M-95 2

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L'agacement causé par la culpabilité de Johanne gâcha un peu son premier cours de langue des signes. Leur professeur leur imposa le silence et entreprit de leur faire apprendre les premiers signes juste en observant. Son expressivité était contagieuse et même Maurine – qui les avait rejoints vaguement calmée – se prit au jeu et rit de bon cœur en essayant d'imaginer le signe pour dire «  merci  ». Ils sortirent avec le devoir de se trouver à chacun un nom-signe.

– En plus, elle a beau dire que nous supportons sans broncher d'être pris comme cobaye, reprit Johanne.

Ce qui l'avait le plus blessé était le revirement de Rebecca. La timide fille lui avait fait une bonne impression et elle espérait s'en faire une amie. Le fait qu'elle brodait jouait beaucoup sur son appréciation. Johanne la trouvait injuste de s'être mis en défense de Léopoldine.

– Nous sommes des enfants, on ne nous demande jamais notre avis.

– Peut-être que dans son monde à elle, les choses en allaient autrement, supposa Kouakou.

– Mouais.

Ils enchaînèrent sur un cours d'humanités, plus classique et un autre de théories scientifiques avant le déjeuner. Rebecca et Léopoldine leur faisaient toujours la tête et ils s'attablèrent avec Maurine et une autre fille du nom de Bouchra. L'une comme l'autre se révélèrent imbuvable. La première se la jouait rebelle et provocatrice – d'une manière moins supportable que Ludovic – et l'autre voulut faire un concours des plus à plaindre. La manière presque perverse dont elle posait les questions leur fit froid dans le dos.

– Rassure-moi, Jo, je n'ai pas été aussi intrusif lorsque je t'ai interrogé sur tes parents  ? demanda Kouakou après une demi-heure de supplice.

Johanne secoua la tête.

L'après-midi se déroula avec deux ateliers découvertes.

Rebecca continua à leur faire la tête, même lorsque Johanne lui donna un coup de main pour la réalisation d'origamis. Ni Rebecca, ni Léopoldine ne s'y retrouvaient dans les pliages.

En fin d'après-midi, Johanne n'en put plus et alla régler ses comptes.

– Très bien, je m'excuse de t'avoir traitée de bourge et d'avoir eu un ton un peu dur. Et je te pardonne de ton mépris de classes, je mets ça sur le compte du changement. Et toi, Rebecca, je me permets juste de te dire que je te trouve un peu injuste envers moi. Je n'ai pas été plus insultante que Léopoldine. C'est tout ce que j'ai à dire, en espérant que nous pourrons repartir d'un bon pied. Sur ce, je vais faire un tour du parc.

Aussitôt dit, aussitôt fait, elle tourna les talons et se dirigea vers le rez-de-chaussée. Kouakou hocha la tête à son arrivée.

– Ça a été  ? demanda-t-elle.

– Un poil rentre-dedans, je dirais. Très français, si je peux me permettre, néanmoins tu as eu le mérite de présenter tes excuses et de poser les choses à plat.

Le parc se révéla une source d'émerveillement pour Johanne  : grand, vert et équipé d'agrès. Sans mentionner les nombreux arbres chargés de pierreries. Il lui fallut courir et grimper dans les plus hauts. Kouakou se contenta de s'installer sur un banc et de lire sur son Amci.

– Ce sont vraiment des pierres, cria Johanne à son ami. Elle est magnifique  ! On dirait un saphir  !

– Je vois d'ici que ce qui ressemble à des touffes d'herbes vertes sont plus proches du cactus, commenta Kouakou en levant la tête.

Un joli saphir dans sa poche, Johanne descendit explorer les agrès. Il y en avait bien assez pour que les élèves puissent se les partager. Elle s'agrippa à des barres hautes, puis s'attaqua au saute-mouton quand la tête lui tourna. Des papillons lumineux dansaient sur ses yeux.

– Kouakou… appela-t-elle faiblement avant de sombrer dans le noir.

Elle faisait un rêve très agréable, où elle était dans une fusée sur le point de décoller. Des voix l'appelaient. «  Je ne veux pass me réveiller  » pensa-t-elle, mais la conscience prit le pas et elle se retrouva en pleine confusion avec la tête d'un type barbu sur fond fuchsia.

– Comment tu te sens  ? demanda-t-il doucement.

Ses yeux rieur du matin se montraient soucieux.

– Ça va… Qu'est-ce qui s'est passé  ?

– Tu as fait un malaise, expliqua le barbu. Ça t'es déjà arrivé  ?

– Non.

– As-tu mal quelque part  ?

– Non, je me sens bien, juste un peu faible.

Il la fit se redresser lentement en la fixant du regard.

Il y avait tout un attroupement autour d'elle et elle en conçut de la honte. Nadou éparpilla la troupe et s'accroupit à l'aide de sa canne.

– Tu es une nouvelle, toi, on ne t'a pas dit que les activités physiques étaient interdites la première semaine  ?

– Personne ne nous l'a dit, Madame, répondit Kouakou.

– Appelle-moi Nadou, mon garçon. Allez, ma petite, avale cette barre chocolatée et va donc t'amuser plus calmement.

– Attention, je te garde à l'œil, gronda le barbu avec une mimique comique.

La barre était une sous-marque de chocolat au biscuit. Johanne en proposa un bout à Kouakou. Avec l'expression de celui qui se sacrifie, il l'encouragea à la manger entièrement  : elle en avait plus besoin.

Un haut-mur séparait le parc de l'extérieur, sa taille rendait impossible de voir au-delà. Il se dirigèrent vers lui, pour en faire le tour quand une élève les rejoignit.

– Bonjour, je suis Valentine, une élève de deuxième année. Comment sa passe votre première journée  ?

– Comment sais-tu que nous sommes nouveaux  ? demanda Johanne.

– Facile  : nous ne sommes pas assez nombreux pour que je ne reconnaisse pas les nouvelles têtes et ce sont toujours les nouveaux qui s'évanouissent dans la première semaine.

– On ne nous a rien dit, pesta Johanne.

– Doki a du oublier, fit Valentine en haussant les épaules. Si vous avez des questions, vous pouvez me les poser.

– Parfait, se réjouit Kouakou. Tout d'abord, comment s'appelle l'enseignant là-bas.

Il désigna le barbu.

– C'est notre prof d'arts martiaux et de sport, il s'appelle Sylvestre, répondit Valentine. En fait, à la base il se faisait appeler Grominet, c'était une plaisanterie avec Titi, mais Doki est l'un des seuls à l'appeler comme ça. Les autres adultes trouvent cela trop ridicule. Nous, on n'ose pas.

– Cela m'amène à ma seconde interrogation, d'où viennent tous ces patronymes étranges  ? Au final, nous ne connaissons aucun nom de nos enseignants  !

Effectivement, Johanne avait accepté les noms étranges et les surnoms sans s'interroger car ils étaient dans un autre monde et donc, cela lui semblait normal.

– Ah, vous n'avez pas eu le cours sur Métallirose  ?

– Métalliquoi  ?

– C'est comme ça qu'on appelle M-95 entre nous. Hé bien, je ne vous gâcherai pas cette information. Sachez juste qu'il faudra vous aussi vous trouver un pseudonyme. Je ne m'appelle pas Valentine, en réalité, mais seuls les professeurs et mes camarades connaissent mon nom  !

Kouakou et Johanne se jetèrent un regard déstabilisé. Cela devenait vraiment étrange.

– Je me demande si nous ne devrons pas nous battre, en fin de compte, commenta Johanne en revenant vers le pensionnat.

– Ou devenir des espions malgré nous, renchérit Kouakou.

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