Chapitre 2

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Le cri fit frémir Kael d'effroi. Son intrusion dans le cœur du serveur n'était visiblement pas passée inaperçue. Les pare-feux de protection veillaient encore. Il croyait les avoir tous neutralisés, mais l'un d'eux avait échappé à son piratage.

Sans perdre une seconde, le jeune homme détala vers la sortie, il était hors de question d'affronter cette chose. Il savait, par expérience, que le combat direct n'était une option que lorsque toutes les autres avaient échoué. Il déboula hors de la tour en ruine, manquant de glisser sur les dalles de verre fissurées. Il se rattrapa de justesse, ses doigts éraflant le sol lisse et froid, et relança sa course. Dans son dos, un claquement retentit, des crocs venaient de mordre l'air où sa nuque se trouvait un instant plus tôt.

Les ombres s'agitaient, attirées par le vacarme. Des formes indistinctes, affamées, surgissaient de toutes parts. L'une bondit sur lui depuis la gauche, il l'évita de justesse, sentant un souffle glacial effleurer son visage. Une griffe accrocha sa cape, la déchira, mais il ne ralentit pas.

Un clavier se matérialisa dans sa main, Kael pianota à toute vitesse, même en courant, les doigts tapant le code presque par réflexe. Il envoya la ligne de code directement sur une silhouette qui se dressait devant lui. Le flux numérique jaillit, entoura la créature, la figea dans un hurlement de frustration. Il passa à côté sans s'arrêter, son souffle court, sa vision brouillée par l'adrénaline.

Quelque chose lacéra son bras. Le jeune grogna, baissa les yeux, la peau était fendue, et du code s'en échappait, suintant lentement comme une plaie suppurante, mais il n'avait pas le temps de s'en soucier, chaque seconde comptait.

La porte apparut enfin, baignée dans une lumière pâle. Il accéléra, une main surgit à droite, tentant de l'agripper. Le Hacker la repoussa du coude, un cri de douleur, un éclair noir, puis plus rien. Il ne restait que quelques mètres encore, ses jambes étaient du plomb, mais il força le pas.

Enfin, sa main atteignit la poignée et le jeune homme se jeta à l'intérieur de son refuge. Les créatures tentèrent de le suivre, mais les protections tinrent bon, repoussant violemment l'attaque. Kael referma la porte et se laissa glisser contre elle, haletant, jusqu'à retrouver un semblant de calme. Il resta ainsi de longues minutes, avant de retirer sa cape en lambeaux pour observer les dégâts.

Il grimaça une nouvelle fois, son corps était couvert de coupures. Elles disparaîtraient lors de sa prochaine connexion, mais leurs effets, eux, se feraient sentir dans la réalité. Cet avatar n'était autre que son esprit, et toute blessure subie ici se répercutait sur son corps physique.

– J'espère vraiment que ça en valait la peine...

Un écran holographique s'ouvrit devant lui, lui permettant de rentrer la commande de déconnexion.

Lorsqu'il rouvrit les yeux dans son appartement, Kael ôta le casque avec lenteur, les doigts engourdis, le souffle court. Il resta un moment figé dans l'obscurité, les rémanences du monde virtuel flottant encore dans son esprit. Autour de lui, seule la lumière crue d'un néon fatigué clignotait au plafond, bourdonnant comme une luciole mourante.

L'air était épais et chargé de poussière, il inspira lentement, la gorge râpeuse. Puis, dans un grognement, il se redressa dans son fauteuil à moitié déchiré, les ressorts grinçant sous son poids.

La pièce exiguë qu'il appelait sa salle de travail tenait plus de la carcasse que de l'atelier. Des câbles pendaient du plafond comme des lianes, certains gainés de scotch, d'autres rongés, laissant apparaître leurs fils dénudés. Les murs, d'un gris sale, étaient constellés de taches d'humidité et de vieilles affiches à moitié arrachées. Des composants obsolètes s'entassaient dans un coin, recouverts d'un voile de poussière. Le sol, un vieux lino fendillé, collait sous les semelles.

kael quitta la pièce d'un pas las et entra dans le salon, à peine plus accueillant. La lumière verdâtre d'un écran en veille pulsait dans le coin, projetant des ombres tremblantes sur les murs décrépis. Un vieux canapé synthétique trônait au centre, son rembourrage éventré laissant jaillir de la mousse souillée. Une table basse en métal rouillé était couverte de tasses vides, de poussière et de composants électroniques désossés. Des conduites apparentes couraient le long des murs, suintant parfois une condensation graisseuse. Kael s'étira dans un craquement d'os avant de finalement se poser sur le canapé.

— Voyons voir ce que ce fichier peut bien avoir de si particulier.

Il fit apparaître son interface interne. Des écrans holographiques apparurent dans un clignotement erratique, projetés par ses implants oculaires. Il navigua jusqu'au fichier récupéré et tenta de l'ouvrir. Un message surgit aussitôt.

— "Clé de décryptage manquante. 1/4 enregistrée."

— Crypté... Et il faut encore trois clés pour le lire ?

Un frisson lui remonta la colonne vertébrale. Ce niveau de cryptage... ce n'était pas de la simple protection. C'était du militaire, du classé, quel genre de données était-il allé voler ? Et surtout, dans quel genre de merde venait-il de s'embarquer ?

Avant même qu’il n’ait le temps de réfléchir davantage, une alerte vrilla dans ses oreilles, perçant le silence de l’appartement. Il sursauta, et l’un des écrans holographiques pivotants s’alluma brusquement devant lui, projetant une image tremblotante et granuleuse captée par son système de surveillance. Kael se figea, le souffle court, l’alarme n’était pas anodine. Ce n’était pas un mouvement détecté à la porte ou un capteur qui s’était activé par erreur. Non, ce signal précis... il le connaissait. Une tentative de piratage ciblé sur son propre système interne. Un frisson glacé lui remonta l’échine. Le jeune homme scruta l’image affichée, une ruelle extérieure plongée dans l’ombre. Rien d’anormal à première vue. Aucun mouvement, aucun signal visible. Mais c’était justement ça, le problème. C’était trop propre. Quelqu’un était parvenu à désactiver ou brouiller ses caméras, à manipuler ses protocoles de sécurité sans déclencher les défenses visibles. Un tour de passe-passe que seuls des experts de haut niveau pouvaient réussir. Ou pire : des IA militaires. Sa gorge se serra, quelqu’un camouflait quelque chose. Kael sentit son cœur battre plus vite alors qu’il comprenait ce que cela signifiait, NeuraLinx était au courant. Ils savaient pour le fichier, pour le vol, pour lui, et maintenant, ils étaient probablement déjà en route. Il se leva d’un bond, l’esprit en surchauffe. Si leurs agents avaient réussi à hacker son système de surveillance, cela voulait dire qu’ils approchaient... mais qu’ils voulaient le prendre par surprise.

La panique le frappa en pleine poitrine. Le serveur était censé être hors ligne depuis des années ! Comment un fichier aussi verrouillé avait pu se retrouver là ? Il n'eut pas le temps de trouver la réponse. Il fonça vers une pièce attenante, sa chambre, aussi miteuse que le reste. Les murs y étaient couverts de vieilles plaques de métal rouillé, certaines gondolées par l'humidité. Un néon cassé clignotait au plafond, n'éclairant qu'à moitié le vieux bureau bancal contre lequel reposait un terminal poussiéreux. Des vêtements sales traînaient au sol, entassés dans des coins sombres. L'air y était plus vicié encore, comme s'il ne s'était jamais renouvelé.

Kael s'assit au poste et lança une série de commandes. Le protocole d'effacement s'enclencha immédiatement, ligne après ligne, brûlant les données, effaçant les logs, démantelant les faux dossiers. Bientôt, plus rien ne subsisterait de lui ici, il ne laisserait aucune faiblesse à exploiter contre lui.

Il se releva et alla rapidement ouvrir une armoire en métal dont la porte grinça sinistrement, en sortant un sac à dos préparé depuis des mois. Il avait toujours su qu'il jour il devrait fuir, et il se dit qu'il avait bien fait de s'y préparer.

Des coups sourds retentirent à la porte, puissants, violents et proches. Il ne perdit pas une seconde. Il se précipita dans le salon, enjamba la rambarde de son balcon déglingué et s'agrippa au tuyau d'évacuation. Le métal était froid, poisseux, mais il n'avait pas le luxe de faire le difficile. Il descendit à toute vitesse, se laissant glisser le long du tuyau.

À peine ses pieds avaient-ils touché le sol que la porte de son appartement explosait dans un vacarme de métal arraché. Kael se mit à courir sans se retourner.

Derrière lui, des ordres fusèrent, ils savaient que leur proie venait de leur échapper. Ils allaient quadriller le quartier, verrouiller les issues, lancer les drones. Mais pour l'instant, il avait encore une chance.

Le jeune homme s'engouffra dans les ruelles détrempées, la ville s'étendant devant lui comme un labyrinthe sale et menaçant. Il courut sous les néons, le visage ruisselant de sueur, évitant les grandes avenues, slalomant entre les bâtiments décrépis et les ruines industrielles.

Finalement, haletant, il grimpa dans un bus automatique presque vide. À cette heure, seuls les oubliés et les invisibles arpentaient encore les rues. Il s'enfonça dans un siège au fond, taché, déchiré, recouvert d'un vieux tag fluo.

Kael restait silencieux, tassé contre la vitre crasseuse du bus automatique. Sa capuche rabattue sur le visage, il observait distraitement les lumières sales de Calix Prime défiler à travers le verre taché, sans vraiment les voir. La ville paraissait encore plus laide de nuit, baignée dans les lueurs mourantes des néons et le clignotement blafard des enseignes en panne. Il sentait le tissu rêche du siège sous lui.

Dans quelle merde s'était-il fourré, exactement ? Il revoyait le message de son contact, ses mots polis, mesurés, dont le ton était rassurant. Il le savait maintenant , ce type l'avait envoyé au casse-pipe en toute connaissance de cause, ça n'avait pas été une erreur. Kael serra les poings dans ses poches, la colère lui mordait les tripes, dirigée autant contre ce client fantôme que contre lui-même. Il avait été trop confiant, trop avide de gagner gros, trop prompt à ignorer les signes d'alerte. Et maintenant, il en payait le prix.

Il tenta de relancer le canal privé utilisé lors de leur échange, juste au cas où... mais comme prévu, il n'obtint aucune réponse. Le ligne désactivée. Kael jura entre ses dents, un murmure rauque dans le silence du bus. Il s'y attendait, bien sûr, mais ça n'enlevait rien au goût amer de la trahison.

Il inspira profondément, cherchant à calmer le chaos intérieur. Il n'avait pas le luxe de paniquer, il devait réfléchir avec froideur, peser ses options, et pour le moment, deux voies s'offraient à lui.

La première consistait à fuir Calix Prime, à disparaître complètement, changer d'identité, voire d'apparence. Il connaissait des chirurgiens qui faisaient ça sous le manteau. Mais c'était aussi l'option la plus évidente, celle que NeuraLinx anticiperait. Les points d'entrée et de sortie de la ville seraient verrouillés dans quelques heures, peut-être même déjà surveillés. Fuir par des moyens classiques reviendrait à se jeter dans la gueule du loup.

La seconde était de rester, se terrer comme un rat, se fondre dans les bas-fonds et disparaître dans la foule. C'était risqué, très risqué, NeuraLinx allait sûrement mettre sa tête à prix, et dans une ville comme celle-ci, il ne manquait pas de rats prêts à vendre une information pour quelques crédits. Il devrait raser les murs, se méfier de tout le monde, dormir dans des planques qu'il changerait chaque nuit. Vivoter, survivre, ça ne tiendrait qu'un temps et surtout, ce n'était pas une vraie vie. Non, il devait sortir de la ville, mais pas par les voies officielles.

Un nom lui vint en tête, un contact qu'il n'avait pas utilisé depuis longtemps, mais qui, aux dernières nouvelles, faisait toujours partie du circuit. Un passeur assez discret pour faire traverser un fantôme de l'autre côté du dôme de Calix Prime. L'homme n'était pas fiable à cent pour cent, mais il était assez fou pour le faire sans poser de questions contre une petite sommes de crédit. Le bus cahota en passant un ralentisseur, le ramenant à la réalité. Kael ouvrit l'interface sur sa paume et commença à taper une requête en silence, sa respiration à peine audible. Ses chances étaient faibles, mais c'était mieux que rien.

Kael descendit du bus dès qu'il fut convaincu d'avoir mis assez de distance entre lui et ses poursuivants. Il savait que ce répit serait bref, les agents de NeuraLinx ne tarderaient pas à relayer sa description, et bientôt, les rues grouilleraient de chasseurs de primes attirés par l'odeur de la récompense.

Jetant un regard autour de lui, il s'assura qu'aucun uniforme noir n'était en vue, puis s'engagea dans le labyrinthe des ruelles délaissées. Les néons mourants projetaient sur les murs écaillés une lumière tremblotante, à peine suffisante pour chasser les ombres. Le bitume sous ses pieds était fendu, gorgé d'humidité, poisseux par endroits. L'air empestait un mélange de moisissures, de déchets en décomposition et d'urine sèche, un parfum infect auquel il était habitué depuis longtemps.

Il s'enfonça plus profondément dans le quartier, glissant entre les pans de bâtiments rongés par le temps, évitant les flaques d'eau stagnante, se fondant dans les ténèbres. Le silence pesait lourd, seulement brisé par les couinements des rats qui détalaient dans l'ombre et le bourdonnement lointain d'un drone de surveillance.

Après plusieurs détours, il atteignit une ruelle sans issue, étroite et suintante, coincée entre deux carcasses d'immeubles en béton. L'endroit était désert, abandonné depuis des années. Une odeur de moisissure rance y flottait, plus épaisse et plus tenace. Kael s'y engouffra, ses pas étouffés par la couche de crasse accumulée sur le sol. Ses yeux bleus, aux reflets légèrement phosphorescents, luisaient doucement dans l'obscurité, projetant une lueur spectrale. Grâce à ses implants oculaires, il repéra sans peine une fenêtre éventrée, à hauteur d'épaule, son verre éclaté laissant béer un accès vers l'intérieur d'un des bâtiments.

Il s'approcha avec prudence, écarta les morceaux tranchants du rebord et se glissa à l'intérieur, prenant soin de ne pas accrocher son pull aux éclats.

L'air était plus froid à l'intérieur, chargé de poussière, de silence et de souvenirs des vies qui s'étaient déroulés ici. L'appartement abandonné dans lequel il venait d'atterrir portait encore les stigmates de vies précaires. Sur le sol traînaient des vêtements crasseux, un vieux terminal désossé, et, dans un coin, un matelas éventré dégorgeait sa mousse grisâtre comme les entrailles d'un corps éventré. Les murs, écaillés et souillés, étaient ornés de graffitis à moitié effacés, de tags rageurs fluorescents, et, çà et là, de taches sombres que Kael n'eut aucun mal à identifier, du sang, séché depuis longtemps et ayant viré au brun sale. Un meuble renversé, une chaise cassée, quelques emballages vides et brûlés dans un coin indiquaient qu'un squatteur avait utilisé cet endroit autrefois, peut-être comme planque.

Le jeune homme resta un instant immobile. L'endroit était glauque, sans aucun doute, mais discret. Et surtout, il lui offrait un semblant de répit. Quelques heures de silence, loin du vacarme et des traques. Ce genre de taudis, personne ne voulait y mettre les pieds et c'était justement ce qui en faisait une planque idéale.

Kael s'approcha du matelas éventré, ôta son sac et s'y laissa tomber avec lassitude. La mousse déchirée crissa sous son poids, et une bouffée de poussière lui monta au nez. Il s'adossa contre le mur froid, passa une main sur son visage, ses doigts tremblant légèrement. Son esprit ruminait, incapable de se taire, il s'en voulait amèrement. Comment avait-il pu être aussi négligent ? Aussi naïf ? Il s'était laissé avoir comme un amateur, piégé par une promesse trop belle pour être honnête. La colère grondait en lui, sourde, dirigée autant vers son mystérieux commanditaire que contre lui-même.

Il resta là un moment, les yeux fixés dans le vide, écoutant les grincements du bâtiment, les couinements lointains, les battements lourds de son propre cœur. Puis peu à peu, la fatigue l'emporta. Son corps, secoué par la fuite, vidé par l'adrénaline, réclamait sa part de repos.

Kael s'allongea, glissa son sac sous sa tête comme un oreiller de fortune, et ferma les yeux. Malgré l'inconfort, malgré l'inquiétude persistante, le sommeil finit par l'engloutir, lourd, profond et sans rêves.

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