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— La consommation de données ne trompe pas, dit Monica Abott. Quelqu’un a infiltré le système.
Stanislas Massonier, le superviseur du projet TerraWatt, dévisagea l’experte en sécurité. Son regard s’attarda sur les yeux bleu clair de la jeune femme.
Elle était séduisante, certes, songea Pradip. Mais, Stanislas jouait avec le feu en reluquant de la sorte sa subordonnée.
— Le système a-t-il été altéré ? Avez-vous été en mesure d’identifier de qui il s’agit ?
La jeune femme dévisagea Pradip avec inquiétude. Il opina pour l’encourager. Miako était trop absorbée à griffonner des équations et des formes bizarroïdes pour s'apercevoir de la détresse de sa collègue.
Monica saisit ses notes telles des bouées de sauvetage et redressa la tête.
— Il n’y a eu aucune modification du système. La personne qui l’a infiltré a simplement contourné un cryptage quantique réputé inviolable.
— Nous savons que les technologies développées pour le projet aiguisent l’intérêt de certains groupes…, réagit le directeur d’un air paternaliste. Toute technologie est faillible, en voici une nouvelle fois la preuve. Pourquoi s'infiltrer s'ils n'ont rien pris ?
Monica fronça les sourcils. Elle n’appréciait pas la désinvolture de son supérieur, ni ses lacunes en matière de technologies.
— Il y a plus étrange, reprit-elle. Nous sommes capables de suivre le flux d’électrons piratés. Chaque page que vous affichez sur votre écran est un flux de données qui transitent depuis un serveur jusque chez vous…
— Allez droit au but, je vous prie, mademoiselle.
— La personne qui a consulté les données ne se trouvait pas… Elle n’était pas sur Terre. Ni dans aucune installation humaine ou appareil répertoriée. Et, cela inclut les sites secrets.
Stanislas posa son stylo et tourna la tête vers Singh.
— Professeur… S’il vous plaît… Je n’apprécie pas…
— J’ai moi-même vérifié les données. Je les ai soumises à des spécialistes reconnus. Il n’y a pas d’erreur. Les motivations de cette attaque et les moyens utilisés nous sont inconnus.
— Bien. Alors quoi ? Que fait-on ? A-t-on une solution ? Nous fournissons l’énergie à neuf milliards d’êtres humains et nous n’avons pas le droit à l’erreur. Sans énergie, notre économie s’effondre et avec elle, notre société. Rallumer les réacteurs à fusion est impossible. Pas après ce qu’il s’est passé à Madrid.
— Monsieur, intervint Miako délaissant soudain ses gribouillages. Nous avons éliminé toutes les possibilités logiques. Nos fournisseurs ont vérifié leurs produits. Nous avons utilisé tous nos spare-kits dans l’espoir qu’une panne indétectable soit à l’origine de nos problèmes. Des centaines de personnes ont été interrogées par la police militaire et les services secrets. Nous utilisons des redondances de secours en attendant de trouver une explication.
— Et ? Je veux des réponses, pas plus de questions !
— L’événement s’est reproduit deux fois en deux jours à la même heure. À la milliseconde près, Quelle que soit la configuration matérielle utilisée. Réglé comme du papier à musique. Le matériel n’est pas en cause.
Miako s’amusait. Pradip avait la sensation de se noyer.
—Tout cela n’a aucun sens, réagit Stanislas. Nous aurions douze millions d’appareils victimes de la même avarie, simultanément ? C’est impossible. C’est forcément un virus informatique, une intrusion ou quelque chose du genre. On répare comment ?
Monica leva les yeux au ciel.
— Nous devons répondre, dit soudain Singh, attirant des regards surpris ou moqueurs. Des murmures désordonnés s’élevaient partout dans la salle.
Le directeur resta longtemps immobile. Puis, il s’avança vers la table d’un air menaçant.
— Je ne tolérerai pas que vous transformiez cette institution en foire pour débiles mentaux !, tonna-t-il. Dans un mois la demande énergétique excédera l’offre, et des gens commenceront à mourir par notre faute. Je n’ai pas le temps pour des stupidités. Remettez le système en route et procédez à la rotation.
— Vous vous méprenez, Stanislas. La probabilité qu’un tel événement se produise trois fois en trois jours avec un tel degré de précision est tout simplement de l’ordre de l’infinitésimal. Reprendre me parait dangereux tant que nous ne comprenons pas à quoi ou à qui nous sommes confrontés.
— Professeur, les aliens ne sont pas à l’origine d’un contact, j’en suis certain.
— Ce n’est pas ce que je dis.
— De quoi parlez-vous alors ?
— La probabilité qu'il s'agisse d'une action humaine me semble faible. Je pense à un phénomène inconnu qui provoque une réponse quand il est soumis à une forme de stimulation. Nous avons mis en orbite solaire douze millions d’appareils et des milliers de drones d’entretien. Il n’y avait rien auparavant, depuis des milliards d’années. Probablement avons-nous modifié — sans le savoir — quelque chose dans la configuration locale ? Il y a encore des choses que nous ne comprenons pas dans le fonctionnement du soleil. Nous avons sûrement manqué une information. Laissez-moi étudier cette hypothèse. C’est important.
Le superviseur se leva, saisissant ses dossiers.
— Singh, dit-il d’un air menaçant, testez tout ce que vous voulez, mais je vous avertis : si la prochaine fois que nous nous voyons vous me parlez des petits hommes verts, je vous vire, vous et tous les guignols qui travaillent pour vous. Vous avez trois jours. Après on rallume.
Il sortit de la salle précipitamment.
Miako battit un rythme joyeux sur la table.
— À nous la chasse aux Martiens !
Pradip Singh se laissa aller sur sa chaise, comme si le poids de l’univers reposait soudain sur ses épaules.
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