Chapitre 17

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— Que se passe-t-il ?

— Thorrak est en vue, capitaine.

Arawn se tenait au gouvernail, le regard rivé sur le bout de terre qui se dessinait à l’horizon. Plus ils avançaient, plus il reconnaissait ce lieu dépravé qu’il n’appréciait guère. Mais ils étaient obligés de faire halte pour récupérer du matériel et quelques informations. Ses yeux se posèrent sur le nouveau mousse et le canonnier, appuyé sur le bastingage à bâbord, observant avec jubilation l’île qui se dessinait.

— Rassemble l’équipage.

Asan s’exécuta et les hommes furent regroupé sur le pont principal.

— Syllas et Wynric, vous accompagnerez Badic pour récupérer de quoi réparer le beaupré. Ferum et Zenem, vous vous occuperez du rapprovisionnement. Pour le reste, vous avez quartier libre, mais soyez de retour à l’aube, nous ne restons qu’une nuit ici.

Meribi et Earl exultaient sur place à l’idée de descendre du navire. Le nouveau mousse était impatient de découvrir la vie dans une ville de forban, bien qu’un peu intimidé par le brouhaha qu’ils pouvaient déjà entendre d’ici. Mais leur joie fut coupée court par le capitaine.

— Meribi et Earl restent à bord sous la surveillance de Lenry.

Les adolescents se dévisagèrent puis se tournèrent vers Arawn.

— Pourquoi ?

— Earl est recherché par le gouvernement. Descendre à terre est un risque que je ne lui ferais pas prendrais.

Le jeune canonnier eut l’envie de protester, mais le regard noir du second l’intima de se taire. Aucun n’avait le droit de contredire les ordres de leur capitaine, même si cela lui déplaisait. Earl observa la scène, impuissant. Il comprenait le souhait du phénix pour le protéger et lui permettre de disparaitre vivant, mais il ne voulait pas enchainer Meribi à son châtiment.

— Je peux rester seul à bord. Meribi peut partir avec l’équipage.

— Si je lui demande de t’accompagner, c’est pour te tenir compagnie. Il a besoin de repos avant notre route vers Anouk, sa main est toujours blessée.

Les mots d’Arawn n’étaient pas froids comme l’auraient pensé ses hommes, ils étaient plutôt posés et mesurés. Les yeux du garçon se posèrent sur le bras bandé de son ami, qui lui sourit gentiment et vint lui chuchoter à l’oreille.

— Je préfère rester avec toi que d’accompagner ces ivrognes.

— On t’a entendu, petit rat !

Il échappa à la poigne de Mannly dans son dos et se réfugia derrière Ocon.

— Les instructions sont données, préparez-vous a amarré.

Le navire ligoté au port de Thorrak, les groupes formés, les adolescents furent laissés à bord. Ils regardaient les hommes de l’équipage se plonger dans la ville par petit groupe, les abandonnant avec le maître d’équipage. L’ennui était de retour.

— Je suis désolé Meribi…

— T’a pas à l’être. Je l’ai dit, je préfère être avec toi qu’avec Mannly et Iter, ces deux-là sont insupportables lorsqu’ils ont trop bu.

— Mais tu voulais descendre non ?

— Oui, et on peut toujours le faire.

Le sourire espiègle qui germa sur ses lèvres ne rassura pas Earl.

— Et comment comptes-tu t’y prendre ? Je te rappelle que Lenry nous surveille.

— Lenry n’est même pas sur le pont. Il doit être dans la cahute à faire je ne sais quoi.

— Même, Liham doit être dans le nid de poule. Il nous verra si nous descendons.

— Je suis persuadé qu’il est en train de dormir. C’est ce qu’il fait la plupart du temps lorsque nous sommes à quai.

— Tu as réponse à tout.

Le visage blasé de son ami fit ricaner le canonnier.

— En supposant que j’accepte, comment vas-tu faire pour cacher mon identité ? Je te rappelle que, selon les dires d’Arawn, je suis recherché.

— Laisse faire le professionnel.

Il entraîna le nouveau passager à travers le faux-pont pour rejoindre sa cabine. Il lui donna une chemise crasseuse et entoura sa tête d’un morceau de tissu écarlate. Satisfait de l’apparence, il essaya de lui poser sur le haut du crâne un chapeau, mais Earl n’apprécia pas le couvre-chef et l’abandonna sur le matelas de son ami.

— Tu penses vraiment que personne ne me reconnaitra comme ça ?

— Je n’ai pas encore ajouté la touche finale.

— Tu me fais peur…

— Viens !

Il le tira vers les cales et s’arrêta proche d’une caisse à moitié close. Il y plongea sa main et la ressortit noirci par la poudre à canon.

— Approche ton visage.

— Quoi ?

— Approche ton visage !

— Il est hors de question que tu me foutes ça sur la peau !

— C’est le meilleur moyen de te salir et d’abandonner cette peau toute propre et claire.

Sans poursuivre sa phrase, il claqua sa main contre la joue de son ami, le bruit sec fit écarquiller leurs yeux. Earl posa une main sur sa peau noircie tandis que Meribi se retenait de rire.

— Tu vas voir.

Les garçons se chamaillèrent avec les mains poudreuses jusqu’à se calmer. Le nouveau mousse essuya la suie collée à sa peau, mais son ami l’arrêta.

— Arrête, c’est parfait comme ça !

— Parfait ?

— Oui, tu ressembles à un canonnier comme ça. Couvert de suie et de crasse des cales. Personne ne te reconnaitra, fais-moi confiance.

— Il y a intérêt… Sinon je pense qu’on sera foutu…

— Et maintenant : place à l’évasion.

Meribi s’avança vers la sortie de la cale, mais ne fut pas suivi comme il l’espérait. Il se retourna vers son ami et l’examina.

— Un problème ?

— Es-tu sûr que ça va marcher ?

— Tu préfèrerais te travestir peut-être ?

Earl ne répondit pas.

— Quoique… ça marcherait peut-être mieux.

— Par pitié, non. Je préfère me jeter à l’eau que devoir revivre ça.

— « Revivre » ?

Son ami se tut, les yeux grands ouverts. Il se mordit la langue et se maudit intérieurement. Il se doutait bien que le canonnier souhaiterait en entendre plus. Et il n’y échappa pas.

— Tu t’es déjà travesti ?!

— Non ! On s’est mépris sur mon sexe, c’est tout.

— Comment ça « mépris sur ton sexe » ? Comment on peut se méprendre sur le sexe de quelqu’un ?

— Quand j’étais petit, je ne ressemblais pas à un garçon. Lors d’une assemblée, c’est la servante de la demeure où j’étais accueilli qui m’a habillé. Et malgré mes protestations, elle m’a vêtu de vêtements féminins.

Meribi pouffa, ce qui ne le vexa.

— Arrête de rire ! Je me suis présenté à une assemblée d’adultes habillée d’une robe et d’un corset !

— Et t’avait-elle couvert d’une perruque ?

Son ami fit la moue, ce qui redoubla son ricanement.

— Une horrible coiffe blanche… Avec des parures hideuses…

— J’aurais bien aimé voir ça !

— Ne rêve pas.

— Dommage. Alors, partant pour une escapade à Thorrak ?

— En espérant que rien ne nous arrive…

— Fais-moi confiance ! Tout va bien se passer !

Il l’entraina à travers le pont et descendit sur le port en vitesse, bousculant quelques passants déjà bien éméchés pour ce début de soirée. Meribi savait qu’ils ne risquaient pas d’être aperçus depuis le navire en se fondant dans la foule jouasse, mais son compagnon était quelque peu inquiet. Si les dires du capitaine étaient vrais, il était recherché par le gouvernement, et il savait, ô combien certains pirates malhonnêtes pouvaient s’associer aux autorités pour gagner une bonne somme.

Les garçons filaient dans les rues délabrées de la cité, main dans la main, le sourire aux lèvres. Thorrak était comme on l’avait décrit : une ville pirate, une île où se rassemblaient ceux qui s’égaraient en mer, qui cherchait à fuir les ennuie le temps d’une nuit. Les yeux d’Earl s’attardèrent sur un bâtiment en particulier. Il tira sur la main de son compagnon pour l’arrêter et lui indiqua la bâtisse d’un coup de tête.

— Qu’est-ce que c’est ?

— Un bordel.

Le regard perdu de son ami permit à Meribi de comprendre une chose : Earl ne connaissait rien aux vocabulaires vulgaires qu’ils utilisaient.

— Un lieu de débauche, un bordel, une maison close… Là où on prend du bon temps quoi !

Les joues du mousse se tintèrent d’un rose sombre et sa gorge se noua lorsqu’il comprit les sens des mots de son copain.

— Tu veux dire… Euh… Là où il y a des…

— Des putains.

— Meribi !

Le concerné ricana face à l’air terriblement gêné de son vis-à-vis qui s’approcha de lui brusquement.

— On ne dit pas ça comme ça.

— Et comment tu le dis-toi ?

— Ce sont des… femmes de… joie.

— Des putains quoi.

Deux visions du monde. Deux façons de le percevoir.

— Tu veux entrer ? proposa le canonnier d’un air taquin.

— Non !

Il se doutait de sa réponse, mais voulait voir sa réaction.

— Dommage, ils proposent des bains aussi.

L’air consterné d’Earl se changea en une soudaine envie à l’énonciation de ce bac remplie d’eau chaude et propre. En y repensant, il n’en avait pas pris depuis un moment. À bord, ils se lavaient environ trois fois par semaine, à l’aide d’eau de mer. Autant dire que l’odeur de la sueur ne pouvait pas être lavée efficacement ainsi.

— Alors ?

— Si je me lave maintenant, mon camouflage ne marchera plus.

— Pas faux. On continue alors ?

Son ami hocha la tête et ils se remirent en route. Earl examinait chaque recoin de la ville, chaque bâtiment, chaque ruelle, et même certains passants ; bien qu’il soit le plus souvent mal à l’aise face à leurs regards. Lorsqu’ils traversaient une foule, il préférait se coller à Meribi en baissant la tête par peur d’être reconnu, ou ne serait-ce qu’aperçu par ces inconnus. Qui sait, l’un d’eux pouvait le reconnaitre et les mettre en danger. Après quelques minutes de marches, ils firent halte à côté d’un pub animé.

— On entre ?

— Je ne pense pas que ce soit une bonne idée, répondit Earl.

— Ça va te détendre !

Meribi le tira vers l’entrée et s’engouffrait dans la taverne. Mais ils s’arrêtèrent face à un groupe qu’ils connaissaient bien.

— Tout va bien se passer, hein ? murmura le mousse au canonnier.

— Comment je pouvais savoir qu’ils étaient là !

Un homme se leva et s’approcha d’eux d’un pas lourd, son regard froid fixer sur les deux silhouettes qui commençaient à regretter leurs escapades.

— Je peux savoir ce que vous faites ici, tous les deux ?

— Euh…

— Ne tentez pas de me mentir, le visage d’Earl m’indique déjà ce que vous essayiez de faire.

Syllas n’était pas de bonne humeur, mais il ne semblait pas en colère pour autant. Il avait plutôt l’air blasé de ce que les garçons avaient réussi à faire et surpris qu’ils y soient parvenus sans se faire remarquer.

— Je t’en supplie, ne le dis pas au capitaine, l’implora Meribi.

— Trop tard.

Le corps d’Earl se crispa lorsque la main du capitaine attrapa son épaule pour le rapprocher de lui.

— Il semblerait que tu aimes te mettre en danger, je me trompe ?

Le sarcasme présent dans sa voix piqua le concerné qui se retourna pour lui faire face.

— Je ne voulais pas rester à bord à ne rien faire alors qu’une nouvelle ville s’offre à moi.

— Une nouvelle ville hostile, ou ta vie est en danger permanent, rétorqua le capitaine sur un ton plus dur.

— Ma vie sera toujours en danger capitaine, peu importe où je me trouve et ce que je fais, répondit Earl immédiatement.

Sa répartie étonna le petit groupe qui resta bouche bée. Arawn ne répliqua pas. Il se pinça l’arête du nez et poussa son protégé à avancer pour l’installer autour de la table de l’équipage.

— Assis et pas bouger.

— Je ne suis pas un chien !

Les iris noires du capitaine le firent taire instantanément.

— Tu restes ici. C’est un ordre.

Earl obéit sous les regards étonnés de ses nouveaux compagnons. Il observa le dos de son supérieur s’éloigner vers le comptoir et discuter discrètement avec le serveur.

— Que fait-il ?

— Il prend des renseignements sur certains équipages alliés, lui répondit Syllas en avalant le contenu de son verre.

— Gratuitement ?

— Regarde plus attentivement et tu comprendras.

Il fit ce qu’on lui conseilla. Les lèvres des deux hommes bougeaient calmement, le pirate accouder et le serveur penché vers lui. Après quelques minutes d’observation, Arawn posa un petit sac sur le bois que son vis-à-vis récupéra immédiatement. Lorsqu’ils eurent fini, le capitaine prit en main trois pintes et revint vers la table de son équipage.

— Rien n’est gratuit, souffla Syllas à l’approche de son supérieur.

— Je vois.

Les verres posés sur la table, Earl les dévisagea un instant avant d’en prendre un en main.

— Je croyais que tu ne buvais pas ?

— Je peux essayer, non ?

Il apporta le récipient à ses lèvres et gouta la boisson. Alors qu’il s’attendait à quelque chose d’amer et piquant, il fut agréablement surpris du gout sucré que lui offrait ce mélange.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il les yeux grands ouverts.

— De l’hydromel. Un mélange d’eau et de miel, c’est une sorte de vin doux, répondit Wynric en finissant son propre verre.

— C’est délicieux.

Le jeune homme se lécha les lèvres et rebut une gorgée. Une fois sa pinte terminée, il la reposa un peu brusquement sur la table dans un bruit sourd, ce qui le fit sursauter. Il poser frénétiquement ses deux mains sur le contenant en enfonçant sa tête entre ses épaules pour se faire discret.

— On peut voir ça, ricana Badic à ses côtés.

— D’ailleurs, vous n’étiez pas censé être allé chercher de quoi réparer le beaupré ? demanda Meribi, un peu à l’écart.

— Et vous, vous n’étiez pas censé rester à bord ? lança Syllas, un sourire en coin.

Le concerné se mit à bouder dans un coin, vexer par cette réponse, même s’il s’en doutait.

— Nous avons croisé Arawn sur le chemin. Un menuisier nous dépose le bois sur le port, je ferais les réparations demain, répondit Badic.

— Nous restons longtemps ici ?

— Le temps de pouvoir réparer le navire et se reposer, répondit Arawn en prenant place à côté de son protégé.

Il retira son tricorne pour le déposer sur la tête d’Earl, dans le but de mieux camoufler son identité.

— Mon déguisement ne te convient pas ?

— Si, mais il manquait une petite touche de piraterie.

Le garçon rigola légèrement et secoua la tête. Il étudia son environnement : un vieux pub aux grandes fenêtres, permettant aux derniers rayons du jour d’éclairer le visage de chacun. Le bois décati du sol montait jusqu’au premier étage, par un escalier en quart tournant, emprunter par quelques femmes et hommes fortement dévêtis, si ce n’est pas totalement pour certains. De nombreuses odeurs se mélangeaient, entre l’alcool, la sueur, le sucre, et le tabac.

Des voix éclataient par moment, très vite étouffé par des coups et des hommes qui foutaient les bagarreurs dehors. Des rires également, et des chants. Des chants de marins, des chansons sur des légendes, sur la vie de pirate, la vie de marin, ou des péripéties, accompagnées de flute, de violon ou de piano. Une ambiance festive, car lieu de repos et de réunion pour beaucoup.

— Comment tu te sens ici ? murmura Arawn à son oreille.

— Je ne sais pas vraiment… Je me sens anxieux, mais en sécurité avec vous.

Le capitaine avait instinctivement passé son bras dans le bas du dos de son protégé, pour le garder à ses côtés. Même en s’en rendant compte, il ne l’a retiré pas. Si cela rassurait le garçon, ça lui convenait.

— Nous devrions bouger, capitaine.

Syllas s’était levé le premier et examinait les alentours. Les groupes de pirates et boucaniers étaient de plus en plus nombreux à entrer dans la bâtisse, et la sécurité du garçon passait avant tout.

— Tu as raison. En route.

Le capitaine se leva en entrainant son équipage et sortit du pub. Earl se faisait discret en suivant le groupe, mais son regard croisa celui d’un sombre homme dans un coin, ce qui le fit ralentir. Les iris perçantes de l’étranger le mirent mal à l’aise. C’est comme s’il était mis à nue que son déguisement ne servait à rien face à l’inconnu.

Il reprit ses esprits et se précipita vers la sortie où l’attendait son groupe. Arawn le trouva tendu lorsqu’il se retrouva à nouveau à ses côtés. Il se pencha à son oreille alors qu’ils avançaient dans la ruelle principale.

— Tout va bien ?

— Oui, je suis juste fatigué.

— Nous allons nous reposer, sois patient.

Ils continuaient de marcher jusqu’à se perdre un peu plus profondément dans la ville. En se retournant, le mousse aperçut le port en contrebas, ou mouillait le Phoenix. Les derniers rayons du soleil disparaissaient à l’horizon, embrassant les vagues de sa lumière rougeâtre avant de disparaitre. À l’approche de la nuit, les bougies s’allumaient à travers les fenêtres et sur le porche des bâtisses.

L’animation des pubs faisait écho jusqu’à eux, malgré la distance. L’alcool avait dû monter à la tête de certains, car des éclats de voix et de coups résonnaient à travers certaines rues. Détournant son attention de l’activité se trouvant dans son dos, Earl se retrouva face à un bâtiment imposant et calme.

— Bienvenue à la Taverne du Loup.

— Drôle de nom pour une taverne… souligna le garçon.

— Tout a un drôle de nom ici, répondit Badic dans un sourire.

— Tu n’as pas remarqué celui du pub de tout à l’heure ?

— Non, c’était quoi ?

— Le cheval boiteux.

Le jeune homme ne répondit rien. Il se contenta de lever les yeux au ciel, ce qui déclencha une série de rires auprès de ses compagnons.

— Vous manquez parfois d’imagination en termes de nom de lieu ou d’objet.

— Je suis sûre que tu n’aurais pas trouvé mieux ! rétorqua Meribi dans son dos.

— Non, c’est vrai. Mais j’aurais sans doute choisi un autre nom.

Les deux amis se lancèrent un regard espiègle avant de sourire. Le capitaine les observa un instant, puis incita le groupe à entrer. La pièce à vivre était grande, des lustres en cercle accrocher au plafond éclairait les tables garnies de plats en tout genre. Une cheminée permettait à certains de se réchauffer de leurs voyages, tandis que le comptoir était occupé par quelques clients discutant ensemble.

L’ambiance était bien différente de celle du précédent pub. Un petit groupe de musicien jouait dans un coin, un duo dansait devant eux pour amuser la galerie. Mais la plupart des clients venaient dans cette taverne pour profiter d’une atmosphère plus calme, d’un bon repas chaud et d’une chambre confortable.

C’était le cas de l’équipage du Phoenix. Des habitués de la ville les reconnurent à l’instant ou ils pénétrèrent dans la bâtisse. Le capitaine les salua brièvement et s’installa sur une table avec son équipage. L’un des serveurs s’approcha d’eux pour prendre en note leurs choix de plats. Meribi parla à la place du nouveau mousse, qui le remercia silencieusement.

Après quelques minutes d’attente, des assiettes furent déposées devant eux, ainsi que des verres remplis. Le repas pouvait commencer. Au fil du temps, le petit groupe fut retrouvé par les autres membres de l’équipage. La taverne était leur lieur de rassemblement pour la tombée de la nuit, ce qui était assez pratique pour se retrouver dans cette si grande ville.

— C’est délicieux !

Earl s’était exclamé après une bouchée de la viande qui se trouvait dans son assiette.

— C’est du porc salé, c’est la spécialité du chef, répondit Badic en limitant.

— Je n’en avais jamais gouté.

— Que mangeais-tu avant notre rencontre ?

La question de Wynric fit taire l’équipage. Il se reçut par ailleurs un coup dans les côtes de la part de Mannly pour son indiscrétion.

— Des plats gastronomiques… Comme des escargots ou des ragouts de poissons.

— C’est pas ragoutant tout ça, rétorqua Im dans une grimace.

— Et encore, goute les œufs de poissons ou de la cervelle de bœuf, et tu verras.

L’apprenti coq mima un haut-le-cœur qui fit rire le nouveau moussaillon.

— Je ne regrette pas du tout ces plats « appétant » de la haute société. Je préfère largement le porc salé aux têtes de poissons.

Le repas continua dans la bonne humeur, autour de discussion sur des sujets variés. Les assiettes vidées et les verres bus, l’équipage quittèrent la table et montèrent à l’étage. Earl fut surpris d’y voir un couloir dont les murs furent recouverts de nombreuses portes.

— La taverne loue des chambres aux voyageurs, souffla Arawn dans son dos. Nous restons de nombreux jours sur l’eau. Un bon bain chaud et un vrai lit sont indispensables pour certains d’entre nous.

— Parce que se laver à l’eau de mer, c’est une bonne chose. Mais ça ne couvre pas l’odeur de certains, rétorqua Iter à haute voix en fusillant du regard Mannly.

— Parle pour toi ! Je pus beaucoup moins que Ferum !

— Pardon ?!

Une querelle entre les gabiers et les subrécargues commença sous les ricanements des plus hauts gradés.

— Et puis, la terre ferme nous appellera toujours, même si nous n’y restons que pour quelques jours seulement, continua Helm sans se soucier des éclats de voix dans le couloir.

— Allez, ça suffit ! intervint Arawn. Chacun rejoint sa chambre. Demain, nous avons la réparation du navire et l’approvisionnement à faire. Alors je veux que tous mes hommes soient en forme, compris ?

Les membres de l’équipage acquiescèrent et chacun disparut. Earl se retrouva seul au milieu du corridor, zyeutant les portes sans savoir laquelle emprunter. Une main se posa sur son épaule, le faisant légèrement sursauter.

— Tu dors avec moi.

Ses prunelles croisèrent celles du capitaine qui l’entraina vers une porte au fond du couloir. Il se retrouva dans une pièce sombre qui ne le mit pas en confiance. Le pirate dans son dos le dépassa pour venir allumer une lampe à gaz poser sur une table de chevet.

La lumière éclaira la salle et permit au garçon de la détailler : un lit dans un coin, une table de chevet, un bureau sous la fenêtre et une grande bassine en bois dans un autre coin de la pièce, caché derrière un paravent.

— Je te laisse profiter de l’eau chaude en premier. Mais ne prends pas trop de temps, je souhaite également me réchauffer, commença le capitaine en retirant ses effets.

— Euh… Allez-y en premier dans ce cas.

L’hésitation dans la voix du plus jeune ne passa pas inaperçue.

— Quelque chose te gêne ?

— Non. Enfin… Disons que je n’ai pas l’habitude de partager une chambre avec quelqu’un. Encore moins avec le capitaine d’un navire pirate.

— N’aie crainte, je ne compte pas te manger.

— Ce n’est pas ce qui m’inquiète le plus.

Le silence prit place dans la pièce, vite briser par le plus vieux des deux.

— Je descends. Ça te laisse le temps pour te laver.

La porte claqua, laissant Earl seul dans la chambre. Ce dernier attendit quelques instants avant de commencer à se dévêtir. L’absence du pirate le rassurait : bien qu’Arawn eut déjà vu son corps, il souhaitait garder ses secrets pour lui un peu plus longtemps.

Il pénétra dans l’eau chaude, le faisant frissonner de plaisir. Un soupir s’échappa de ses lèvres tandis qu’il fermait les yeux. Iter avait raison, un bon bain chaud surpassait de loin les douches rapides à l’eau de mer.

Les paupières closes, il médita. Ils devraient atteindre Basal dans quelques jours, après que le Phoenix soit entièrement réparé. Earl ne savait pas ce qu’il ferait une fois rendu sur cette île, il n’avait jamais envisagé une vie différente de celle déjà tracée par son père.

La vie de pirate était agréable et les membres de l’équipage amicaux. Certains restaient en retrait quelques fois, mais il s’entendait avec la majorité. Mais le capitaine n’accepterait sans doute pas sa présence à bord éternellement. Ils avaient sans doute une quête à suivre, un objectif pour naviguer sur ces flots parfois dangereux.

Un but. Jamais il n’en avait entendu parler parmi l’équipage. Mais Earl en était sûr, ils ne naviguaient pas pour rien, sans un cap précis, des ordres à suivre ou quelque chose a trouvé. Cela rajoutait une nouvelle question à poser au capitaine.

Il resta ainsi, le corps entièrement submergé par l’eau du bain, pendant de longues minutes. Il faillit presque s’endormir, si un courant d’air ne l’avait pas dérangé. Le capitaine était de retour dans la chambre, et s’était immédiatement dirigé vers les fenêtres.

Earl en profita pour sortir de la bassine et s’habiller. Il sortit de derrière le paravent et fut surpris d’apercevoir le capitaine assis sur le rebord de la fenêtre ouverte, bouteille à la main, le regard tourner vers lui.

— Ce fut agréable ?

Le jeune homme ne fit que hocher la tête, sa voix restait bloquée dans sa gorge.

— Bien.

Il s’assit sur le lit et fixa le pirate. Il se surprit à le contempler dans ses plus simples habits : une chemise ouverte, un pantalon ample, ses bottes n’habillaient plus ses jambes. Et cette fameuse bouteille à la main qu’il apportait de temps à autre à ses lèvres.

Il n’avait jamais vu une bouteille aussi claire. Un aspect clair, presque blanc, colorait le liquide se trouvant à l’intérieur. Et l’étiquette coller au verre n’indiquait que deux mots : « campaniae prædictas ».

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il au bout d’un moment.

— Du champagne de fée. Un mélange de fleurs dans de l’eau.

— C’est de l’alcool ?

— Non, plutôt… de la limonade. C’est une boisson nocturne par ici.

— Comment ça ?

Arawn tourna son regard vers son protégé, assis comme un jeune enfant sur le lit, les mains sur les genoux, et l’air attentif.

— C’est tiré d’une légende du coin. Il y a des années de ça, un marin se perdit pendant une tempête et s’échoua sur les plages de Thorrak. Affaiblis et assoiffée, il pria l’océan de le venir en aide. C’est alors que des fées sortirent de l’eau et s’enfoncèrent dans la forêt, le guidant vers un immense arbre. Elles cueillirent ses fleurs et les donnèrent au marin. Ce dernier les mélangea avec de l’eau de source et le but. Le gout sucré apporté au liquide pansa ses plaies et l’aida à se rétablir. Dès lors, il baptisa se liquide campaniae prædictas, ou le champagne des fées.

— C’est une jolie légende, je dois l’admettre. Mais pourquoi nocturne ?

— Parce que ses propriétés de guérisons ne font effet que la nuit.

— Vous en avez besoin ? Vous êtes blessé ?

Le pirate esquissa un sourire en coin.

— Non, je ne suis pas blessé. Mais cela m’aide à dégriser.

— Oh, je vois…

Le garçon se sentit bête d’avoir pensé que son vis-à-vis soit blessé. Après tout, c’était un pirate, et plus encore, un capitaine.

— Couche toi, demain nous nous levons à l’aurore pour récupérer des vivres et quelques informations.

— Mais le reste de l’équipage ne sera jamais dégrisé comparé à vous. Surtout certains…

Earl pensa aux subrécargues et aux gabiers qui avaient fini la soirée ivre morts.

— Qui a dit qu’ils viendraient avec nous. Maintenant, dors.

Le garçon prit cette phrase comme une sorte d’honneur. Se retrouver seul en présence du capitaine ne pouvait lui apporter que du positif.

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