L'ombre et la lumière

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Le timing était parfait. Comment cela pouvait-il être possible, Amel n'en savait fichtrement rien et elle s'en foutait complètement. L'urgence à cet instant présent, était de mettre un terme définitif à cette folie et pour cela, l'assistante avait sa petite idée. L'irruption aussi bourrine que providentielle d'Émeline lui donna un nouveau sursaut d'énergie malgré sa cheville brisée et une épaule démise. Les limites du corps poussaient à la résistance, à la rebellion sous toutes ces formes. Là n'était pas la question d'un effort, mais de survie et les deux amies se souviendraient de cette leçon autant que du reste.

— Le carnet ! clama Amel à destination d'Émeline en pointant du doigt, le petit cahier relié de cuir échoué sur le sol à même pas deux enjambées de son amie.

L'assistante se trouvait face au Maudit, la Chose, Leclercq, qu'importe son nom. Elle tenait dans les mains, son pieu improvisé qu'elle planta dans l'épaule de ce dernier alors même que leur deux corps se heurtèrent avec violence. Sous le choc et la douleur, les ombres tressautèrent sur les murs comme prises de convulsion. Si l'assaut fut une réussite, ce n'en fut pas une victoire pour autant, loin de là. D'un revers du bras, Leclercq envoya paître l'assistante d'une giffle si forte qu'Amel crû sentir sa tête se décrocher de ses épaules. Sonnée, elle fit un pas et trébucha sur les fesses. La douleur de sa cheville brisée lui remonta le long de la jambe pour lui arracher un hoquet d'affliction.

D'abord décontenancé par ce qu'elle voyait, Émeline se battait avec sa propre conscience quant à savoir quoi faire à l'instant présent : aider son amie ou alors, attraper ce foutu carnet ? L'empoignade entre Leclercq, qu'elle reconnut à peine tant il était métamorphosé, et Amel l'alarma et ses doigts se serrèrent sur le manche cassé de son arme, prête à faire couler le sang à nouveau. Et puis, dans un coin de son esprit encore embrumé par sa précédente rencontre, ce que son assistante lui avait intimé finit par la convaincre. Le choix était évidemment cornélien mais Émeline choisit de faire confiance à son amie, à ce qu'elle a bien pu apprendre alors elle se jeta en avant pour s'emparer de l'ouvrage avant leur ennemi. Malheureusement, une tentacule ombreuse se matériaisé sur le sol poisseux et souffla le carnet sous le nez de la petite brune qui pesta tout son saoul. Elle eut beau donner des coups de haches à travers le parquet vermoulu et le mur rongé de moisi, rien ne fit lâcher la chose.

— Petites vermines que vous êtes, je pensais que mes créatures m'auraient débarassé de vous deux et je constate que même dans leur état, elles restent parfaitement inutiles, gronda le Maudit.

On aurait pu le croire avoir doublé de volume et prendre toute l'envergure de la pièce tant sa présence était devenu étouffante. Amel reculait sur ses talons, une peur complètement irrationnelle qui s'emparait de son cerveau reptilien qui la forçait à vouloir fuir par tous les moyens. Leclercq ressemblait à une créature bouffie de cloques et de pus maintenant. Son costume avait fondu dans les miasmes qui s'échappait d'une peau boursouflée d'escares parcourue de vermines. La même qu'Émeline avait tristement rencontré dans le hall quelques heures plus tôt. L'odeur était infecte, comme si cela pouvait-il encore être possible ?

Les tentacules d'ombre continuaient de ramper sur les murs et le sol. Parfois, elles prenaient une apparence de lames aigües, en angle qui défiaient toutes les lois de la physique pour venir frapper une Émeline bravache et remontée comme jamais. Elle ne savait pas durant combien de temps elle avait perdu connaissance dans le couloir aprés son combat. Pourtant, en ouvrant les yeux, la gestionnaire et héroïne improvisée sentait comme une force nouvelle couler dans ses veines. Une volonté indéfectible qu'elle n'expliquait pas vraiment si ce n'est pas l'envie de mettre à fin à tout cela et surtout, de retrouver Amel sans qui elle ne quitterait pas cet endroit. Dans ce bas monde, malgré l'ambition, la folie et la cupidité, il résidait encore de la loyauté et une amitié réelle. La petite brune esquivait les attaques du monstre croupit, encaissant parfois la blessure irradiante qui venait entailler un mollet, un avant-bras ou une joue.

— AMEL ! Remues-toi ! C'est pas le moment de flancher ! encouragea-t-elle entre deux esquives parfois bienheureuses, rappelles-toi de ce que tu m'as dit la dernière fois ! Fait le point, reprends-toi et penses !

"Parce que là, j'peux pas tout faire" finit-elle par grommeler dans ses dents tandis que son corps commençait à accuser le cout de son effort. Et le Maudit ne semblait pas se fatiguer un instant, au contraire, il donnait presque l'impression de jouer avec elles avant de décider quand les achever. Cela pourrait presque en être vexant. Encore abasourdie, Amel entendait son amie que dans le lointain, comme si sa tête était prise dans un étau par l'épouvante que lui inspirait leur adversaire. "Pense ! Pense ! Fais le point ! Regardes autour de toi !" se martela-t-elle dans un coin de sa conscience dans un moment qui sembla durer de si longues minutes. Les yeux dans le vague, elle tourna la tête lentement de droit, à gauche. Son regard fut attiré par le carnet revenu dans les mains de son propriétaire honni et puis, bascula sur une Émeline combattive mais qui commençait à céder sous les nombreuses attaques et blessures. Tout se passait comme au ralenti alors que son esprit reprit le cours normal de ses pensées les plus vives.

— «S'il y a de l'ombre, il y a forcèment de la lumière...» marmonna-t-elle dans ses dents.

— Qu'est-ce que tu dis, vermisseau, persifla le Maudit qui levait au-dessus de sa tête gonflée et grotesque, un vrille d'ombre prête à transpercer la jeune femme.

Amel cligna des yeux, comme si toutes les synapses de son cerveau s'étaient reconnectées de nouveau.

— Les volets... LES VOLETS !! se mit-elle à beugler

— Quoi ? fit le Maudit, interloqué.

— Hein ? questionna Émeline pas plus avancée non plus.

— DEFONCE CE PUTAIN DE VOLET !!! tonna Amel à s'en briser les cordes vocales.

Pourquoi elles n'y avait pas pensé plus tôt ?

Remise sur ses deux jambes, la Berckoise envoya son pied valide dans l'abdomen distendu de Leclercq transcendé qui gargouilla une insulte dans une langue impossible à comprendre. Un coup suffissemment fort pour se frayer un chemin jusqu'à l'unique ampoule qui résidait dans la pièce et crépitait d'une énergie vacillante. Les deux amies eurent un regard entendu puis un bruit de verre donna le signal. Dans les ténèbres les plus totale, il était impossible pour la Chose de fabriquer ses spirales d'ombres qui auraient pu les tuer toutes les deux. Les abysses appellaient les abysses et elles s'entredéchiraient elles-mêmes au point de s'annihiler.

— MORVEUSES ! SALOPERIES ! VOUS ALLEZ ME LE PAYER ! s'agita le Maudit qui se trouvait démuni et surtout, surpris par un tel plan.

Un autre fracas de verre, puis un autre, et encore un autre résonna dans les lieux en proie au néant. Le fer de la hache de secours s'attaquait au plastique rongé de crasse et de corruption qui couvrait une grande partie de la terrasse donnant à l'arrière du bâtiment. Exaltée par la perspective d'une victoire toute proche, Émeline donnait les dernière forces qui lui restaient malgré le sang qui s'échappait des nombreuses estafilades qui parcourait son corps frêle. Amel en profitait pour rampant sous les coups aveugles de Leclercq, à quatre pattes en tatonnant le sol dégoutant pour remettre la main sur le fabuleux carnet noir. Elle est sûr de l'avoir entendu tomber et le Maudit doit certainement le chercher. C'est au tour de Leclercq d'être face à un dilemne : le pouvoir ou la vie ?

— Je l'ai, souffla Amel, galvanisée par sa découverte.

Elle pouvait le sentir entre ses doigts, les feuilles jaunies du tome maudit de la famille De Gisors. Au même instant, un rai de lumière naturelle pénétra dans l'appartement. Il faisait beau dehors, l'air était frais, mais un grand ciel bleu contrastait avec les ténèbres prenantes de l'appartement décatit. Encore un coup, puis un autre et Émeline donna tout ce qu'elle put afin d'éventrer suffisemment le volet roulant pour faire entrer un soleil d'hiver comme elle ne fut jamais si heureuse de revoir.

— Vous ne pouvez pas faire ça ! se mit à implorer le Maudit qui voyaut sa peau fondre sous les assauts de la clarté du jour.

Petit à petit, sa présence, son influence, sa corruption perdait de sa superbe alors même que la vie reprenait ses droits dans ce cloaque puant.

— On va s'gêner tiens ! grogna Émeline, à bout de force mais encore suffisemment vaillante pour lui tenir tête.

— Tu parles ! ricana Amal qui se tenait devant le Maudit, tenant le carnet entre ses doigts puis elle l'arracha en deux d'un geste sec et volontaire.

Il y eu comme un craquement, un grondement, quelque chose qui se fissurait sur un autre plan de l'espace et du temps.

— C'est...impossible. J'ai toujours fais ce qu'IL désirait ! Ce qu'IL voulait ! geignit Leclercq qui se tordait de convulsion dans la lumière du jour.

Sous ses pieds, une ombre aqueuse apparu, comme une flaque de pétrole huileuse. Amel eut juste le temps de reculer d'un pas pour ne pas en être souillée. Elle fut rejoint par son amie à bout de force. L'assistante toisant d'un regard plein de mépris, la créature qui se décomposait et disparait dans la flaque humide.

— Je vous l'avais dis, Leclercq, ce n'est ni plus, ni moins qu'une vengeance. Comme d'habitude.

L'autre gargouilla une énième plainte et finit par disparaitre pour de bon en ne laissant derrière lui qu'un appartement vide, silencieux et où la corruption s'évanouit dans l'air dans une nuage de miasmes et de vermines.

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