Théâtre kabuki
Le soleil se cache derrière une colline, comme un animal farceur derrière un rocher. Il se couche et descend lentement sous le chant aquatique des lieux. Je suis assise à l’arrière du cheval en compagnie de Jin Kazama. Je découvre la somptuosité de la forêt où des lucioles papillonnent autour de nous. Je me rends compte d’une chose extraordinaire, je suis au Japon aux côtés du patron. Il n’est pas bavard et cela le rend encore plus mystérieux. En traversant les différents sentiers de la forêt à cheval, je découvre des femmes en train de rentrer le linge dans une grande demeure. C’est ici que la secrétaire, ou bien l’assistante très particulière du patron, m’a habillée de ces vêtements. Je commence à avoir froid, mon kimono est déchiré. Jin arrête le cheval et descend sans moi. Les femmes s’empressent de lui retirer son armure pendant que je reste assise sur le canasson à le regarder s’éloigner. Les lumières des lanternes s’allument et je découvre avec émerveillement la beauté du jardin japonais. Le vert est flamboyant et le chemin qui mène à la maison est fantastique. La fameuse dame blonde arrive à cet instant pour me ramener à l’intérieur. Elle est aussi muette que Jin, je ne sais rien d’elle. Nous rentrons dans la demeure sans échanger un mot. Au bout du couloir, de nombreuses servantes se chargent de décorer et de ranger les lieux. Parmi elle, une retient mon attention. Elle est majestueuse. Sa tenue est aussi rouge que le sang et son regard aguicheur me rappelle les courtisanes japonaises. En me rapprochant davantage, je fais un bond renversant ! Sophie ? C’est elle ! Je suis perdue… Les deux femmes m’accompagnent dans une pièce pour me débarbouiller. Je veux des explications.
— Sophie ? Tu fiches quoi ici ? Je ne comprends plus rien !
— C’est le patron qui m’a fait venir ici…
— Comment ?
— Lorsque j'ai été renvoyée… Je suis partie directement au Japon.
— En si peu de temps ?
L’assistante du patron se prononce enfin.
— Tu as perdu connaissance pendant plus de deux jours. J’ai veillé sur toi.
— What?!
— Le patron me l’a ordonné.
Je me lève toute nue et je tourne en rond dans la pièce.
— Sophie, tu savais que le patron préparait quelque chose ?
— Pas en détail, mais je devais te distraire avec mon licenciement pour qu’Eléonore, son assistante, puisse se charger de toi. Elle ne l'a pas fait en douceur.
Je ne suis pas en train de rêver. En gros, si je comprends bien, le patron et mes deux autres collègues ont manigancé un stratagème afin de me kidnapper. Sophie est bien différente des journées précédentes.
— Eléonore… Tu connais Jin depuis combien de temps ?
— Je suis l'assistante de Jin depuis de nombreuses années. Comme toi, j’ai eu droit à une enveloppe…
— De quelle couleur ?
— De la même couleur, sauf qu’il n’y avait pas d’argent, seulement un contrat. Un contrat qui me force à me plier à ses moindres désirs…
— Tu couches avec lui ? Si c’est le cas, on est dans une impasse, affirme Sophie, embêtée.
— Non, j’ai été bien clair avec lui. Je ne couche pas avec mon patron.
Je me sens conne. Dans l’aspect moral, je ne voulais pas coucher avec lui. Mais je voulais sentir de nouvelles sensations et j’étais frustrée de voir ma voisine se taper Teddy. Je la critique et, pourtant, c’est ce que je souhaite aussi, un peu de piment dans ma misérable vie. Sophie découvre des larmes descendre sur mon visage. Elle me console et s’exprime.
— Je sais que tu ne m'aimes pas, Mala. Tu as beau être ma collègue, je sais que tu es profondément seule…
Elle n’a pas tort. Je n’arrive pas à me faire des amis parce que je sais d’emblée que je ne vaux rien. Jin Kazama est un homme puissant et son charisme peut faire trembler des montagnes. Sophie me confirme quand même qu’elle le fait pour ne pas perdre son travail. Et là, si elle ne se plie pas aux règles du patron, elle sera virée. C’est pour de vrai ! Le patron joue au chantage avec elles comme si c’était normal. Le son d'une cloche retentit. Je demande à Sophie où se trouve Jin. Il est dans ses appartements, il ne faut pas le déranger. Soudainement, une autre cloche résonne. Eléonore nous demande de porter un kimono de cérémonie. Ils sont tellement beaux ! Ils arborent de nombreuses couleurs qui mettent leur qualité en avant. Nous sommes habillées de la même manière mais ma couleur se distingue de la leur. Des silhouettes se dessinent sur les portes coulissantes, comme un théâtre d’ombres chinoises. Les servantes nous accompagnent dans un autre endroit de la maison. On marche pendant plusieurs minutes avant d’arriver devant la plus grande salle de la demeure. Une scène de théâtre se joue face à nous avec un décor floral et une lumière légèrement faible. Un homme se trouve en seiza. Il porte un unique kimono de samouraï et un masque terrifiant, le nô, celui du démon. Tout d’un coup, Eléonore et Sophie exécutent une danse traditionnelle sous le rythme de quelques instruments : des joueurs de shamisen prennent place dans ce vide absolu. Ce sont des femmes. Je me tiens au milieu de la pièce, stressée. Mes deux collègues exécutent des gestes spectaculaires et poétiques. Sophie me demande de répéter leur danse. Sans attendre, j'essaye de me calquer sur elle. Brusquement, Eléonore m'arrache une manche. Je suis tellement surprise que je trébuche. Je me relève, un peu déboussolée. Je répète les pas sans m’arrêter. Aussitôt, Sophie enchaîne à son tour en me tapant l'épaule avec un petit fouet. Celui des sadomasochistes ! Je me décale d'un pas vers la droite pour l’éviter, mais Eléonore reproduit la même chose, elle me fouette. Je repars vers la gauche et Sophie arrache ma deuxième manche. Je m'arrête en même temps que la musique, pendant que le samouraï se tient devant nous rubans à la main. Les filles se chargent de me les enrouler autour des bras. Que se passe-t-il ? Sous la panique, Sophie sort de sa tenue une corde épaisse qu'elle place entre mes dents. Elles se prosternent aussitôt et le samouraï dégaine deux grands katanas. Je veux m'échapper mais je suis pétrifiée par la peur. D'un mouvement rapide et précis, il enroule les rubans autour de son sabre qu’il plante directement au sol. Déséquilibrée, je reste sur un genou. Il fait de même pour l'autre bras. Je suis dans une position assez étrange. Mon corps bascule en arrière alors que je suis agenouillée. Eléonore veut me déshabiller en douceur, mais c'est le samouraï masqué qui s'en charge avec le katana. Sa lame pourrait couper le plus épais des tissus. Je me débats pendant que les filles quittent la scène. Elle se réfugient derrière les portes coulissantes, muettes. Le rythme devient de plus en plus endiablé lorsqu'il retire ses vêtements. Il se penche au niveau de ma poitrine pour la caresser avec ses mains. L'excitation monte, je n'arrive pas à m’en défaire. Il retire son masque et laisse apparaître le plus beau des sourires. Jin ? Depuis le début, c'était lui le samouraï spectateur. Je serre la corde en l’observant dans toute sa splendeur. Il s'abaisse à hauteur de mes lèvres pour siroter le jus du fruit défendu. Je reste émerveillée par la précision de cette exécution. Je mords de plus en plus la corde en laissant échapper des gémissements. J'ignore pour combien de temps il va continuer de me savourer mais je n’arrive plus à me calmer. Le son et le rythme des instruments sont de plus en plus harmonieux et ses gestes se calquent sur la musique. Des pétales rouges descendent du plafond comme des flocons de neige. Je me redresse légèrement lorsque Jin retire les armes du sol. Dans un bruit de tonnerre, il me tourne avec puissance et brutalité. Les cordes des instruments vibrent comme le chant d'un vent sec. Au même instant, je m'accroupis la corde dans la bouche et la laisse retomber sur mon cou. Il s'en saisit et me cambre délicatement. J'ai peur qu'il m'étrangle alors j'essaye de résister. Il retient la corde avec fermeté et me pénètre avec férocité. Je n'hurle pas de douleur mais de plaisir. Le claquement raisonne dans la salle comme des vagues qui se dispersent sur les rochers. Il me penche en avant d’une main ferme pour changer d’angle. Je l’entends gémir et mon cœur ne cesse de battre… Je le veux tout entier et ne faire qu’un avec lui. L’orchestre cesse sa mélodie et sort de la grande pièce lorsque Jin vient de m'asperger d’un liquide chaud sur les fesses. Mon cher patron se lève et enfile son masque. Les servantes sont immédiatement venues pour me récupérer. La sueur sur mon visage témoigne d’un acte sensuel et profond. Je dois abandonner la salle pendant qu’il se repositionne en seiza. Eléonore et Sophie croisent mon regard et m’accompagnent dans les sources chaudes sans dire un mot.
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