A l'aube d'une ère nouvelle
Sombres et humides étaient les jours passés sous le soleil noir.
Ses rayons sans chaleur — ceux d’un astre moribond, éteint depuis bien trop longtemps — ne nourrissaient plus la terre.
À l’orée de ce qui fut jadis la prospère plaine d’Alsace, les ruines d’un ancien complexe céréalier abritaient, depuis quelques semaines, un bataillon venu se réfugier loin des terres souffrantes, sulfureuses et suffocantes de l’Hadès.
Soustraits à l’œil vide de l’éclipse, les hommes attendaient.
Ils avaient fortifié les lieux, car au loin se dessinaient les plaines du Tartare, et leurs légions de combattants sanguinaires demeuraient une menace constante.
Le petit groupe de vampires qui achevait de se consumer à quelques pas de vingt-huit tombes fraîches leur avait rappelé, quelques heures plus tôt, la fragilité de leur répit.
Les gémissements des femmes — sœurs, filles, épouses — désormais porteuses du mal, qu’il allait falloir « soulager », finirent de convaincre les plus optimistes.
L’avenir des hommes semblait être celui de l’horizon : rougeoyant, embrasé par la damnation et le tourment éternel.
Rouge — la seule couleur qu’il avait été donné de voir jaillir aux survivants du Kolaps, jusqu’à l’overdose.
L’humanité, lasse de décennies de combats et de désolation, attendait.
Des hommes, des femmes, et ce qu’il en restait, avaient pris les armes pour défendre leurs familles, leur vie, leur honneur, et tout ce qui avait jadis fait d’eux des êtres respectables.
De la gloire passée de leur civilisation, il ne subsistait plus rien.
Les nations s’étaient effondrées, réduisant les Organiques à se nourrir de blattes, de mouches, et des vers pullulant dans leurs propres excréments.
Et pourtant, malgré ces conditions, ils se tenaient prêts.
Prêts pour le jour J.
Et ils attendaient.
Le jour où, dans un même élan, l’humanité lancerait sa dernière campagne pour sa survie.
Le jour promis, il y a plusieurs décades, par Père.
Père : le guide, le sauveur, le leader de la Résistance.
Parmi eux, il en était un qui avait eu le privilège de le rencontrer — et de le suivre sur l’ultime chemin du Salut.
Au sommet des silos à grains, dans une salle de contrôle aux vitres édentées ouvertes aux quatre vents, il se tenait immobile, sa présence trahie seulement par le ronronnement des servomoteurs articulant son corps de métal.
Il revenait à l’instant du cœur du réseau d’information de la Résistance — l’Elyseum, siège du quartier général et demeure de Père.
Il avait retardé l’activation de la vision nocturne, scrutant les mouvements de ses soldats.
Pour un instant encore, il voulait se sentir proche de ceux qui, en contrebas, ne bénéficiaient pas de ses améliorations — ceux qui allaient combattre, mourir, et perdre leur âme dans les heures à venir.
Son regard croisa le reflet d’une fenêtre brisée.
La mise au point se fixa sur son propre visage — cet étranger d’acier avec qui il avait dû fusionner.
« Qu’attends-tu ? Un lever de soleil ? »
La pensée lui arracha un sourire aussitôt effacé par un éclair dans le lointain.
La déflagration qui suivit fut le signal : l’humain devait se rendormir pour laisser place à la machine — son ultime rempart contre le Kolaps.
Il était temps de rejoindre ses troupes, de les mener au combat, et d’abattre le courroux d’une race refusant d’abdiquer.
En quittant la salle, il se connecta au réseau du camp.
— « Rassemblement dans cinq minutes ! » crachèrent les haut-parleurs, d’une voix mécanique et monotone.
Ses systèmes de combat s’enclenchèrent.
Une étincelle perdue, quelque part dans cette carcasse froide, se demanda comment elle en était arrivée là.
Alors, les dossiers du passé s’ouvrirent.

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