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Le verre de whisky reflétait la clarté lunaire. La maison était plongée dans l’obscurité. Les eaux du lac frémissaient sous la brise. La fraîcheur nocturne était revigorante après la touffeur de Contrôle.

Pradip était seul sur la terrasse en bois. Il avait besoin de calme pour réfléchir loin de l’effervescence de TerraWatt.

Il observait l’autre rive du lac. Il y avait une maison là-bas. Ses plus proches voisins. Un couple avec leurs enfants. Une famille agréable, sans histoire.

Il entendit la porte d’entrée s’ouvrir. La silhouette juvénile de Miako traversa le salon et sorti sur la terrasse. Elle posa le verre qu’elle avait récupéré sur le comptoir de la cuisine et se servit avant de s’asseoir.

— Elle est partie sans prévenir, dit-il. Elle a vidé ses affaires sans un mot. J’aurais aimé la voir une dernière fois. Pour lui dire au revoir et lui demander de me pardonner d’avoir privilégié mon travail. J’ai détruit notre couple.

Miako but une gorgée.

— Votre mariage était mort depuis longtemps, si vous voulez mon avis, répondit-elle.

— Un “désolé” ou “vous n’avez rien à vous reprocher” aurait suffi, ironisa Pradip.

— Je mentirais si je disais ça. Et, vous savez que ce genre de conventions m’ennuient.

— Que faites-vous ici Miako ? Je vous croyais à Contrôle. Pourquoi perdre du temps avec un vieux physicien célibataire ? Qu’en dirait votre compagne ?

— Elle est partie depuis longtemps, elle aussi.

— Veuillez m'excuser…, réagit Pradip avant de s’en vouloir.

Miako ricanât.

— Ne le soyez pas. Elle ne comprenait pas l’importance de ce que nous faisons. Mon intérêt pour elle était uniquement physique. Sa conversation m’ennuyait.

Le professeur finit son verre et se resservit.

— Je me sens flatté que vous jugiez ma conversation plus intéressante. Mais, mon physique est bien moins avantageux…

Elle rit de nouveau. La lumière lunaire se reflétait étrangement sur ses tatouages.

Il se sentit soudain étrangement bien.

— Croyez-vous vraiment que cela soit si important ? Je veux dire, ce que nous faisons… TerraWatt… L’essaim… Que cela vaille la peine de se battre pour les sunsats ?

— Pas important. Capital. Le premier contact avec une intelligence extérieure.

— Nous ne disposons pas de preuves, réagit Singh.

— 12 millions de sunsats, des ordinateurs quantiques et une anomalie spatiale sont là pour vous contredire.

— Je reste prudent, c'est tout. La méthode scientifique, vous vous rappelez ? Il y a de la marge entre quelques défaillances et un contact.

— On s’en fout de la méthode scientifique. Le temps de la prudence est passé. Notre place dans l’univers vient de nous être révélée. Nous sommes officiellement insignifiants.

Ce fut au tour de Pradip de s’exclamer.

— Insignifiants ?

— Exactement. Nous sommes dépassés.

— Cela ne veut pas dire que nous sommes en contact avec les aliens… Nous touchons aux limites de nos savoirs, c’est tout.

— Non. Les données reçues sont des concepts mathématiques. J’ai appelé quelques copains de fac. Ils m’ont demandé d’où ça sortait. Selon eux, ça dépasse de loin les recherches les plus avant-gardistes, mais ils ne croient pas à un canular. Cette chose veut communiquer et nous ne parlons pas sa langue. Elle cherche un langage commun.

Miako vida son verre.

— Comment pouvez-vous être si sûre de vous ? Et puis, nous ne pouvons pas ignorer l’éventualité d’un virus ou d’un sabotage, dit-il.

— C’est une intuition. Un sentiment. Cette entité est… curieuse, empathique même. Elle nous a trouvé sur son chemin et a décidé d’engager la conversation. Alors elle nous a fait signe. Comme un inconnu sympathique croisé dans la rue.

— Nous sommes la fourmi qui tente de parler à un humain…

— Vous avez de beaux restes pour un vieux physicien célibataire, dit Miako.

— Un vieux physicien célibataire qui a du sommeil à rattraper, répondit Singh en se levant.

— Vous ne dormirez pas cette nuit, professeur.

— Et pourquoi, je vous prie Miako ?

— Parce qu’il y a une chose que je dois faire avant de… Parce que, je ne suis pas venue jusqu’ici uniquement pour discuter, se reprit-elle.

— Miako… Je… suis trop vieux pour…

Elle se leva et le saisit par la main sans lui laisser le choix.

— Venez, il est temps que vous découvriez qu’il y a autre chose dans la vie que les labos et les satellites. Vous ne résoudrez cette énigme qu’une fois que vous aurez l’esprit clair.

#

Elle l’entraîna à sa suite. Ils prirent sa moto et roulèrent trop vite au goût de Pradip. Ils rejoignirent un bar dans lequel des groupes de danseurs aux tenues criardes s’affrontaient sur des rythmes syncopés.

La jeune femme monta sur scène et, sous les yeux ébahis de Singh, enchaîna les mouvements, comme libérée d’un carcan. Il découvrit que son assistante, celle qu’il croyait connaître, avait une vie en dehors de Terrawatt. Il fut subjugué par sa fougue, par sa grâce, par la connaissance intime qu’elle avait de son corps et de ses limites.

Il ressentit une bouffée d’attirance pour elle, qu’il tenta de refréner. Mais plus il la voyait, plus leurs yeux se croisaient, plus il se sentait déstabilisé.

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