8.

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Depuis quelques jours, Thom se sent lourd. Lourd des trouvailles qu'ils ont fait chez Aline. Lourd des explications de sa mère. Lourd des sensations qu'il éprouve en voyant, en entendant, en côtoyant Erik. Ça voltige et tourbillonne en lui comme pétales de cerisiers soufflées d'un vent chaud. Quand il n'arrive pas à comprendre les dérives de Théodore, c'est le mot décédé qui l'assaille, et quand il parvient à s'en défaire, reviennent les lucioles qui clignotent dans sa cage thoracique, en imaginant les lèvres d'Erik qui chuchotent près de son oreille, de son timbre grave. Et ces tergiversations deviennent quelque chose de constant, de quotidien. Parce qu'ils ont créée une conversation groupée.

Pour pouvoir rassembler toutes leurs preuves et leurs trouvailles. Pour discuter, tard dans la nuit, se raconter des histoires, partager des sujets qui les touchent, ou se faire des blagues. Thom s'est souvent surpris à aller sur le profil d'Erik, pour cliquer sur sa photo de profil et l’agrandir. Sur cette photo, il se tient accroupi à côté d'une sculpture en bouteille de bière, comme s'il la présentait, des lunettes de soleil dans les cheveux. Une photo de vacances, de soirées à laquelle Thom est complètement étranger. Naïvement, il aimerait en avoir, lui aussi, des photos d'Erik. Mais Thom n'est pas encore de ceux qui sortent, qui boivent, qui rient facilement. Il s'améliore, il s'entraîne. Il essaie.

Et puis, ils ont aussi fini par se suivre sur Instagram. Thom a même créé son propre compte pour l’événement et une mine d'or s'est ouverte face à lui. Il a pu découvrir leurs souvenirs de vacances, à Aline et Erik. Leurs lubies quand la nuit tombe, et qu'ils ont probablement trop d'alcool dans le sang. Leurs sorties. Leurs amis. Et Thom ne sait pas si cela à un lien avec leur récente conversation, ou si ça n'a tout simplement jamais été le cas, mais aucun cliché de Valériane n'apparaît sur le compte d'Erik. Pas une image, pas un mot, pas une référence à sa petite-amie. C'est puérile, mais Thom ressent comme une vague de soulagement.

Thom qui dort de moins en moins, parce qu'il imagine sa vie, il la rêve, il la construit sur des "et si". Et il y a aussi ces images qui passent devant ses yeux sans qu’il les commande. Bourgeon en fleur et sensations en ébullition, Thom ne maîtrise plus ce corps qu'il pensait être le sien. Alors, quand Erik est là, physiquement, face à lui, avec lui, et parce qu’il se souvient des récentes confessions de sa mère, sur les sentiments, avant que cela ne déborde, Thom préfère ne rien dire. Tout garder pour lui. Aucun risque qu’il soit « bizarre », de cette façon. On ne peut pas le reprendre sur des paroles qu’il ne dit pas, et des gestes qu’il ne fait pas. Mais, forcément, ce changement d’attitude interroge et pousse Erik à chercher à comprendre ce qui se passe. Il épie Thom. Il fait attention à ce qu’il dit, ce qu’il décide de leur dévoiler ou non, il l'intègre encore un peu plus à leur cercle fermé. Parce qu'il pense qu'il est encore gêné, timide, pas à l'aise, un peu bancale, peut-être. Et le fait d’avoir autant d’attention d’un coup, de sa part, fait rougir Thom, sans qu’il le contrôle.

─ Bon, t'as finis de l'embêter ? J'ai de grands projets, moi.

Toujours ce ton théâtral venu d'Aline qui fait rouler Erik des yeux. Des interactions qui font encore sourire Thom.

─ Quand est-ce que tu l’ouvres ?

Tous les trois assis à une table extérieure, en terrasse pour profiter de ces nouveaux tressauts de températures, Thom se sort vite de cette situation où Erik n’a le regard que pour lui, en se jetant sur l’os que lui jette Aline. Celle-ci lui donne un sourire, et reprend.

─ Dans une semaine. On a le local, les réseaux sociaux, l’électricité et la déco, mais toujours pas de nom.

Erik va pour ouvrir la bouche, mais Aline le coupe rapidement d’un index levé, avant même que le moindre son ne sorte de sa bouche. Ces deux-là ne se connaissent que bien trop. À grandir ensemble, on pourrait croire qu’ils partagent désormais le même cerveau, le même cœur. Leurs pensées se rejoignent au même endroit. Des étoiles filantes qui tombent dans le même cratère en pierre volcanique.

Non, on ne va pas l’appeler « Girls Just Want To Have Fun ».

─ T’as aucun goût.

─ Fais ton propre truc et après on en rediscute.

Mais pendant qu’ils se chamaillent, Thom prend réellement le temps d’y penser, d'y réfléchir, en silence. C’est une association à l’image d’Aline, féministe, colorée et engagée. Alors, Thom essaie de faire des liens, pendant qu’à son côté, Aline le bouscule parce qu'elle s’est levée pour bloquer le bras d’Erik qui veut absolument lui retirer son bonnet. Les gens les regardent, mais ils n’y font pas attention. Ils se tiennent dans le propre monde qu’ils se sont créé.

─ All’X.

Silence. Les deux plus âgés se stoppent net et portent les yeux sur Thom, en chœur. Leurs visages s’étirent en une grimace d’interrogation.

─ Hein ?

─ Tu pourrais l’appeler All’X. Parce qu’elle concerne tout le monde, et qu’avant de témoigner, les victimes sont des inconnues.

Les bras ballants, Erik et Aline retombent tous les deux lourdement dans leurs chaises et fixent Thom, la mâchoire prête à se décrocher et tomber au sol. Gêné, Thom fuit le regard, les joues rougies, et se rattrape vite en disant que c’est une idée idiote, qu’ils feraient mieux de l’oublier et de chercher autre chose. Mais, à en juger par le regard brillant d’Aline, elle a déjà décidé. Et Erik fait mine d'applaudir en silence son génie créatif. Thom ne peut pas se l'expliquer, mais d'être validé, et en plus par ces deux-là, ça le réchauffe de l'intérieur. Il en retire sa veste, tandis qu'Erik se lève pour commander de nouveau et fêter ça. Il arrache finalement le bonnet d'Aline, en passant, et provoque un grondement sourd suivi d'une insulte venant de la jeune femme. Ils ne s'arrêtent jamais.

Les situations où Thom prenait les devants, donnait de la voix et décidait de lui-même, étaient rares, mais depuis qu’il fait partie de leur groupe, de moins en moins. Thom sort peu à peu de sa coquille, il s’affirme. Aline et Erik veulent être ce sol fertile où Thom peut s’épanouir et grandir.

Tout en rassemblant ses cheveux électriques en un chignon, Aline se racle la gorge et veille d'un regard qu'Erik est bel et bien occupé au comptoir. Elle profite de son absence pour rapprocher son siège de celui de Thom, et la voir aussi près l'inquiète soudainement.

─ Tu viens de résoudre un de mes problèmes, je peux bien t'aider à résoudre un des tiens.

─ Un problème ? Mais j'en ai pas.

─ Pas à moi. Vous en êtes où ?

─ Hein ?

─ Erik et toi.

─ Mais de quoi tu parles ?

Face à ses non-dits, le cœur de Thom se met à palpiter, sa voix vacille. Elle l'a grillé. Et la clairvoyance d'Aline ne la trompe jamais. Il soupire finalement en baissant les yeux.

─ Je comprends pas ce qui m'arrive. Erik c'est un bon pote.

─ Mais t'as envie de te le faire.

─ Quoi ? Non !

─ Pardon, trop directe.

Aline s'excuse en levant les mains en l'air. Elle reprend doucement, en lui redressant le visage d'un doigt, leurs yeux se trouvent.

─ Des petits mamours alors ?

Thom se met à rire franchement pour cacher son stress, et sa honte d'avoir été découvert. Il lui cède en haussant lentement les épaules.

─ Erik est un demeuré, il a sûrement pas compris ce que tu ressentais pour lui. Crois-moi, ça viendra pas de lui.

Aline ne perd pas une occasion pour lyncher son ami. Mais ce qui embête le plus Thom, c'est la terreur de devoir tout lui avouer. Alors, il essaie de se renseigner.

─ Comment il a fait avec Val' ?

─ Elle est passée par moi.

─ Mais ça a pris combien de temps ?

─ Trois mois. Trois fois plus si je l'avais pas aidé.

─ C'est peut-être pas une bonne idée ...

Face à ce recul, Aline lui saisit la main et tente de le rassurer.

─ Il est peut-être lent à la détente, mais je crois que ça pourrait bien se passer entre vous, c'est sincère.

Thom se rallume un petit peu en serrant ses doigts. Erik, de loin, voit très bien le rapprochement qui s'opère à leur table. Il serre les dents. Il a les images mais pas le son, alors il comprend les choses un peu de travers. Mais ça l'irrite. Il n'avait encore jamais été exposé au fait que Thom soit si proche de quelqu'un d'autre. Il s'est repassé le film de leur soirée jeux vidéos plusieurs fois. Il y a imaginé différents scénarios, différents dialogues. Il a même eu le droit à la version érotique de la part des vagabondages de son cerveau. Il pensait faire la différence, mais peut-être que tout ne lui était pas destiné. Peut-être qu'il n'a rien de spécial, dans le fond, et que Thom les traite tous les deux de la même façon.

Erik revient à leur table avec les boissons façon mini tornade. Il est tendu, parce qu'il a décidé qu'il ne voulait pas se laisser faire, et que ce soit Aline ou quelqu'un d'autre, il ne veut pas laisser tomber. Pas quand il s'agit de Thom.

Alors, à la fin de leurs Monaco, Erik profite qu’Aline est été désignée comme celle qui règle leur addition aujourd'hui, pour prendre Thom à part. Là, l'attendant dans la rue, il lui demande si ça le tente de venir jouer chez lui après les cours. Il l’attendra même s’il finit plus tard. Plus Thom y réfléchit, en silence, plus de la sueur lui glisse dans le dos. À ce moment, son cerveau ne s’attarde que sur les détails futiles. La voix grave d’Erik. La façon qu’a sa stature de l’envelopper, sans le menacer, face à lui. Son odeur, la même que dans sa chambre, que Thom commence à reconnaître. Pris de tournis, il bredouille un « je sais pas », avant de rehausser son sac de cours sur son épaule, et de filer à pieds jusqu'au collège. Le fait qu'il ait cour plus tôt qu'eux l'aide dans son alibi, sa fuite. Erik le laisse partir au loin et hausse un sourcil, perdu.

─ Tu comptes le martyriser encore longtemps ?

─ Quoi ?

Aline le rejoint. Ils regardent tous les deux le dos, et la démarche maladroite de Thom qui s’éloignent d’eux.

─ Thom. Il te regarde.

─ Et alors, toi aussi tu le regarde.

Erik essaie de prendre la température auprès d'elle, il la sonde, encore remonté des échanges qu'il a pu voir. Une attitude qui font monter les yeux d'Aline vers le ciel.

─ Mais non crétin, il te regarde.

Aline appuie ses propos d’un mouvement de sourcils compris, entendu, mais Erik est long à la détente. Il ne parvient pas à mettre en lien les différentes informations qu'elle lui donne et qu'il a vu. Aline se trimbale alors un Erik qui a sombré dans ses pensées. Elle l'a bloqué. Elle le surveille pour qu'ils rejoignent leur cour d'anglais sans encombre, sans qu'il ne se prenne mur, personne ou poteau.

Pendant toute l'heure, on ne peut pas dire qu’Erik ait la concentration fixée, et de longue durée. Les yeux à la fenêtre, le menton dans la main, il fait tourner son stylo entre ses doigts. C’est étrange. Aline ne semble n'être en rien sur la défensive concernant Thom. Il a du mal à se faire sa propre idée. Est-ce qu'elle cherche à le piéger ? Avec un sujet aussi sérieux, il doute que cela viendrait à son amie, elle pense les sentiments bien trop importants. Mais pourquoi lui ? Il se pose la question non pas parce que cela le gêne, mais bien parce qu’il ne pensait pas que Thom s’intéressait à ce genre de choses. Peut-être parce qu’il le subit ? Et, qu’est-ce qu’il peut bien lui trouver, d’ailleurs ? Il n’a encore rien compris, rien perçu. Même avec quelques relations amoureuses, Erik est toujours aussi incapable de lire les signes, et ça le fait se sentir piteux. Il essaie de se rassurer en se disant que Thom est timide, et lui sans doute pas assez perspicace. Un mélange complexe qui fait traîner les choses en longueur.

En fin de journée, ça fini par l’amuser, parce qu’il n’a rien remarqué, et sans les indications d’Aline, ça serait sans doute encore le cas. Il se sent désolé pour Thom de n'être pas assez confiant et observateur. Mais ensuite, il se dit qu'elle peut, peut-être, se tromper aussi. Aline a beau être capable de lire les gens, de la même manière que sa mère à lui, il lui arrive de se planter et d'exagérer les choses, de mal les lire et les interpréter. Et c’est peut-être le cas, là aussi. Toutes ces hypothèses ne rendent pas la tâche facile à Erik, qui essaie de démêler le vrai du faux. Son cerveau est en surchauffe. Et ça amuse beaucoup Aline de le voir aussi dérouté.

Et ces questionnements l’amènent également à se pencher sur le plus profond, sur le fait de savoir si ce n’est qu'à son égard, ou si Thom préfère simplement les garçons de manière général. Le sait-il lui-même ? Ce qui lui prend le plus de temps cérébral c'est comment, alors qu’ils ne se parlaient pas, ne se croisaient pas, ne gravitaient, pour ainsi dire, pas dans le même système ; peuvent-ils en arriver ici ? À ce moment. Avec ces sentiments, ces regards, ces effleurements. Et, surtout, à se focaliser sur le point de vue de Thom, Erik n’y ajoute pas son côté de l’histoire, sa version, son son de cloche. Lui aussi, il tait tout comme un idiot.

Erik en eaux troubles qui ne prend même pas la peine de répondre à Aline, qui l’embête encore, et l'appelle par des noms d'oiseaux. Tout en sortant du lycée, en rejoignant le parking, une cigarette aux lèvres, Erik veut se persuader que cela a un rapport avec leurs recherches, pas lui, rien d’autre. Cela ne ferait pas de sens. Aline lui fait la réflexion qu’à cogiter autant, il aura des rides bien avant l’heure et un cerveau fondu. Ce à quoi Erik lui répond en lui tapant gentiment l'arrière du crâne.

* * *

En secret, les filles se retrouvent de nouveau, après leurs journées de travail, sans que leurs conjoints ne soient au courant. Cette fois, c’est Hugo qui les accueille chez elle, Théodore étant en voyage d’affaires. Tout comme Florian d’ailleurs. Quentin, lui, a simplement disparu. Alors elles s’installent dans le canapé, au salon, et Hugo ramène trois tasses, la verseuse de café et son cendrier. Tandis qu’Hugo s’allume une cigarette, Acacia les surprend en en faisant de même. Elle a repris. Elle se rapproche de plus en plus de l'adolescente qu'elle a été. Le regard qui défi, et de moins en moins d'intérêt porté à ce qu'on pourrait penser d'elle. Elle peut se le permettre aussi parce que son fils n'est pas dans les parages. Elle n'a pas complètement lâché prise. Cette même Acacia qui leur explique comment elle en est arrivée à parler d’Adrien à Thom. Et le sujet la fait sourire, quand elle explique quelle expression son fils portait, pour quelle raison.

─ Il est mordu, je ne sais pas de qui, mais il est sur son petit nuage.

─ Tu n'as pas cherché à savoir qui c'est ?

─ J'aurais bien le temps de m'en inquiéter, quand il voudra m'en parler plus en détails.

Cette nouveauté dans la vie de son fils lui provoque un large sourire, ensoleillé. Une attitude qui la soulage, parce qu'elle se dit qu'elle a de bonnes relations avec lui, qu'il lui fait confiance, qu'il discute. Elle n'apprend pas tout au dernier moment, au pied du mur. Comme elle a pu le faire à ses parents, prise sur le fait, en rentrant bien après son couvre-feu fixé, les cheveux en bataille et les boutons de sa robe refermés en décalé. Et puis c'est aussi signe que Thom avance, qu'il s'ouvre, qu'il découvre.

─ T'étais pareille avec Adrien.

Cam souligne, avec douceur. Afin de passer une compresse fraîche sur ses blessures intactes. Le café est servi et Hugo considère Acacia, assise entre elle et Cam. Elle semble un peu moins frêle, même quand on énonce leurs passés et ceux qui en ont fait partie. Acacia qui saisit sa tasse, et profite de sa chaleur dans le creux de ses paumes, fixant le liquide sombre et brillant.

─ Justement, comme je lui ai dit la même chose, il m’a demandé où il était ... De le lui annoncer, ça été difficile. Ça l’est toujours, en fait.

Le silence retombe doucement sur elles et la pièce, comme un voile en dentelle. Elles baissent toutes les trois les yeux, parce que le temps a beau s’écouler, la verseuse rester fumante et les cigarettes se consumer ; cette douleur reste commune et piquante. Intacte. Figée dans le marbre. Elle garde ses zones d’ombres. Elles ne peuvent pas la changer, ou la modifier ne serait-ce qu'un peu. Acacia donnerait sans doute beaucoup pour que ce soit le cas. Elle a tout perdu. Mais elle a aussi de nouvelles choses. Elle commence à voir ces rayons de soleil à travers les fissures. Tout n'a pas disparu, mais ça fait un peu moins mal.

─ Au moins, tu as pu un peu vider de ton sac.

Hugo note, d'une voix calme, en écrasant son filtre. Cam lui presse l'épaule, gentiment, pour la soutenir. Les liens se resserrent.

─ Tu as raison, ça m'as fait du bien de parler de lui, même un peu. Il doit encore nous traiter de commères, de là où il est.

Hugo et Cam se fendent d’un rire, clair, joyeux. Elles ont quinze ans de nouveau et écrivent les prénoms de ceux qui font flancher leurs cœurs, dans leurs journaux intimes, à l'encre rouge.

─ Ça les enrageaient qu’on fasse nos petites réunions sans eux.

Cam glisse, plus légère, le sourire haut.

─ Ils voulaient tout savoir !

Hugo se plaint, parce que c'était la réalité. Ils les taquinaient souvent parce qu'ils étaient tenus à l'écart, qu'ils auraient sans doute bien aimé être souris pour les espionner. C'était aussi, entre elles, l'endroit le plus sûr de leur monde, là où elles pouvaient tomber le masque, avouer, rêver.

─ Vous vous souvenez de la réaction de Théo quand tu lui as parlé d’Ambrose ?

─ Il a planté sa moto.

Cette phrase, Acacia et Hugo la disent en chœur, et cela les fait rire encore une fois, et longtemps. Ce dont elles parlent, c'est une discussion qu'ils avaient eu dans l'entrepôt désaffecté. Avachis dans les canapés, au coin d'un feu, Hugo avait annoncé son rapprochement avec Ambrose. Sur le chemin du retour, Théo avait fait une sortie de route sans gravité parce que trop dans ses pensées, et sur les dents.

─ Il était tellement énervé, ça a duré des semaines, cette histoire !

Acacia renchérit mais Hugo a le sourire en demi-teintes, parce que ce genre de souvenirs, elle ne les comprend pas bien. C’est vrai, pour elle, à cette période-ci, Théo était déjà dingue de Cam, alors pourquoi avait-il eu cette réaction ? Pourquoi l’avait-il dissuadée de laisser Ambrose prendre un peu plus de place dans sa vie ? Mais Cam lit tout ça, sur son visage, et la rassure.

─ Il t’aimait déjà, tu sais. Et c’est toujours le cas. C’est juste que vous vous êtes un peu perdus après le procès, le mariage, ta boite et Aline ...

Acacia hoche la tête pour autant soutenir les propos de Cam, dans leur véracité qu'apaiser Hugo et ses doutes. Hugo sait qu’elle peut croire cette affirmation. Parce qu’elle et son mari sont restés très proches malgré tout. Ils ont une compréhension l’un à l’autre, l’un de l’autre, que personne ne pourra jamais remettre en question. Inexplicable. Et cela la soulage aussi de voir que Cam à enterrer la hache de guerre. Il n'est plus question de compétition entre elles, elles en ont trop souffert. Elles font le choix du soutien.

Les trois femmes se créent une bulle de réconfort, de chaleur, de présence. Ici, elles parlent sans chaîne, sans limite, ce qui n’est pas forcément le cas dans leurs propres maisons. Les conversations vont bon train, variées. Leurs nouveaux projets professionnels, chacune dans leurs domaines respectifs, l’association d’Aline, les soupçons d’Acacia quant aux tromperies de Quentin. Mais avant qu’elles n’aient pu échafauder un plan d'humiliation à son égard, étant donné qu'Acacia est très remontée ; c’est Aline qui fait son entrée, revenue du lycée.

─ Alors comme ça, on ouvre un club de commérages sans moi ?

Les femmes rient de nouveau à sa réflexion, et Aline vient embrasser sa mère, ainsi que saluer ses deux amies. Un soda à la main, elle vient s’asseoir avec elles, plutôt à l’aise en toute circonstance, quel que soit le public. Aline remarque très bien que, dans ces circonstances, et en leur présence, sa mère a le visage bien plus lisse et les yeux plus brillants. C'est un moment de détente, pour elle. Elle a besoin de leurs présences. A croire que les trois femmes ne se sont jamais vraiment quittées.

Hugo lui demande bientôt si elle a besoin d’un coup de main dans les préparatifs de l’ouverture de son association, et si elle serait intéressée par un partenariat, que ce soit avec Cam ou Acacia. Aline discute facilement et explique que, oui, cela pourrait enrichir le projet et créer une sensation de sororité. Les quatre femmes ont le dialogue facile, sans restriction. Leurs caractères s’accordent bien, et la plus jeune, peut clairement entrevoir toute la complicité qui les unies, depuis tant d’années.

Non loin, dans la ville, Erik et Thom entrent ensemble des cours. Thom a fini plus tard, pour autant Erik a pris la peine de patienter, comme il le lui avait dit, sans que Thom n’ait acceptée sa demande pour autant. Thom le sent, il a fumé des cigarettes, assis sur la selle de sa petite moto. Deux casques sur le top caisse, Thom frissonne.

─ T'as prévu de nous tuer ce soir, c'est ça ?

Erik se fend d'un sourire, en se relevant. Il attrape un des casques, et le lui tend.

─ J'irais doucement.

Et, en effet, Erik les ramène tranquillement. Si, au départ, à petite vitesse, Thom s'accrochait à l'arrière de la moto de petite cylindrée, à un feu rouge, Erik attrape ses poignets pour qu'il le tienne au corps. Thom se rapproche. Là, tout contre son dos, son cœur se remet en branle, et il est persuadé qu'Erik peut le sentir. Pendant le reste du trajet, l'adolescent se détend, et pose la tempe contre son dos. Il regarde le paysage défiler, et ça le berce. Il en viendrait presque à ronchonner quand Erik se gare finalement dans la cour, chez lui. Béquille dépliée et moteur coupé, Thom se défait de son étreinte et descend. Ils retirent tous les deux leurs protections. Erik a un sourire magnifique, quand il passe les doigts dans les légères boucles défaites de Thom.

─ Tu vois, c'était pas si terrifiant.

─ C'est ça, fait le beau, danger public.

Erik rit et lui indique du nez de le suivre à l'intérieur. La lueur orange des lampadaires leur glisse dessus, et créent un jeu d’ombres contre leurs visages mordus de froid. Erik est étonné de trouver porter close. Les sourcils froncés, il pénètre dans une maison plongée dans le noir, et bien silencieuse. Il sait que son père est absent. Alors, en faisant entrer une nouvelle fois Thom à l’intérieur, il envoie un message à sa mère, en lui demandant où elle se trouve. Et, dans la minute, elle lui indique qu’elle a rejoint Acacia et Hugo chez cette dernière, et qu’il peut faire ce qu’il veut comme repas. En réponse, il demande à sa mère et celle de Thom, qu’il sait présente désormais, si son fils peut passer la nuit. La réponse tarde un peu plus. Cam doit sans doute être en pourparlers. À la cuisine, en attendant leurs réponses, Erik sort deux bières et les décapsule. Nouvelle expression perdue de Thom.

─ Pas le droit de boire ?

─ Si, ça gêne pas mes parents, mais j’aime pas trop ça.

─ C’est une blonde, ça devrait aller.

Erik le rassure, mais ne lui propose cependant rien d'autre. Il le pousse un peu. C'est le week-end. Et sa voix est douce, tout comme la lueur dans ses yeux légèrement soulignés de fatigue, alors Thom ne bronche pas. Le téléphone d'Erik se remet à vibrer. Tous les voyants sont au vert. Le jeune homme passe rapidement au salon pour glisser un vinyle sur la platine, par habitude. Du Billie Holiday, par habitude. Ils s’installent ensuite à l’îlot central de la cuisine, et Erik ne se gêne pas pour rallumer une cigarette.

─ Tes parents le savent ?

─ Ouais, ils veulent juste pas que j’en abuse.

─ C'est pas ce que t'as fait en m'attendant, en abuser ?

─ Chut, petite balance.

Erik le taquine et Thom reprend son sourire. Il fait glisser une gorgée de bière, les joues rosies, le regard partout sauf sur Erik. Tout semble différent dès qu’ils sont seul à seul. Paumes moites. Gorge sèche. Souffle court. Des réactions qui le trahissent, et qui impactent également Erik, en un sens, maintenant qu’il en a conscience, qu'il y fait attention. Le jeune homme ouvre le frigo, pour se donner des idées de dîner.

─ Ah d'ailleurs, tu peux rester ce soir, ta mère est avec la mienne et celle d’Aline.

─ T'es sûr que ça dérange pas ?

Thom s'inquiète, et Erik est heureux d'entendre que Thom ne refuse pas complètement en bloc, il ne repousse pas l'idée. Il est bien plus confiant. Il ne le fuit pas.

─ On est vendredi soir et personne est à la maison, on sera peinards.

Erik souligne simplement, dans un sourire. Le cœur de Thom se remet à battre en tambour. En fait, il ne s'est pas vraiment arrêté depuis qu'il est monté sur sa moto. Thom triture ses doigts.

Eux deux.

Seuls.

Dans cette maison.

Sa mère est inconsciente. Thom en a les oreilles qui bourdonnent, les joues qui crament et il ne peut s’expliquer cette chaleur qui se diffuse dans son ventre. De l’excitation ? Du plaisir de pouvoir partager une soirée avec lui, en secret ? Thom voit défiler devant ses yeux tout un tas d'images, de scénarios. Pause. Soudain, il se rappelle de la conversation avec sa mère. Comme un éclair dans l’orage.

─ Ma mère m’a parlé d'Adrien.

─ Quoi ?

Erik fait claquer la porte du frigidaire, les yeux ronds. Thom vient tout juste de se rendre compte qu’il ne leur en avait pas encore parlé, parce que la moitié du temps, ses pensées sont occupées ailleurs, et nulle part d’autre qu’auprès d’Erik. Celui-ci revient vite s'asseoir en face de lui, pendu à ses lèvres.

─ Elle m’a dit qu’elle était très amoureuse de lui. Ils sont restés huit ans ensemble, mais il est mort, selon elle.

Erik reste sans voix. Il souffle sa fumée sans gêner son invité et essaie de regrouper leur cheminement d'hypothèses. Ils avancent. Ce décès est un élément majeur, étant donné qu’ils ne savaient pas encore où le placer, dans la chronologie. Désormais, ils n’ont plus à chercher où il se trouve, il sera facile de trouver la date, et cela leur enlève une charge immense de travail. En revanche, reste à dépoussiérer toutes les conséquences de cette disparition. Mais cette petite victoire est savoureuse.

─ On avait raison, ils étaient bien ensemble. Maintenant, ce qui nous manque c'est le bordel de Théodore, la cure et le tribunal.

Thom hoche la tête à l'énumération de toutes les pièces qui leur manque encore. Mais il a l'air moins impliqué, moins enthousiaste. Moins présent. Erik fronce les sourcils, toujours cette même expression.

─ T'es pas d'accord ?

Thom hausse les épaules, en avalant une nouvelle gorgée de bière. Il n'a peut-être tout simplement pas envie de parler de tout ça maintenant, de s'y impliquer. Toutes ces zones d'ombres, ça lui rappelle aussi qu'il a le sentiment de ne pas réellement connaître sa mère. C'est difficile. Mais, parce que c'est Erik, il se sent de le relancer.

─ Si, mais le problème c’est qu’il y a encore trop de trous dans notre chronologie, on ne peut rien rattacher à rien.

Erik soupire en lui concédant son argument, il se frotte l'arrête du nez en écrasant sa cigarette. Il imite Thom en portant sa bière à ses lèvres. Il a raison. Il y a encore tant de travail de recherches à faire. Ils ont les éléments, les événements concrets, mais pas leurs sources, pas les véritables raisons qui les ont provoqués. Ils avancent, petit à petit. Pas assez vite à leur goût, sans doute.

Puis, ils ne se disent plus rien, pris dans leurs pensées, de manière que ce silence ne les dérange pas. Ils en parleront plus tard. Quelque chose d’autre intrigue Erik, tout ne peut pas être aussi simple.

─ Comment est-ce que t'as réussi à lui faire avouer ça ?

Erik lui demande en se relevant pour mettre une pizza au four. Il s'est finalement décidé, face à l'heure qui avance, et se prolonge sans qu'ils ne se quittent.

─ Parce que je–

Thom se coupe en pleine phrase avant de furieusement rougir. Il se rappelle. Il a failli en dire de trop. Erik rit doucement avant de lui appuyer la bouteille fraîche de sa bière contre la joue.Thom relève subitement les yeux vers lui. Choc thermique. Ils se regardent de longues secondes. Ils sont très proches. Erik pensait que cela viendrait de lui, mais face à son mutisme, il demande :

─ Ça me concernait, c’est ça ?

Si Thom pouvait être encore plus rouge, ça serait le cas. Il prend littéralement feu, de honte, de peur. Il se descend lui-même, dans sa tête, parce qu'il est tout simplement incapable de se cacher et de cacher ses sentiments aux autres. Aline l'a déjà repéré, Erik en fait de même. Il perd à chaque fois.

─ Comment tu le sais ?

Thom avoue à demi-mot, le sourire doux et protecteur d'Erik se creuse doucement. Il repose sa bouteille, et se rassoit en face de lui.

─ Aline m’a expliqué.

Muet, Thom détourne le regard jusqu’à ce que ses épaules soient perpendiculaires à Erik. Celui-ci rit encore, amusé de la situation, de sa réation, et ce tintement résonne doucement aux oreilles de Thom, paniqué. Est-ce qu’il se moque de lui ? Est-ce un jeu, un pari entre Erik et Aline, et ils comptent les points ? Des centaines de questions l'assaillent, plus que mal à l’aise, presque à en trembler. Il est terrorisé de savoir ce qu’Erik en pense. Son cœur se serre tellement qu'il pourrait le vomir, là sur le carrelage clair.

─ T’es pas le plus discret, et je suis pas le plus futé, mais ça y est, je te vois.

Pris dans son emballement, Thom essaie de se représenter tous les scénarios. Le rejet. La violence. La manipulation. Le chantage au silence. Les moqueries. L'éloignement. Et comme tout ce qu'il s'imagine, tend au négatif, il propose, les yeux bas.

─ Je peux partir si tu veux.

─ Pourquoi ?

─ Je comprendrais que tu sois choqué ou déçu, et que tu préfères que je m'en ailles.

Tout le long de leur échange, Thom a la voix piteuse, et faible, quand Erik reste souriant, sérieux, attentif. Il ne joue pas le texte que Thom s'était fait dans sa tête. Il est calme, serein. Il le fixe mais il ne fait pas d'esclandre. Il ne hausse pas le ton ni ne l'insulte.

─ Choqué, oui, je le suis peut-être un peu.

Le rythme cardiaque de Thom tressaute de nouveau. Ça y est, ça arrive, le mur.

─ Parce que ça te dégoûte.

─ Parce que je pensais pas pouvoir plaire.

Thom sursaute, les sourcils froncés. Pris dans son élan, il regarde enfin Erik, directement. Erik croise les bras, après avoir fini sa bière. Il laisse un silence pour que la pression redescende.

─ Tu dis ça pour m'humilier un peu plus.

─ Non, je déconne pas ! J'ai jamais vu quelqu'un d'aussi passionné, d'aussi transparent avec ses émotions. J'ai toujours été avec des gens parce que je les connaissais un peu, et qu'à priori on s'entendait, mais là ...

─ On ne s'entend pas.

─ Arrête avec ça. Bordel Thom, je pense à toi tout le temps !

Pause. Erik n'a pas pu se contenir, sa voix s'est emportée, envolée. Il est fascinant de voir quelqu'un assumer autant ce qu'il est, ce qu'il vit. Thom se sait parfaitement incapable de faire de telles déclarations. Là, en face à face, seuls. Il ouvre la bouche pour la refermer. Son visage retombe, inaccessible à Erik. Ses pomettes brûlées restent, et un petit sourire se dessine à ses lèvres. Il le croit. Erik souffle doucement. Son cœur aussi est parti en vrille.

─ On n'a pas besoin de tout expliquer ce soir. Mais t’as pas non plus besoin de le cacher, de te le cacher.

Erik rationalise et désarme la situation, avec ce timbre de voix cotonneux. Cette présence forte, protectrice. Thom expire quand le four indique que leur repas est prêt. L’air revient quelque peu. Doucement. Sûrement. Ils mettent la table en silence, et Thom se sent vidé. Le stress redescend. Ses angoisses avec. Il a les jambes molles. Quand il glisse les yeux sur Erik, discrètement, rien que de se faire la réflexion que ses hallucinations et ses mirages sont réciproques, se produit une gerbe d'étincelles en son ventre, contre ses côtes.

Quand ils terminent leur repas, ils remplissent le lave-vaisselle. Erik lui indique, à la voix, comment se mouvoir dans cette maison qu'il ne connaît pas. Ils s'installent alors dans le canapé, sous lumière tamisée. Oubliée la partie de jeux vidéos promise pour attirer Thom ici, les deux adolescents se fondent dans une série horrifique. Doucement, Erik se permet même de glisser ses doigts contre le dessus de la main de Thom. Il monte, descend, dessine des ronds et des formes dont il est le seul connaisseur. Epiderme en fourmis, Thom ne lui refuse pas.

Les épisodes défilent, et les paupières de Thom tombent lentement. Il essaie d'y résister mais il n’a pas l’habitude de tout ça. Côtoyer une personne de façon prolongée, s’introduire au sein même de son logement, partager un repas, une bière et tout un attachement. Les nouveautés l’ont épuisé. Et l’acceptation d’Erik encore un peu plus. Quand celui-ci sent la tête de son invité devenir de plus en plus lourde contre son épaule, ensommeillé, il ne s’en cache pas, il laisse traîner les choses en longueur. Il se penche même légèrement sur lui pour sentir l’odeur de ses boucles clairs. Le poids lui picote l’épaule. Et toutes ces sensations, il les garde secrètes. Il n'en dira rien. Son cœur flanche, il l’a entendu et senti.

Erik décide alors d’éteindre et chuchote à Thom de monter dans sa chambre, il lui a préparé un pyjama. Les cernes gonflées sous les yeux, Thom met quelques secondes à comprendre toutes les informations qu'Erik lui donne. Erik qui glisse une phalange osée contre sa joue avant de le laisser partir. Pendant que Thom se hisse, endormi, jusqu’à l’étage, Erik prend le temps de faire un dernier tour de la maison, pour fermer portes et volets. Pour reprendre son souffle aussi. Sa mère passera sans doute la nuit chez son amie. Elles ont dû boire.

Erik laisse tout le temps nécessaire à Thom pour se changer tranquillement, à l’abri de tout regard. Lui-même se change dans la salle de bain. Il frappe doucement contre la porte entrouverte, quand il estime qu’il peut se rendre dans la pièce. Il trouve Thom assis sur le bord du lit, dans un de ses pulls et pantalon de pyjama, qui apparaissent bien trop larges pour sa carrure encore jeune. Les ombres glissent contre son visage, projetées par la lampe de chevet. La vue qu’a Erik de Thom, dans ses propres vêtements, à ce moment, fait reprendre le rythme infernal dans sa cage thoracique. Thom porte son odeur.

Le jeune home s'approche doucement. Ils se regardent de nouveau, et Erik lui demande :

─ Je peux dormir dans la chambre d'amis si tu préfères.

─ Non, ça ira ...

C’est vrai, d'abord le lit est largement assez grand pour eux deux, pour qu’ils ne se gênent pas, ne se touchent pas. Et puis, Thom se sent plus rassuré de l'avoir avec lui, à son côté, dans cette maison qu'il ne connaît pas. Erik veut lui laisser son espace, sans le forcer à rien, sans l’effrayer. Ils se couchent. Thom se glisse sous les couvertures, dos à Erik, proche du mur en face de lui. Erik laisse la lampe de chevet allumée, il lit, en silence. Thom écoute son souffle lent, et décide de le suivre pour se calmer. Après un moment, Thom rompt leur silence, capable de fermer les yeux mais pas son train de pensées.

─ J'ai jamais été dormir chez quelqu'un.

─ C'est vrai ? Comme quoi y'a un début à tout.

La voix d'Erik est toujours aussi colorée, lumineuse. Thom l'a entendu, il a refermé son livre et, Thom le sent, il plante son regard dans son dos, entre ses omoplates.

─ Et ... Je suis désolé pour tout ça.

Sans savoir vraiment pourquoi, alors que personne n'est à la maison, ou dans une pièce adjacente à la leur, Thom chuchote. Erik lui répond sur le même mode.

─ Tu le contrôles pas, c’est différent. Ce qui m’inquiètes, c’est que j’ai peur de te faire mal.

─ Mal ?

Thom s’est lentement tourné de l’autre côté pour pouvoir le voir. Seul son visage apparaît, tout le reste de son corps est masqué par les couvertures. Ils se regardent, une seconde, puis Erik plante son regard au plafond, pensif. Les cheveux clairs et bouclés de Thom se répandent sur l’oreiller.

─ C’est jamais drôle de ressentir dans le vide, à sens unique. Je veux pas être la personne qui te donne rien en retour, qui est incapable de te rendre les choses.

Thom hausse les épaules, la réflexion ne l’avait pas emporté jusque-là. Dans la chaleur rassurante des draps, ils se confient.

─ Je veux pas que tu forces les choses, ce serait égoïste de te demander tout ça, tout de suite. Je peux bien attendre.

Erik fronce de nouveau les sourcils. Jamais, on ne lui en avait demandé autant. Jamais on ne s'était inquiété de ses sentiments. Jamais, on ne lui avait vraiment posé la question, en fait. Et, quelque part, au plus profond, ça le touche. Thom fait aussi attention à lui, qu'Erik essaie d'être présent. Mais Thom subit aussi les choses. Il se laisse faire. Il remet dans les mains des autres, les événements, les tournants de sa vie. Et c'est une réaction qui pique aussi Erik. Est-ce qu'on ne lui a jamais dit ?

─ T’as pas à souffrir ou à te sacrifier pour les autres, Thom. Le plus important, c'est toi. Tu mérites les belles choses, vraiment.

Un sentiment étrange se répand sur et en Thom. Ce genre de réflexion, on ne lui fait que très peu. Il n'a jamais été assez proche des gens, d'amis, pour faire face à ces rudiments sociaux et personnels. Défendre son bonheur, avant tout le reste. Demander de l'aide, des conseils. Etre la meilleure version de soi-même, et ne pas déprécier. Tout ça, il commence à en avoir un écho de la part d'Aline, mais plus particulièrement dans le feutré, avec Erik, alors qu'ils mélangent leurs chaleurs corporelles. Erik assuré, protecteur, qui le couve d'un regard doux, et sincère. Il pose son livre et se tourne à son tour pour lui faire face. Entre eux, leurs mains s'effleurent, s'enlacent, se frottent et se défont. Thom fixe leur manège et un sourire se dessine sur le visage d'Erik. Thom se rapproche un peu, jusqu'à déposer son front contre le torse d'Erik. Il inspire fort son odeur. Il ne sait pas si c'est la fatigue, ou la faible quantité d'alcool qui parlent, mais tout semble facile, à ce moment. Il n'a pas peur. Son cœur ne tambourine pas contre les parois de sa boite. Erik laisse faire. Il se berce de l'odeur de ses cheveux.

─ J'essaierais de ne pas être trop long.

Il souffle, avant que Thom ne tombe enfin de sommeil.

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