EPILOGUE.

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Dans la vieille Alfa Romeo rouge, quatre corps s’entassent, rebondissant sur les banquettes. Ils roulent, assez vite d'ailleurs, sur l’autoroute pour se rendre à un évènement dont ils sont tous l’entreprise mandatée. Cam en avait eu l’idée muette, l’espoir secret, l’envie dévorante. Elle ne pensait cependant pas que cela prendrait autant de place dans leur vie et de taille en tant qu'entreprise. Dès qu’elle a exprimé sa vision, Acacia a été la première à l’aider, à tout abandonner pour l'accompagner dans ce projet, tout juste couché sur le papier. A deux, elles ont fait leurs recherches concernant les démarches juridiques, financières, et pensaient toutes les deux que cela s’arrêterait simplement à cela. Une boite de traiteur comme il en existe d'autres. Deux amies d'enfance avec des rêves un peu plus gros, et qui voulaient déformer la réalité à leur avantage, plutôt que d'en subir une autre. Elles savaient que cela serait difficile, mais elles étaient également persuadées qu'elles s’en sortiraient, quoi qu'il arrive.

En revanche, ni Acacia ni Cam ne s'attendaient à ce que, un soir, alors qu’ils prenaient un verre en ville, tous ensemble, Hugo et Théodore n'aient cet air encore un peu plus complice qu'à l'accoutumée. Florian, en bon retardataire, n'a pas vu Hugo sortir de sa serviette en cuir, un dossier jaune pastel. Quand elle l'a déposé sur la table, les deux femme ont pu y lire une annotation au marqueur noir : "association TACHA FETA évènementiel". Surprises, elles sont resté la bouche ouverte sans que rien n'en sorte, sous l'étonnement, l'émotion, l'excitation. Les larmes sont même monté aux yeux d'Acacia. Ils venaient d'officiellement mettre en route, tous les cinq, une entreprise où ils y seraient tous acteurs, tous associés, à parts égales. Et tout a pu prendre forme parce que Théodore, écartelé entre une promotion ou d'autres horizons, a porté son dévolu sur la seconde option. Il a quitté son emploi, de la même manière qu'Acacia. Et Hugo a également levé le pied à son poste de responsable éditorial, elle a trouvé sa succession, même si elle y garde toujours un regard et une présence attentive. Pour Florian, il a fait le choix de passer en mi-temps, pour pouvoir prendre le temps entre ses deux passions : les projets de ses amis, et les chantiers navales.

A l’arrière de la voiture, Hugo jette un dernier coup d’œil aux devis réalisés, elle vérifie les informations qu’ils ont a régler sur place, dès leur arrivée, ainsi que la partie logistique dont Théodore s'occupe, aidé de son ami d'enfance. Si Théo est au volant, à son côté, Cam suit l’avancement de tout l'aspect gastronomique, à distance, par téléphone avec les cuisiniers qu'ils sont parvenus à embaucher. Acacia, elle, prend le temps de suivre le paysage qui défile, elle se détend, se vide la tête. Elle pensait avoir déjà tout imaginé, elle n’aurait jamais cru pouvoir travailler avec eux tous, et voir l'entreprise fleurir, s'agrandir, se développer de façon exponentielle. Tous les cinq, ils se complètent, ils se coordonnent, et peuvent même choisir les choses qu'ils préfèrent faire, tant qu'elles sont faites en temps et en heure. Ce succès se justifie peut-être par cette complicité et cette compréhension qui dépassent l’entendement. Ils marchent à l'instinct, et cela se révèle très utile dans leurs prévisions.

Théodore déclenche son clignotant, ils sortent de la voie rapide, pour se glisser bientôt sur des chemin de campagne, de béton fatigué, devenu gris. Les creux et les bossent agitent les corps dans l'habitacle, et cela les fait rire, comme des adolescents en road-trip. Cela fait redescendre la pression aussi. La vieille voiture se gare enfin. Quand ils en sortent, leurs pas craquent sur les gravillons qui délimitent le chemin de la cour d'un ancienne ferme rénovée, là où se déroule leur évènement. D'un point de vue extérieur, à eux cinq, habillés des couleurs de leur entreprise, s'avançant jusqu'au bâtiment, ils en imposent. Un peu à la manière de ces scènes mythiques et inspirantes de films, où les personnages principaux avancent au ralenti. Sans perdre de temps, ils se présentent à tous les fournisseurs déjà sur place, et se séparent selon leur domaine de gestion. Les choses prennent forment. Personne ne crie, personne n’angoisse, ils sont concentrés.

Ils n'ont pas été mandatés pour un mariage à une centaine de couverts, et bâtiment cossu, ou une fête de départ à la retraire, avec de nombreuses invités et des décorations colorées, et ce n'est pas non plus une soirée réunissant plusieurs entreprises et leurs clients les plus importants, trinquant au champagne dans une salle habillée sobrement. C’est un simple anniversaire, en comité restreint. La cliente voulait faire les choses bien, que tout soit à sa place pour marquer le coup. Ils ont réservé un simple terrain avec vue sur la mer, près de la côte. Ils y installent bientôt de larges tonnelles, affublées des guirlandes aux ampoules de différentes teintes, des ballons.

Sous le nouveau soleil de printemps, légèrement piquant, l’herbe est craquante, et la brise marine souffle doucement, faisant chuchoter les feuilles encore vertes dans la cime des arbres plantés tout autour.

Théodore et Acacia s'accordent et prennent le temps de mettre en place les animations prévues. Un filet de volleyball, une piscine à balle, une cible de tir à l'arc, un jeu de quilles. Et, pour les adultes, ils prennent le temps de mettre en place un petit bar à l’ombre des arbres, des meubles de jardin, un hamac. En réalité, le terrain est privé, mais puisqu’il est si étendu, et éloigné de la maison principale, nichée sur la côte, au-dessus de la mer, on pourrait croire qu’ils sont seuls au monde. La seule qui est à l’intérieur, c’est Cam, en cuisine, bien évidemment. Accompagnée d'un jeune commis, elle dresse et prépare à l’avance les collations que leur cliente a choisi. Les ballons se répandent désormais jusqu’ici. Hugo la rejoint pour accrocher les nombreuses banderoles et autre ballons en forme de chiffre.

S'ils prennent le temps pour s’appliquer, faire les choses bien, y mettre les détails ; l’heure tourne. Florian était sur le point de passer un appel, quand il voit arriver une nouvelle camionnette, floquée du logo de leur entreprise. Derrière celle-ci, une première voiture arrive et se gare dans la cour. C'est Erik qui s'en extirpe et passe la porte d'entrée, en short et t-shirt, ruisselant de sueur après un long jogging. Surpris à son arrivée, il prend le temps d’admirer les transformations qui ont été réalisées dans sa propre maison, et qui continuent de l'être. Il a le sourire rêveur, enfantin, coloré, brillant. Cam, occupée à décorer l'un des gâteaux, ne le remarque d’abord pas. Son fils la surprend en se penchant pour lui embrasser la joue en guise de salutation. Elle sursaute et lui lance d’abord un regard noir, qui s’adoucit en une seconde quand elle le reconnaît.

─ T'es bien mignon, mais hors-de-question que je te prenne dans mes bras, dans cet état.

La voix de la mère menace gentiment. Erik se met à rire, et fait mine de s’approcher d'elle, les bras grand ouverts, pour la taquiner. Le menaçant avec une poche à douille pleine, elle lui ordonne d’aller prendre une douche fissa, et de se changer, plutôt que de faire l’idiot. Les invités seront bientôt là. Erik s’exécute, après avoir fait un signe de la main, aux autres, occupés dehors. Il monte à l'étage, d'un pas léger.

Et, pendant que l'eau fraîche ruisselle sur son corps, ce sont Maura et Noam qui se présentent au même endroit, et les rejoignent. Maura a coupé ses cheveux, Noam, lui, les porte en un chignon. Ils saluent tous les parents présents, et ne se font pas prier pour donner un coup de main, eux aussi.

Maura et Acacia finissent en fou rire après avoir tenté d’installer une nouvelle tonnelle, soufflée, gonflée par les vents, et qui leur retombe tout simplement sur la tête. Quand Théodore et Noam se créent leur propre compétition idiote, puérile, en jouant les gros bras pour finir d’installer les meubles de jardin.

Quand Erik redescend, propre, changé, enfin prêt, il va pour se diriger vers sa mère, mais la porte s’ouvre sur Thom, les yeux soulignés de fatigue, par-dessous ses lunettes rondes qui lui vont si bien, et qui pourrait rendre dingue Erik. Celui-ci qui lui bondit d'ailleurs littéralement dessus pour le prendre dans ses bras et l’embrasser à plusieurs reprises.

─ Dure journée ?

─ Hugo est un tyran, j’ai dû relire tous les contrats.

Erik se met à rire, en lui caressant la joue, son autre bras autour de ses hanche, puis la voix de Cam résonne de nouveau.

─ Et je suis pire qu’elle ! Venez m’aider.

Erik rit de nouveau à cet appel, et tire son petit-ami par la main.

Tout se déroule chez Thom et Erik, mais la surprise n’est pas pour eux, ils l'offrent. Tout le monde travaille en un même projet, et c’est tellement satisfaisant de sentir leur communauté aussi proche, aussi resserrée. Ils ont créé leur propre grande famille, sans qu’il n’y ait que des liens du sang. Rapidement, la grande table est installée sur la terrasse, sous la pergola. Ils y ajoutent des chaises. Elles sont au nombre de douze, et Théodore a un léger pincement au cœur rien qu’en les regardant, toutes rassemblées au même endroit. Lui qui était seul, isolé, qui repoussait les autres, le voilà avec un cercle fermé et proche, de personnes, qu’il ne pensait pas mériter connaître et côtoyer. Même s’il se fait la remarque qu'une place n'est pas prise, et manque pour compléter pleinement le tableau. Noam lui tape subitement dans le dos.

─ Je te sens ému d’avoir réussi à tout sortir du camion, papy.

─ Espèce de-

Noam et Théodore se chamaillent, se coursent dehors puis à l'intérieur, comme des gamins, et Acacia essaie, vainement, de les arrêter de sa voix fluette. Mais rien n’y fait. Elle en rit. Sa robe blanche, fleurie, secouée par les vents, elle peut sentir les bras d’Adrien tout autour de ses hanches, et son odeur partout.

─ Ils arrivent dans dix minutes, Cam.

Hugo lui rapporte, en passant une tête par la porte de la cuisine, après avoir jeté un œil à sa montre. Voir la précision qu’elle met dans les détails de ses plats est impressionnant autant qu'attendrissant. Elle porte, sur ses épaules, malgré tout, un certain stress alors qu'elle connaît les invités. Un léger rire monte doucement de la part d'Hugo, en les voyant tous afféré et en panique ; et comme ils ne l'entendent pas souvent ce son, aussi clair et direct venant d'elle, Thom, Erik et Cam se retournent d’un seul homme vers l'origine du bruit, ahuris. Mais Hugo se reprend bien vite, main de fer dans un gant de velours.

─ Bougez-vous !

* * *

Quand l'entreprise a enfin décrété que tout était en place, ils s'attroupent tous à l’intérieur. Du salon, ouvert sur l'entrée, ils entendent trois portières claquer dans la cour. Tout le monde s’est garé où ils pouvaient, et la présence de toutes ces voitures réunies va sans doute les dénoncer. Mais Erik compte sur le fait qu'il a attiré les invités ici, sous couvert d'un simple repas de famille, une réunion. Trois petites marches franchies, et Aline pousse bientôt la porte d’entrée. Avant qu'elle ne puisse appeler ses amis d'enfance, étonnée qu'ils ne l'aient pas accueilli dès l'extérieur, tout le monde lâche un puissant « Surprise ! », et comme ils s' attendaient tous, les prunelles d'Aline deviennent liquides, de joie, touchée, rien qu’en les découvrant tous ensemble, réunis, ici. Un véritable paravent de personne. Ils sont nombreux, tout sourire, fiers d'eux. La réaction de la jeune femme les fait rire, mais en particulier, Vadim, dans son dos, leur fille dans les bras. La petite tapant dans ses mains, dans l’euphorie qu’elle peut ressentir, rien que dans la pièce.

─ Quand est-ce que vous allez arrêter vos bêtises ?!

Nouveaux rires qui montent dans les pièces, résonnent contre les murs, jusqu'au-dehors. Aline a vingt-six ans, et elle ne pouvait pas rêver mieux pour fêter cette journée, qu'en compagnie de toutes ces personnes, qui lui sont toujours aussi chères. Les joues humides, elle prend le temps de les remercie, chacun, un par un, et de les serrer dans ses bras, avec chaleur. Ses parents lui embrassent le front, fiers d’elle, et amusés de la voir aussi sensible. Noam, Florian, Thom et Erik lui ébouriffent les cheveux en lui annonçant qui sont les gagnants des paris misés sur elle et sa réaction, ce qui leur vaut un coup de poing dans l’épaule, à chacun. Certaines choses ne changeront jamais. Maura, Acacia et Cam la prennent dans leurs bras, tour à tour, en lui souhaitant un bon anniversaire. Maura, habituée à ses émotions en effusion désormais, lui tend un mouchoir. Et, après son tour de remerciement, Aline se retourne vers Vadim, et affiche une moue légèrement boudeuse, parce qu’elle sait très bien qu’il est l’instigateur de tout cet évènement, qu'il était au courant. Ils s’embrassent, tandis que Drina, encore maladroite sur ses petits pieds, brise déjà des cœurs auprès de l’assistance.

* * *

─ C’est pas trop dur pour Thom ?

Aline demande à Erik, après leur repas de rois, et l'ouverture des cadeaux. Installés en travers du hamac, côte à côte, le soleil tombe doucement, dans leurs dos, et le brouhaha provenant de la terrasse se mêlent au bruit des vagues. Il s’agit là de leur nouvelle mélodie quotidienne pour Erik et Thom. Le premier avait imaginé vivre dans pareil bâtisse il y a sept ans, c'est désormais chose faite, grâce aux premiers chèques de son salaire de joueur national, de haut niveau, ainsi que de ceux que Thom a obtenus grâce à son roman à succès "Ce Qu'ils Ne Nous Ont Jamais Dit".

Leurs verres déposés dans l’herbe, non loin d'eux, du vin blanc pour elle, de l'eau pétillante pour lui ; ils prennent le temps de se retrouver tous les deux. Un moment qu’ils n’avaient pas pu avoir, depuis de longs mois. S’ils étaient tout le temps fourrés ensemble durant leur enfance, leur adolescence, désormais leurs vies d’adultes a fini par les éloigner, malgré eux.

─ On est toujours heureux de se retrouver, mais je sens bien qu’à chaque fois que je pars, c’est de plus en plus compliqué.

Généralement, à chaque départ pour un match important, de qualification, Noam vient le chercher en voiture, très tôt le matin, pour qu'ils se rendent ensemble à l'aéroport et montent dans un avion pour une nouvelle destination. Erik, au fil des ans, s’est habitué à ces baisers entrecoupés d’un long moment d’absence, avant le prochain. Thom, souvent en pyjama, l’air endormi, ses boucles mélangées par la nuit, qu'il a laissé plus longues, tout autour de son visage. Il se lève toujours pour le voir partir, avant une compétition à l’étranger, lui souffler qu'il l'aime, lui demander de faire attention à lui, et de gagner, bien évidemment. La préparation du café, dans leur cuisine avec vue sur la mer, est devenu un de leur rituels sacrés. Erik et Noam sont des joueurs professionnels, et cela ne leur laissent pas toujours la possibilité de rester où leurs proches se trouvent.

─ Maura m’a examiné dernièrement et ça ne s’arrange pas.

─ Ta cheville ?

Erik hoche la tête, et termine son verre, les yeux vers le ciel. Aline peut y voir toute la douleur qu’il ressent, la frustration immense, de savoir que, bientôt, il devra lever le pied et se mettre à l’écart des terrains, parce que son corps ne le supportera plus. Il devra s’éloigner d’un monde qui l’a fait et vu éclore, grandir, et sans doute, devenir la personne qu’il est aujourd’hui. Elle dépose une main contre son dos, et lui caresse, doucement, rassurante. Erik devra, tôt ou tard, tourner cette page, même s’il n’y est pas encore totalement prêt, même s'il est encore jeune.

De l’autre côté du jardin, Hugo, attendrie, caresse doucement les cheveux de sa petite-fille, ensommeillée, sur ses genoux. Parfois, dans la légèreté de ses cheveux clairs, ses rires en pépiements d'oiseaux, elle croit y voir une ressemblance avec son ami d’enfance, à s’y méprendre, et cela l’a, d’abord, quelque peu chamboulée. Un peu plus loin, à la table, Théodore et Florian discutent de leur prochaine sortie en mer. Ils n’en n’ont pas perdu le goût, et ils aimeraient qu’Erik ait le temps de se joindre à eux, parfois. Sans savoir que leur vœu sera bientôt exaucé. Maura, à l’autre bout de cette même table, raconte à Thom, Acacia, Cam et Vadim, la façon dont Noam a glissé, visage d’abord, contre le filet, lors d’un match de qualification. L’acteur de l’anecdote, en a les joues rougies de honte, et les rires montent de nouveau. Maura fait toujours partie de ce milieu, et elle sait que dans un avenir proche, elle aura de nouvelles responsabilités. Différentes, mais tout autant intéressantes, et elle sait que ce repas est aussi une façon pour Noam de convaincre une des personnes présentes, de s'associer à cette idée, qui commence à prendre forme.

Les conversations vont bon train, les groupes se forment et se défont. Les verres se remplissent et se vident à mesure que la nuit avance. C’est un véritable cocon de chaleur, et de bienveillance qu’ils forment face au monde. Face aux blessures, aux rancœur, aux promesses tenues ou non, aux pardons. Trois générations entières se tiennent là, et semblent s’être désolidariser d’un cercle de tourmentes et de silences, qu’ils semblaient perpétrer, sans le savoir. Ils ont fait le choix de briser cette roue, tendre le bras vers ce qui les anime vraiment, et ont pris leurs relations en mains pour ne plus qu'elles leur échappent.

Théodore ne boit plus une goutte d’alcool. Il a fait une croix dessus parce qu'il a compris qu'il voulait être un meilleur homme, un meilleur mari, un meilleur père. Et, un grand-père génial et malicieux, désormais. De le voir tenir sa promesse, qu'il s'est faite il y a des années, pour en arriver à ce soir, font se serrer les doigts d’Hugo entre les siens, un peu plus fort, un peu plus solidement, dans le temps.

Pour Hugo c'est son choix de prendre du recul professionnellement pour se rapprocher de ce et ceux qu’elle aime, de ce qui lui apparaît important ; qui a fait toute la différence. Quand Thom lui a avoué être intéressé pour travailler auprès d’elle, il y a sept ans, elle l’a pris comme une succession toute trouvée. Comme ce fils qu'elle n'aura jamais, elle l'a glissé sous son aile. Elle a voulu tout lui apprendre, tout lui montrer. Hugo ne veut plus fuir. Elle veut donner de la voix, elle veut être présente, elle compte bien prendre de la place.

Acacia, en vieillissant et voyant son fils devenir l'homme qu'elle connaît aujourd'hui, s’est faite à l’idée que ses fantômes resteront toujours auprès d’elle, quelque part, proches sans l'écraser. Elle se refuse à ce que cela soit un frein pour laisser entrer les vivants dans sa vie. Elle n’a eu, et n’aura qu’un seul amour dans cette vie-ci, et ça lui convient. C'est déjà une chance énorme, qu'elle louera toujours, jusqu'à la fin. L’entreprise lui prend de nombreuses heures de son temps, du stress, une pression de bien faire ; mais le simple fait de savoir qu'elle partage tout ça avec ses amis d’enfance, lui suffit. Pour cela aussi, elle se sent grande chanceuse. Sans compter que son fils, même à son âge, ne rate jamais une occasion de lui rendre visite. Il reste souvent avec elle, quand Erik est à l’étranger, il a besoin de présence, de se tenir dans un foyer habité, ampli de vie, et chaleureux. Ils ont une relation si forte que, parfois, elle se demande s’il aurait pu en être de même avec son propre père. En tout cas, Adrien serait fier. Ils ont saisi ce qui leur manquait, l’ont transformé en ce qui les réjouit, les rapproche.

Cam, qui a pour ainsi dire, souvent fait cavalier seule, dans son enfance, puis son travail, sait très bien qu’il lui faudra, un jour, imiter Hugo et alléger la pression. Elle s’implique, peut-être de trop, y met trop de cœur peut-être, mais elle désire tant donner vie aux imaginations de ses clients, si ce n’est plus. Et le soutien indéfectible que lui accorde Florian, chaque jour, dans de petits détails, lui font pleinement comprendre qu’elle ne sera probablement pas aller aussi loin, en étant restée désespérément amoureuse de Théodore, s'ils s'étaient cédé. Ce n’est pas un reproche, mais bien une compréhension. Ils n’étaient tous simplement pas fait l’un pour l’autre, ils ne devaient pas l'être.

Florian s’est très bien rendu compte, en travaillant auprès d’eux, dans cette joie de l'accomplissement mêlé de paroles houleuses parfois, quand il n’est pas retenu au bureau, qu’ils sont faits du même bois. Florian aurait pu faire partie de cette bande d’amis d’enfance, dès le départ, qui l'est toujours aujourd’hui. Parfois, il aurait aimé, lui aussi, connaître Adrien, et faire partie de ces souvenirs couleur sépia.

Malgré les mises en garde qu'a pu avoir Noam, il y a quelques années, Erik se fait souvent la réflexion que son ami s’est trompé, et lourdement. La seule souffrance qu’Erik et Thom peuvent partager est celle de la distance. Mais elle ne se met pas entre eux, elle ne créait pas de défiance, de doutes, de jalousies, elle ne nécrose pas leur relation. Ils subissent, simplement. Si Erik l’a connu timide, et incapable de dire le fond de sa pensée, ce n’est plus le cas désormais. Et il est heureux d’être avec une personne aussi sincère et impliquée dans sa vie, et ses envies, ses projets pour l’avenir. Il le sait, rien n’est acquis, rien n'est garanti ni constant Parfois le ton monte, mais ils sont tout simplement capables de passer au-dessus et quoi qu'il arrive. Comme Acacia avant lui, Thom a trouvé cette personne qui fait la différence, qui rayonne plus fort dans ses yeux, et tout près de son cœur. Même si Thom se demande encore, de temps à autre, quand il est plongé dans ses pensées, comment tout cela peut être réel. Il cherche l'explication qui rend rationnel le fait qu'ils se soient trouvé, l'un l'autre, à quinze et seize ans, et soutenu jusqu'à maintenant. Mais quand il aperçoit le sourire ensoleillé qu’arbore Erik, sa valise à la main, en rentrant à la maison, ses doutes s’étiolent, s’effacent, se désintègrent au contact de l’air.

Cela est un peu différent pour Vadim et Aline. Certes, ils n’avaient pas complètement prévu l’arrivée de Drina, et les sentiments qui circulent entre eux chassent leur panique momentanée, et les questions qu’ils peuvent avoir. Mais parfois, Aline ressent le fait qu'ils courent après le temps, qu'ils essaient de le retenir encore un peu, de profiter de cette insouciance dont ils leur restent encore un goût sucré sur la langue. Ils ont changé, ils sont bien loin des jeunes adultes qu'ils ont été, et peut-être qu'Aline en éprouve un manque, une demande. Elle n'est pas complètement sûre, et elle sent ses doutes grossir de jour en jour. Elle ne remet pas en cause Vadim, sur rien. Pas sur son comportement ni l'attachement qu'il a pour la famille qu'ils ont construite à deux. Cependant, elle ne peut, pour autant, pas chasser cette soif de soirées d'ivresse, de décisions sur un coup de tête, de départs non-organisés. La jeune mère ne sait pas s'il s'agit d'un retour, justement, de sa nouvelle condition, mais elle sait que ces pensées ne s'évanouiront pas de sitôt.

Parce qu’ils étaient les oubliés du silence, ceux à qui ont ne leur a jamais dit, ils ont été capable de briser ces barrières, et ont choisi de dire les choses, plutôt que de subir celles qu’on leur imposait. Ils ont refusé les larmes, les blessures, se sont relevé à chaque fois, et il en sera de même pour ceux qui les suivront, et ceux qu’ils impactent. Ils sont un réseau de communications capable du meilleur.

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