La meilleure solution était de ne pas y retourner. Surtout avec Antoine : ce serait avouer son attirance pour un de ces déviants, ce qu’il avait toujours nié. Ce serait également, par cet affichage, avoir du mépris pour le seul qui lui avait montré de la bienveillance.

Il fut pris au dépourvu quand Antoine l’invita à y aller ensemble. Il avait forcément deviné un événement majeur de la soirée précédente, convaincu de n’y être pour rien. Décidément, ce garçon avait une grande générosité ! Il ne savait comment le remercier. Pour autant, ce soir-là serait décisif, dans un sens ou dans l’autre, que l’archange vienne ou non. Comment le destin pouvait-il se condenser en une poignée de minutes ? Sa vie allait se jouer, et il ne maitrisait rien. Le condamné qui monte l’échafaud…

Il refusa cette confrontation avec son avenir, ce jet de dés qui le dépassait. Antoine usa de persuasion, finit par comprendre qu’il avait subi un refus. Pris d’une tendresse pour cette âme blessée, il le serra dans ses bras, déposant un baiser sur sa joue. Ce garçon lui plaisait infiniment, même s’il était indiscernable. Ce réconfort l’encouragea à affronter sa vérité. Antoine était curieux de savoir l’objet du malheur. Il connaissait un grand nombre de ces hommes, en ayant pratiqué certains, ou ayant noué des fraternités de genre.

Quand l’archange apparut, Antoine sut que c’était lui au changement d’attitude de son compagnon. Yoann ! Forcément ! Qui ne tomberait pas sous son charme ! Antoine fut pris d’une tristesse pour son jeune ami.

Yoann semblait seul ce soir-là. Il papillonnait entre les tables, embrassant les uns et les autres. Leur table n’était pas dans sa zone d’exploration. Antoine se leva, invitant son compagnon à venir danser. Pourtant, il savait son embarras sur la piste, son inadaptation à agiter son corps devant les autres.

Il le suivit cependant. Antoine se dépensait, tout en attirant son partenaire vers la zone de visibilité de Yoann. Ce dernier se mit à danser et se trouva face à lui. Un imperceptible ralentissement de ses mouvements marqua sa surprise. Décidément, ce garçon lui plaisait, malgré sa gaucherie ridicule à se dandiner. Dans les lumières stroboscopiques, il fut certain de voir un rougissement. Trop craquant. Yoann s’approcha de ce danseur et lui tendit la main. Le jeune accepta et se laissa guider. Sa maladresse était désespérante. Yoann savait déjà qu’ils finiraient dans le même lit, il en avait trop envie. Mais il voulait s’amuser avant, se dépenser dans la folie pour évacuer cette semaine de travail sans intérêt.

Il prit le garçon dans ses bras, maitrisant son agitation désordonnée et lui prit la bouche dans un long baiser. Il s’écarta, le remerciant de son sourire qui vous faisait lui appartenir. Il le conduisit à une table isolée, l’embrassa à nouveau en lui disant de l’attendre. L’autre était à sa dévotion, prêt à tout pour le voir revenir. Il attendit sagement plusieurs heures, dévorant des yeux son ange qui alternait les partenaires, réservant ses baisers à celui qui patientait sagement.

Yoann lui avait tendu un comprimé jaune, lui disant que cela lui ferait du bien. Il n’avait jamais pris de drogue. Il n’avait jamais été saoul, craignant de libérer des monstres qu’il voulait ignorer. Si son ange lui proposait, c’était pour son bien. Il flottait dans un bien-être et une libido exacerbée pour son idole. Au petit matin, il se laissa entrainer vers la réalisation de ses rêves. Il se laissa déshabiller, caresser, satisfaisant les demandes de son héros. Quand ce dernier le pénétra, il fut le plus heureux des hommes.

Il se réveilla un peu nauséeux. La lumière qui perçait derrière les rideaux, les bruits lui indiquaient un milieu de journée. Il avait mal dans le bas du ventre, à l’anus. Il était dans un lit, avec un homme beau comme un dieu. Se pouvait-il qu’il ait forniqué avec lui ? Sans doute, avec ces douleurs qui le travaillaient ! Il aurait dû être horrifié. Pourtant, ce jeune homme représentait l’absolu. Son désir se réveilla. Il avait envie, besoin, d’être aimé par cette perfection. Il le détailla. Des jambes longues, à peine couvertes d’un fin duvet, aux lignes harmonieuses. Au-dessus, légèrement gonflé, posé sur deux bourses, un pénis au prépuce à peine ouvert. Le pubis, couvert de poils taillés court, s’ouvrait vers un ventre aux abdominaux imperceptiblement dessinés. Des bras aussi peu velus, qu’on devinait forts. Enfin, le visage, apaisé dans le sommeil, un nez droit, un bel équilibre au-dessus de l’élégant triangle du menton. Enfin, cette chevelure abondante. Comment pouvait-on être aussi parfait ? L’aimer était une évidence.

Son examen avait avivé son désir. Sans s’en rendre compte, il se caressait doucement dans son extase contemplative.

Il se pencha vers l’ourlet de ses lèvres. L’haleine se ressentait des abus de la veille, mais il ne put retenir de poser ses lèvres sur cet appel à l’amour. Son compagnon se réveilla. Il devait avoir l’habitude de tels gestes, car il agrippa cette tête pour renforcer ce baiser. Son sexe se dressa. Yoann profita de son jeune partenaire débutant, usant la moindre parcelle de son corps. Ce dernier se laissait travailler, emporté par le plaisir, la soumission absolue à cet amour, ignorant les douleurs.

Yoann s’affaissa, dans un grand soupir de satisfaction. Il claqua les fesses de son apprenti pour l’envoyer se laver. La douche entraina les dernières marques sur ce corps ravi et meurtri. Quand il revint, son amant lui fit comprendre qu’il avait d’autres choses à faire. Il se retrouva sur le trottoir, en fin d’après-midi, loin de chez lui. Faute de transports, il marcha plus d’une heure, se perdant dans cette ville qu’il ne maitrisait pas, la tête dans une brume d’étoiles.