Chapitre 23

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Il ouvrit lentement les yeux. La lumière l’aveugla puis la luminosité diminua pour laisser place au ciel. Quelques goélands le survolaient, avant qu’un visage n’apparaisse au-dessus de sa tête. C’était le médecin de bord. Que faisait-il ici ? Le garçon ne savait pas. La seule chose dont il était certain, c’est du mal de tête qui bourdonnait dans son crâne et le poids lourd dans sa poitrine. Pourquoi diable avait-il si mal partout ?

Chell fut le premier à remarquer son état de conscience et commença à lui parler. Mais Earl n’entendit rien. Ses oreilles bourdonnaient, sa peau le grattait et son corps était trop lourd pour bouger ne serait-ce qu’un orteil. Que s’était-il passé ? Il se souvint du gouvernail, du capitaine, des vagues, et d’une voix.

Cette voix ! Personne à bord ne la possédait, elle ne venait donc pas du Phoenix. Mais alors qui ? Après cette mystérieuse voix, il se rappela de ses bras, et surtout de ses veines. Par Ino, pourquoi étaient-elles devenues si bleues ! Ce n’était pas normal, rien de tout cela ne l’était.

Il bougea légèrement la tête vers son bras droit et observa son épiderme. Ses veines étaient redevenues normales. Pas de bleus flamboyants, pas de marque apparente, rien. Il soupira d’agacement. Ses membres commençaient doucement à se dégourdir, mais il n’entendait toujours rien, malgré les lèvres du médecin qui ne cessait de bouger.

Earl parvint à lire sur les lèvres du soigneur son nom et c’est tout. Il le répétait souvent. Sans doute suivirent d’innombrables questions sur la façon dont il se sent. Et s’il devait lui répondre, il lui dirait simplement qu’il se sent lourd comme une pierre qui coule au fond de l’eau. Chell rirait sans doute, accompagné de quelques hommes.

D’ailleurs, ou étaient-ils passés ? Du coin de l’œil, il ne voyait personne sur le pont supérieur. Enfaite, non. Il ne voyait personne dans la cabine. Pourquoi était-il dans une cabine ? Il se souvenait être sur le pont supérieur en compagnie du capitaine, qui lui demandait d’ailleurs d’écouter les vagues. Pour quoi faire ? Il ne se rappelait pas.

Oh ! Si ! C’était pour… un passage ? Bon sang, Earl, rappelle-toi ! Un passage, pour aller où. Où se rendaient-ils ? Sur une île, pas loin de Thorrak. Une île dans l’archipel de Thorrak, un sanctuaire. Pour qui ? Pour lui ? Un lieu sûr pour les gens comme moi. Les enfants dotés d’un don de l’océan. L’île… d’Anouk ! Mais oui ! Que je suis bête !

Il devait faire confiance au capitaine et écouter les courants pour ouvrir un passage vers Anouk ! Voilà la raison pour laquelle il se trouvait sur le pont supérieur. Mais pourquoi était-il désormais dans la cabine du médecin de bord ? Aucune idée.

Ses paupières se faisaient moins lourdes et ses membres moins douloureuses. Il commença à bouger ses orteils et ses doigts, respirant lentement pour ne pas se brusquer. Il se souvint encore de la voix qui lui avait parlé. Une voix masculine, posée et rassurante.

Fais confiance au phénix, avait-il dit. Comment cette personne pouvait-elle savoir qu’il n’avait pas totalement confiance envers cet homme ? Après tout, il avait ses raisons. Il avait appris que l’obsession de ce pirate était un joyau maudit que seuls des Mannred pouvaient atteindre. Et que ce maudit homme connaissait sa mère et son identité depuis un moment, et ne lui en avait même pas fait part !

Maudit pirate. Enfin non, maudit cardinal pour prendre leurs termes au pied de la lettre. Sa tête commençait à chauffer en se remémorant toutes les informations qu’il avait assimilées au fil des jours à bord. Mieux vaut arrêter d’y penser pour le moment.

Sa gorge était sèche et sa langue pâteuse. Son palais lui faisait mal, il avait dû serrer les dents et coller sa langue au plafond de sa bouche avec force lors de son sommeil. Ça pouvait peut-être expliquer pourquoi ses membres étaient si tendus. Il essaya de se détendre en respirant plus calmement et en pensant à des choses apaisantes.

Le bruit de l’eau, les vagues contre les parois du navire, le chant des oiseaux et le vent qui soufflait entre les feuillages d’arbres. Et puis, des pas sur le bois du pont, des voix résonnant dans ses oreilles. Tiens, j’entends à nouveau. Il se concentra sur les bruits tandis que ses paupières se refermaient. Il écouta Chell utiliser son mortier, le tintement des instruments en verre sur son bureau qu’il prenait avec délicatesse entre ses mains.

Des éclats de voix attirèrent son attention. Les hommes devaient s’activer sur le pont inférieur. Il soupçonna certains d’entre eux faire des aller-retour à la cale pour faire le plein de vivre ou aller chercher du matériel. Il voulait bouger pour aller les rejoindre, mais le haut de son corps n’était pas encore de cet avis.

Il parvint à bouger ses jambes et ses bras, mais son buste resta coller au lit. Il tourna la tête et ouvrit les yeux. Le soigneur n’était pas très loin, avec un peu de force et de volonté, il pouvait attendre sa chemise pour l’avertir de son réveil.

Il tendit le bras de toutes ses forces, ses doigts jouèrent de longues secondes avec le morceau de tissu qui s’échappait du dossier de la chaise. Avec un brin d’effort en plus, il attrapa l’étoffe et tira dessus. La réaction du médecin ne se fit pas attendre. Ce dernier se retourna vivement et dévisagea le garçon, avant de se lever et de rejoindre son lit.

— Comment te sens-tu ?

Earl ne pouvait pas encore lui répondre. Il avait soif. Et il se doutait qu’avec un peu d’eau, sa gorge se dénouerait et qu’il pourrait enfin parler. Alors il ouvrit la bouche et mima de ses lèvres les mots « à boire ».

Chell sembla le comprendre immédiatement. Il se redressa et revint avec un verre d’eau. Le garçon sourit, mais il ne cria pas encore victoire. Il devait se redresser maintenant pour pouvoir boire. Il s’aida de la force de ses jambes et de ses bras pour se pousser vers la tête du lit, avec l’aide du soigneur.

Une fois assis, un long et puissant soupire s’échappa de ses narines. S’il ne sentait pas aussi mal, il se serait traité de taureau à souffler ainsi du nez. Il prit le verre entre ses mains encore un peu engourdi, et l’apporta à ses lèvres gercées. Il engloutit le contenu d’une traite et en redemanda silencieusement. Ainsi, il avala cinq grands verres d’eau avant de s’arrêter. Un sourire germa sur son visage face à la sensation de fraîcheur apporté à sa bouche et sa gorge. Le médecin attendit patiemment à ses côtés qu’il calme sa pulsion de soif. Une fois définitivement terminer, le garçon redonna le verre à son vis-à-vis et lui sourit.

— Tu te sens mieux ?

L’enfant hocha la tête. Oh que oui. Il se sentait revivre avec cette fraîcheur en lui. Son torse n’était plus aussi lourd, mais sa poitrine continuait de lui faire mal. C’était comme un pincement constant au niveau de son cœur. Et même s’il gigotait sur son lit, le mal demeurait.

— Je suppose que tu as des questions, comme toujours.

Exact. Il voulait savoir ce qu’il s’était passé sur le pont, et comment s’était-il retrouvé ici. Mais il n’eut pas besoin de parler, Chell le fit à sa place.

— Dans un premier temps, sache que tu as réussi à nous faire entrer sur l’île.

C’était une bonne nouvelle. Ainsi, ils étaient en sécurité à quai. Il savait que l’archipel de Thorrak était réputé comme dangereux à cause des nombreux îlots rocheux qui permettaient à des navires de se cacher et de profiter de l’effet de surprise pour attaquer d’autres équipages. À terre, ils évitaient le pire.

— Lors de la cérémonie de passage, tu es entré dans un état de transe. Tu ne dois pas te rappeler de ce qui s’est passé après.

Il secoua la tête. À l’exception d’une forte douleur à la poitrine et de cette désagréable sensation de vide sous ses pieds, il ne se souvenait de rien.

— Tu es rentré dans ce qu’on appelle un état de consonance. Ton corps est entré en contact avec l’océan et ton subconscient a été aspiré par l’eau.

La tête complètement confuse du garçon fit sourire le médecin qui comprit que ce dernier était complètement perdu.

— Je vais t’expliquer ce qui s’est passé après que tu es fermé les yeux, tu comprendras mieux après.

Earl opta pour cette option, car cette histoire de consonance sonnait comme une étrangeté dans sa tête.

— La mer s’est mise à s’agiter lorsque tes yeux se sont fermés. Je ne sais pas à quoi tu pensais, mais les courants se sont calmés à la proue, et nous avons pu avancer dans le passage. Mais quelque chose d’étrange s’est passé avec toi.

Quoi ? Qu’ai-je pu faire si j’étais inconscient ? Il aurait aimé poser cette question, mais sa voix restait bloquée dans sa gorge.

— Il s’avère que… ton corps semblait lié à la mer en cet instant. Ton cœur s’est illuminé d’un bleu semblable à celui des vagues, et s’est propagé à travers ton organisme par tes veines. Je n’avais encore jamais vu ça auparavant.

Earl n’avait donc pas halluciné. Il avait bien ressenti cette douleur et vu ce bleu serpenter sous son épiderme. Mais d’où provenait-elle ?

— Après ça, il y a eu un écho à la surface de l’eau. Comme un immense battement de cœur. Nous avions déjà vu ce phénomène lorsque tu étais tombé à l’eau lors de la planche, mais pas d’une telle ampleur. C’était encore plus grand et fort, ça a calmé tous les courants qui essayaient de nous emporter. Après ça, tu as perdu connaissance et tu es tombé dans les bras d’Arawn. Nous avons décidé de t’apporter ici pour permettre à l’équipage de préparer l’accostage sans encombre, et de surveiller ton réveil au calme.

Un battement de cœur ? Il baissa le regard sur sa propre poitrine et déboutonna sa chemise. Il écarta les pans de tissu et observa son épiderme. Il fut surpris de voir des traces restantes sous sa peau, des veines serpentaient de son cœur pour se disperser dans son corps, comme un feu d’artifice. Le médecin n’en revint pas également. La marque n’était pas aussi visible que lorsqu’elle était bleutée, mais elle demeurait à une place qu’elle n’avait pas occupée avant.

— Je n’avais rien vu de tel, s’exclama Chell stupéfait.

Le garçon prit conscience d’une chose en cet instant. Sa vie semblait réellement liée à la mer, mais il ne savait pas s’il devait s’en réjouir ou en avoir peur. Il secoua la tête et referma sa chemise, il préférait voir cette histoire plus tard et se concentrer sur l’accostage du navire. Le garçon ouvrit la bouche et parla d’une voix encore enrouée.

— Donc… Nous sommes arrivés ?

— Oui. Nous sommes à Anouk.

Le médecin se leva et aida le jeune homme à en faire de même. Il tituba aux premiers pas, puis monta les marches de l’escalier une à une pour rejoindre l’extérieur. La douce brise marine l’accueillit chaleureusement tandis que les voix des hommes de l’équipage résonnaient à ses oreilles. Son regard se porta sur l’île qui s’étendait face à lui, et au village qu’il pouvait apercevoir au loin.

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