8
Pradip refusait de sortir de la salle d’observation. La terreur de l’inconnu s’était estompée, remplacée par la détermination à sauver Miako.
Mais, l’avenir de la jeune femme reposait à présent entre les mains des bureaucrates.
Il faisait les cent pas depuis cinq heures, quand un groupe de militaires entra soudain et le délogea de la salle d’observation avant d’en verrouiller l’accès. Deux hommes se postèrent de part et d’autre de la porte.
Le professeur ne parvint pas à les convaincre de le laisser entrer. Il dévala rapidement les coursives de la base lunaire et parvint au réfectoire.
Il y trouva Stanislas, occupé à aspirer une glace à la vanille avec une paille. Il s’assit en face de lui, fulminant. Le fonctionnaire l’ignora ostensiblement.
Après une minute de silence, il repoussa son gobelet et releva la tête.
— Je mange quand je suis stressé. Je n’arrive pas à m’expliquer pourquoi. Impossible de m’arrêter, je dévore matin et soir, jusqu’à me faire péter le ventre. Cette entité… Elle me donne envie de manger. C’est complètement grotesque.
— Pourquoi ne puis-je pas la voir ? Je ne suis pas venu sur ce caillou pour me faire refouler à la porte !
— Kurosawa va mourir.
— Peut-être. Vous n’en savez rien. Pourquoi cette quarantaine ?
— Le Conseil et l’Assemblée des Nations veulent que l’on se débarrasse d’elles. De Miako et de l’entité. J’ai ordre de la placer en quarantaine en attendant de l’évacuer. Interdiction de la voir, pas d’exceptions. Ensuite, nous enverrons une charge à antimatière sur le point chaud, pour venger nos disparus, et nous redémarrerons l’Essaim quand nous aurons repris le contrôle.
Pradip serra les poings.
— Nous ne comprenons pas cet être, donc nous préférons le détruire. Nous cherchons sans relâche les limites et, quand nous les trouvons, nous nous comportons comme des barbares. Nous allons sacrifier l’une des plus grandes scientifiques de ce temps et balancer une arme dérisoire contre cette entité pour préserver un investissement. C’est ridicule. Vous êtes un lâche Stanislas. Et tous les gens comme vous sont des lâches. Des lâches et des couards ! Des esprits étriqués et sans imagination…
— Je ne vous permets pas de me..., s’emporta le fonctionnaire en se levant.
— De quoi ? De vous dire la vérité ?, le coupa Singh. Helios ne menace personne. Personne. Il nous fait l’honneur de communiquer avec nous. Et nous, nous nous apprêtons à lui cracher au visage parce que nous avons peur. Nous devons écouter Miako. Je suis prêt à aller au point de transfert.
— Et laisser impunie la mort de quatre cents personnes, tout cela pour faire un dernier voyage avec votre copine ? Il en est hors de question.
— Vous vous fichez éperdument de ces hommes !, hurla Pradip. Vous et votre conseil n’en avez que pour votre fric et vos jeux politiques !
— Quatre cents morts pour vos jeux d’esprit et vos énigmes. Vous êtes fascinés par une entité qui tue les nôtres. Je parle de vies humaines, de gens qui crèvent dans des hôpitaux privés d’énergie ! Je ne sacrifie pas ma famille et mes congénères pour une fille.
Pradip baissa les yeux, rattrapé par sa propre honte.
Stanislas parut se détendre.
— Écoutez, des troubles sociaux éclatent partout. Nous devons agir, les choses sont déjà allées trop loin.
Singh eut un lent mouvement de recul. Il se laissa tomber sur sa chaise. Il ne s’était pas rendu compte qu’il s’était levé.
— Je ne vous laisserai pas tuer Miako, même si ça doit me coûter ma carrière, murmura-t-il, la voix brisée.
— Et comment ferez-vous pour vous opposer au Conseil ?
Le professeur avait les yeux brillants de détermination.
— Laissez-moi aller là-bas. Laissez-moi l’accompagner. Montez votre bombe sur la navette si cela vous chante. Donnez-moi juste une chance de comprendre cette chose, même si je n’en reviens pas.
Stanislas dévisagea longuement le professeur. Puis enfin, il se retourna et prit la direction de la sortie. Arrivé à la porte, il s’arrêta.
— Préparez-vos affaires, Professeur. Vous partez pour le point chaud.
Annotations
Versions