Chapitre 1

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"Ding"

La sonnerie de la notification apparue dans son champ visuel, tirant Kael de sa rêverie. Il cligna plusieurs fois des yeux, détournant son regard de la jungle urbaine à plusieurs étages qui s'étendait au-dessus de lui, tel un enchevêtrement de métal et de verre.

Il se concentra sur le petit message, une invitation à un chat. Kael ne savait pas qui tentait de le contacter, mais il ne refusait jamais un travail, à condition qu'il soit suffisamment rémunéré.

Il activa son modificateur vocal ainsi que son brouilleur, afin d'éviter que sa connexion puisse être retracée. Il accepta ensuite l'appel entrant et une ombre se matérialisa devant lui.

— Bonjour, Shadow. Merci d'avoir accepté ma demande.

Le hacker aux cheveux sombres parsemés de mèches violettes resta silencieux. L'homme utilisait lui aussi un modificateur vocal. Kael tenta de remonter la source de la connexion, ce qui fit éclater de rire son interlocuteur.

— Bien essayé, mais vous ne pourrez pas tracer ma position, ni obtenir la moindre information sur moi.

Un sourire en coin étira les lèvres du jeune homme aux yeux d'un bleu si clair qu'ils en avaient presque l'air blancs.

— Vous semblez savoir vous protéger. Je me demande ce qui peut bien justifier que vous fassiez appel à moi. Vous ne semblez pourtant pas avoir de difficultés en tant que Netrunner.

— Il est vrai que je pourrais aisément le faire moi-même, répondit l'homme avec un amusement hautain, hélas je suis étroitement surveillé par la corporation pour laquelle je travaille, il m'est donc impossible de m'en charger.

— Et c'est pour cela que vous désirez que je fasse cette recherche pour vous n'est-ce pas ?

L'ombre hocha la tête, Kael n'était pas surpris, en tant que hacker, ce genre de demande était fréquent. Mais, comme toujours, il restait méfiant. Il ne voulait pas courir le risque de traiter avec n'importe qui.

— Et que dois-je trouver exactement ? demanda-t-il, toujours sur ses gardes.

— Un fichier. Vous devez vous infiltrer dans une base de données abandonnée et me le rapporter.

Kael fronça légèrement les sourcils, c'était aussi simple que ça ? Impossible, lorsqu'on faisait appel à lui, c'était rarement pour des missions faciles. La plupart du temps, il devait s'infiltrer dans le Dark Net, peuplé d'IA folles et agressives qui prenaient un malin plaisir à torturer et détruire l'esprit de ceux qui s'y connectaient. Un sourire éclaira le visage de l'ombre. Un frisson parcourut l'échine du hacker. Il ne s'attendait pas à une bonne nouvelle.

— Je sais ce que vous vous dites, que ce sera un jeu d’enfant pour quelqu’un de votre niveau. Mais laissez-moi vous arrêter tout de suite. Si je fais appel à vous, ce n’est pas par manque de choix, mais parce que le fichier que je cherche est enfoui dans une base de données appartenant à NeuraLinx.

Cette fois, les sourcils du jeune homme se froncèrent franchement, et il fut tenté de mettre immédiatement fin à la conversation, voire de bloquer tout contact avec cet homme.

— NeuraLinx ? Vous êtes fou ? Je suis désolé, mais je ne suis pas suicidaire. Il est hors de question que je me mêle de leurs affaires.

NeuraLinx, la société qui contrôlait presque tout le marché des implants du pays. Elle les concevait, les produisait, et les mettait ensuite en circulation. Elle était riche, puissante et tentaculaire. Tout le monde savait qu'elle tenait le pays dans la paume de sa main.

— Je comprends votre réaction, Shadow. Mais la base de données est désormais abandonnée. Vous n'avez aucune raison de craindre une sanction de leur part. Les fichiers qui s'y trouvent ne leur sont plus d'aucune utilité, tenta de le rassurer l'homme.

— Alors pourquoi vouloir y récupérer un fichier ? Et pourquoi moi ? Si ce n'est plus important, pourquoi ne pas engager un autre Netrunner, moins cher, moins expérimenté ?

Kael n'était pas naïf, si cet homme voulait absolument faire appel à lui, c'était que le contrat était tout sauf sans risques.

— La base est peut-être abandonnée, mais ses protocoles de sécurité, eux, sont toujours pleinement actifs. Je crains qu'un autre Netrunner ne parvienne pas à y entrer sans se faire griller... ou tuer. Vous, en revanche, vous avez déjà survécu à pire, répondit calmement l'homme. Il va sans dire que vous serez généreusement récompensé.

Kael prit quelques secondes pour réfléchir, pesant le pour et le contre. Pirater une base de données appartenant à NeuraLinx était une folie. Mais si elle était vraiment abandonnée... le risque pouvait être maîtrisable. Et si la récompense était à la hauteur, il n'allait pas refuser.

— Trois millions de crédits, la moitié payable d'avance, le reste à la livraison des données.

Il ne voulait courir aucun risque et encore moins celui de se faire arnaquer sur une mission aussi dangereuse.

— Très bien, j'accepte vos conditions.

Une nouvelle fenêtre s'ouvrit dans le champ de vision de Kael. Un transfert venant d'un compte bancaire fraîchement créé, probablement juste pour cette opération. Il observa les crédits se déverser sur son propre compte, puis valida la transaction. Un instant plus tard, un message apparut, accompagné de deux codes.

— Voici le code d'identification de la base de données, ainsi que celui du fichier. Grâce à lui, vous pourrez y accéder. Vous y trouverez également un plan d'orientation pour localiser le fichier, expliqua l'homme.

Kael hocha la tête et mit les informations de côté. Il les consulterait une fois immergé dans le réseau.

— Parfait. Je m'en occupe ce soir. Je vous contacterai une fois que ce sera fait, avec une date et une heure pour la remise du fichier.

— C'est entendu, j'attends donc de vos nouvelles. Soyez prudent, Netrunner Shadow.

La connexion se coupa, et l'homme disparut dans un clignotement silencieux. Kael soupira, sa peau pâle, parcourue de lignes métalliques délimitant ses implants, brillait faiblement sous la lumière artificielle. Il se leva et passa une main sur son cou couvert de tatouages luminescents mauves, avant de le faire craquer dans un geste automatique.

— Bon... faut s'y mettre maintenant.

Il quitta son petit salon, dont la large fenêtre offrait une vue sur les niveaux supérieurs de Calyx Prime. Là-haut, tout n'était que lumières vives, tours de verre et d'acier, reliées par des ascenseurs transparents et des passerelles suspendues. L'air y était pur et l'atmosphère, luxueuse. C'était sa motivation, il se promettait qu'un jour, il atteindrait ces hautes sphères... et laisserait derrière lui la crasse et l'insécurité des Profondeurs.

Il détourna enfin les yeux du spectacle étourdissant et s'avança vers la porte située au fond du salon. Elle s'ouvrit sur sa salle de travail, un sanctuaire technologique à l'ambiance froide, baigné de LEDs bleues et de câbles noueux. Au centre trônait un fauteuil de plongée virtuelle, relié à une demi-douzaine de tours informatiques aux processeurs ronronnant. Ce réseau personnel suréquipé lui assurait un contrôle total sur ses explorations numériques.

Kael s'installa dans le fauteuil de cuir. Aussitôt, deux écrans holographiques jaillirent devant lui. Ses doigts dansèrent sur les interfaces tandis sécurisa un tunnel d'accès vers le réseau, activant pare-feux et brouilleurs de trace. Aucune IA ou programme espion ne devait pouvoir remonter jusqu'à lui.

Une fois les derniers protocoles verrouillés, il attrapa le casque bardé de câbles posé sur l'accoudoir. Il l'enfila. L'instant d'après, son esprit bascula dans un univers virtuel.

Il se retrouva dans une réplique fidèle de son appartement, vide et minimaliste. Une seule porte y était visible, surmontée d'un clavier. Il s'en approcha et y entra la clé d'accès fournie par son mystérieux client. Pas de système d'alerte, pas de virus, du moins, pas encore.

Dès qu'il franchit la porte, le décor bascula brutalement, il émergea dans un espace vaste et désolé, baigné d'un crépuscule numérique aux teintes rougeoyantes, comme si le monde entier était en train de brûler dans une lente agonie. Le sol était composé de dalles de verre fracturées, entre lesquelles serpentaient des lignes de code luminescentes, palpitant faiblement tel un cœur mourant.

Des structures fantomatiques s'élevaient autour de lui, des tours de données à moitié effondrées, des terminaux éventrés, des pans de pare-feu suspendus dans le vide comme des vitraux éclatés. Des fragments de mémoire flottaient, formant parfois des images distordues, des échos de voix anciennes déformées par le temps et les attaques virales. Au-dessus, le ciel était noir, parcouru d'éclairs statiques violets. Des morceaux d'algorithmes désintégrés retombaient comme une pluie de symboles incandescents. Tout semblait abandonné, mais rien n'était véritablement mort.

Par instants, Kael distinguait des formes mouvantes dans l'ombre, des défenses automatiques obsolètes, des scripts de protection sans but, errant comme des chiens perdus. Désorientés, mais toujours capables de mordre s'ils le détectaient.

Là, droit devant lui, se dressait une tour brisée battue par des vents simulés, la base de données abandonnée de NeuraLinx. Le fichier s'y trouvait, enfoui quelque part dans ses profondeurs corrompues. Kael bénit intérieurement la clé d'accès fournie, errer à l'aveugle dans cet endroit aurait été un suicide.

Un écran holographique surgit devant lui, tant qu'il restait dans cette réplique de son appartement, il était en sécurité. Mais à partir du moment où il mettrait un pied dehors, il deviendrait une cible.

Il tapa rapidement une ligne de code grâce à son implant de saisie rapide. Une cape de dissimulation se matérialisa sur son avatar, le couvrant de la tête aux pieds. Elle camouflerait sa signature numérique et réduirait sa visibilité pour les programmes malveillants ou les autres utilisateurs errants dans le Dark Net. Le hacker inspira profondément, même si l'air ici n'existait pas, ce simple geste lui donner du courage.

Une fois ses propres protections en place, Kael quitta la sécurité de son appartement virtuel pour s'élancer vers la tour brisée. À peine avait-il posé un pied dehors qu'il sentit le poids du Dark Net s'abattre sur lui. Ce n'était pas un simple espace numérique, mais un organisme tentaculaire, un monde conscient, grouillant de présences invisibles, où chaque donnée respirait, palpitait, épiait.

Le jeune homme se fit aussi discret qu'une ombre. Il avança rapidement, ses pas silencieux sur les dalles fracturées du sol virtuel, jusqu'à atteindre la base de données de NeuraLinx.

La tour, tout aussi délabrée que ses alentours, se dressait devant lui comme une épave de titane. La porte principale était fendue, ses lignes de code visibles, comme des veines rompues. Il tenta de la forcer mais un message d'erreur surgit en clignotant.

Il n'en fut pas vraiment étonné, même abandonnée, NeuraLinx laissait ses forteresses verrouillées. Leurs protocoles tenaient bon, après tout, il s'agissait des garde-fous numériques conçus pour résister à l'usure du temps et à la furie des IA.

Un clavier holographique bleu s'afficha et le hacker s'attela sans attendre au craquage du code de sécurité. Ses doigts pianotaient avec la rapidité de l'instinct, maniant lignes de code et injecteurs de faille comme un sculpteur numérique. Le système résistait, se rebiffait, repoussait ses attaques avec une agressivité presque vivante. Il y passa des heures, dans le monde réel. Des heures de lutte silencieuse, tendue, contre un adversaire invisible, implacable. Puis enfin, le dernier verrou céda. Un soupir s'échappa de ses lèvres. La porte s'ouvrit dans un gémissement métallique.

L'intérieur de la tour ressemblait à une cathédrale. Une nef de serveurs oubliés, étirée à la verticale dans une spirale infinie. Les murs étaient tapissés de baies de stockage, certaines encore actives, clignotant d'un rouge mourant. Des câbles pendants serpentaient comme des racines, ondulant doucement dans le vide.

Le sol translucide offrait une vue vertigineuse sur les strates inférieures du système. Des flux de données figés tournaient en cercles lents, épuisés, presque morts. Des hologrammes distordus s'activaient à son passage, affichant des fragments de souvenirs numériques, des visages flous, des sons distordus et des voix hachées.

Des escaliers en suspension menaient à des plateformes effondrées. Des zones d'ombres statiques y flottaient renfermant des pièges potentiels ou des scripts endormis. Le jeune homme les contourna prudemment.

Au centre de la nef, un noyau de données imposant s'élevait, une colonne de cristal noir craquelé, ruisselante de glyphes numériques. C'était là, le cœur du serveur, là où se dissimulait le fragment convoité.

Kael s'en approcha, il effleura la surface froide avant d'en faire le tour, jusqu'à repérer une fente discrète, camouflée entre deux lignes de code. Il releva sa manche, tira un câble neural de son bras et s'y connecta.

Il fut immédiatement projeté dans un océan de données. Du code partout. Des chaînes de symboles, de chiffres, de lettres, se tordaient autour de lui comme des tentacules assoiffés. Il sentit la pression numérique contre ses défenses, des tentatives d'intrusion, de corruption, de fusion. Mais Kael était un vétéran, il renforça ses boucliers mentaux et plongea plus profond.

Il fouilla méthodiquement, tout en étant fréquemment obligé de bypasser des pare-feu oubliés, de crocheter des répertoires protégés, de pirater des scripts cryptés. Il avançait dans les couches les plus anciennes du système, là où la conscience du serveur devenait instable, là où les données tourbillonnaient plus vite.

Il savait qu'il prenait des risques, chaque seconde passée ici augmentait les chances d'être détecté par une IA errante ou un autre hacker. Et enfin, il le trouva, un fichier crypté, son code d'identification correspondait exactement à celui donné par son client. Il l'absorba dans son propre système, l'enfermant derrière ses murs internes.

Kael pu enfin se déconnecter de cette mer numérique. Il rouvrit les yeux dans la nef. Il cligna plusieurs fois des paupières, se débrancha, puis se leva d'un bond, encore engourdi par l'effort.

Il se précipita vers la sortie virtuelle de la tour, dévalant les marches aussi rapidement et silencieusement que possible, il avait déjà passé trop de temps ici.

Mais à mi-chemin, une anomalie surgit, un amas de code instable, pulsant comme une tumeur numérique, émergea d'un mur fissuré. En moins de deux secondes, il se métamorphosa et devint une ombre hérissée de parasites, une silhouette instable comme une image de télévision brouillée. Elle ouvrit des yeux blancs phosphorescents, et hurla. Le cri était strident, fragmenté et ressemblait à une plainte macabre. Une gueule pleine de crocs fractals s'ouvrit dans son visage distordu et il ne fallut qu'un instant avant qu'elle ne fonce droit sur lui.

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