Chapitre XXI

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Strasbourg – EuroStrat, district du Parlement – 02 octobre 2075
Le tunnel vibrait sous les détonations.
Chaque coup de feu déchirait l’obscurité d’un flash blanc, stroboscope infernal où griffes luisantes, gueules ouvertes et chairs éclatées surgissaient pour disparaître aussitôt.
Les viseurs IR saturaient, incapables de stabiliser autre chose qu’un chaos mouvant. Tout dansait. Tout vibrait.
— « On arrose ! On arrose ! » hurla Kirmann.
Boronov ouvrait la voie en rugissant. Son bouclier tactique, brandi comme une muraille d’acier, claquait sous les impacts. Les créatures s’y fracassaient par dizaines, pulvérisées comme des mouches contre un pare-brise. Dans son autre main, le FPA modèle 47 crachait par rafales sèches, chaque tir éclatant une tête, projetant des geysers de sang et d’os sur les suivants.
Derrière lui, les munitions fusaient sans compter. Chaque canon crachait un torrent incandescent, transformant le boyau de béton en fournaise.
Les vampires surgissaient par vagues, silhouettes calcinées qui se disloquaient sous l’impact… mais d’autres rampaient déjà sur les murs, griffaient les voûtes, cherchant à contourner le colosse.
Un craquement retentit derrière eux : Salomon explosa la tête d’un intrus d’un revers de fusil, la gerbe rouge éclaboussant son gilet.
— « Ils sortent de partout, putain ! »
Gondo avait laissé tomber son arme, sa machette brillant sous l’IR. Habitué à la guérilla dans les jungles d’Afrique de l’Ouest, il frappait avec une précision chirurgicale, tranchant bras et gorges, éclaboussé mais implacable.
Sur le flanc gauche, Solmeyer couvrait, respiration hachée résonnant dans l’intercom. Ses tirs étaient moins assurés, mais chaque coup comptait.
La 6ᵉ avançait comme une meute enragée, incapable de s’arrêter, écrasant tout sur son passage.
Le leitmotiv était clair : tirer, trancher, survivre.
Alors, un appel brisa la transe.
— « Là ! Le renfoncement ! Une sortie ! » La voix de Steiner résonnait, haletante.
Au fond du tunnel, un battant métallique rouillé se devinait, scellé dans la maçonnerie. Ils se jetèrent dessus, cognant la poignée, martelant de la crosse. Rien.
La porte résistait.
— « Bordel… » jura Kirmann.
Les yeux se tournèrent vers Boronov.
Il avança, le bouclier plaqué contre son torse, posa sa paume contre l’acier froid.
Un silence bref, lourd.
Puis il recula d’un pas, poussa un cri guttural, et chargea.
Impact.
Le métal plia, grinça.
Boronov hurla, recula encore, frappa une seconde fois.
Chaque coup résonnait comme une naissance hurlée, chaque rugissement emplissait le tunnel.
Un dernier assaut, et le battant vola en éclats.
Une bouffée d’air glacé s’engouffra, aveuglante, saturée de brume et de poussière.
La 6ᵉ fut recrachée à la surface, sanglante, haletante, titubante — comme si elle venait de naître une seconde fois.
Boronov cracha dans la poussière, ses yeux brûlant d’un éclat animal.
— « Bienvenue à Kehl. »

Strasbourg – EuroStrat, district de Kehl – 02 octobre 2075
Ils s’attendaient à l’air libre.
Au lieu de ça, ce fut une échoppe étroite, aux vitres brisées, aux rayonnages tordus. Une pharmacie abandonnée.
L’odeur les frappa comme un mur suintant d’ammoniac, de bile et de pourriture.
Sous les néons brisés, des silhouettes effondrées se distinguaient derrière les comptoirs : corps racornis, en blouse blanche, viscères répandues sur les murs, festin pour les asticots.
Steiner trébucha sur une boîte éventrée de Neuroplex™, des pilules roulèrent au sol dans un cliquetis sec.
Kirmann pesta.
— « Merde… officine de quartier. »
L’air stagnait, épais comme une nappe, saturé de produits chimiques éventrés et de viande pourrie. Chaque respiration, même filtrée, leur donnait l’impression d’aspirer la moisissure d’une tombe.
Alors Boronov, sans ralentir, enfonça d’un coup d’épaule un rayonnage branlant.
Les boîtes dégringolèrent dans un vacarme de ferraille et de plastique, révélant une seconde porte, vermoulue.
Il l’arracha d’un geste.
Un souffle glacé, saturé de brume, s’engouffra.
Ils se bousculèrent dehors, presque soulagés de retrouver la puanteur métallique du district plutôt que celle, insoutenable, de l’intérieur.
Gondo fut le premier à sortir et ne put retenir un relent. Les autres suivirent et l’imitèrent, déposant les restes de bières de la veille sur les trottoirs du district.
— « J’préfère l’odeur des cadavres frais. » lança Solmeyer en s’essuyant la commissure des lèvres d’un revers de manche.
Quelques rires nerveux éclatèrent, hystériques.
Dans le petit matin, les néons publicitaires des tours voisines, à travers la brume, palpitaient d'une lueur maladive. L'atmosphère n’était guère plus rassurante mais les créatures semblaient les avoir lâchés.
Comme pour s’éloigner de l’odeur et faire redescendre le stress, l’escouade se déploya dans la rue.
— « Ça me fait mal de le dire mais… merci Janek, sans ton injection on ne serait probablement pas tous sortis de là. » avoua Salomon en retirant son casque.
— « De nada, on est tous embarqués dans la même galère, mais a priori le dosage était bon… cette fois. » répondit Carvo, toujours sur le qui-vive, scrutant les immeubles avoisinants à l’aide de son optique IR.
— « Ouai, merci, » souffla Steiner.
Puis le bruit tomba.
Un bourdonnement sourd, métallique, fit vibrer les tôles arrachées au-dessus d’eux.
Un drone passa lentement, sa lentille rouge scrutant les ruines comme un œil sans paupières.
Boronov leva le poing.
— « DRT ! »
Silence immédiat.
Le groupe se tassa dans l’ombre d’un immeuble éventré, respirant par à-coups.
Kirmann serra les dents, jetant un regard à Boronov.
— « Direction la casse. On bouge. »
Une seconde trop longue passa, comme si chacun se demandait s’il valait mieux affronter Kehl… ou retourner dans le tunnel.
— « GO, GO, GO soldates ! » trancha le colosse, grondant, un souffle de rage contenu, ouvrant la route, bouclier en avant.

Après vingt minutes de marche forcée, les grilles de la déchetterie apparurent dans la brume.
Pas une sentinelle, pas une patrouille.
Seulement des sphères noires en vol stationnaire, leurs lentilles muettes suivant chaque mouvement comme des yeux sans paupières.
À intervalles réguliers, un faisceau infrarouge rasait le sol, traçant un filet invisible que nul n’osait franchir.
Un bruit sec résonna soudain, venant des toits, frappant le métal comme un glas étouffé.
Steiner se figea, blême.
— « Vous avez entendu ? »
Le silence revint aussitôt, lourd, étouffant. Seules les sphères noires planaient encore, immobiles, comme si elles attendaient elles aussi.
Solmeyer serra sa crosse, mâchoires crispées.
— « On attend quoi ? On passe. »
Boronov posa une main lourde sur son épaule, secouant la tête.
— « Ce n’est pas une surveillance. C’est une mise à mort. Tu touches la grille, t’es un cadavre. »
Un juron discret échappa à Steiner. Ses yeux fouillaient le décor.
— « Attendez… là. »
Il désigna un pylône branlant, au sommet duquel une vieille caméra civile pendait, rouillée, prête à se décrocher.
— « Elle est certainement oubliée des réseaux officiels. Elle a peut-être tout vu. »
Kirmann plissa les yeux.
— « Tu crois qu’elle tourne encore ? »
— « On peut tenter », souffla Steiner.
Ses yeux suivirent le câble usé qui serpentait le long du pylône avant de disparaître au second étage d’un immeuble voisin, assez délabré : l’appartement du gardien probablement.
Ils traversèrent la cour, les bottes écrasant les gravats dans un craquement trop sonore pour leurs nerfs, et se retrouvèrent sous le préau de l’entrée d’un vieil HLM ouvrier à peine rénové, marqué par les décennies.
Un nouveau bruit se fit entendre plus loin dans une ruelle attenante. Trois coups nets suivis d’un silence. La lumière du jour naissante, couplée à la brume, empêchait une confirmation visuelle en l’absence de système EUROPA opérationnel.
Boronov serra son bouclier contre son dos.
— « Salomon, Gondo : vous restez dehors. Si ça revient, vous prévenez. Les autres, avec moi. »
L’escouade se scinda. Deux restèrent à l’extérieur, fusils braqués vers la brume, et les autres entrèrent dans la cage d’escalier jadis vitrée.

Ils montèrent précipitamment jusqu’au deuxième côté de la déchetterie. La porte céda sous la frappe de Boronov. Un grincement aigu fendit le silence… aussitôt suivi d’une bouffée d’air lourd.
La mort ici aussi les avait précédés avec son cortège d’odeur rance, de métal rouillé et de viande oubliée. Le tout était nappé de tabac froid et de moisissure.
Un bourdonnement discret accompagna l’effluve. Steiner fronça les sourcils, mais déjà une mouche bourdonnait à son oreille, venue de l’ombre.
— « Putain… » lâcha-t-il en se couvrant le visage d’une main, tandis que l’autre repoussait l’insecte obstiné.
Le bureau exigu baignait dans une lumière verdâtre filtrant par des stores tordus. Des posters de femmes nues, exposant leurs charmes dans une vulgarité crue, défraîchis, se décollaient des murs humides.
Dans un coin, contre une armoire métallique renversée, gisait une masse sombre, source de l’odeur pestilentielle.
Un nuage de mouches grasses tournoyait autour du cadavre, se posant par vagues sur sa bouche ouverte, ses orbites sèches. Elles s’acharnaient aussi sur l’écran du vieux moniteur, couvrant par instants la diode rouge comme un battement de cœur englouti.
Steiner en sentit une glisser sur sa nuque, froide, avant de la chasser d’un revers. Une seconde s’y posa aussitôt, insensible à ses gestes.
Sur le bureau en formica, le moniteur clignotait, bourdonnant d’électricité faible. À côté, les restes dérisoires de la vie de l’homme affaissé : un rouleau de sopalin entamé, un magazine écorné, souillé d’auréoles.
La banalité sordide du détail serra les tripes de Kirmann plus encore que la charogne.
Boronov, implacable, avança. Son regard accrocha l’écran, les insectes se soulevant à son passage.
— « Voilà notre témoin. »
Kirmann saisit l’épaule de Steiner, satisfait.
— « On a pas de temps à perdre. Lance la lecture. Après, on dégage. »
Steiner s'affaira autour de l'appareil désuet. Sa jeunesse dans le quartier l'avait familiarisé avec cette technologie hors d'âge. Après quelques minutes il s'écria :
— « C’est bon, je suis remonté à la journée du 30, la bande ne s'est pas effacée entièrement ! »
Le vieux moniteur crachota, la diode rouge se figea.
Un crépitement blanc, puis l’écran se couvrit de lignes tremblées.
— « Allez… donne… » grogna Kirmann, impatient.
L’image finit par se stabiliser : un plan fixe sur la cour de la déchetterie, pris depuis le sommet du pylône.
La caméra avait survécu, oubliée des réseaux, mais son œil continuait d’espionner le néant. Sauf que ce n’était pas le néant.
Au ralenti, dans le grain sale, des silhouettes passaient.
Pas une, ni deux, mais des dizaines.
Des corps voûtés, longs, maigres, aux gestes trop fluides pour être humains.
Des meutes entières, rampant entre les carcasses, traînant des lambeaux, frappant les tôles de leurs griffes.
Puis, un détail glaça l’escouade.
Un groupe de survivants civils, hagards, encadrés par deux créatures, menés à travers les grilles.
Comme du bétail.
— « Bordel… ce sont des femmes ? » souffla Steiner. Ses yeux ne clignaient plus.
— « Ils… ils organisent les enlèvements », ajouta Solmeyer.
Un silence épais tomba dans la pièce. Même Carvo, d’ordinaire prompt au sarcasme, gardait la bouche close.
Boronov posa ses deux poings sur le bureau, ses épaules massives ombrant l’écran. Sa voix gronda, basse, presque animale :
— « On n’est pas dans un cimetière. On est dans leur putain de tanière. »
Kirmann hocha lentement la tête. Il savait déjà ce que ça voulait dire : le piège était refermé.
Dehors, le bourdonnement des drones s’éloignait. La brume s’épaississait, avalant les ruines comme un suaire.
Dans ce silence saturé, un cri monta, lointain d’abord, puis assez proche pour vibrer jusque dans leurs tripes.
— « Les mecs va falloir se bouger ! » La voix de Salomon était claire sur le canal audio.
— « 5/5 on finit le visionnage et on arrive. Repliez-vous dans les escaliers soldates… Steiner accélère la lecture… » répondit Boronov.
Le déroulement de la bande montrait le balai incessant des créatures. Carvo ne quittait pas l'écran des yeux. Steiner ne pouvait s'empêcher de regarder par la fenêtre, Kirmann se positionna dans l'embrasure de l'entrée pour communiquer en direct avec Gondo et Salomon. Boronov tournait comme une bête en cage dans la pièce.
— « Là ! Arrête… ralenti, ils ont emmené Kowalik et Langlois je suis sûr ! » interrompit Solmeyer.
— « Je confirme… » intervint Carvo.
Steiner ralentit la bande. L’image vibra, grain sale, silhouettes tremblées.
Le sergent se pencha vers l’écran.
— « C’est moi… » souffla Solmeyer en reconnaissant sa propre silhouette entrant dans le préfabriqué.
Puis, derrière lui, l’ombre apparut.
Un colosse noir, épaules couvertes de loques, avançant d’un pas lourd. Dans sa main, une hache démesurée, dont la lame captait la lumière de la caméra en éclats métalliques.
Au moment où il apparut, l’image grésilla, sauta, saturée de parasites, comme si l’objectif lui-même refusait de le cadrer. Pendant un instant, sa silhouette se dédoubla.
L’image saturait, mais la carrure, la démarche, étaient indubitables : ce n’était pas une créature. C’était un homme.
Un silence brutal écrasa la pièce.
Janek lâcha, incrédule :
— « C’est qui ce gonze ?! »
Boronov, lui, s’était figé. Sa main s’était crispée sur le bord du bureau. Ses yeux, rivés sur l’écran, luisaient d’une lueur trouble.
À côté, Solmeyer porta ses doigts à sa tempe, comme si une lame invisible venait de la traverser.
— « … C’est lui, » souffla-t-il, presque pour lui-même.
L’image accéléra, montrant l’homme ressortir trois minutes plus tard, deux femmes en uniforme NeofficiN pendues sur ses épaules, comme des jouets inertes.
Kirmann jura entre ses dents.
— « Il sort avec les nôtres… où il les emmène, ce bâtard ? »
Des détonations se firent entendre dans les escaliers.
— « Contact !! … ramenez vos culs. » explosa Gondo dans le canal de communication.
— « On y va soldates ! »
Les hommes sortirent de l'appartement précipitamment ; sur le moniteur, les images montrèrent les hommes de la Générale arrivant à la déchetterie peu après la sortie de Nicolescu, comme s'ils étaient sur ses traces.
— « Négatif, restez dans les étages, ils sont trop nombreux, on décroche dans les caves… grenade ! »
Trois secondes plus tard, une violente détonation souffla le rez-de-chaussée.

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