16.

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Après toute cette douleur enfermée, puis relâchée vers le ciel, leur sortie en mer leur a parue extraordinaire, euphorique, hors du temps. Pendant deux jours, sans discontinuer, ils sont tous passé de très bas à très haut, et très rapidement. Alors, quand ils retournent à leurs vies chacun, ce n'est pas que tout semble fade, terni, mais c'est bien moins fort que tous les liens qu'ils viennent de resserrer fermement. Ils ressentent, tous à leur manière, un manque immense, un dysfonctionnement dans leur organisme. Parce qu'ils marchent en meute, en un ensemble commun et solide. Acacia n'en finit plus de recevoir des messages. On s'inquiète pour elle, on lui demande comment elle se sent, à toute heure de la journée, et dans la soirée. Elle ressent une véritable présence de la part de ses amis d'enfance, une présence qui lui faisait défaut, qu'elle n'osait pas demander, alors qu'elle en avait tant besoin. Des présences renforcées qui l'a distrait complètement du départ de Quentin, de sa dernière esclandre en date, qui l'a mise à terre.

Leur semaine passe si vite, qu'ils ne la voient pas faire, ils ne s'en rendent pas compte. Ils sont tous revenus dans les existences des autres, ils sentent et voient des choses, des coïncidences partout, qui les font penser les uns aux autres. Ça les fait sourire, bêtement, mais surtout rayonner d'un éclat fort et nouveau.

Cam compose de nouveaux assortiments de pâtisseries et de formules de déjeuner. Le soir, quand elle rentre, même épuisée, même prise de bonne fatigue, elle se penche sur les modalités de création d'entreprise, de déclaration à la chambre de Commerce. Elle commence à mettre les choses en place, et les conseils et remarques d'Acacia, qui s'y connaît, aide pour beaucoup. Théodore trépigne sur place quand il sait qu'il ne lui reste qu'une heure au bureau, parce qu'il a hâte de retrouver son épouse, qui lui laisse enfin de la place, qui lui demande, de nouveau, son avis sur les choses, ainsi que sa fille qui, en partageant ses problème, est bien plus légère et souriante. Ils reprennent leurs projets de travaux pour la maison, ceux qu'ils avaient laissé depuis des mois de côté, parce qu'ils n'étaient plus capables de s'entendre. Hugo se sent bien plus insouciante, libérée, lorsqu'elle doit se tenir aux calendriers de retours d'épreuves, lorsqu'elle contacte les auteurs, les futurs publiés de la maison d'édition dans laquelle elle travaille. Elle est moins rêche, moins dure, elle délègue enfin. Quant à Florian, il se plaît à aller voir les nouveaux chantiers maritimes en cours, dont il a la responsabilité. Il effectue des tournées d'inspection, des visites auprès des clients, en tant que chef de projets, et son patron, le créateur de la marque, de l'entreprise, commence à le briefer, à le tenir au courant de bien plus de chose. Il retrouve ce jeune employé fougueux, qui avait soif de savoir, de connaître, d'apprendre ; et qui s'intéressait déjà à tous les aspects de ce métier.

C'est un véritable courant de bonnes ondes qui les traversent, partout où ils vont, qui les suivent et volètent derrière eux, comme des capes. Plus rien ne peut les atteindre, ils sont invincibles. Lever de bouclier commun, contre toutes les atteintes qu'on pourrait leur faire, le mal qu'on pourrait leur vouloir, leur souhaiter.

En ce qui concerne leurs enfants, ils ne sont pas en reste. Aline prend toujours aussi à cœur la gestion de son association et la planification de ses prochaines actions. Elle commence à bien connaître ses membres, qui sont devenus des amis, des personnes sur lesquelles elle peut compter, et à qui elle demande l'avis dans tout le processus. Erik, lui, est dans le viseur de sa coach de volley, parce qu'elle veut le faire entrer dans une équipe supérieure, alors même qu'il n'est qu'en seconde. Elle veut le voir jouer avec des étudiants, en fac, elle désire le faire travailler pour le faire découvrir, au plus grand nombre, et lui ouvrir des portes. Elle le sait attaché au sport, discipliné dans son apprentissage. Il a une rage et une précision qui fait graviter une équipe. Elle le sent et le voit bien intégré, alors elle décide de miser sur lui, dès maintenant. Et pour ce qui est de Thom, il est différent, changé. Il n'a plus peur des autres, de construire des amitiés, de s'ouvrir à tout un monde qu'il ne connaissait pas auparavant, et il sait très bien que c'est grâce à Aline et Erik, qui l'ont rassuré, et initié. Alors, il décide de rejoindre un club de lecture, mais également de se mettre à écrire. Pour le moment, ce ne sont que des ébauches, mais cette activité le calme, le concentre et le fait se sentir tellement plus détendu, une fois qu'il a tout couché sur le papier. Il y raconte sa rencontre avec Erik et Aline, avec d'autres prénoms. Comment ses deux personnages se retrouvent à enquêter sur leur passé, ceux de leurs parents, mais aussi comment les souvenirs, passent et deviennent le réel. Il romance certains des évènements qu'il a vécu, par soucis littéraire, mais, dans le fond, la trame narrative est pour le moins très similaire à ce qu'ils vivent.

Cet après-midi, Thom sait qu'Erik a un entraînement un peu plus important que les autres, que ceux de d'habitude. Il lui a parlé de stage de détection, et Thom a tout de suite compris que c'était important, pour lui, mais également pour son avenir. Thom a senti Erik bien plus fébrile, raide, mais appliqué aussi, par soucis du détail. Alors, il a décidé de ne pas le déranger. En sortant des cours, il se dirige vers le magasin de loisirs créatifs de sa mère, deux heures avant sa fermeture.

A son arrivé, la clochette retenti pour l'accueillir, et Acacia se redresse à son arrivée. Elle lui offre un large sourire avant d'ouvrir les bras pour le saluer. Cela faisait un moment que Thom n'avait pas pu y mettre les pieds, alors il embrasse des yeux toutes les nouvelles décorations, les nouveaux articles qu'elle a fait rentrer dans son stock. Dans la vitrine, il remarque des carrés de tissus aux couleurs printanières, estivales. Il y a un motif de cerise, et ça fait vibrer son cœur un peu plus. Elle a également disposé des bracelet faits main, avec des perles en forme de lettres. Sur l'un d'eux, le prénom "Cerise". Mais aussi, "Adrien", "Thom", et tous ceux de ses amis d'enfance, en fait. C'est un détail, discret, mais ça suffit pour la rendre heureuse, sans que ses clients ne le remarque. Thom effleure des doigts, accroupi, fasciné. Et puis, soudainement, il se prend à sourire, parce qu'il vient d'avoir une idée si niaise, qu'il imagine déjà la mine déconfite, et dégoûtée d'Erik, qui serait le sujet de ce petit méfait. Alors, il se relève lentement, et pose les yeux sur sa mère. Son expression mystérieuse, la pousse à froncer les sourcils, en le questionnant en silence.

─ Dites, on peut faire des bracelets sur mesure ?

Thom joue les clients, alors que quelques uns font le tour du magasin, autour d'eux, et l'attitude de son fils, fait sourire la mère. Elle s'illumine. Elle lui répond sur le même mode.

─ Tout à fait, monsieur.

─ J'en connais une qui va être contente.

Une dame, plus âgée, se tenant près de la caisse, les bras chargés, se prend à entrer dans leur conversation, sans y avoir été invitée. Acacia et Thom ne perdent pas la face, amusés. La commerçante s'installe derrière le comptoir, qui lui sert aussi d'atelier miniature, Thom, face à elle, la cliente à son côté. Quand la commerçante relève les yeux sur son acheteur incognito, elle demande.

─ Qu'est-ce que je note ?

─ Il en faudrait trois, en fait. Une taille femme et deux tailles homme.

Les yeux de la cliente s'arrondissent, tant elle ne comprend pas où le jeune homme veut en venir. Elle s'attendait sûrement à ce que Thom ne demande qu'un simple prénom pour sa petite-amie, et ça le fait sourire de détruire ses idées-reçues. Sa mère hoche la tête, tout en notant, elle aussi porte un petit sourire amusé, en coin, masqué.

─ Pour le bracelet femme, ce sera 'Mercury', pour le premier homme 'Marian' et le second 'Ted'.

Thom déclame, calmement, tout fier de lui, et Acacia le questionne alors sur les couleurs. Thom opte pour du bleu ciel pour Aline, du rouge bordeaux pour Erik , et enfin du orange pour lui-même. Quand la commande est passée, et qu'Acacia lui indique qu'elle pourra les lui fournir d'ici une semaine, Thom la remercie chaleureusement, avant de reprendre ses découvertes dans le magasin de sa mère. Décontenancée, la cliente ne demande pas son reste, paie rapidement, et sort bientôt. Quand Acacia le rejoint, ils ne peuvent s'empêcher de rire.

─ Elle a failli nous faire une syncope !

Amusés, et complices, Thom aide sa mère à mettre en rayon de nouveaux produits, ou d'en ranger d'autres. Acacia ne peut s'empêcher de le questionner.

─ Qu'est-ce que c'est, ces prénoms ?

─ Ça vient du roman de L. P. Hartley, 'The Go-Between'. C'est le premier bouquin qu'Erik m'a prêté, et Aline l'adore aussi. Je trouvais ça élégant qu'on ait tous quelque chose en commun.

─ Malin.

Acacia commente, en reprenant son activité. Quand Thom monte sur un escabeau, pour accrocher de nouvelles guirlandes au mur, il lui demande à travers le magasin, quand plus personne n'y est présent.

─ Vous venez au match, ce soir ?

─ Je rejoins Hugo et Théo, oui. Tu y vas avec Erik ?

─ Non, il y sera déjà, j'irais avec vous.

─ Hugo est capitaine de soirée.

─ Elle ? Privée de boissons ?

Thom affiche une mine horrifiée, et Acacia se remet à rire. En effet, Thom a déjà remarqué qu'il ne fallait pas beaucoup de verres ingurgités pour qu'Hugo flotte et se mette à rire bruyamment. Elle aplatit un carton du pied, avant de le regarder, de nouveau, les poings sur les hanches, par-dessus son tablier brodé du nom du magasin.

─ On a joué au plus proche. Figure-toi que Senna a été champion du monde trois fois.

─ Elle a misé combien ?

─ Cinq titres.

─ Elle va vous le faire payer.

─ Ça c'est sûr.

* * *

Au moment de se rejoindre, Aline se présente à la maison et Thom la trouve soucieuse, préoccupée. Elle ne cesse de jeter des coups d'œil à son téléphone, et de répondre à de nombreux messages. Il la sent ailleurs, elle ne participe pas vraiment aux conversation qu'ils ont, tous serrés dans la voiture, Hugo au volant. Ils ont fait un crochet par chez Acacia, où ils ont déjà descendue quelques bières, quand Hugo a dû rester au soda, et ça les a fait rire. Le week-end commence et Thom sait très bien que la soirée ne se terminera pas qu'au match. Pas quand ils sont tous aussi heureux d'être ensemble. Quand ils sortent enfin de l'habitacle, et que la capitaine part se garer sur le parking du gymnase, Thom l'attrape par le coude, doucement, et lui demande, inquiet.

─ Un soucis avec l'asso' ?

Aline fronce les sourcils, elle ne semble pas le comprendre, ou l'entendre sur le moment. Puis elle se fend d'un léger sourire, parce qu'elle fait confiance à Thom, et qu'elle a besoin de se soulager de tous ces secrets.

─ Le soir, avant le bateau, je n'étais pas là, tu te souviens ?

─ Oui, et ?

─ J'étais pas avec des amies non plus.

Thom prend alors une mine choquée, surjouée, une main devant son visage.

─ Aline, tu m'as menti !

Et parce qu'il hausse le ton et que ça fait se retourner leurs parents sur eux, elle lui donne un coup de coude dans les côtes pour le faire taire.

─ Ferme-la, andouille. Bref, j'ai rencontré la personne avec qui je discutais, par rapport à l'asso'.

─ Elle sera là ce soir ?

─ Oui, je l'ai invité.

Thom s'exprime de nouveau par un "Oh !" bruyant qui lui vaut un nouveau coup. Ils se mettent à rire, et la petite troupe s'avance jusqu'au terrain. A l'intérieur, il y a déjà beaucoup de monde, beaucoup de bruits, et les spots brillants chauffent l'air. Ils s'installent dans les gradins, où Cam et Flo' leur font de grands signes de bras pour les attirer, ils les attendaient. Assis un rang au-dessus d'eux, Aline scrute les visages qui grouillent comme des fourmis, de leur point de vue. Elle envoie un nouveau message et le sourire de Thom s'illumine quand il aperçoit le dos floqué d'un "9", celui d'Erik, en plein échauffement. Il est serveur, alors il fait passer tous les joueurs de son équipe sur les balles qu'ils préfèrent. Il mémorise. Il met en place ses réflexes, son attention, sa concentration. Ce soir est spécial, et Thom voit bien les regards discrets qu'il jette aux représentants, qui se tiennent au premier rang, tout en bas des gradins, au plus près du terrain, des calepins dans les mains. Les entraîneurs d'équipes supérieures, de facultés, Erik peut sans doute presque toucher son rêve du doigt, à le brûler.

─ Il est arrivé, je vais le chercher.

Aline souffle discrètement à Thom, avant de franchir l'allée de sièges en sens inverse, à contre-courant. Thom l'encourage d'un pouce levé vers le ciel, avant de se concentrer de nouveau sur le terrain. On appelle les joueurs, on les présente, et ils défilent bientôt devant le public avant de se poster sur la ligne extérieure où ils se réunissent tous. Les applaudissements ne faiblissent pas, et Thom a les paumes qui lui piquent, tant il les fait claquer fort pour soutenir son petit-ami. Tout le monde se met en place, à son poste, Erik au centre, en ligne arrière, en attendant que l'équipe adverse serve le coup d'envoi. Un coup de sifflet, et les corps se projettent bientôt jusqu'au filet.

Erik est rapide, fluide. Il a la vision claire, et sait parfaitement quel joueur utiliser et dans quelle situation. Si le bloc offensif est trop haut, face au filet, il se prend à utiliser leur champion pour le démolir. Et, quand ils ont l'avantage de la vitesse, et du nombre, il fait dévier le ballon aux ailiers, sur les côtés, ou en diagonale. Le public s'enflamme à chaque point, qui s'égrènent très vite, quelque soit le camp qui marque. Thom est focalisé sur le jeu, du haut de son promontoire, et il a le cœur battant de voir Erik autant dans son élément. Il ne l'y avait encore jamais vu, si proche, si focalisé. Le ballon fait corps avec ses doigts, il l'effleure à peine, et ses trajectoires sont tirées au centimètre. Il a travaillé dur, Thom a bien vu les bleus sur ses avant-bras, tant il voulait amélioré sa réception, et les bandages qui entouraient ses phalanges, pour pouvoir faire prendre une bonne trajectoire à la balle. Il retrouve ces détails dans son jeu, mais aussi les stratégies qu'ils mettent en place. Nouvelle rotation de l'équipe, ils se retrouvent avec une défense plus faible que l'attaque. Erik garde son sang-froid, et au moment opportun, il se permet de faire une seconde-main, en feinte, par-dessus le filet. Les gradins tremblent et exultent de l'action. Quand les équipiers se rejoignent, se serrent dans les bras, et se félicitent à grandes tapes dans le dos, pour ce point, Thom sait qu'Erik est à sa place, dans son univers.

A la mi-temps, leurs parents décident d'aller se chercher quelque chose à boire, et Aline en profite pour revenir auprès de lui. Thom, euphorique du match, leur offre un grand sourire à tous les deux, surtout à ce jeune homme immense qu'il ne connaît pas, en fait. Aline s'assoit entre eux, et les présente.

─ Thom, Vadim. Vadim, Thom.

─ Alors c'est toi qui kidnappe ma pote ?

Vadim hausse les épaules, légèrement gêné, et ils se sourient de nouveau. Aline vise le terrain vide de ses joueurs, avant de fixer le tableau des points.

─ Comment il s'en sort ?

─ Il est magistral.

Aline hausse un sourcil et se tourne vers Vadim, pour se plaindre, évidemment.

─ Tu vois ce dont je te parlais ? Il est complètement biaisé.

Thom roule des yeux et ça fait rire Vadim, qui commence à se sentir aussi à l'aise avec elle, que ses amis.

─ Mes parents n'ont rien remarqué ?

─ Je crois que la bière et l'ambiance aident, mais ta mère te cherchait.

─ Merde.

Si Aline s'inquiète, Thom hausse les épaules.

─ T'as qu'à lui dire que Vadim était perdu.

─ D'accord, mais comment je lui explique que je connais un étudiant ?

─ Avec la vérité, l'asso'.

─ Il n'a pas tort.

Vadim renchérit, face à Thom. Aline au milieu de ces deux-là, qui font front commun, leur cède. Ils se rassoient dans leurs sièges quand le match reprend, et Aline fait un signe de la main à sa mère, pour la rassurer, et faire acte de présence. Nouveau coup de sifflet, la deuxième mi-temps débute.

Sans doute peu habitués à un match d'aussi longue durée, et avec autant de tensions, l'équipe à domicile perd du terrain, et de la souplesse. Thom voit bien qu'Erik est en souffrance. Il est trempé de sueur, et commence à commettre de petites erreurs. Sa coach décide de le mettre sur le banc, le temps d'une rotation de l'équipe. C'est stratégique. Il se repose, et le second serveur de l'équipe, en première, peut faire quelques-unes de ses armes. Une serviette sur la tête, Thom n'a ni accès à son visage ni ses yeux. Il s'inquiète. Une de ses jambes tremble, et ses poings sont serrés. Il est encore dans le brûlant du match, dans son monde. Aline glisse sa main dans celle de Thom, et ils les serrent en un même ensemble. Elle en fait de même avec Vadim, prise par le suspens du match. Mais entre eux, il est question d'étincelles, et de petits orages qu'ils créaient dans leurs paumes collées.

Lorsque le dernier coup de sifflet retentit, l'équipe, dont Erik fait partie, est battue de trois points. On peut lire la déception immense sur le visage des joueurs, mais il y a aussi de beaux sourires, dont celui d'Erik, fier. Ce match n'avait pour but que de se mesurer à une équipe plus compétitive. Ils ont relevé le défi avec rage et discernement. Erik est satisfait de lui-même, de ses gars. Il encourage ses coéquipiers à faire un tour de terrain, pour remercier le public de sa présence et de ses encouragements. Quand ils arrivent face à la tribune où se tient Thom, Aline, et leurs parents, il les salue longuement de la main, fulgurant, brillant, électrique. Aline se tient debout, et crie. Bientôt, c'est le gymnase entier qui se vide. On éteint les lumières.

Dehors, parents et adolescents patientent pour le retour de l'enfant prodige. Thom l'a vu, Aline est allé présenté Vadim à ses parents, dans les règles, et avec calme. Dans les vestiaires, on se tape dans le dos, on se complimente sur certaines actions du match, et on console ceux qui rêvaient d'une victoire à l'arrachée. Après une rapide douche, à l'eau froide, pour se sortir de sa torpeur, et revenir au monde réel, Erik se change et sort bientôt, son sac de sport sur l'épaule. Là, il se retrouve face à Noam, le capitaine de l'équipe étudiante, qui semblait l'attendre. Ils font se cogner leurs poings serrés, avant de se féliciter mutuellement. Ils se sont déjà entrevus lors de certains entraînements en commun, et lié d'amitié parce qu'ils occupent le même poste.

─ Incroyable cette seconde main.

─ Il fallait bien vous arrêter.

Erik rétorque, revanchard. Une attitude qui fait sourire Noam.

─ Je pense que les coachs en ont vu assez. Tu devrais recevoir pas mal de demandes.

─ Tu penses ?

─ J'en suis sûr.

Galvanisé, les yeux d'Erik se mettent à pétiller.

─ A la prochaine, alors !

Ils se saluent rapidement d'un signe de main, avant que chacun ne rejoigne son équipe pour sortir. Les lycéens se répandent sur le parking et Erik rejoint bientôt ses parents qui le félicitent, leurs amis, mais surtout Thom et Aline. Un rapide baiser à son petit-ami, leurs doigts de nouveau liés, comme par réflexe, et Erik lance bientôt une demande, tourné vers ses parents.

─ Certains des gars aimeraient fêter notre semi-victoire, est-ce que je peux prendre la dépendance pour ce soir ?

Cam et Florian se questionnent du regard avant que la première hoche la tête.

─ On sera chez Cassie, s'il y a un problème.

─ Si j'entends le moindre bruit suspect, Théo et moi on débarque.

Florian les met en garde, et tout le monde en rit. Ce sont donc deux convois qui se mettent en branle. D'un côté, la fine équipe des cinq amis d'enfance, de l'autre, leurs enfants. Ils prennent un chemin commun, avant de se séparer à une intersection. Erik ne lâche pas la main de Thom, marchant tous dans la rue, il se repasse le film du match et Thom, subjugué, boit bien évidemment ses paroles. Et puis, leur troupe s'arrête soudainement.

─ Mais quel con, j'ai même pas eu le temps de te demander ton prénom.

Erik s'excuse, et regarde Vadim. Celui-ci se présente, et les deux adolescents se serrent la main, en souriant. Le mouvement peut reprendre, et, dans les ombres qui commencent à s'étirer, les doigts d'Aline et Vadim s'effleurent par intermittence.

Une fois arrivés, Erik retrouve certains des membres de son équipe, ainsi que quelques unes de leurs copines. Tous pénètrent par le portail et s'installent bientôt sur des chaises de jardin, devant la dépendance, en contrebas de la maison. Ils allument les lumières, les guirlandes, mettent de la musique, et ouvre des bouteilles de bière. L'ambiance est festive, joyeuse. Pour eux, il ne s'agit pas d'une défaite, mais bien d'une nouvelle étape dans leur vie, en tant qu'équipe.

Bientôt, tout le monde se disperse un peu. Certains mettent les pieds dans la piscine, même si elle est encore fraîche, d'autres s'allongent dans la pelouse pour regarder les étoiles. Aline et Vadim sont partis discuter près du cerisier, et Thom et Erik se retrouvent alors seuls. Erik le tire alors par le bras pour le faire s'asseoir sur ses genoux. Thom grogne un peu, mais cède rapidement. Erik le dévore bientôt de baisers, et de caresses, qui font rire Thom, parce que ça le chatouille.

─ Tu m'as un peu trop manqué.

─ Comment tu te sens ?

─ Comme si j'étais passé sous un rouleau-compresseur.

─ T'étais vraiment incroyable sur le terrain.

─ Tu trouves ? Merci.

Si Erik cache son visage contre le torse de Thom pour y inspirer son odeur, Thom, lui, les mains dans ses cheveux et sa nuque, est pensif. Dans leur dos, "No Care" de Daughter se joue.

─ Je suis sûr que tu seras pris en sport, à la fac.

─ C'est le but !

─ C'est le but ...

Thom répète, mais de façon bien plus mélancolique. Un ton qui alerte Erik et le fait relever les yeux vers son copain. Ils se regardent, un instant.

─ Qu'est-ce qui se passe ?

─ J'avais jamais pensé au fait qu'il y aura un moment où on pourra plus être ensemble.

Erik rit doucement, pour dédramatiser. Il resserre l'étreinte de ses bras contre ses hanches, avant de lui souffler, doucement.

─ Ce n'est pas pour tout de suite, tu sais. J'ai encore deux ans à tirer.

─ Mais ça va arriver vite. Ma mère me répète tout le temps qu'elle n'a pas vu passer ces années-là.

─ Je suis là pour du long terme, tu te souviens ?

Erik le rappelle à l'ordre pour le rassurer. Mais, de son côté, Thom ne peut pas s'empêcher de sentir cette angoisse en lui, qui grimpe le long de sa colonne, et vient se loger en épaisses toiles d'araignées, tout près de son cœur, de sa gorge. Peut-être que c'est l'alcool, peut-être que c'est la retombée de l'euphorie du match.

─ Et puis je trouve que j'ai bien pris l'habitude de te harceler au téléphone.

Erik renchérit et il obtient enfin un sourire de Thom. Ils se serrent de nouveau l'un contre l'autre. Ils s'embrassent de façon intime, ils partagent quelque chose de plus grand, qui les dépasse. Au loin, des sifflements se font entendre et ça les fait encore un peu plus rigoler. Ils restent l'un contre l'autre, longtemps, et regardent leurs amis disparaître un à un, à mesure que les heures défilent, la nuit avance, et les chansons se succèdent. Quand vient le tour de Vadim et Aline, elle leur explique qu'il la raccompagne avant de rentrer chez lui. Erik et Thom se lèvent pour les prendre tous les deux dans leurs bras, et leur dire au-revoir. Vadim n'est sans doute pas habitué à autant de contacts, mais il faudra qu'il s'y fasse s'il veut rester auprès d'eux. Ils ont le câlin facile.

Erik et Thom prennent alors le temps de ranger et nettoyer. Les bouteilles vides finissent dans des sacs poubelles. On vide les cendriers pour les rincer à l'eau. Ils font une vaisselle dans le petit évier d'appoint. Ils ont déposée l'enceinte sur le rebord de la fenêtre et Thom voit bien qu'Erik est épuisé. La fatigue s'abat sur lui comme un coup de marteau. Pourtant, quand ils se retrouvent à l'intérieur de la dépendance, il y a cette ambiance, ce crépitement commun. Cette chaleur, qui contraste avec la brise nocturne.

Leurs épaules, leurs coudes s'effleurent, se cognent, quand ils ont tous les deux les mains prises par l'eau, le produit vaisselle et un torchon. Ils se regardent, se fixent même. Personne ne bouge. Un instant en suspens, avant qu'ils ne tombent tous les deux dans les bras de l'autre. Bruits de verres et des gouttelettes qui leur tombe sur le t-shirt et dans la nuque. Leurs baisers se font bien plus fiévreux et les vêtements tombent au sol les uns après les autres, rapidement, sauvages. Leurs corps tous les deux pressés l'un contre l'autre, l'air se raréfie. Les paumes de Thom se glissent dans la nuque d'Erik et celui-ci attrape ses hanches. D'un simple geste facile, Erik hisse Thom contre lui, à même son torse nu, et le porte jusque dans la chambre du fond. Les mains prises pour le sécuriser, Thom ne se gêne pas pour continuer de l'embrasser, de glisser son nez dans cou, pour le mordiller. Là, avec douceur, Erik le dépose sur le lit, lui retire chaussures, chaussettes et pantalon et le surplombe bientôt de toute sa hauteur. Thom n'a pas peur, il n'angoisse pas, n'étouffe pas. Il peut contempler tout son saoul ce corps qui ne se déploie, ne se dénude que pour ses yeux, que pour ses caresses et ses baisers. Il a ce sentiment prodigieux d'être le seul sur terre à posséder ce privilège et ça le grise des pieds à la tête. Thom respire son odeur masculine, mélange de café et de terre après la pluie, l'orage. Le même qui se met d'ailleurs à gronder au-dessus de leurs têtes, et dans leurs ventres, jusque dans leurs cages thoraciques. Ils continuent de s'embrasser. Erik le dévore littéralement des lèvres. Ils créent un monde qui n'est qu'à eux. Ils rassemblent des pièces brisées ou perdues, en un même ensemble. Ils se réchauffent dangereusement. Ils prennent feu façon allumettes craquées. Des caresses. Des tracés à la langue. Ils se cèdent complètement. Erik le rassure, en chuchotant tout près de son oreille, à le faire frissonner ; il écoute le moindre son, la moindre de ses demandes, avec attention et guette tous les indices. Thom a le souffle court, encombré. Il se mord la lèvre tant son désir devient délice. Son corps qui se tord comme jamais auparavant, comme il ne l'a jamais vu, des mèches trempées dans les yeux, et ses poings qui se ferment sur les draps. Il griffe ses épaules, son dos. Ils développent leur propre rythme, leurs propres codes. Un enchevêtrement de jambes, de bras, d'effleurements et de saisies fermes. Erik se délecte des sons qui lui parviennent de Thom, par-dessus les roulements de tonnerre, et la pluie qui commence à tomber façon déluge, dehors. Ils transpirent à grosses gouttes et ça les fait rire, lorsque tout se termine. Ils retombent tous les deux sur le dos, Thom dans les bras d'Erik, sa tempe contre sa poitrine. Ils cherchent leurs soufflent. Leurs muscles se lissent. Il leur faut quelques minutes pour revenir de l'espace où ils se sont projetés l'un l'autre, façon fusée. L'air extérieur les frappe avec violence, et Erik les couvre d'un drap, d'un simple geste souple. Ils se serrent fermement. Ils partagent désormais bien plus. Un lien qui les rapproche, les font se mélanger encore un peu plus. Erik devient un large moment brûlant et précieux de la vie de Thom, il en a conscience, mais en développe aussi une grande fierté. Il lui embrasse d'ailleurs le front pour le sortir de sa torpeur.

─ A quoi tu penses, p'tite tête ?

Le surnom fait sourire Thom, qui relève bientôt le visage vers lui, souriant, apaisé, en harmonie.

─ A mon père.

─ C'est une bonne ou une mauvaise chose ?

Erik s'inquiète, en y ajoutant son éternel sourcil haussé. Celui que Thom pourrait désormais reconnaître partout. Il tend d'ailleurs le bras pour défroisser cette zone de son visage, avec douceur.

─ Je me demande juste comment il aurait pris tout ça. Est-ce qu'il m'aurait encouragé, ou laissé faire, tout seul ?

Erik sent bien que ce soir est soupoudré de mélancolie et de frustration pour lui. Comme si cela pouvait tout arranger, il embrasse sa joue. Il aimerait pouvoir être cette couverture de nuit, rassurante, blindée, prête à tout pour pouvoir le consoler, le protéger, partout où il est déjà, et où il ira.

─ Je pense qu'il aurait réagi comme ta mère.

─ T'as peut-être raison.

Thom n'a pas envie de chercher, pas ce soir, pas quand il est avec Erik, nus sous les draps, pas quand ils peuvent profiter de la vision d'une tempête splendide de leur chambre, pas quand leurs sentiments explosent et rebondissent partout sur les murs, comme maintenant. Alors Thom repose la tête contre le torse d'Erik et ferme les yeux. Il ne le lâchera pas jusqu'au matin.

De leur côté, Vadim et Aline ont été surpris par la même pluie et rapidement trempés. Ils ont continué de discuter ensemble, même après avoir quitté les garçons. Même quand Vadim a retrouvé sa moto. Même quand ils sont arrivés devant le portail de chez Aline. C'est là, dans la rue, qu'ils ont tous les deux pris une douche, tout droit descendue du ciel. Aline rit à grand bruit, les bras ouverts, le visage en l'air.

Elle rit, parce que soudainement, elle se sent si légère, si libre, si bien en étant elle-même. Et c'est à ce moment que la façade de Vadim cède complètement. Il la saisi par les mains, lie leurs doigts et l'entraîne dans une valse bancale, de l'eau pratiquement jusqu'aux chevilles, par endroit. Ils tournent, virevoltent, Aline n'en finit plus de témoigner sa joie. Puis elle peut enfin reposer la joue tout contre Vadim, inspirer les senteurs de pluie, et voir ses cheveux s'applatir et se coller à ses tempes.

En le regardant de nouveau, elle dépose une main contre sa mâchoire. Elle a eu beau chasser l'eau, de nouvelles gouttes y reviennent. Lentement, avec douceur, dans un effleurement, Vadim dépose les doigts contre son poignet et embrasse le creux de sa paume. En le voyant faire, Aline ne peut que frémir de la tête au pied, électrisée. Elle lui sourit, simplement. Vadim étouffe son expression en retournant cette main qu'il vient d'embrasser sur ses lèvres à elle. Quand Aline le voit se pencher sur elle et déposer, de nouveau, sa bouche sur le dessus de sa main. Un baiser séparé de la propre paume d'Aline. C'est sensuel, sexuel. Ça l'a rend complètement dingue, accroc presque. Elle se sent défaillir, ses jambes devenues coton. Elle déglutit malgré une gorge sèche, et son cœur qui se tient au bord de ses lèvres. Elle peut l'y sentir frapper. Vadim lui donne l'un de ses premiers francs sourires, empli de nuit, et d'éclairs. C'est sa manière à lui, de façon lascive, de lui dire au-revoir.

Il enfourche sa moto, et démarre bientôt en trombe. Le feu arrière brille d'un éclat rouge, encore un peu plus fort dans le noir, puis s'éloigne. Un dernier bras levé pour la saluer et elle se met à rire comme une idiote. Elle crève de chaud alors qu'une pluie glaciale lui tombe encore dessus. Elle est transie, trempée jusqu'aux os. Elle a le sentiment de flotter au-dessus du sol en rentrant dans la maison. Elle ferme à clef derrière elle. Allume la lumière de l'entrée pour se débarrasser de sa veste en jean, trempée, celle que Vadim lui a prêté. Elle grimpe rapidement jusque dans sa chambre, se déshabille pour finir en simple culotte et t-shirt trop large pour elle. Elle ne prend même pas la peine de se sécher les cheveux. Elle n'en finit plus de sourire, et porte désormais son rythme cardiaque à la gorge. Elle prend feu, à son tour. Eruption instantanée.

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