VTFF !

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Le choc fut brutal, la perte douloureuse. Elle reste là, coi, durant de longues secondes alors qu'autour d'elles, les Maudits s'agitèrent dans leur prison. Le bâtiment semblait trembler devant ce déferlement d'énergie morbide qui venait de s'abattre, emportant sa première victime. Le hurlement de la Chose résonna de nouveau, comme satisfaite. La première fois, elle fut comme indisposée de telles présence dans son petit royaume. La seconde, clairement en colère qu'on vienne troubler ses affaires. Mais là, elle apparaissait clairement ravie d'avoir effacer un gêneur. Plutôt, une gêneuse. L'aura de cette Chose traînait sur les Voiliers comme le ferait un nid de fourmi en sous-sol. Elle rampait, s'insinuait dans les moindres interstices du bois ou de la pierre, s'emparait des choses pour les plier à son bon vouloir, même les gens. Mais qui était-elle ? Mieux ! Qu'était-elle ? Pour le moment, l'inconnue était encore entière et les éléments de l'équation encore bien peu nombreux pour le découvrir. Et puis, Amal avait disparu.

Le regard vide, crispé autant par la surprise que la terreur, Émeline ne pouvait détacher les yeux du trou béant par lequel avait été embarqué son amie. Le cri de détresse d'Amel résonnait encore dans ses oreilles et les pensées de la petite brune s'entrechoquaient dans un maëlstrom bouillonnant de pensées à la fois désespérées, irrationnelles, folles, négatives dans tous les sens du terme. Et puis, il y eut comme un déclic. Le disjoncteur de ses sombres émotions sauta alors même qu'elle leva la main que son assistante tenait quelques minutes plus tôt, la ramenant dans cette réalité sombre mais bien présente. Émeline sentait de nouveau son âme se morceler sous la présence plus terrible et puissante encore de la Chose pourtant, elle se raccroche instinctivement aux bons souvenirs et aux sages paroles d'Amel. "Se reprendre", "faire le point"... Ne pas abandonner. Et c'était pas son genre de lâcher l'affaire, ça non ! Tout son corps tressauta comme si la vie elle-même reprenait ses droits, comme l'esprit et l'âme de la petite brune se reconnectèrent à tout un ensemble logique et volontaire.

— Ça commence à me faire chier, pesta-t-elle en ramassant le portable de son amie, échoué sur le sol, mais ALORS ! et elle haussa le ton un peu plus fort encore, A VRAIMENT ME CASSER LES COUILLES !!

Sa voix, tonnante, se répercuta dans tout le couloir du bâtiment et fit taire les hululements des maudits. En guise de réponse, la gestionnaire n'eut qu'un meuglement de défi de la Chose, qui résonna dans les moindres recoins du bâtiment. Émeline se souvint qu'au bout du couloir, logée dans un gaine de service, se trouvait une hache de secours. La chose se trouvait enfermée à clé dans un boitier destinée à n'être brisé qu'en cas d'extrême nécessité. Et bien là ! c'en était une ! Il était hors de question de partir d'ici sans son amie. Hors de question de laisser cette saloperie, quoi qu'elle soit, foutre en l'air sa journée. Merde ! Et c'est ce que la petite brune furibonde marmonna dans sa barbe en se dirigeant d'un bon pas vers la gaine technique. D'un tour de clé rageur un coup de pied bien senti dans la vitre, la voilà avec une hache de sécurité dans les mains.

— Bordel, c'est lourd cette merde, se plaignit-elle en soupesant l'objet, tant pis ! ça fera l'affaire.

Remontée comme un coucou, Emeline revint sur ses pas jusqu'à la porte éventrée. Soudain, une autre porte, celle de Madame Vitruve, explosa dans une gerbe de schrapnels de métal pourri et d'échardes de bois vermoulu. Une silhouette grotesque émergeant de l'appartement, se découpait dans la pénombre des lieux. Elle se tenait sur deux jambes, arquée comme si les os eux-même avait fondu. Le tronc était vaguement humain, la peau grise presque verdâtre marbée de veines sombre. Des bras presque simiesques pendait jusqu'au sol, trainant comme de malheureuses serpillières griffues. Pas de tête au sommet de tout cela. Rien. C'est à même le ventre qu'un visage bloqué dans un rictus d'agonie permanente apparu dans un gargouillis immonde de chair et de sang viciés. Une langue sorti d'un bouche aussi large qu'impossible, garnie de crocs luisants. Elle était herissée de piquant comme une ronce biologique et dégoulinante.

Devant l'horreur de l'apparition ainsi que l'odeur nauséabonde qu'elle dégageait, Émeline fut tentée de lâcher son arme et de fuir. De faire demi-tour et prendre la porte du bout du couloir et quitter cet endroit de malheur pour de bon. Elle n'avait aucun plan, ne savait pas réellement se battre. Savoir coller une mandale n'a rien à voir avec débiter une créature démoniaque à coup de hache. Il y eu un moment de flottement où tout la résolution qu'elle avait pu avoir jusque là menaçait de s'effondrer comme un château de carte. Après tout, quelles étaient les probabilités qu'Amel soit toujours là ? Pourquoi ne pas fuir ? Allait-elle mourir ici aussi ? Cette petite voix de la discorde qui n'arrêtait pas de siffloter des airs malsains dans son esprit depuis qu'elle a été attiré par ces glyphes sur le béton. Ce serpent de la tentation qui lui dit de prendre ses jambes à son cou se dispute au désir de ne par repartir sans Amel. De ne pas botter le cul de la La Chose une bonne fois pour toute. La petite brune resserra sa poigne autour du manche de son arme de fortune. C'était quitte ou double.

Le monstre qui fut autrefois Madame Vitruve avancait d'un pas trainant, râclant le dallage de moquette dans sa foulée molle. Si Émeline pensait que la menace pouvait venir des bras affreusement longs et ridicules, c'est de la langue garnie d'épine que partit le premier assaut. À la manière d'un ressort, la créature déplia l'organe buccale avec une rapidité monstrueuse comme pourrait le faire un caméléon mais en moins mignon. Surprise, la petite brune ne pu que faire un pas de côté, obéissant à son instinct qui la guidait depuis le début. Une douleur cuisante irradia aussitôt de son bras écorché par l'un des piquants qui courait sur la surface de la langue du monstre. Elle serra les dents, puis reporta son attention sur la bestiole qui continuait d'avançait inexorablement. À nouveau, cette dernière lança l'apendice grotesque en direction de sa proie avec l'envie primaire de la déchiqueter purement et simplement. Seulement, ladite proie fit de nouveau un pas de côté mais arma les bras suffisemment fort pour abaisser la hache et couper la langue propre et net. Un flot de sang violet et poisseux explosa dans l'air dans une gerbe épaisse qui vint tâcher les vêtements et le visage d'Émeline qui faillit vomir ce qu'elle n'avait plus dans l'estomac depuis longtemps.

— Tu fais moins la maline, saloperie ? grogna la petite brune, le regard mauvais et les doigts serrés sur son arme, à s'en démonter les phalanges.

Furieuse, la bestiole blessé hurla de douleur et de colère. Elle activa le pas et leva les bras en l'air pour les agiter tel un fouet de muscles secs et cadavériques. Émeline eut juste le temps de se jeter au sol pour éviter le choc tandis que les mains serrées en poings de la créature venait de faire exploser une porte intacte et un mur de béton décrépit. Un bout de ciment cogna contre le haut du crâne de l'humaine qui sentit aussitôt un liquide chaud lui couler du cuir chevelu pour dégouliner le long de sa tempe et de sa joue. Sonnée, Émeline fit un grand effort mentale pour se relever sur ses deux jambes alors que l'horreur reprenait ses bras comme si l'on rembobinait un câble autour d'un treuil. Dans sa chute, la hache lui avait échappé des mains et se trouvait presque au pied de la bestiole qui s'était arrêté le temps d'armer de nouveau son attaque. Émeline attrapa le premier débris qui lui passa à portée, visa approximativement son adversaire pour envoyer le projectile sur le visage grotesque et l'unique oeil injecté de sang qu'il possédait. Un timing rare et parfait qui empêcha le monstre d'attaquer à nouveau pour permettre à la petite brune de se relever pour s'emparer de son arme et envoyer de toutes ses forces la lame fendre le sternum en deux dans un dégoutant bruit d'os et de chair visqueuses. Ce qui fut autrevoir Madame Vitruve hulula sous la terrible blessure et elle beugla à la mort alors que la hache s'enfonça dans un son corps une deuxième fois. Dans le chaos du moment, un geste désespéré de survie, elle envoya paître la pauvre humaine d'un revers du bras.

Émeline senti son arme se briser sous le choc puis une douleur terrible dans le dos quand elle rencontra le mur opposé du couloir. Elle put voir le monstre s'effondrer au sol et s'agiter en tout sens dans son agonie et eut un sourire sardonique, levant un majeur en l'air en sa direction.

— Va te faire foutre, connasse, marmonna-t-elle avant de fermer les yeux.

Est-ce à Madame Vitruve ? Est-ce au monstre, que cela était adressé ? Peut-être un peu des deux.

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