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Puisque son médecin et Maura sont tombé d’accord lors de sa dernière visite médicale, il a été décidé qu’Erik pouvait se séparer d'une béquille, et recommencer à marcher, un peu tous les jours, pour rééduquer sa cheville, pour se réapproprier le poids de son corps. Rien qu'en trois semaines, Erik a pu voir son corps changer. Ses muscles se résorber quelque peu, parce que moins fermes, moins lisses. Le blessé se porte mieux, et ce n'est pas que physique. Ses cernes se sont, pour la plupart, résorbées. Son sommeil n’est plus aussi agité, un peu plus constant. Et il prend le temps de, de nouveau, se serrer dans les bras de Noam, chaque soir. Même si Erik s'est présenté à chaque entraînement sans vraiment y participer, en gardant un ballon non loin de lui pour qu'il ne perde pas ses réflexes ; le matin, il envie son petit-ami, quand il le voit partir faire un footing, ou qu'il lui indique que l'équipe va jouer un match dans la journée. Mais ce n'est plus ce rapport de dominations, et de volonté de le faire se sentir mal. A chaque départ, Noam lui embrasse le front, en lui disant que son tour viendra bientôt.

Et, c'est sur ces nouvelle qu'ils ont choisi de faire une sortie tous ensemble, sous le soleil, qui revient doucement. Aline voulait aller faire les magasins pour se changer les idées, et renouveler sa garde-robe, même si celle-ci est déjà bien chargée. Vadim a appelé, et elle s’est décidé à lui répondre. Elle a arrêté de fuir, pour ne pas affronter les choses. C’est difficile, et elle a le sentiment que leur relation est sur pause, mais Vadim lui manque de trop pour qu’elle le laisse s’échapper. Elle désire qu’il fasse partie de sa vie, même aussi éloigné, en décalé. Et le fait qu'elle ait eu à s'occuper de son ami d'enfance lui a également permis de se pauser, de réfléchir. A chaque fois qu'elle le faisait, Vadim n'était pas loin, alors elle en a conclu qu'ils n'étaient pas finis, pas maintenant, pas dans cette situation. Leur dialogue quotidien revient, tout comme le léger sourire transi que porte Aline.

Noam, de son côté, voulait tout simplement accompagné son petit-ami. Partager quelque chose, le soutenir dans cette réhabilitation qui lui a permis de se poser les bonnes questions. Sur lui-même, sur eux, sur ses motivations et ses objectifs au sein de l’équipe, comme dans sa vie.

Maura a été invitée tout naturellement parce qu'elle passe de plus en plus de temps avec eux. Elle ne fait pas partie de ce groupe simplement parce qu'elle veillait sur Erik, mais bien parce qu'ils ont développé une véritable amitié, tous ensemble, après cette blessure qui les a rapproché, rassemblé. Elle a d'ailleurs demandé à passer à la pharmacie, et dans un magasin de sport. La jeune femme s’est parfaitement fondue au sein de leur groupe. Elle rit. Elle taquine. Elle fait les courses pour préparer les repas avec eux. L'appartement d'Erik et Noam comme quartier général, qui en soirée, a aussi permis à Maura de leur raconter des bribes de son enfance, qui font écho aux leurs. Elle aurait pu grandir avec eux, qu’il n’y aurait aucune différence dans leurs liens d’aujourd’hui.

Toute cette légèreté palpable et commune, est également lié au fait que Thom est revenu. Il est là. Il s'est présenté à l'appartement, comme à Noam et Maura, dans les règles de l'art, poli, respectueux. Quand il a fait ce pas, quand il a passé cette porte, Aline s'est jetée tout contre lui et la serré si fort qu'il a compris que ce manque était partagé. Sur la réserve, Erik ne lui a simplement que serré l'épaule en le couvant de se regard rassuré, et toujours aussi protecteur. Thom s'est fondu, de nouveau, dans son groupe, sa tribu, sa meute ; avec une facilité déconcertante. Il a beau ne pas avoir été présent sur les derniers mois, auprès d'eux, il n'y a eu aucun temps morts, aucun blanc. Ils se sont quitté la veille, et se retrouve le lendemain. Pour le moment, ils ne se sont pas réellement réunis, tous les trois, pour discuter de ce qui a bien pu lui passer par la tête pour qu'il s'isole et s'éloigne. Ils y arriveront. Leurs parents leur ont appris la discussion, et l'écoute.

Thom a donc été invité par Aline, même s'il n'y en a pas eu besoin, parce qu'il n'a jamais cessé d'être considéré comme un membre à part entière de ce groupe. Pour sa part, il a émis le souhait de se rendre dans une librairie. Bien-sûr, les rapports sont encore frais, sur la réserve et un peu gênés, parfois. Son absence et sa réapparition dans leurs vies, laissent Aline et Erik sur la retenue, parce qu'ils n'osent pas le pousser, ils savent qu'il viendra vers eux, et leur expliquera tout ce dont ils ont besoin de savoir, de connaître. Et ils ne se laissent pas complètement aller non plus, ils ne disent pas tout ce qu’ils pensent, parce que leur culpabilité, au-delà du pardon, reste. Leurs regrets les crispent encore un peu. Ils ont besoin qu'on fasse la lumière, et Thom en est le seul possesseur.

Ils se lancent donc, tous les cinq, à l'assaut de la ville. Cette même ville qu'Aline n'a jamais vraiment appris à parcourir et connaître, en-dehors du campus, et dont Thom ne reconnaît que les coins que Julie a bien voulu lui montrer. Alors, ils restent ensemble, ils font front, bras dessus bras dessous. Et ce retour de contacts, même aussi simples, apaisent largement Aline. Elle a l'esprit bien plus tranquille. Maura les accompagne, toujours prête et enthousiaste à l'idée de faire de nouvelles rencontres, mais aussi et surtout, parce qu'elle peut enfin connaître celui dont Erik et Aline lui ont parlé, et le découvrir de son point de vue.

Derrière eux, Noam ne lâche pas la main d’Erik. Il ne peut pas se retenir de jeter de légers regards à Thom. Il y est attentif, parce qu'il sait très bien ce qui pouvait le lier à son copain, et que même si Erik l'a rassuré mainte et mainte fois ; il ne peut pas s'empêcher d'être curieux, et de chercher à trouver ce qu'Erik a vu en lui. Il ne se sent pas menacé, ou dans le doute, il veut simplement connaître cet attachement amical, qui ne peut se défaire d'eux, bien trop grand et trop fort.

Erik ne l’appelle plus dans son sommeil, en souffrance. Il ne cauchemarde mystérieusement plus, depuis que Thom est revenu dans sa vie, en fait. Et Noam a très bien senti cette légère pointe au cœur, de ne pas avoir été capable de chasser les zones d'ombres qui entouraient son petit-ami. Mais Noam ne peut pas lui en vouloir, parce que Thom a fait les choses bien, dans l'ordre. Il s'est présenté. Et quand ils ont eu fini leur dîner, tous ensemble, et qu'ils se sont retrouvés tous les deux, sur le balcon, Thom pour prendre l'air, après toutes ces émotions, et Noam pour fumer une cigarette ; le plus jeune lui a très bien déposé les faits, à plat, face à lui, dans leur totalité. Il n'a rien caché. Il lui a dit que cela n'avait pas fonctionné entre lui et Erik parce qu'ils voulaient des choses différentes, parce qu'ils n'en étaient pas au même stade dans leurs vies, et que cela avait finit par essouffler puis ternir leur relation.

Alors ils travaillent leur confiance l’un en l’autre, et Noam ne serre plus autant les dents quand Erik et Thom sont proches, ou rient ensemble. La menace s'éloigne.

Aline, comme pile électrique, enfant surexcitée, traîne derrière elle Thom et Maura, dans une friperie. Les muscles encore douloureux, Erik les suit à son rythme, et s'assoit dès qu'il parvient à l'intérieur. Noam l’escorte, le sourire doux, patient. Evidemment, Aline désire passer en cabine d’essayages, et Moïra l’accompagne parce qu'elle s'est laissé prendre au jeu de dénicher de bonnes affaires, mais surtout de petites perles vestimentaires. Par dessus la playlist qui est diffusée dans le magasin, les garçons peuvent entre les rires des deux jeunes femmes.

Erik est heureux de voir que son amie d’enfance s'est autant ouverte à une nouvelle personne, une autre personne que leur trio d’origine. Si Aline avait la première conversation facile en primaire, collège ou lycée, désormais elle est un peu plus sur la réserve. Elle est si concentrée sur sa réussite dans ses études, qu'elle ne s'attache plus réellement aux rencontres. Aline se dit sans doute qu'elle a déjà assez de personnes autour d'elle, pourquoi en chercher d'autres ? Mais la compagnie de Maura l'a fait sortir, petit à petit, de sa froideur, au premier abord. Aline avait sans doute besoin d’une figure de référence, un personnage féminin fort, de son âge, auquel s’identifier de temps à autre. Une amie à qui se confier, avec qui débattre et exposer ses points de vue pour aller plus loin que la simple réflexion. Mais aussi une présence pour se rassurer, quelle que soit l'heure ou la source de ses doutes. Des liens extérieurs, qui se créent par-delà leur traque aux mensonges familiaux et ces maisons trop petites.

─ Comment tu te sens ?

Noam demande, doucement, debout dans son dos, les mains sur ses épaules. Erik relève les yeux vers lui, et lui offre un petit sourire.

─ J'ai encore un peu mal, mais ça va.

Erik rassure Noam, simplement. Il apprécie ses attentions, son inquiétude. En déposant les paumes sur ses mains, il tend les lèvres pour qu'il lui donne un baiser. Puis il reporte les yeux sur Thom, flânant dans les allées. Le plus jeune ne le dira pas, ne l'avouera jamais, mais sa cage thoracique s’est mise à trembler rien qu'en voyant le couple interagir. Un jour, ça a été sa place. A une époque, ces caresses et ces baisers n'étaient que pour lui. Il ne les avait jamais vraiment vu ensemble, il n'a pas eu le temps d'y être sensibilisé, habitué, familiarisé. Il divague.

─ Tu te souviens de ce pull horrible que tu trimballais partout en 3ème ?

Un sursaut, un regard. Erik le sort de ses pensées. A l’entente de cette réflexion, Thom rit doucement. Les souvenirs remontent, il se rapproche d'eux.

─ Peut-être aussi classe que ton bonnet pour faire ton jogging.

Au tour d’Erik de rire. Les sourcils froncés, Noam se tient légèrement sur la touche, il ne peut pas entrer dans la blague, sans toutes les données en sa possession. Alors, Erik lui explique qu’au lycée, il avait pour habitude de se servir du bonnet que son père utilisait pour sortir en mer. Un vieil accessoire, rayé et usé par le temps mais qu’Erik adorait. Thom, de son côté, n'arrivait pas à se défaire d'un vieux pull à motif déformé, qui appartenait à sa mère. Sans se le dire, ils savent tous les deux très bien que ces deux vêtements sont encore pliés, rangés dans leurs armoires respectives, et qu'à chaque fois qu'ils y posent les yeux, ils ont une pensée pour l'autre.

Après un moment, les filles ressortent enfin, les bras chargés de sacs, et paient pour leurs achats, toutes heureuses. Les sourires qu’elles échangent sont si clairs, brillants, qu’on ne croirait pas qu’Aline pouvait se morfondre dans sa solitude douloureuse, encore quelques semaines auparavant. Ils reprennent la route, leur tournée, et Maura refait ses stocks de bandages et de crèmes musculaires à la pharmacie. Ainsi que de gourdes et de protections de volley, dans un petit magasin de sport, qui ne payait pas de mine vue d'extérieur.

─ C’est à toi de faire tout ça ?

Erik demande, accoudé à un rayon, tandis qu'Aline, Noam et Thom s'amusent à faire rebondir des ballons de toute sorte, comme des enfants, non loin d'eux.

─ En tant qu’assistante du club, oui. C’est l’université qui paie.

Maura explique à Erik, les yeux concentrés sur toutes les références qu'on lui a demandé de prendre et de ramener au gymnase. Elle est la plus âgée de l'équipe administrative et bénévole, alors, on lui donne bien plus de responsabilités. Mais, pour elle, ce n'est ni une corvée ni une perte de temps. Ce sont des choses qui lui plaisent réellement de faire, avec soin et attention. Après être passée à la caisse, Erik lui propose, comme par réflexe, de porter le sac de nouveaux achats. Bien évidemment, elle lui refuse. Elle charge le sac sur son épaule. Erik doit se ménager.

Dernier point d'intérêt, ils arrivent enfin à la librairie. Thom la connait bien, alors il prend faussement le temps d'observer la vitrine pour reprendre son souffle, et calmer son cœur qui s'agite un peu plus. Gorge nouée et estomac en montagnes russes. Il n'a pas besoin de rentrer pour savoir que Julie est là. Erik a bien remarqué cette crispation nouvelle, qui n'était pas là quand ils sont partis, mais aussi ce regard méfiant et quelque peu apeuré. Il le laisse faire, à son rythme, mais prend les devants, et décide de ne pas rester bien loin de lui. Dans son dos, comme une ombre.

Thom s'avance enfin, et monte les marches pour pénétrer dans le magasin. Aline s’émerveille de chaque rayon, du coin lecture, des objets dérivés à vendre. La vendeuse, derrière la caisse, lui offre un faux sourire, plastifié, pour faire bonne figure. Dans l'incompréhension, Aline cherche à savoir ce qu'elle a bien pu faire pour obtenir un tel regard accusateur, dégoûté et sanglant. Puis, quand elle s'y penche un peu plus, Aline comprend que ce n'est pas à elle, que cette expression est destinée, mais bien à Thom. Un rapide coup d'œil de l'un à l'autre, et elle identifie directement la libraire. Julie. Aline serre les dents, sur la défensive, et fait comprendre sa découverte d'un simple regard à Maura.

Julie lui en veut, elle ne s'en cache pas, et sa soif de vengeance est partout dans ses traits. Même si Thom a la sensation de se présenter seul au comptoir, en réalité, ses deux amis sont extrêmement attentifs, sur la défensive, prêts à se jeter dans la mêlée et porter secours à leur ami plus jeune.

─ Comment tu-

La voix de Thom, faible, rauque, instable est rapidement coupée par celle, plus forte et assurée de Julie.

─ Vous cherchez quelque chose en particulier ?

Julie repousse clairement ses tentatives de communication. Elle lui refuse parce que l’humiliation de leur dernière entrevue, de sa décision, à lui, est encore cuisante. Mal à l’aise, Thom baisse les yeux et triture ses doigts.

─ Pas spécialement, je voulais juste passer te voir.

─ C'est bon, tu m’as vue.

Avant qu'il n'ait eu le temps de s'excuser, parce que c'est vraiment ce qu'il a envie de lui dire, même après tout ça, tous ses actes à elle ; Julie se saisit d'une pile de livre et s'enfonce dans le magasin, pour faire mine d'aller les ranger. Thom la suit, et le piège se referme doucement, parce que ni Erik ni Aline n'ont accès à lui. Ils ne peuvent pas le suivre, se montrer, ils seraient découverts tout de suite. Syndrome de Stockholm. Il est vulnérable, et ne se sent pas encore complètement serein de l’avoir quittée. A côtoyer de nouveau ses amis, Thom a oublié la dureté de l’extérieur, et le retour de flamme de ses propres actions.Thom se stoppe à son côté, et se frotte le bras, mal à l'aise.

─ Je voulais vraiment m'excuser.

Julie ne peut s'empêcher de glousser à ses mots, ça lui vient tout seul, alors qu'elle ne lui accorde aucun regard, aucun accès à elle pour pouvoir la lire, la comprendre, chercher à savoir ce qu'elle prépare. Parce que Thom sait qu'elle échafaude toujours quelque chose. Et, quand cela le concerne, elle est plutôt inspirée.

─ Tu m'as jetée comme une merde, et maintenant tu viens jouer les récompensés du Prix Nobel de la Paix, j'hallucine. Et en plus, t'oses venir avec lui.

Julie ne peut retenir un roulement d'yeux excédé, tandis qu'elle répartit les livres sur des étagères en bois. La réflexion pique Thom, droit dans la cage thoracique.

─ J'ai tout fait pour toi, je t'ai tout donné, je t'ai aidé quand t'en avais le plus besoin. Tu me dois tout.

Julie doit se retenir de ne pas élever la voix pour ne pas éveiller les soupçons, mais les menaces sont réelles, et elles sont tranchantes, même à voix basses.

─ Je t'ai peut-être pas remerciée comme tu le voulais, mais tu m'as aussi fais du mal.

─ Explique-moi, Thom, c'est quoi ton but ? M'utiliser comme béquille pour te remettre sur pieds, et puis, quand t'as plus besoin de moi, pouf !, tu me dégages ? Parce que ça ne se fait pas, t'as jamais été clair avec moi. Je sais très bien ce que tu vises. Mais il n'est pas accessible, il n'est plus à toi, ton Erik.

Thom tique en l'entendant prononcer ce prénom. Elle l'a déjà fait, mais, ici, en ces lieux, dans ces conditions, quand les autres peuvent les entendre ; c'est diamétralement différent. Thom va pour ouvrir la bouche, mais la referme quand Julie lui fait enfin face, le regard noir, et la langue comme lame de fond.

─ Tu sais quoi ? Fais ce que tu veux. Amuses-toi bien à essayer de recréer des choses qui n'existent plus, et dont t'arrives pas à te remettre. Je sais qui tu es, Thom, et j'ai de quoi faire pression. Tu me reviendras. Et plus vite que tu ne le crois.

─ Thom ? On va être en retard au restau'.

Aline les interrompt et se rapproche bientôt d'eux. Quand elle les trouve, elle peut voir de l'humidité s'amonceler dans les cils de son ami, et son interlocutrice afficher un large sourire victorieux et néfaste. Thom ne s'attarde pas, il fonce directement vers la sortie, et les autres le suivent en vitesse. Aline, elle offre un regard dur à Julie, le poing serré. Elle ne sait pas ce qu'elle cache, mais elle doit le trouver, et rapidement. Julie lui fait l'effet d'un poison lent qui infecte et dévore son ami de l'intérieur. Elle détourne les talons et suit donc le mouvement.

Julie exulte, de nouveau seule et en silence, de la facilité avec laquelle, elle peut encore le briser. Dans sa sortie en coup de vent, Erik a très bien remarqué la proximité de Thom avec les larmes. Quand il pose un dernier regard sur la jeune femme, il peut voir ce regard sombre, dur, cruel. Il fronce les sourcils. Quelque chose cloche. Il sait très bien que ces deux-là ne sont plus ensemble, et sa mauvaise première impression de Julie lui revient en tête. Erik ne peut pas le contrôler, il restera toujours inquiet pour son ami d’enfance. Il voudra toujours étendre sa protection ferme tout autour de lui. Encore un peu plus quand la menace affiche ce visage-là.

* * *

Erik a beau essayer d'y réfléchir, il ne trouve pas, et ça le rend silencieux, anxieux, quand ils terminent leur après-midi en terrasses fermées. Des sacs d’achats déposés partout. Une odeur de café qui flotte tout autour d’eux. Noam, troublé dépose une main sur la cuisse de son petit-ami, par-dessous le plaid qu'ils ont déposé sur leurs cuisses. Il cherche son regard et le questionne des yeux, en silence, sans que cela n'interpelle les autres. Erik entrelace leurs doigts, facilement, et lui fait signe, muet, que quelque chose le chagrine, sans savoir quoi, mais que ça n’a pas d’importance, pour le moment. Il se montre sincère avec lui, dès que les émotions et les doutes le traversent. Comme il le fait de nouveau depuis sa convalescence. Erik avait presque oublié, qu'au départ, ils se comprennent sans se parler, avant même qu’ils ne se soient ensemble. Ils ont toujours eu cette complicité, cette facilité de compréhension, malgré les dures semaines qu’ils se sont fait subir, et depuis qu'ils ont appris à compter l'un sur l'autre, sur le terrain avant de partager leurs vies. Mais, à ce moment, il ne veut alerter personne. Ils vont attendre d'être rentrés, d'être entre eux comme pour partager un secret.

Comme en miroir, depuis leur passage à la librairie, Thom aussi est bien muet. Il se tient dans un espace en son for intérieur, sans laisser personne y entrer. Il sait très bien que ses intentions, et les simples expressions sur son visage, l’ont toutes trahi, ce qui donne bien entendu des motivations supplémentaires à Julie. En plus de sa frustration et de sa volonté de lui nuire. Elle en possède les armes, et ne s'arrêtera pas avant d'avoir pu les utiliser contre lui, pas avant qu'elle ne le mette complètement à genoux et le fasse supplier.

Il a été facile pour elle de comprendre que Thom se refuse de blesser Erik, une nouvelle fois. Comme après leur séparation. Parce que sa plus grande peur reste de le perdre, et ce, de façon définitive, expliquée ou non. Quand il sait éloigné d'eux, Thom savait qu'Erik le portait encore dans ses pensées, qu'il n'était jamais très loin. Mais que se passera-t-il quand il se retrouvera dans l'impasse ? Quel stratagème trouvera-t-il pour se protéger sans pour autant réduire Erik à l'état de dommage collatéral ? Elle a des moyens de pressions. Julie sait qu’il lui cache la vérité, qu’il se couvre de mensonges, pour ne pas qu’Erik ne s'extraie totalement de sa vie.

Mais Thom n'a pris ça en compte, en lui annonçant, de but en blanc, sur un coup de tête, qu’il voulait qu’ils se séparent. Il est encore jeune, il n’a pas compris toutes les données et les conséquences de ses actes, les véritables enjeux d'une relation en systèmes de pouvoir. Celui qu'elle possède sur lui. Un tout qui joue à l’avantage de Julie, et ce recours au chantage, le fera revenir à elle, elle en est persuadée. Elle a désormais mains mise sur cette chaîne qui retient Thom par le cou, le brûle à y déposer des cloques, et elle vient juste d’y mettre une nouvelle impulsion pour que la pression se resserre autour de lui. Thom n’aura bientôt plus assez d’air pour respirer par lui-même. Il reviendra à elle. Il devra se séparer de tout et de tous ce à quoi et qui il tient, à sa faveur. Elle ne peut pas le laisser se faire la malle, loin d'elle, elle ne le laissera pas détruire tout ce en quoi elle croit et tout ce qu'elle a imaginé et mis en place pour lui, pour eux. Elle est inopposable.

Quand le soleil descend, et qu'ils décident tous de rentrer, Erik prend quelques minutes pour discuter avec Thom. Avant qu’il ne remonte dans le tramway. Seul à seul, comme à cette époque où ils jouaient à la console, ensemble, dans sa chambre.

Comme à son habitude, Aline a décidé de passer la nuit chez Maura. Mais Thom, de son côté, a besoin d’être dans sa propre chambre, dans sa maison, avec ses souvenirs rassurants. Même si Noam lui-même, lui a proposé leur canapé, en toute sincérité et confiance. De côté par rapport à lui, Thom ne regarde pas Erik en face. Il ne le peut pas. Il est actuellement trop instable pour tenir sa langue, et ses pensées qui fustigent en tous sens. Erik, intrigué, oscille dans ses pensées pour trouver un angle d’attaque, pour le faire s’ouvrir à lui, avec douceur, mais aussi inquiétude. Mais il se rappelle aussi que des paroles directes, frontales, fonctionnent aussi, avec lui. Du moins, d'aussi loin qu'ils s'en rappellent, quand ils se côtoyaient encore, avant elle.

─ Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

Le ton qu'il emploie, lui fait l'effet que l’attitude de Noam déteint sur lui. Il est franc. Il n'a plus le temps d’enjoliver les choses et le prend de front. Il met le doigt sur les choses qui font souffrir, qui blessent depuis un peu trop longtemps. Thom se fige, lorsqu'il l'entend, lorsqu'il le comprend aussi, mais quand il redresse la tête, c’est un pauvre sourire forcé, gelé, qu’Erik découvre sur le visage de son ami. Un de ceux qu’il est impossible à croire, de prendre à la lettre, qui cache un trop plein qui lui file littéralement entre les doigts, sans qu'il ne puisse rien y faire. Les mensonges que Thom essaient de mettre en place pour tous les protéger sont bien pauvres quand il est question d’Erik. Pour autant, celui-ci ne se sent pas de le brusquer plus que de raison, de le forcer à parler. Pas ici. Pas comme ça. Pas alors que c'est encore si frais, et que Thom ne leur revient tout juste.

─ Elle a du mal avec la séparation, c'est pas grand chose, t'inquiètes pas.

Mais, au contraire, c’est ce qu’Erik fait, par réflexe, et surtout quand Thom est toujours autant dans l'incapacité de mentir, de lui mentir. Son expression n’aide en rien, si ce n'est qu'elle n'allume de nouvelles diodes rouges, d'alertes.

Comme si personne ne pouvait les voir, comme s'ils n'avaient pas été séparés tout un été, Erik glisse spontanément un index sous son menton, pour pouvoir pleinement avoir accès à ses yeux. Cette même clarté, teinte aquatique, quelque peu ternie, qui lui font courir tout un tas de frissons le long de ses bras et de sa colonne. Thom frémit sur le même mode. Une soudaine panique lui glisse d'ailleurs entre les épaules, dans la gorge, rien qu'à le sentir aussi proche, depuis si longtemps. Un moment qu’ils n’avaient pas eu de contact aussi direct, aussi plein. Et ce simple toucher, rend l’air électrique, autour d’eux. Leurs lèvres tremblent même de l'attraction qu'elles connaissent et qu'elles ont pratiqué durant de longs mois. Ils le ressentent encore plus fiévreusement qu’il y a deux ans. Viscéralement. Leurs corps, leurs peaux piquent et se souviennent, elles se manquent, mais ils n’ont plus le droit d’y céder. Ils en sont interdits. Ils se le sont interdits, l'un à l'autre. Le toucher est hors des limites pour eux, désormais. Alors Thom rompt l'interraction d'un geste de la main. Il est celui qui coupe tout parce qu'il a bien trop à perdre, quand Erik se rend compte qu'il serait sûrement prêt à le remettre en jeu, si c'était pour Thom. Ils n'ont rien perdu de leurs sentiments, ils les ont simplement enterrés à la va-vite, sous des branches, des pierres et de la terre fine. Ils peuvent encore les voir, tendre la main et y avoir pleinement accès.

─ S’il y a quoi que ce soit, tu m’appelles.

─ Je te dis que ça va.

La voix d’Erik est ferme, assurée. Il a toujours eu ce côté protecteur, qu’il tient de son père. Et c’est un trait qui s’affirme encore un peu plus chez lui, en grandissant, en vieillissant. La réponse de Thom, elle, est un peu plus fluette, peu sûre. Il essaie de le rassurer comme si ce n'était pas un sujet si important, comme pour lui affirmer que quoi qu'il arrive, il s'en sortira, et il veut le faire seul. Mais Thom a complètement oublié la volonté imperturbable d'Aline et Erik, qui sont prêts à tout pour protéger ceux qui leur sont proches, et ce qui leur est cher. Meute menaçante, montrant les crocs.

La cloche retentit au loin, les sort de leur torpeur, et le tramway s’arrête à quai. Un dernier signe de la main aux autres et Thom y monte. Une véritable vitre se ferme et claque entre eux. Thom, dans le noir, replié sur lui-même, en feignant une armure sans faille. Erik, à la lumière, défait de nombreuses chaînes et boulets, et prêt à prendre une nouvelle charge sur ses épaules, s'il le faut. Ils restent quelques secondes à se regarder, avant que le tramway ne reprenne la route dans son sifflement mécanique, électrique. Pourtant, la dernière expression qu’Erik arrache de Thom, par-dessous les reflets de la vitres et des lumières de la ville, le paralyse et fait résonner une voix dans son crâne : « Devines, s’il-te-plais ». Thom disparaît. Les filles les saluent avant de se diriger vers le métro.

Sur le chemin jusqu'à l'appartement, Erik et Noam prennent le temps d’une cigarette. Les pas d’Erik sont beaucoup plus lents, et douloureux. Il en a trop fait aujourd'hui. Et maintenant que tout le monde est parti, qu’il n’est plus qu’avec Noam, il peut s’effondrer un peu, et tomber le masque, la façade. Il peut grimacer de douleur. Sa blessure n’est pas encore remise. Les maux reviennent. Erik place un bras autour des hanches de Noam, lentement, pensif, autant pour s’appuyer contre lui, que parce qu’il a besoin de contact. Noam fronce les sourcils, tandis qu'ils font une pause à un carrefour, non loin de leur quartier.

─ A quoi tu pensais en terrasses ?

Noam ne perd pas de temps, il n'attend pas d'être à l'intérieur, mais simplement en la compagnie de l'autre. Erik expire sa fumée vers le ciel en se frottant l'arrête du nez.

─ A Julie. Elle cache quelque chose. Quelque chose d’horrible.

─ Tu les as entendu à la librairie ?

─ Pas complètement, mais tu aurais vu la gueule de Thom quand il est sorti.

Noam ne comprend pas tout à fait d'où sortent les soupçons d’Erik. Il n'a pas réellement eu le temps d'y faire attention, trop occupé à surveiller son petit-ami blessé. Voilà donc ce qui le taraudait. Et le voile sombre qui passe dans ses prunelles, tout contre son visage, n’annonce rien de bon. Orage prévu. Depuis le départ du tramway, il n'a pas desserrer les dents non plus.

Erik est de plus en plus habile pour lire les gens, sans doute un entraînement secret entre Aline et lui. Mais Noam sait aussi que cela touche à son ami d'enfance, plus qu'à son ex, il ne peut rien dire là-dessus, il en ferait de même, s'il avait une mauvaise impression sur quelqu'un d'extérieur à leur groupe. Pourtant, il ne peut pas s'empêcher d'avoir la courte pensée, comme un flash, que cela pourrait être une façon de la part d'Erik de récupérer Thom, quoi qu'il en coûte, et au nom de n'importe qu'elle raison valable ou non. Mais cette réflexion est vite chassée par le fait qu'il se confie, à lui, avant tout le monde. Si ce n'était qu'un petit plan bancal, et possessif, il aurait été voir Aline, n'est-ce pas ? Et Noam se rassure en se disant qu'il a les gestes, les mots de son petit-ami. Il ne le fuit pas, ne le repousse pas, ne lui cache rien. Ils sont capables de communiquer, au lieu de s'ignorer et de se lancer dans des projets dans le dos de l'autre.

Après avoir fini le chemin, Noam l’aide à monter les escaliers jusqu’à leur appartement. Erik ne perd pas de temps, puisqu'il s'installe à la table du salon, et ouvre son ordinateur. Là, face la lumière bleue qui se répand sur son visage, Noam allume des lumière, et ne se lance pas tout de suite dans la préparation du dîner. Il sent Erik préoccupé, empli de ses doutes, des menaces qu'il a entendu chuchotées, mais surtout de l'expression de détresse totale et désespérée de Thom. Il l'appelle à l'aide, allume des fumigènes, et Erik ne compte pas le laisser seul à gérer tout ça. Si, en grandissant, il est devenu une de ces personnes qui n'appellent jamais au secours, rien que cette révélation silencieuse, justifie de l'importance de la situation, et de l'impératif de s'en occuper rapidement, dès maintenant. Thom n'aurait jamais fait ça, autrement.

Persuadé que quelque chose se trame, Erik tape rapidement sur le clavier et réutilise les compétences qu’il a développé lors de leurs recherches concernant le père de Thom, leur inconnu. Il a besoin d’en savoir plus sur la jeune femme, et ce qui se trame pour que Thom en arrive à afficher cette tête-là, sans se retenir. Sans fuir. Un appel à l’aide étouffé de bruit alentour.

Réseaux sociaux, site de la fac, associations. Erik épluche tout jusque tard dans la nuit, et Noam n'ose pas trop le déranger. En réalité, cette détermination comme tempête en bouteille, lui fait presque peur. Il dépose tout juste une assiette à son côté, sans un mot, avant de se retirer dans la chambre pour aller lire, de son côté. Erik ne s'arrêtera pas avant d'avoir trouvé.

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