Brute et alitée 2

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Tu es folle.

– Il faut de la folie pour accomplir de grandes choses.

Johanne fixait l'horizon exotique et menaçant de M-95. Le ciel de Metallirose proposait plusieurs variations de fuchsia. Son sol, quant à lui, montrait présentait des bruns très proches de la Terre  : très foncé et humide dans le potager, sec et clair au-delà du mur. Des montagnes bleues végétales et jaunes s'étendaient là où devrait être un océan sur la côte ouest de la France.

Johanne passa rapidement sur les forêts chatoyantes et irisées et un lac aux reflets indigo pour arrêter sa scrutation sur un tas de gravats à moins de deux kilomètres de là. D'autres monticules peu ragoûtants s'élevaient dans la plaine, trop loin pour pouvoir être la décharge.

La voix de Kouakou résonna dans son oreillette  :

– Je suis parvenu à rallier Ludovic, je n'ai pas dû insister de trop avec lui. Il aime à déjouer les règles.

Moi aussi, quand cela s'avère nécessaire.

– Je maintiens que cette action est téméraire.

– Si ce n'est plus de la folie, je progresse, ricana Johanne.

Elle entendit son ami soupirer dans son coin.

– Décharge à onze heures, le chemin qui y mène est dégagé. Trop dangereux, je passerai par les broussailles et arbustes qui bordent la route.

– Des broussailles aux feuilles rocheuses…

– Je m'équiperai d'un jean épais et d'une veste rembourrée.


Tout au long de la soirée, Johanne eut l'impression que Nadou la regardait du coin de l'œil. La gouvernante avait rendu visite à Rebecca, toujours alitée et depuis jouait aux cartes dans le salon où s'étaient installés plusieurs élèves de première année.

Fidèle à sa mission, Ludovic leur envoyait de temps en temps des textos sur les allées et venues des adultes et leurs prises de poste. Les deux comploteurs prétendaient jouer sur leurs Amci et s'échanger des conseils pour cacher qu'ils planifiaient leur trajet.

À l'heure de l'extinction des feux des première année, Nadou prit à partie Johanne. L'estomac noué, elle suivit la gouvernante jusqu'à son bureau.

– J'ai eu vent de ton opposition avec ta camarade, annonça Nadou en s'asseyant sur sa chaise en paille qui protesta.

– Laquelle, demanda machinalement Johanne.

– Celle qui t'a causé une punition.

Elle leva le doigt et l'agita.

– Il n'est pas toujours facile d'être équitable dans un établissement de cette taille, mais la justice est la responsabilité de l'équipe pédagogique. Si tu as des ennuis avec quelqu'un, tu dois m'en référer, sans quoi je ne pourrai rien faire. Tu ne voudrais pas que je punisse sans preuves  ? Ce serait le chaos des coups dans le dos. Maintenant, je t'écoute, dis-moi ce que tu lui reproches.

Johanne hocha les épaules.

– Elle ne retient pas ses coups au cours de bâton, insulte dans le dos des profs, humilie les gens et s'en est prise à une broderie très importante pour Rebecca.

Nadou hocha la tête, l'air grave.

– J'ai entendu cette dernière accusation. Je suis désolée pour Rebecca, on l'aurait appris plus tôt… ce serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. En plus, avec les derniers événements il faut être encore plus précautionneux dans cette zone.

Elle soupira.

– Cette affaire ne te concerne pas. Tu dis «  des gens  », qui a-t-elle humilié  ?

– Kouakou, Rebecca, Laurie aussi. De ce que je sais.

– Pas toi  ?

Johanne secoua la tête.

– C'est chevaleresque de ta part de prendre la défense de tes camarades, ma fille, mais tu dois apprendre l'art et à la manière de le faire. En devenant toi-même agresseuse, tu nourris le cycle de la violence…

– Je me suis déjà excusé, se défendit Johanne, vexée.

– Et tu ne responsabilises pas tes camarades, acheva Nadou. Amène-les à venir me voir, la prochaine fois. Je sais que tu as de l'influence, fais-en bon usage.

Johanne s'apprêtait à sortir quand la gouvernante la retint  :

– La prochaine fois, vous me montrerez votre jeu, que je m'amuse avec vous  !

Kouakou attendait dans le couloir. Il lui jeta un regard interrogatif. Elle fit signe d'attendre. Ce ne fut qu'en atteignant l'aile des salles de classe, désertées à cette heure, qu'elle lui confia ce que lui avait dit Nadou.

– Quelque part, j'aurai moi-même dû le signaler, soupira le garçon, cela aurait peut-être pu épargner Rebecca.

Johanne hocha les épaules. Elle était particulièrement vexée qu'on la juge non concernée par les agissements de Maurine, après tout, elle s'en était prise à son ami  !

– Quoi qu'il en soit, ils ne feront rien pour la broderie.

Convaincue qu'elle devait agir sur ce dernier point, Johanne prépara à son escapade.


Quand l'aile droite de l'académie fut silencieuse, Johanne quitta son lit et ouvrit la porte.

– Tu vas où  ? chuchota une voix à moitié endormie.

– Toilette, répondit Johanne sur le même ton.

– En basket  ?

– J'ai pas de chaussons et le sol est froid.

Elle pesta intérieurement sur la manie de Bouchra de se mêler de tout. Cette fille avait l'œil pour tous les détails qui pouvaient faire un bon ragot. Heureusement, il faisait assez sombre pour que sa camarade ne visse  pas sa veste et son pantalon.

Elle sortit dans le couloir vide. Les enseignants ne le surveillaient plus après le coucher des aînés. Johanne monta au quatrième étage qui reliait les deux ailes et passa dans celle de gauche. Des cliquetis filtraient derrière les portes blindées. Elle ne s'attarda pas et descendit à pas de loups. Coutumier des sorties nocturnes, Ludovic l'avait informée de la présence tardive de chercheurs dans les laboratoires qui occupaient les deux derniers étages.

La salle des professeurs, au rez-de-chaussée, était aussi à éviter. Il fallait emprunter la sortie par le couloir de l'infirmerie. La tâche la plus ardue serait de passer par l'escalier central du premier étage dans l'entrée.

Johanne entendit des voix au troisième et s'arrêta, accroupie, dans les escaliers. Elle étira la tête de sorte à regarder au tournant sans trop se montrer. Une porte était ouverte, laissant passer de la lumière dans le couloir. Au même moment des pas venant du deuxième étage indiquaient que quelqu'un montait.

Il fallait qu'elle passe. Johanne se releva et avança aussi vite et silencieusement que possible.

– Regarde donc ça, fit une voix.

Espérant que ce que la cible des regards était opposé à la porte, Johanne marcha rapidement. En un coup d'œil, elle vit des ordinateurs, des câbles et une grosse machinerie dans un coin qui produisait un bourdonnement. Les dos des adultes la rassurèrent et elle poursuivit sa traversée sans bruit.

Parvenue à l'autre bout du couloir, elle bondit dans l'escalier avant que la personne qui montait, n'arrive à l'autre palier.

Titi, le cerbère des lieux, se tenait devant la porte principale dans l'entrée. Il tourna la clé et pivota. Johanne se rejeta contre le mur en priant qu'il ne monte pas. Le grincement de ses semelles se rapprocha.

– Ce n'est pas l'heure pour une promenade  ! claqua sa voix dans le vestibule.

Johanne sentit son cœur s'arrêter.

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