Chapitre 32

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Le navire longeait les côtes de Utlos lorsque le garçon se dirigea vers la poulaine. Il chercha du regard le nid de faucon qu’il avait déposé, des jours plus tôt. Mais malgré les longues minutes qu’il passa à fouiller partout, il devait se rendre à l’évidence, le nid avait disparu.

— Tu cherches quelque chose ? le questionna Syllas, pencher sur le bastingage.

— Le nid du faucon, ou est-il ?

— Nous l’avons déposé à Anouk, Mannly s’en ai personnellement chargé. Il est à au moins quinze mètres au-dessus du sol, perdu dans la végétation de la jungle, à l’abri des prédateurs.

— Ouf… soupira le jeune homme.

— Les oisillons étaient déjà bien grands, ça ne m’étonnerait pas qu’ils aient pris leurs envols à notre départ.

Earl s’imagina les oiseaux prendre leurs envols au-dessus de la forêt et de la baie, libre comme l’air. Comme lui.

— Mais il semblerait que l’un d’eux nous ai suivi.

— Pardon ?

Le quartier-maitre indiqua la vergue de misaine ou se tenait percher une petite silhouette plumer.

— Tu plaisantes ?

— J’aimerais bien, ses déjections donnent du fil à retordre à Ferum et Zenem.

— Et ont en fait quoi ?

— C’est à toi de t’en charger.

— Comment ça ?

— C’est toi qui as sauvé ce nid et ces rapaces, c’est donc à toi de prendre tes responsabilités et d’éduquer ce piaf.

— Mais—

— Tu n’as pas le choix, c’est un ordre du capitaine.

Et il repartit vers le pont, délaissant le mousse abasourdi, les bras pendant le long de son corps et la bouche à moitié ouverte. Il leva les yeux au ciel et examina le jeune faucon pèlerin posé sur la mâture.

— Et je suis censé faire comment pour dresser un oiseau moi ? ronchonna-t-il en se levant.

Son regard se porta vers les îlots qui frôlaient le navire. Helm était un bon timonier, mais la proximité entre le Phoenix et ces amas de roches ne rassurait personnes. Et le jeune garçon connaissait les dangers de ces lieux, des archipels d’îlots rocheux qui camouflaient des ennemis, un lieu propice à des embuscades.

Il délaissa la poulaine pour gagner les cales de provisions. Au passage, il croisa son ami qui le suivit dans sa descente.

— Qu’est-ce que tu cherches au juste ?

— Je ne sais pas trop, de quoi appâter un rapace.

Meribi s’arrêta, les yeux ronds.

— Répète-moi ça ?

— L’un des oisillons que j’ai sauvés dans le nid nous a suivis jusqu’ici, et je ne pense pas qu’il pourra rejoindre Anouk vu la distance que nous avons déjà parcourue. Alors le capitaine veut que je le domestique, en quelque sorte.

— Domestiquer un rapace. C’est impossible.

— Certains marins domestiques bien des perroquets ou des singes.

— Oui, mais ils ont de l’expérience, toi tu n’en as pas.

— Il n’est jamais trop tard pour apprendre.

Earl sortit de l’une des caisses des morceaux de viande de poulets qui n’enchantèrent pas le canonnier.

— C’est un peu du cannibalisme ton histoire.

— Pourquoi ? Un faucon n’est pas une poule. Et ce sont des rapaces, ils mangent de la viande, pas des graines ou autres trucs là.

— C’est quand même… Bref.

Ils remontèrent sur le pont ou les deux se postèrent. L’un s’installa sur les caisses proches du grand mât, l’autre essaya tant bien que mal d’attirer l’attention de l’oiseau.

— Eh oh. Regarde ce que j’ai pour toi.

Earl sortit un morceau de viande blanche de sa poche et le tendit vers le ciel. La tête du rapace tourna en sa direction, mais l’oiseau ne bougea pas d’une plume.

— Viens, c’est pour toi.

— Tu as déjà vu quelqu’un appeler un oiseau comme ça ?

— Dans l’armée royale, certains soldats en ont comme armes ou comme oiseaux de reconnaissances aériennes.

— Impressionnant. Mais pas sûre que tu y arrives.

— Déjà, j’aimerais réussir à le faire descendre sur le pont.

Une idée germa dans sa tête. Au lieu de garder le morceau de viande dans sa main, il le déposa sur le bastingage et se recula. D’abord hésita, le faucon se tourna sur la vergue avant de déployer ses ailes et de plonger. Il se réceptionna difficilement sur la rambarde, si bien que le garçon crut devoir courir l’attraper pour éviter qu’il ne tombe à l’eau. Mais le rapace se rattrapa et engloutit goulument son repas.

— O.K. Première étape franchie, et maintenant ?

— Tu ne peux pas être un peu plus enjoué, Meribi ?

— Non.

Les deux amis se sourirent puis pouffèrent de rire. Mais l’animal ne resta pas bien longtemps proche d’eux et repartit à coup d’aile se percher encore plus haut.

— Ah, bah en fin de compte ça n’a pas marché.

— Ce n’est pas grave. Je voulais juste qu’il comprenne que nous ne lui voulions aucun mal.

Il déposa le reste de viande sur une caisse à côté de Meribi en incitant ce dernier à s’écarter, puis gagna la dunette arrière pour observer l’oiseau redescendre finir son festin. Le plumage du rapace était argenté, mais sa taille restait petite. C’était un jeune spécimen qui devait avoir des choses à apprendre, dont celle de ne pas avoir peur des hommes de ce navire.



Assis sur la poulaine, il observait l’eau s’ouvrir au passage du navire. À travers les nombreuses vagues qui se formaient et l’écume qui rendait la surface de la mer trouble, il réussit à apercevoir des masses sombres en profondeur. Il se redressa par-dessus bord et essaya d’y voir plus clair. Dans le flou, il distingua trois silhouettes semblables à des raies.

— Ce sont des Barloc.

La voix du capitaine fit sursauter le garçon, qui manqua de peu de rejoindre la mer. Il se redressa et fit volteface, contemplant le pirate appuyer sur le bastingage du gaillard d’arrière, souriant comme à son habitude lorsqu’il était avec le garçon.

— Des Barloc ?

— Des créatures semblables à des raies, pouvant atteindre la taille d’un vaisseau de guerre. D’ordinaire, ont ne les croises que dans les eaux du nord-est, mais les œufs semblent éclore dans le coin.

— Sont-elles dangereuses ?

— Si on ne s’attaque pas à elles, non. La plupart du temps, elles ne font que suivre le sillage des navires. Mais lorsqu’elles se sentent menacer, elles peuvent mettre un man’o’war en pièce.

L’attention d’Earl se tourna immédiatement vers l’avant du navire, examinant les trois ombres qui remontaient lentement vers la surface. La peau noire, elles étaient munies d’étranges lignes blanches qui se croisaient et s’entremêlaient.

— Il existe d’autres créatures marines comme celle-ci ? Hormis les sirènes, le kraken et les barloc ?

— Oui, et je ne pense pas que tu souhaites les rencontrer un jour.

— Elles se trouvent dans ces mers ?

— Non, elles préfèrent les eaux froides du Nord. Mais les plus jeunes spécimens chassent dans la région plus à l’est.

— Impressionnant.

Le capitaine releva la tête vers le mât de misaine et soupira.

— Comment se passe l’apprentissage de cet oiseau.

— C’est une mission bien difficile que vous m’avez donnée là, capitaine.

Un rire guttural vint effleurer les tympans du jeune mousse, qui fut bien étonné d’entendre cet homme rire à l’une de ses remarques — preuve que tous deux s’étaient enfin détendue.

— Tu n’as pas à te presser. Je pense que, quoi qu’il arrive à ce navire, cet oiseau restera à nos côtés. Il n’a nulle part où aller de toute façon.

— Et il n’arrivera rien à ce navire.

Arawn ne répondit rien. Il se contenta d’effleurer le bois du bastingage et soupira.

— Ce navire est plus vieux que moi. Plus rien n’est d’origines. J’ai remplacé les vergues, les mats, les voiles. C’est ainsi qu’il survit, éternellement. Mais un jour, il subira un combat de trop, et le Phoenix sombrera au fond de la mer.

— Mais pas son équipage. Et ce navire renaitra de ses cendres, comme le phénix qu’il est.

L’enfant maudit s’était relevé et faisait fièrement face à son capitaine. Son regard parlait pour lui : il ne comptait pas abandonner ce navire si facilement, contre n’importe qui. L’attention du phénix en question se porta sur l’arme à la ceinture de son protégé.

— Je vois que Wig t’a offert un sublime présent.

— Je ne sais pas vraiment à qui elle appartenait, mais elle me va parfaitement.

— C’était la sienne.

Le regard du garçon se porta sur la poignée de son sabre, la considérant à présent comme un héritage familial.

— Il ne te manque plus qu’un pistolet, et tu seras prêt à n’importe quel combat.

— Je ne peux pas en prendre un au hasard ?

— Une arme se choisit avec soin, quelle qu’elle soit. Nous pouvons aller en choisir une si tu le souhaites.

Il le rejoignit sans tarder sur le gaillard d’avant, et tous deux se dirigèrent vers l’armurerie. Cependant, alors qu’ils débattaient sur la taille et le poids idéal d’un pistolet pour le plus jeune, un cri retentit à leurs oreilles, les alarmant d’un danger imminent. La vigie était debout dans le nid de poule en train de leur hurler dessus.

Avant même qu’ils ne puissent comprendre, une détonation retentit dans l’air. La coque du navire craqua et se fissura sous leurs pieds face à la force d’un boulet de canon. Earl en perdit l’équilibre, l’impact était bien plus puissant que tout ce qu’il avait connu jusqu’à maintenant. Tandis que le capitaine filait vers la dunette, son regard balaya l’horizon à la recherche de leurs assaillants.

Son corps se figea lorsqu’un vaisseau beaucoup plus imposant surgit d’entre les îlots, ses canons pointés en leur direction. Mais ce qui le tétanisa davantage fut le drapeau qui flottait en haut du grand mât. Un pavillon qu’il avait aperçu de nombreuses fois dans ses livres, appartenant à l’un des plus redoutables pirates de Manhal, et dont le capitaine lui avait longuement parlé.

Il s’agissait du Neptune. Le Phoenix n’avait aucune chance face à lui.

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