PARISEINE — District du Havre, 23 septembre 2075, 00h15

Le « Blockhaus 82 » du Havre s’agrippait à la côte comme un bunker oublié, transformé en bar ouvrier. À travers les vitres striées de sel, on distinguait la houle qui frappait les digues et les torchères des raffineries crachant leurs flammes dans la nuit. L’air sentait l’essence froide et la rouille.

Quelques Classe III s’étaient réfugiés là pour tuer la nuit : ouvriers rincés par leurs quarts, manutentionnaires aux yeux creusés, deux femmes qui sirotaient un demi en silence. Au comptoir d’acier taché, le patron essuyait ses verres sous le grondement lointain des raffineries.

Un jingle métallique claqua soudain. L’écran mural s’imposa, saturé du logo stylisé de l’APC Générale. Toute conversation mourut aussitôt. Même la machine à bière sembla s’arrêter.

Le visage d’Henri Drac de St Genest apparut, bureau solennel, drapeaux derrière lui.
— Citoyennes, citoyens. Cette nuit, notre capitale Strasbourg a été frappée par un attentat criminel. L’explosion du générateur central du district de Kehl a plongé l’EuroStrat dans le chaos.

(Images brèves : blocs résidentiels éventrés, façades en flammes, familles en fuite, drones de sécurité en vol stationnaire. Bandeau rouge : « ⚠️ ATTENTAT — KEHL EN ÉTAT D’URGENCE ⚠️ ».)

Drac reprit, la voix ferme, les yeux fixant la caméra comme s’il parlait à chacun d’eux :
— Nous ne faiblirons pas. Le couvre-feu est instauré. Les forces de l’APC sont déployées. Les responsables seront traqués et jugés sans délai.

Un docker, silhouette lourde, lâcha un rire amer.
— Jugés… ouais. Comme d’hab.

Le patron leva aussitôt les yeux, nerveux.

Dans l’ombre, deux APC Dockers en uniforme anthracite s’étaient immobilisés. Leurs casques marqués par la rouille luisaient dans la lumière bleutée de l’écran. L’un d’eux fit claquer sa matraque industrielle contre sa paume, lentement. Le docker baissa la tête, écrasé par le silence.

Drac conclut, d’un ton martial :
— Sous la bannière de la Générale, l’Europe ne cédera pas au chaos.

L’écran vira au noir. Le slogan apparut dans un grondement métallique :
« Collaborez. Obéissez. Évoluez. »

Le silence resta suspendu quelques secondes dans le bar. Puis quelqu’un reprit son verre, but une gorgée amère, pendant que les Dockers de l’APC restaient plantés là, gardiens muets d’un ordre né dans les flammes des raffineries.