12.

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Pendant une semaine, ils ont dû attendre, demander des nouvelles d'Aline par messages et appels. Pendant une semaine, ils se sont retrouver face à face, et Thom est si rancunier qu'Erik avait beau tendre la main, essayer de construire un pont entre eux, impossible de l'approcher. Erik est resté, tard le soir, dans son lit, face à leur conversation sur son téléphone qui n'avait pas de nouvelles activités. Il n'y avait plus les films, serrés l'un contre l'autre, et les baisers qui les accompagnaient. Pris par l'association et son travail, Cam n'a pas remarqué ces changements, elle a déjà une assiette bien pleine. Florian, en revanche, a bien remarqué que son fils est encore moins bavard qu'à son habitude, et que Thom ne vient plus les voir.

Thom, lui, a gardé les dents serrés une semaine durant. Parce qu'il se repasse en boucle ces scènes, ces dialogues. Ce soir, emportés par les lèvres de l'autre, quelques tissus ont quitté leurs peaux. De larges effleurements devenues caresses essoufflées et transpirantes. Thom a littéralement pris feu, puis il s'est senti glacé quand, Erik face à lui, s'est stoppé net. Il l'a regardé longuement, Thom assis sur ses cuisses, et a chuchoté ce « on ne peut pas faire ça. » Et c'est à ce moment que Thom s'est complètement braqué. Ses angoisses, qu'il se traîne depuis quelques temps, ont finalement pris vie. Erik ne veut et ne peut pas passer cette barre, il ne veut pas s'investir plus qu'il ne le fait maintenant, pas avec lui. Alors Thom s'est décroché violemment de leur étreinte, il s'est rhabillé en vitesse, et a quitté la maison de la même manière. Les poumons brûlants et les yeux qui piquent de larmes. Depuis, plus rien. Pas un mot, pas une seule explication.

Alors, quand Thom a eu vent de ce qui s'était passé pour Aline, il s'est sentit immensément coupable. Il n'était pas là pour elle, il la délaissée, alors qu'il tient tant à elle. Les deux garçons ont patienté, pour pouvoir la retrouver. Ses parents ont tout verrouillé, ils ont fait barrage pour la protéger et s'assurer qu'elle se repose, qu'elle se reprenne confiance.

A la fin de cette semaine d'ignorance et de châtiment au silence, dès qu'ils ont fini leurs derniers cours, Thom et Erik se sont précipités chez elle. Thom a préparé un thermos de chocolat chaud, accompagné de marshmallows, quand Erik a tenté de lui préparé des cookies. L’important étant que l’aspect de ceux-ci ait fait rire Aline.

Elle leur a ouvert, enroulée dans un plaid, les cheveux attachés, et le teint toujours un peu pâle, souligné de fatigue. Elle a tout de même retrouvé des couleurs. Aline est forte. Mais, les voir ici, après tout ce temps, et cette ambiance électrique entre eux, l’a d’abord surprise autant que rendue heureuse.

C’est avec ce genre d’événements imprévus, qu’ils se rendent pleinement compte du lien qui existent entre eux trois. Le fil rouge. Le besoin d’entendre leur voix, de les sentir près de soi. Les savoir aussi éloignés, a tout simplement angoissé et frustré Aline. Cela l’a plongée dans une obscurité qu’elle n’avait pas connue jusque-là. Un air encombré. Un endroit dans lequel elle ne veut pas retourner. Là, où tout est un peu plus gris et la lumière pénètre un peu moins.

Elle leur a souri, et Thom s’est jeté contre elle, pour la serrer dans ses bras, les paupières quelque peu humides. Lors de leur longue étreinte, elle lui frotte le dos, pour le rassurer. Aline a aussi un genre de figure maternelle pour Thom, une protectrice. Erik est resté simple, sobre, pas de démonstrations d’affection entre eux, ils ont simplement frappé leurs poings l’un contre l’autre. Mais le regard qu’ils échangent est intense. Un témoignage de cette peur de perdre l’autre, à tout moment, en laissant tout un tas de questions et de douleurs, pour celui qui reste. Dans les yeux d'Aline, quelques lucioles, pour calmer les peurs qu'elle a provoqué chez Erik. Elle les fait entrer, et ils s’installent dans la cuisine.

Aline leur résume rapidement la soirée qui la conduite à l'hôpital. Les messages jusque tard dans la nuit, tout trop fort et trop plein. Et, par extension, ses inquiètudes dans le monde réel, pour eux. Penauds, Erik et Thom baissent les yeux, parce qu'ils se sentent fautifs, ils ont un lien non-négligeable avec l'état mental et physique de leur amie. Aline a un rire léger pour désamorcer la situation, elle ne veut pas le mettre tout ça sur les épaules, ça lui apprendra à mieux gérer ses émotions et son implication.

Les conversations vont, ensuite, de nouveau bon train, comme avant, et la légèreté qui en émane fait grand bien à Aline. Elle et Erik se chamaillent comme à leur habitude. Ils rient, se racontent des histoires. Pas un mot concernant Thom et Erik qui ne se touchent pas, ne se regardent que lorsqu’ils le doivent. La communication se fait encore mal entre eux. Rien non plus concernant les hypothèses d’Aline et leurs recherches au point mort. Ils ont tous été pris ailleurs, par leurs propres vies. Ils se recentreront quand tout sera revenu à la normale, et s’ils veulent encore connaître les réponses qu’ils cherchent. Ils ont encore le choix de tout laisser en l'état et de ne pas chercher à en comprendre plus.

Un peu plus tard, quand le soleil est tombé, ils s'installent dans le salon, et Aline leur lit le tarot divinatoire. Et les fausses prémonitions qu'elle fait à Erik, pour l'embêter, les font beaucoup rire. C'est dans cette ambiance qu’Hugo rentre de sa journée de travail. Elle l’a enfin compris, son travail ne peut pas être un échappatoire. Elle a eu si peur, qu'elle a allégé son emploi du temps pour faire bien plus de place à sa fille, et ses projets. Hugo a également mis le doigt sur quelque chose, elle besoin de temps pour elle. Elle qui rechignait à la tâche, parce qu'elle avait peur qu'on l'oubli, a enfin consenti a formé quelqu’un. Elle est une femme, une mère, avant d'être une employée, et même à son âge, quelque chose s'est enfin allumé.

Après avoir retiré ses talons hauts et déposé son sac à main dans l'entrée, elle se poste dans l’encadrement de la porte de la cuisine, elle les observe en silence, les bras croisés, et un sourire aux lèvres. Entre les lampes allumées à l'intérieur, la fin de lumière de ces soirs qui s'étirent à la fenêtre, les visages souriants des trois ados et l’odeur de chocolat chaud ; Hugo pourrait croire à une peinture vivante. Elle pourrait se dire que le monde est comme apaisé. Un vendredi soir, où ils semblent, enfin, heureux.

Théodore a adopté le même mode professionnel qu'elle. Il veut et doit être plus présent, pour sa femme, pour sa fille. Il a passé le matin et un début d'après-midi au bureau, mais ne s'est pas éternisé. Il ne fuit plus leur maison, lui non plus. Sa voiture garée dans l'allée, il en sort de nombreux sacs de courses qu'il dépose sur la table de la cuisine. Il rejoint bientôt sa femme, en tenue décontractée, et l’enserre par la taille. Elle lui sourit, et il embrasse sa fossette creusée, celle qu'il a toujours chéri en secret. Eux aussi ont appuyé sur « pause » et ont décidé de se retrouver.

─ Cam et Cassie ont encore une heure à l’asso. Tu te sens d’organiser un repas ?

La voix de Théodore est rauque comme elle l'aime, apaisée, mais elle a aussi un petit air de défi, comme il pouvait l'avoir quand ils étaient adolescents. Ils reviennent à eux, ils reprennent possession de ces corps qu'ils avaient laissé à l'abandon, et aux rancœurs.

─ Je me changes, et je te suis.

Hugo lui répond sur le même mode, cette nouvelle flamme dans l'iris. Elle laisse glisser une main contre le dos de son mari, lancinante, avant de se rendre à l’étage. Théodore, de son côté, commence les préparations et les plats qu'il connaît, pour de nombreuses personnes. Comme il y a longtemps. Leur maison elle-même semble se gonfler d'une chaleur et d'une joie nouvelles.

De leur côté, les adolescents délaissent leurs divinations peu probantes pour jouer à la console. Bientôt, c'est une vague de cris et de frustrations qui monte. Tant de spontanéité qui rappelle à Hugo, les observant encore, en silence, par-dessus la rambarde, leurs beaux jours, leurs étés communs. Cette nécessité d’être ensemble, quoi qu’il arrive. Quand ils ne s'agissaient que d'eux cinq, puis de leurs enfants avec.

Cam et Acacia sont prévenues par messages et cela les étonnent autant que cela les ravies. Au local, même pressées de se rendre au même endroit, elles prennent le temps de ranger, répondre au téléphone, et accueillir les adhérents ou les curieux qui se présentent. Elles le savent, après l’incident, Théodore et Hugo ont décidé de lever le pied, de se baisser pour ramasser ce bonheur qui se tenait pourtant tout proche, qu'ils ont créé ensemble. Ils le savent, tous, c’est aussi la raison de leur présence ici. Ils se soutiennent, se rendent des services, et ce repas en est un remerciement, comme avant. Ils resserrent le lien. Personne ne reste à l’écart. Ils se soutiennent et se protègent les uns les autres.

Une nouvelle situation qui permet à Acacia de s'ouvrir, se grandir et prendre des décisions pour elle. Les présences des filles, de nouveau dans sa vie, depuis quelques mois, lui a fait se souvenir qu'elle pouvait être si passionnée, si souriante, si bien dans sa peau quand elle se trouvait à leurs côtés. Acacia n'avait besoin que de ce coup de pouce, ce tremplin. Et c'est ce qui l'a aidée à envoyer un message à Quentin, lui demandant de faire ses valises et d'aller retrouver sa maîtresse si ça lui chantait. Quelques mots envoyés, avec des points finaux, qui sont pourtant si libérateurs. C'est aussi de cette façon qu'Acacia a compris que leurs deux vies ne s'étaient jamais mélangé. Pas de compte joint, la maison est à son nom, la grande partie de ses meubles lui viennent de sa mère. Ne restent que les vêtements de Quentin et ses affaires de toilette. Bien peu, pour tant d'années communes. Ce n'est que comme ça qu'Acacia a enfin pu voir que Quentin n'était là que par intermittence, à la manière d'un simple petit-ami, et pas d'un compagnon. Quentin lui a simplement répondu qu'il était d'accord, il ne s'est pas battu, ou ne la pas menacée. Il n'est personne, pour elle, et cela dure depuis des années.

Acacia porte un sourire libéré aux traits tandis que Cam, de son côté répond aux questions d’une jeune adolescente pour une procédure judiciaire. Elle l’a renseigne, puis l’heure venue, les deux femmes descendent le rideau de fer. Elles se suivent en convoi routier pour rallier la maison d’Hugo et Théodore. Devant la maison, plusieurs voitures garées. De la même manière que lorsqu'ils se retrouvaient dès qu'ils avaient un peu de temps, après le travail, quand Adrien était toujours là et que Cam revenait tout juste de l'étranger. Les deux femmes retrouvent leurs enfants et les embrassent. Elles saluent leurs deux amis. Florian arrivera sous peu.

Les quatre du cercle fermé, originel, discutent dans la cuisine. Ils ont ouvert une bouteille de vin blanc et les conversations se répandent dans un brouhaha réconfortant, des rires. Ici, avec eux, impossible qu’Acacia ressente de la solitude. Est-ce qu’ils l’ont aussi fait exprès ?

Ils parlent de la gestion de l’association et de leurs boulots à côté. L’envie de Cam de prolonger sa branche dans l’événementiel, en tant que traiteur. Et l’idée fait son chemin puisqu’Acacia se propose déjà pour l’aider à planifier la création de cette entreprise. À bien y réfléchir, ils pourraient tous s’y inscrire, mais Hugo et Théo émettent encore des réserves. Ils attendent de voir. Cam a toujours été celle avec les idées, les projets, et ses amis d’enfance, ceux qui l’aidaient à y mettre en place. C’est un système qui fonctionne, à parts égales, depuis toujours.

Ils mettent la table, tous ensemble. Cam taquine Hugo, en soulignant que Théodore a encore fait tous les plats, étant donné sa timidité face à la cuisine, et Acacia se fait chasser par le chef du jour, parce qu'elle goûte le dîner par-dessus les casseroles. Florian dépose son manteau dans l'entrée, à son arrivée, et se fait accueillir par des acclamations. Ils s’assoient tous autour de la table à rallonges. Hugo en face de Théo. À leurs côtés, Cam et Florian, puis Acacia, non loin des trois adolescents. L’ambiance est différente, parce qu’ils sont plus âgés, mais ils sont ensemble, alors rien ne change vraiment, ils y sont habitués. Seconde nature. Plus de vingt ans à partager des repas et leurs vies, mais rien ne retombe. Leurs blessures se referment doucement, avec des rires, des anecdotes, des remarques, des projets.

Aline a des regards complices avec les garçons. Ils écoutent tous avec attention, prêt à noter n’importe quelle information en plus qu’ils pourraient obtenir de ce repas improvisé. Erik trie dans son assiette, mine de rien, et Thom fait des pliages avec sa serviette en papier. Ces deux-là n’ont pas plus de gestes et de regards que lorsqu’ils étaient seuls avec Aline. Quelque chose s’est aussi passé ici, et Aline trépigne, rien que de savoir qu'elle va pouvoir tirer les oreilles d'Erik à ce sujet.

Le repas s’étend de façon imprévue jusque tard dans la soirée. Il faut croire que c’était la première fois qu’ils se réunissaient tous ensemble depuis longtemps, et sous les meilleures auspices. Théodore n’est plus en cure. Hugo n’est plus prête à sauter par-dessus la table pour étrangler Cam. Acacia n’est plus aussi timide qu’avant. Et Cam est désormais capable d’apprécier les choses simples quand elles sont là, sans se poser de questions, sans en avoir peur. Ils prennent enfin le café, en riant. Il est plus de deux heures du matin, et Thom et Aline sont en train de tomber de sommeil. Cam et Hugo ont un peu abusé du vin, elles rient si fort. Acacia se retient parce qu'elle doit ramener son fils à bon port, et ça lui a fait remarquer que Théodore n'avait bu que de l'eau, pas une seule goutte d'alcool. Un repenti.

Quand vient le moment de partir, chacun remercie leurs hôtes et ramène ses enfants. Des duos se forment et les au-revoir traînent en longueur, d'abord dans le salon, puis l'entrée, puis les escaliers menant à la cour extérieur, et la rue. Hugo a confié ses dernières découvertes concernant son mari, alors Acacia se sent obligée d’aller remercier Théodore, de le serrer contre elle, fermement. Les réponses qu’ils cherchaient, Aline est la seule à les entendre, puisque Thom et Erik se tiennent dehors, leurs blousons sur le dos, les yeux bas, gênés, à l'écart du reste. Thom se distrait en repoussant un caillou du pied, Erik lui demande doucement, accoudé au portail :

─ Tu veux pas me parler ?

─ Non, je peux pas faire ça.

Thom insiste, rancunier, et réutilise les mots tranchants d'Erik, qui lève les yeux au ciel.

─ Thom, je me suis déjà excusé.

L’intéressé hausse les épaules pour signifier des « oui, et tu n’as rien fait de plus », « ce n'est pas assez », et Erik n’a pas le temps de rajouter autre chose, Acacia récupère son fils, salut Erik rapidement, et ils disparaissent sur la route, dans la nuit. Frustré, Erik ne décrochera pas un mot avant le lendemain.

Aline, de son côté, reste interdite, les yeux ouverts et des schémas plein la tête. Elle a très distinctement entendu les mots « compte bancaire », « Thom » et « payer ma dette à Adrien ». Adrien. Elle vient d’obtenir une des pièces majeures de leur puzzle bancale, et son cœur s’emballe. L’adrénaline revient.

* * *

Le soleil plus haut, plus chaud, a fini de convaincre Aline de retourner en cours. Durant le week-end, après leur dîner, elle a eu beau envoyer des messages aux garçons, aucun ne lui a vraiment répondu. Thom et elles discutent, longuement, mais à aucun moment, ils n'effleurent le sujet de sa dispute avec Erik. Si elle va mieux, ce n’est pas forcément le cas de ses deux amis, et elle se dit qu’elle n’a qu’à employer la même méthode que pour toutes ces choses qu'elle gardait pour elle : en parler, partager le fardeau. Et même si cela doit se faire de force.

Au lycée, après ses cours, Aline intercepte Erik alors qu’il est en pause de son entraînement de volley. Elle s’est glissée dans les vestiaires, discrètement, et a fait signe à son ami. Il a levé les yeux au ciel, mais à tout de même finit par la rejoindre.

─ T'es venu mater c'est ça ?

─ Si j'étais venu pour ça, c'est pas toi que j'aurais appelé.

─ Qu'est-ce que tu veux ?

─ Vous allez arrêter quand ?

Le ton et le regard d’Aline sont subitement durs, presque terrifiant. Elle est fatiguée de devoir s’étirer, s’écarteler entre eux. Erik en sursaute, sa gourde à la main. Il a les cheveux ébouriffés, brillants de sueur, et ses avant-bras sont rougis de réceptionner autant de balles. Il est plus grand qu’elle, dans sa stature, mais pourtant, quand elle s'occupe de son cas, il semble rétrécir. Elle a la main sur lui. Il sait pertinemment de quoi elle veut lui parler. Elle leur à laisser du temps, sans s'imposer, mais en voyant que rien n'avance, elle se doit d'intervenir. Erik pousse un long soupir, avant de s'adosser contre un des murs du gymnase, Aline toujours masquée par la porte entrouverte des vestiaires, où elle se tient.

─ C’est compliqué, Aly. Il ne veut pas me parler.

─ Donc, tu laisses courir.

Un sourcil haussé, et les mains sur les hanches, Aline le provoque clairement. Elle a le ton coupant. Elle le bouscule. Elle prend les choses en mains. Erik porte son regard au loin, vers les filets, il est incapable de l'affronter. Aline coupe court, parce que, quelque part, toute cette situation commence à lui rappeler les erreurs qu’on put commettre leurs parents avant eux. Les non-dits et les rancœurs sont ce qui les ont sans doute le plus tués, à petits feux. Elle veut briser le cercle, et ça commence maintenant.

─ Je suis pas sûr de moi, et Thom veut des réponses …

─ T'es vraiment un cas social, c'est pas possible.

Elle, qui le chambre d'habitude, est réellement irritée. Ce qui l'énerve sans doute au plus au point, c'est cet immobilisme, le fait qu'Erik accepte, sans broncher, sans se battre, quand elle le voit très bien souffrir dans son coin, en silence. Il va pour ouvrir la bouche, mais elle en remet une couche.

─ Tu vois pas comment Thom te regarde ? Il t'attend. Rien que ça, ça devrait te conforter dans ton choix. Je serais pas toujours là pour faire tout le boulot à ta place.

Erik émet un grognement frustré, en la foudroyant des yeux. Elle l’énerve à tout rationnaliser et simplifier, de la sorte. De sa bouche, tout paraît sans danger, sans crainte, sans conséquence. Mais Erik n'est peut-être pas encore complètement prêt à passer au-dessus de toutes ces voix qui lui chuchotent à l’oreille.

─ Ecoutes, tu restes, tu pars, ça te regarde. Mais juste, n’oublie pas que de ne rien dire, c’est parfois pire.

Radoucie, Aline réarrange une mèche qui lui tombe dans les yeux, avant de tourner les talons et disparaître comme elle est venue. Erik en reste cloué sur place, quelques secondes après son départ. Elle est pleine d’assurance. Elle est immense et sa présence laisse une trace dans l’air, même après qu’elle ait quitté le gymnase. Bientôt, leur entraîneur l’appelle. Il se remet en marche, un peu sonné, mais les muscles électriques.

A la sortie de leur entraînement, même vidé, et même si ça énerve Erik de suivre les conseils logiques d’Aline, il se dirige chez Thom. D'un seul homme et par instinct. Il sait qu’elle a raison. Il sait qu'il a laissé traîner les choses. Erik lui a envoyé un message. Il l’a prévenu qu’il passerait. Celui-ci a lu mais n’a pas répondu. À son arrivée, Thom est sur le porche, emmitouflé dans un sweat beaucoup trop large pour son corps frêle. Il a les bras croisés, et la mine renfrognée. Il l'attend. Ses cheveux clairs, attachés en un chignon sur le haut de son crâne, ondulent sous le faible crachin. Erik, quand il l'a rejoint, dépose son sac de sport au sol, dans un bruit sourd Il soupire, et se frotte l’arrière du crâne, mal à l’aise, il a le regard fuyant. Il n’a jamais fait ça de sa vie. Se déclarer comme ça, demander les choses, faire l'effort, se battre. Son cœur cogne, et la chaleur se répand dans son corps, doucement. Ce qui devrait être le signe majeur que tout ce qu'il s'apprête à faire et à dire, compte, réellement.

─ J’ai pas envie d’arrêter.

Ses mots tombent doucement dans l’air froid de la nuit. Un silence entre eux, qui fait craindre le pire à Erik. Il ne l’attend peut-être déjà plus. Si Thom voulait garder l’attitude fermée, Erik remarque qu'il se détend, qu’il se radoucit, qu'il s'ouvre enfin. Enfin un sourire.

─ Je croyais que ça te faisait peur.

Thom relance, pour s'assurer de ses intentions, un peu piquant, un sourcil haussé, les bras décroisés, le long du corps.

─ Moins que d’être sans toi.

La voix d’Erik est basse, il est gêné, à être aussi direct et sincère. Ça ne lui ressemble pas. Il lui tire cette attitude. Thom ne l’avait jamais vraiment vu comme ça. Il en a les joues rougies, et le cœur en tambour. Thom secoue la tête dans un souffle. Un instant, il regarde le ciel nocturne et embouteillé, et Erik l'imite, l’instant d’après il dépose de nouveau les yeux sur lui, et lui donne un sourire un peu plus large.

─ Rentres, tu vas attraper froid.

Et, après avoir saluée simplement Acacia, assise sur le canapé, un livre dans les mains, même à cette heure tardive, ils montent dans la même chambre, main dans la main. La mère sait que les choses sont, enfin, de nouveau à leur place.

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