28.

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Le ciel est couvert, mais cela n’a pas découragé Erik à se rendre au port et prendre la mer. Quand il en a exprimé la demande, son père a eu une légère pointe au cœur, en comprenant qu'il était désormais capable de sortir en mer, sans lui, sans sa supervision. Il lui a laissé le « Facetious », sans savoir que Thom allait monter à bord, les cheveux ébouriffés et les yeux encore soulignés de sommeil. En le récupérant chez lui, en moto, Erik lui a glissé dans les bras un plaid et un thermos de café. Sur le trajet, pas un bruit et la route est déserte. Il est encore trop tôt, et la même ambiance, sans un bruit, se répand à bord du bateau, lorsqu’ils jettent les amarres et laisse le moteur, à faible puissance, les extirper du port.

Erik est concentré, à la barre, et le cerveau de Thom n’est pas encore allumé, il tourne au ralenti. Les embruns lui font du bien, tout comme le clapotis de l'eau salée qui se fait doux à ses oreilles. Il respire tout ça, prend le temps de s'en imprégner de l’intérieur, et le recouvre. Le calme profond que lui procure la mer l’enveloppe progressivement, tandis que le soleil se fraie un chemin pour s’extirper des nuages, à mesure qu’ils s’éloignent de la côte. Est-ce que leurs parents avaient le même rituel, les samedis matin de début d'été, quand ils étaient tous ensemble ? Le bateau, lui-même, est un témoin silencieux des années passées, et de ses passagers, mais il ne leur en dira pas plus. Le bois et les voiles chuchotent, quand le vent y glisse.

Erik ne s’éloigne pas trop, il ne part pas en traversée pour une destination précise. Il ne s'en sent pas encore prêt, pas encore assez à l'aise, mais ça viendra. Il longe donc la côte, et descend juste à quelques villes de là. Ils peuvent se le permettre, ils ont toute la journée. Thom embrasse du regard les pitons rocheux, les criques creusées par le temps, où les oiseaux marins y nichent, où les vagues s’engouffrent et s’écrasent dans un mouvement d'allés et venues, vieux de plusieurs millénaires. Les eaux sont assez calmes. On croirait que l’océan se réveille doucement, lui aussi, tout comme Thom, qu’Erik surveille du coin de l’œil avec attention, un petit sourire à la commissure des lèvres.

Quand ils accostent, l’air s’est enfin réchauffé. Après avoir amarré le petit voilier, ils posent pied à terre et arpentent le petit port tout aussi calme. Les pêcheurs viennent tout juste de partir pour leur journée, et les plaisanciers ne se lèveront que plus tard. Ils ont l’endroit peur eux, et une sensation d’être seuls au monde, les enlace. Non loin de là, se tient un diner. Sur le court chemin qui les y mène, avant qu'ils n’y entrent, les deux jeunes hommes ne se parlent pas, pas plus qu'ils ne se regardent. Il y a encore une certaine gêne entre eux, une sorte de peur qui les font ne pas céder à leurs envies, à leurs sentiment. Pas tout de suite. Ils préservent le moment.

Pour prendre un petit-déjeuner en bonne et due forme, ils s’installent, face à face, dans le fond du restaurant, sur ces banquettes bordeaux, reconnaissables entre mille. Assis près d'une grande fenêtre, comme il en a l'habitude, Thom, dans ses pensées, est incapable de retirer ses yeux des reflets scintillants sur le plat de l’eau. Erik, qui, de son côté, est incapable de stopper son adoration pour le jeune homme, maintenant qu'ils sont seuls, ensemble. Il observe ses moindres détails physiques, comme tout près d'une statue dans un musée, parce qu'il n'en a plus eu l'occasion ni le droit depuis des mois. Il se complaît à dévorer des yeux ses cheveux bien plus courts, ses joues qui sont bien moins creusées, et sa pâleur qui s'estompe de jour en jour. Erik se dit que, s’il ne le quitte pas des yeux, Thom ne pourra pas disparaître, rien ne pourra lui arriver, parce que cela reste sa plus grande. C’est tout ce qui lui reste, maintenant que Julie ne fait plus partie du tableau.

On leur apporte rapidement un café, dans des tasses peintes à la main. Le lieu est encore au ralenti. Au bar, deux hommes âgés, les cheveux blanchis sous leurs casquettes de marin, remplissent des grilles de mots croisés, et cette vision fait sourire Erik, parce qu'il s'imagine qu'il a en face de lui, une vision d'eux deux, dans une cinquantaine d'années. Du moins, il aimerait que cela y ressemble.

Pour rester dans le thème de l'établissement, un juke-box joue un disque de Billie Holiday, et cela leur rappelle les soirées qu'ils ont passées, chez l'un ou chez l'autre, et qu'un vinyle de la même artiste, passait sur une platine. Dans son mutisme, Thom se souvient des paroles d’Erik, une première fois, à l’hôpital, et une seconde pendant le déménagement d’Aline. Cette incapacité dans laquelle il se trouve, à le laisser partir, s'éloigner, de sa vie, de lui. Et, depuis ces moments, il ne retire rien ce qu’il a dit, il n’y revient pas, ils ne se repoussent plus, mais ne sont pas non plus assez courageux pour faire ce pas. Ce léger malaise vient aussi du fait que Thom a entendu Noam parler de sa nouvelle recherche d’appartement, et qu'Erik ne semblait pas en faire partie. Les éléments sont là, sous ses yeux, mais Thom se refuse à les lier entre eux. Erik ne se départit pas de son petit sourire, amusé. Des choses simples qui sont les plus intenses.

─ Je pensais que les autres viendraient.

Les yeux bas, dans son café fumant, Thom se décide enfin à prendre la parole, le premier. Sa voix est faible de sa courte nuit, encore agitée, et de la pression que leur sortie maritime a provoqué chez lui. Par appréhensions, par angoisses. Erik a toujours ces effets-là sur lui, parce qu'il est bien trop important. Ils ne se disparaîtront sans doute jamais.

─ Je me vois mal essayer de te reconquérir avec les autres à côté.

Thom s’étouffe sur une gorgée de café. Pris d’une quinte de toux, il pose des yeux ahuris sur un Erik fier de lui, tout sourire, plein d’assurance.

─ Tu me regardes, enfin.

Erik souligne, charmeur, parce que la situation l'amuse, en un sens, quand il possède bien plus de données sur leur situation que Thom, qui essaie de repousser en répondant sur la défensive. Ils ne perdent plus le regarde de l'autre, cette fois.

─ Fais pas l’idiot, Noam va te tuer.

─ Il pourrais me tuer de t’avoir emmené aussi tôt, un samedi, et par ces températures, rien d’autre.

L'expression d'Erik est indéchiffrable, Thom n'arrive pas à le lire, il ne comprend pas ce qu'il sous-entend, avec ces paroles. Le prend-t-il pour un idiot ? Pourquoi garde-t-il autant pour lui ? Thom, ne supportant plus ces non-dits, et ces zones d'ombres, se décide à pleine prendre les rênes de la conversation, et demande, clairement.

─ Qu’est-ce que vous vous êtes dit ?

Erik souffle doucement, il laisse tomber le masque, pas la peine de le taquiner plus longtemps. Il se mordille la lèvre puis appuie son menton dans une paume, tandis que Thom est suspendu à ses lèvres, ses paroles. Son cœur cogne, parce que les révélations qu'il attend de lui, sont bien trop importantes. Le rouge lui monte aux joues, rampant, tant il trouve Erik attirant, à ce moment-même. Il rayonne. Il irradie d’une nouvelle palette de couleurs incroyables, et vibrantes. Est-ce qu'il peut prétendre à les côtoyer ces couleurs ? A les voir, tous les jours, et même dans le feutré d'une chambre à coucher ? Thom détourne les yeux, timide. Il ne peut pas le croire.

─ On a discuté pour mettre les choses à plat, et on a compris que, tous les deux, ça n’irait pas plus loin. On reste amis, cela dit.

Sans agressivité, ou menace, Erik prend tout de même le temps de souligner auprès de Thom, que Noam va rester dans les parages, qu'ils vont rester proches. Le plus jeune prend cela comme un avertissement que, s'il n'est pas assez vigilant, Erik pourrait bien lui échapper de nouveau. Si, auparavant, Thom aurait été figé, de peur, parce qu'il ne se faisait pas assez confiance, parce qu'il se diminuait personnellement, sans l'aide personne, désormais, il est simplement sûr qu'il n'a rien à craindre parce que cela n'arrivera pas, parce qu'ils sont ce qu'ils sont, ils en ont pleinement conscience. Leurs sentiments, l'un à l'autre, débordent de trop et n'ont jamais été aussi directs, mis à nu. Sans se cacher. Sans chercher à y échapper.

Thom accepte ses nouvelles révélations, et les rince d'une dernière gorgée de café. Une bombe à retardement au ventre, prête à exploser sous l’excitation et l’euphorie. S'ils s'en doutaient, désormais les choses sont bien réelles, parce qu'elles ont pris la forme de mots. Ils savent qu'ils sont dans la possibilité de revenir à ce qu’ils ont laissé derrière eux, il y a de ça des années. Ils se retrouvent. Ils n’ont jamais été aussi proches, depuis des mois. Leurs mains brûlent de celles de l’autre. Celles d’Erik se font nerveuses, elles tapent des ongles contre l’aluminium de la table, parce qu'il se retient de le faire, parce qu'il ne veut pas brusquer Thom, en rien. Avant ça, Thom reprend son calme dans un raclement de gorge, il a besoin d’en savoir plus, de plus d'explications.

─ T’as pas peur ? Par rapport à tout ce qui s'est passé ?

Erik perd un peu de la clarté de son regard assuré, et sans faille, au profit d’une culpabilité lancinante, et qui ne cessera sans doute jamais de se planter profondément en lui. En eux. Ils n'ont rien pu arrêter.

─ Thom, ce qui t'es arrivé ... C'est en rien de ta faute. T'aurais jamais dû vivre ça, et j'aurais du être là.

Les mots sont durs, ils obstruent la gorge d'Erik, qui peut sentir la rage et la frustration lui courir, de nouveau sur la peau, en frisson. Il serre le poing.

─ C'est pas d'un chevalier servant dont j'ai besoin, tu sais ?

Sans se démonter, Thom ne lâche pas ses yeux, et affiche même un petit sourire amusé, parce qu'il sait qu'Erik ne cessera pas de se flageller, de se rendre coup pour coup. Alors, il le rassure, il essaie, autant qu'il se sent à l'aise auprès de lui, il doit comprendre, et ne pas le percevoir à travers le faisceau de ses propres frustrations, de ses remords, de ce qu'il n'a pas été capable de faire.

─ Je vais avoir besoin de temps, de guérison.

─ Je comprends.

Erik souffle, tristement, parce qu'il voit se dessiner devant lui la possibilité qu'il ne voulait pas vraiment voir naître. Celle où Thom a besoin de solitude pour se reconstruire, et même si Erik comprends parfaitement, comme il vient de le lui dire, il continue d'espérer, de vouloir se rendre utile, de vouloir resserrer son étreinte protectrice, tout autour de lui. Ses prunelles ne tardent pas à se rallumer, façon plein phares.

─ Mais je veux t'avoir auprès de moi.

C'en est trop. Erik allonge le bras par-dessus la table, et saisit sa main. Leurs doigts s'enlacent fermement, pour ne plus cesser de l'être. Erik pourrait l'embrasser, là, maintenant, tant il est heureux de savoir qu'il a droit à tout ça, finalement, lui aussi ; mais surtout dans la vie de Thom.

Les rancœurs disparaissent. Depuis tout jeune, ils sont toujours parvenus à passer au-dessus de tout ça, aussi simplement. Ils se sont toujours pardonnés, et fait confiance, même éloignés, même en décalé. Parce qu'ils en ont toujours discuté, ils crevaient les abcès qui leur faisaient barrage, parce que les autres ont toujours été importants. C'était la première fois, depuis qu'ils se connaissent, qu'ils n'étaient pas spécialement en froid mais, occupés ailleurs, ils se trouvaient dans l'impossibilité de tendre la main à leurs amis les plus proches. Ils ne veulent plus le vivre, ils ne le supporteraient pas.

Les personnes qu’ils côtoient, les évènements auxquels ils participent, ont toujours fait en sorte qu’ils se retrouvent ; et ce sera encore vrai dans le futur. L’incontestable et l’immuable. Ça fait sourire Erik, doucement. Du pouce, il caresse le dos de la main de Thom, tandis que le silence revient entre eux. Ils se plongent dans les menus, aplatis devant eux. Ce simple contact réveille et secoue leurs veines. Leurs assiettes arrivent rapidement après qu'ils aient passé commande, et permettent à Thom de reprendre un peu de contenance, de s'occuper ailleurs, sur autre chose. Il en a grand besoin, quand Erik se fait aussi direct et serein avec lui. Plus rien ne le limite, il peut aller tout droit, sans peur, sans retenu ; jusqu'à lui.

Quand ils ressortent du restaurant, le ventre plein et leurs cœurs tout autant, avant de reprendre la mer, ils décident d'emprunter les sentiers, sinuant et surplombant la côte. Erik, qui marche derrière Thom, en profite pour glisser sa main dans la sienne. Ils forment une petite chaîne humaine, sans rien se dire. Erik porte son visage au ciel, y laisse courir les doux rayons de soleil, fier, apaisé. Les choses reviennent à leur place désignée. Quand, de son côté, Thom fixe ses pieds en mouvement. Ses joues n'en finissent plus de se colorer de rouge, de chaleur.

La ville portuaire, qu'ils visitent ce matin, est plus petite que la leur. Plus limitée, plus chaleureuse. Ils s’arrêtent sur un surplomb, aux premières loges face à une mer changeante avec les saisons. En face d'eux, une petite île, non loin de là, où une maison y est posée en son sommet. Des volets couleur bleu charrette, des pierres blanches, une toiture lisse, sombre, un large jardin. Erik se prend à y répandre ses rêves et ses aspirations, Thom à son côté. Le futur est partout, quand on y retrouver les personnes avec lesquelles on veut le construire, le passer. Secoués par les vents marins, des orangers plantés en contrebas de la petite habitation. Ils ne savent pas s'ils se l'imaginent, mais ils croient en percevoir les effluves, même à une telle distance, comme pour leur rappeler ces odeurs de souvenirs, de retrouvailles. Une effluve âpre de café frais, tandis qu’ils se serrent l’un contre l’autre, prêt d’un poêle, en plein hiver. Empli de soif d'avenir radieux, Erik se glisse dans le dos de Thom, et entoure ses hanches de ses bras. Ils rassemblent leur quatre mains dans les poches de Thom. Erik, avec une douceur infinie, lui embrasse la joue, la tempe, le cou, avec cette bienveillance qui caractérise aussi leur adolescence, quelque part. Au milieu de la rage, de la peur et des blessures, ils finiront toujours pas trouvé un peu de lumière. Thom frémit à cette affection, avant de se demander si tout a toujours été aussi simple, s’ils n’avaient qu’à se retrouver, finalement, se croire, tout simplement. Mais Thom en a aussi assez de réfléchir, de se remettre en question, de chercher à tout comprendre. Et c’est peut-être aussi ce qui lui a coûté Erik, à un certain moment de sa vie. Il expire, et la tension dans ses épaules tombe enfin.

Erik dépose son menton sur le sommet du crâne du plus jeune, et ils restent là. De nombreuses minutes. Ils retrouvent la présence, la chaleur, le parfum de l'autre. Ils respirent le même air.

* * *

Le temps continue de se figer à mesure qu'ils observent toutes les enseignes regroupées dans la petite rue centrale. Thom se fond dans l'ombre étirée d'Erik. Ils marchent finalement au même rythme, côte à côte. Ils font circuler leur propre système de chaleurs, et de vibrations empruntent de sentiments cristallisés. Ils créent leur synergie, et leurs mouvement se floutent et se mélangent sur le béton nu. Des fantômes de passage qui ne laisseront aucune trace.

Parce qu'Erik a vu Thom lorgner sur la vitrine, ils se glissent dans une petite librairie. Forcément, les yeux de Thom papillonnent partout, et ses bras se chargent bientôt de livres. Erik est aussi amusé qu'attendri, de le voir s'illuminer de la sorte. Ils retentent l'exprérience, et cette fois, personne n'est là pour le menacer, ou lui vouloir du mal. Erik, après avoir découvert une édition rare de "The Go-Between", leur livre, se fait un plaisir d'offrir toutes ces trouvailles à Thom. Celui-ci va pour ouvrir la bouche, pour le stopper, mais Erik le refuse complètement. Il a le droit à tout ça, il ferait mieux de s'y habituer.

Ils traînent un peu les pieds pour revenir jusqu'au port. Ils se sont baladé sans se poser de questions, sans savoir où aller. Et ça les représente. Même sans carte, ils sont leur propre boussole. Ils s'arrêtent à un nouveau panorama, et s'assoit sur un banc, sans se concerter, parce qu'ils savent que c'est le moment, c'est ce dont ils ont besoin.

─ Heureusement qu’Al’ n’est pas là.

Erik expire, un sourire brillant aux lèvres, face à la mer. Les bateaux reviennent.

─ Pourquoi ça ?

Thom se tourne vers lui, et fronce les sourcils. Leurs genoux se touchent.

─ Elle a parié qu’on se retrouverait, donc je lui dois des gaufres.

Thom rit doucement, amusé. Eux et leur manie de parier pour tout et son contraire, quelle que soit la récompense. Il est heureux de retrouver ces simples habitudes, aussi. Il n'y attachait peut-être pas beaucoup d'importance, mais après en avoir été privé, elles prennent tout leur poids aujourd'hui. Thom glisse une main contre la cuisse d'Erik, les joues toujours parées de rose, et Erik y dépose la paume, par-dessus. Le soleil est haut, il pique. Ils n’ont pas vu la journée s’étirer, à être en la présence de l’autre. Tout est plus simple, quand ils peuvent partager le même cadre, au même moment, en synchronisation.

─ Je pourrais payer la moitié ? Moi aussi, je voulais que ça arrive.

Au tour d'Erik de pouffer doucement. Il hoche, bien évidemment la tête, pour accéder à sa demande, qui le touche. Erik tend le bras pour caresser sa joue, et leurs visages ne tardent pas à, enfin, se rapprocher, comment ils le désiraient depuis qu'ils ont accosté. Le baiser qu’ils échangent est leur propre vague, une par-dessus toutes les autres. Il est emprunt d'un soulagement, celui du retour, mais aussi d'une certaine tristesse, qu'ils chassent vite, quand leurs corps se rapprochent, se collent. A la manière des vagues, ils partiront pour toujours, toujours, revenir.

* * *

─ Il faut viser leur central, pour les faire reculer de la zone. Erik, marque-le à l’avant.

En sueur, et sur le brouhaha du stage, Noam dirige son équipe. Il fait preuve d’un calme et d’une concentration remarquables. Ce soir, ils jouent contre l’une des fac de la région. Ils menaient au score pour le premier set, mais se sont vite fait rattraper sur le second. C’est le set final, déjà entamé, qui conclura de leur victoire ou non, qu'ils ne sont pas décidé à offrir, tout comme l'équipe d'en face qui ne fléchira pas non plus.

Dans les gradins, habillés des couleurs de l'équipe qu'ils soutiennent, Aline et Thom suivent les nombreux mouvements et points marqués de leurs amis avec vigueur. Ils donnent de la voix, pour tous les joueurs, quelle que soit l'équipe, parce qu'ils reconnaissent la technique, l'effort, la cohésion et le fair-play. Ils portent ces t-shirts avec une certaine fierté, et le suspens de la finalité de ce match fait battre leur sang.

Maura, plus bas, au plus près des joueurs, sur le banc, à côté du coach, note scrupuleusement des données dans son carnet, et ne se lasse pas de pouvoir observer leurs compétences sportives, leurs tactiques qu’ils ont révisées et mises en place à l’entrainement. Ils sont tous en bonne forme et l'adaptation de l’équipe est fluide, naturelle.

Erik a complètement retrouvé la maniabilité de ses muscles. Son corps lui répond par réflexe, du tac au tac. Il faut dire que les soins attentifs de Maura y sont pour beaucoup. Sérieuse, elle ne fait pas partie de ceux qui encouragent, elle garde la tête froide. Elle les supporte à sa manière, en étant en totale analyse du jeu, celle-là même qui est très appréciée par l’équipe. Elle passe, de temps à autre, conseiller les joueurs en rotation, ou de réserve, elle leur indique ce qu’elle a remarqué concernant les joueurs adverses, de façon à s’en servir à leur avantage, sur le terrain. Elle est plus qu’impliquée, et ils peuvent le voir, quelque chose brûle dans ses yeux.

Un nouveau point de marqué, et le coach lève le bras pour faire un changement. Puis, sans quitter ce qui se déroule sur le terrain, il interpelle Maura.

─ J'ai du mal à croire que tu fais tout ça seulement pour son stage. Tu es devenue accroc, toi aussi, hein ?

Maura hoche doucement la tête, comme prise sur le fait, et le sourire qu'ils arborent sont emplis de ces choses qu'ils ne se disent pas, mais qu'ils ressentent de façon décuplée, encore plus lors d’un match. Un courant passant.

─ Je vais reprendre une autre équipe l’année prochaine.

Maura ouvre de grand yeux étonnés, en attente de la suite. En effet, leur coach était venu pour remonter le niveau de l’équipe de leur fac, mais désormais, ils font partie des huit premiers au classement régional. Ses preuves ne sont plus à faire.

─ Et je pense savoir qui va me succéder.

Maura ouvre la bouche, hébétée. Face au long regard du coach sur elle, en silence, la jeune assistante sursaute, prise par les évènements. Elle se reconnecte, percute à son annonce.

─ Quoi ? Non, je n’ai pas les qualifications, et puis je ne saurais pas comment les conseiller.

─ Tu le fais déjà, ma grande.

Les joues de Maura se colorent, doucement, d'un plaisir et d'une fierté qu'elle ne peut dissimuler. Elle baisse les yeux et serre les poings contre ses genoux, surexcitée de la nouvelle. Touchée de l’attention, ses yeux s’humidifient quelque peu, couronné d’un énorme sourire qu’elle essaie de contenir. Ses boucles lui tombent devant le visage, et lui servent, en quelque sorte, de paravent pour masquer ses émotions. Le coach renchérit, comme pour la rassurer.

─ Ils ont la tête dure, mais ils sont gérables. J’ai décroché quelques contrats et stages professionnels pour certains, ils sont dans mon bureau, il faudra que tu y jettes un œil. Ne les lâche pas, ils ont du potentiel.

Maura ne peut qu’hocher la tête à toutes ces informations, émue, encore et encore. Les mots sont bloqués par le bouillonnement et la satisfaction d’être prise au sérieux par un gestionnaire sportif aussi reconnue. Parce qu'elle a trouver sa voie, son milieu, ses acolytes.

Le coup de sifflet final retenti comme roulement d'orage, et quand elle relève les yeux, elle aperçoit son équipe qui explose de joie, victorieuse, solaire. Des cris. Des embrassades. Des larmes. Des corps qui tombent au sol parce qu'ils se jettent dans les bras les uns des autres. Une véritable euphorie se répand sur le terrain..

C'est la même énergie flamboyante qui règne dans le bar où ils se retrouvent tous pour fêter leur victoire. Les verres se lèvent, se vident, se remplissent. Une équipe aussi large, au même endroit, ne passe pas inaperçue, et l’ambiance est communicative, bon enfant, dans toute la salle.

Maura ne réalise toujours pas l’annonce que lui a fait leur coach. Son cœur ne cesse de cogner de plus en plus fort, et elle s’éclipse au-dehors, prétextant une cigarette, pour prendre l’air, se recentrer, s’isoler, aussi. Elle a besoin de ce moment en solitaire, pour poser ses pensées qui voltigent à toute vitesse et en tout sens. Elle ne s'en remet pas. Maura expire, et s’adosse contre la façade, tandis qu'elle peut percevoir d'ici l'entrain des joueurs, et leur satisfaction de voir que leurs efforts ont payé. Les jambes engourdies, son ventre serré d’excitation, mêlé d’angoisses de ne pas réussir, Maura se fait à l'idée que de grandes responsabilités lui tombent sur les épaules, mais elles sont aussi exaltantes. La porte s’ouvre de nouveau, et Noam la rejoint, pour réellement fumer cette fois.

─ Tu te pourris les poumons, et après tu te plains de ne pas tenir la distance en match.

─ Maman Erik a pris ton apparence, c’est ça ?

Ils rient tous les deux, en chœur. Puis tout redevient sérieux, dès que la cigarette est allumée. Noam imite Maura, et s'appuie contre le mur en briques, lui aussi.

─ Le coach m’a prévenu de son départ, félicitations pour la promotion.

Maura hausse les épaules, tout ce qu’elle laisse apparaître, à ce moment, ce sont ses doute, cette peur d’échouer, de ne pas être capable de poursuivre la lancée de leur entraîneuse, de ne, tout simplement, pas être à la hauteur. Elle a toujours pu montrer ses émotions à nu, face à Noam. Simplement, de façon directe.

─ Tout ira bien, je t’aiderais.

Le capitaine la rassure, d'une voix calme, chaleureuse. Leurs épaules se touchent. La fumée volette devant leurs yeux. Noam renchérit.

─ Les premières années ne vont pas avoir la vie facile.

─ Dis tout de suite que je suis une tortionnaire !

─ J’ai vu les papiers pour le camp d’entraînement.

Maura se ravise, dans un petit sourire coupable, une lèvre mordillée. Une réaction qui fait rire Noam.

─ C’était ton idée, non ? Fais-toi confiance.

─ Je veux plus de cohésion de groupe, dès le début de l’année, pour ne pas perdre de temps. Et c’est une bonne façon de juger du niveau de tout le monde, de répartir les rôles dans l’équipe, de voir qui sont les fortes têtes ...

Noam hoche la tête à ses explications, puis Maura hausse un sourcil, quand elle l'entend se remettre à rire de bon cœur.

─ Et après, t'oses dire que t’es pas préparée ou que t'as pas les compétences.

Nouveau haussement d’épaules, quelque peu vexé. Maura lui tape dans le bras, en faisant la moue. Noam est dans le vrai, elle ne devrait pas en douter. Noam lève les yeux vers le ciel, quelques secondes, une minute, peut-être, il semble être en pleine discussion avec lui-même. Il écrase sa cigarette, avant de se rapprocher d’elle, de nouveau.

─ Autre chose …

Noam se penche et lui embrasse la joue, subitement, mais avec douceur.

─ J’ai entendu des deuxième année dire que le capitaine en pinçait pour la nouvelle coach.

Les joues de Moïra deviennent cramoisies, et son cœur s'agite. Face à ses yeux ronds, Noam se fend d’un grand rire franc, avant de rentrer de nouveau dans le bar.

A faire le bien, il semblerait que le bien vienne à eux.

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