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Pradip Singh approcha lentement de la vitre dans un claquement de semelles magnétiques. Cinquante centimètres de polymère incassable le séparaient de la pièce dans laquelle se trouvait Miako.

La jeune femme s’était présentée dans un hôpital local, victime d’une fièvre si élevée qu’elle défiait les annales médicales. Elle avait alors été transférée dans les installations de TerraWatt sur la Lune.

Son corps dénudé était allongé sur un plan incliné leur faisant face. Sa “chambre” était équipée d’une série d’échangeurs thermiques qui produisaient une brume épaisse.

Un appareillage complexe de circulation sanguine extracorporelle refroidissait en permanence le fluide vital avant de le renvoyer dans son corps. Les médecins avaient identifié de nombreux signes de dégénérescence et ils savaient leur traitement temporaire. Ils ne comprenaient pas à quoi ils étaient confrontés, mais Miako s’accrochait à la vie, contre toute logique.

Stanislas restait en retrait, assis sur un banc dans un angle de la pièce d’observation.

#

— Miako ?

Elle ouvrit les yeux. Ses rétines étaient blanchies comme si elle avait été victime d’une cataracte foudroyante.

— Vous êtes Pradip Singh.

Le professeur fronça les sourcils.

— J’ai eu peur pour toi Miako. Comment tu te sens ?

— Ce corps, monade, agglomérat est faible, insuffisant pour dire mes paroles, mais cet esprit est fort, libre, organisé.

— De quoi tu parles ? Miako ?

— Miako n’est pas seule. Nos noms ne peuvent pas être compris par vos sens, organes, récepteurs.

— Vous avez créé le phénomène qui attire nos satellites, n’est-ce-pas ?

La terreur du premier contact grignotait lentement son esprit.

— Vos objets sont intéressants, matériels, condensés, friables. Je veux en percevoir quelques-uns.

— Qui êtes-vous ? Que voulez-vous ?, répondit Pradip d’une voix tremblante.

Son cœur s’emballait. Il se sentait à la limite de l’évanouissement.

— Je suis, je parle, je vibre, je propage. Miako me nomme Helios.

— Avez-vous envoyé des données à nos satellites ? Avez-vous piraté nos systèmes ?

— Vos agrégats artificiels et vos réseaux ont perçu ma pensée, expression, appel, clameur, salut.

Une alarme sonna dans la pièce, faisant sursauter le professeur. Le thermomètre indiqua une augmentation soudaine de la température. La pièce fut envahie de brume pour rafraîchir le corps de la jeune femme.

— Vous allez tuer Miako si vous restez en elle.

— Je ne suis pas en elle. Je suis corps plasmatique, vide, onde, particule, corde, singularité, étoile, anti-étoile, matière, non-matière, sur tout le spectre. Vous voulez parler, mais vous ne le pouvez pas. Tant de mots pour dire si peu.

— Pourquoi ne sortez-vous pas de son corps ?, s’entêta-t-il, ignorant sa peur et son trouble.

— Miako m’entend. Je ne peux pas l’empêcher. Vous devez redevenir sourds pour survivre.

— Comment faire pour que Miako redevienne sourde ?

— Son esprit est là.

Singh se tourna vers Stanislas. Ce dernier haussa les épaules, perplexe.

— Que voulez-vous dire ? Qu’elle est déjà morte ?

— Arrêt d’activité biochimique, électrique, télépathique, trans mnésique est un signifiant des êtres humains. Je suis mort, vivant. Miako est avec moi, elle est morte, vivante.

— Que veut-elle ? Que veut Miako ?, demanda le professeur. Sait-t-elle comment nous devons faire pour la sauver ?

Le corps s’affaissa soudain. La température de la pièce baissa de nouveau. Tous les capteurs affichèrent une activité presque nulle. Son cœur ralentit. Les ondes cérébrales semblèrent s’espacer. Sa respiration devint plus rare, la saturation en oxygène de son sang baissa.

Pradip s’appuya contre la vitre, l’air désemparé. Il frappa la couche de polymère d’un poing rageur, dévasté de perdre la jeune femme ainsi.

#

Elle ouvrit soudain les yeux.

Elle resta muette, immobile pendant de longues secondes. Enfin, elle sourit et tendit les bras. Ils demeurèrent figés dans le vide, dérisoires. Elle le cherchait, mais ne le voyait pas. Elle grimaça.

— Professeur ?

— Je suis là. Juste devant toi. Tu souffres ?

— Non. Je ne souffre pas. Helios a accepté d’arrêter de me parler pendant quelques minutes, pour que je puisse communiquer avec toi. Mais, mes sens humains ne fonctionnent plus aussi bien qu’avant…

— Nous trouverons un moyen de vous soigner, Mademoiselle Kurosawa, intervint Stanislas.

— Inutile. Je ne suis pas malade. Je ne souffre pas. Je n’ai plus beaucoup de temps humain. Je veux juste que vous m’écoutiez.

Les deux hommes échangèrent des regards inquiets.

— Je souhaite que vous envoyiez mon corps vers le point de transfert.

— Le point de transfert ?

— Ce que vous nommez le “point chaud”. Mon corps va mourir. Il est inutile de le conserver.

— Pourquoi là-bas ?, demanda Pradip

— Pourquoi dépenser autant d’énergie pour envoyer un corps aussi loin, renchérit Stanislas. Et puis cet endroit a déjà coûté la vie à quatre cents personnes.

Miako tendit de nouveau la main. Une larme coula sur sa joue qui gela instantanément dans l’atmosphère glaciale de la pièce.

Un frisson parcouru Pradip. Stanislas fit un pas en arrière.

— Il est difficile de l’expliquer avec des concepts humains, continua-t-elle. Mon corps est une manifestation de l’univers qu’Helios ne connaît pas et veut pouvoir conserver. La température de l’anomalie et les effets physiques qui y ont lieu, lui permettent de démonter brique par brique chaque élément, de les analyser, de les conserver. Et puis les esprits humains qu’il a rencontrés jusque-là ne sont pas… satisfaisants. Le mien lui semble plus intéressant.

— Il veut vous conserver comme une bestiole dans du formol ?, ironisa Stanislas.

— Vous voyez… Les concepts humains sont trop… limitants. J’essaie de les simplifier pour vous, mais mon message est dénaturé. Je serai vivante, à ses côtés. En lui. Mais, je n’aurai plus d’unicité, de temporalité ou de matérialité. Je serai lui, une partie d’une communauté, une sensibilité dans une globalité.

— Nous n’avons aucun intérêt à faire ça, décréta Stanislas.

— Je pourrai vous aider à comprendre Helios et son savoir.

— Comment ?, demanda Pradip.

La température de la pièce augmenta. L’alarme sonna. Miako tourna la tête vers un angle de la pièce, comme si elle regardait quelqu’un qui n’était pas présent.

— En te l’apprenant. Tu pourrais venir avec moi, Professeur. Nous pourrions en profiter pour nous dire adieux.

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