine un an.

Durant le mois qui suivit l'Assemblée Générale, un calme relatif s'était imposé aux Voiliers. Amel tout comme sa gestionnaire fut étonnée d'avoir si peu de nouvelles de la part des habitants alors qu'auparavant, c'était mails et coups de téléphone à n'en plus finir. Il semblerait que les stratégies de gestion mise en place pour Monsieur Leclercq commencent à porter ses fruits et ce n'était pas plus mal pour le duo de syndic qui pouvait alors se concentrer sur des résidences bien moins chronophages.
Et puis, vint l'heure de la première Visite Technique d'Immeuble.

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