Chapitre 36

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Le général examina la marchandise qui lui était livrée. Ses sourcils se froncèrent en remarquant la peau abîmée des prisonniers, leurs vêtements déchirés, salis par la sueur et le sang, des hématomes violacés mouchetaient leurs bras et leurs jambes.

— Le marché est respecté, même si certaines conditions étaient à revoir.

— Je vous ai ramené votre détenu. Aucune condition ne pourra changer ça.

Mannles et ses hommes ricanèrent, leurs vis-à-vis se tendirent un bref instant.

— Nous avons fait le travail que vos hommes ont été incapables d’accomplir correctement.

Il tendit sa main vers l’officier qui soupira, il sortit de sa poche un sac rond et assez lourd qui laissa retomber dans la paume du capitaine. Earl distingua aisément le tintement des pièces d’or s’entrechoquer. Son cœur se serra d’une haine noire pour ce traitre.

Le forban lança un dernier regard vers ses prisonniers et les abandonna aux mains de la marine royale pour remonter à bord de son galion. Les garçons furent tirés vers une calèche et furent poussés à l’intérieur, un soldat ferma la porte et les chevaux partirent aux trots.

Le trajet fut court dans le noir, ils s’arrêtèrent trop rapidement au gout du Mannred. Lorsque la porte s’ouvrit, il déglutit en s’apercevant de l’endroit dans lequel ils se trouvaient : la forteresse de Nelak. Immense, muni de haut rempart armé, de nombreux gardes surveillant toute les entrés, tout endroit susceptible d’être pénétré de l’extérieur ou de l’intérieur.

Il avait beau regarder dans tout les sens, il n’y avait aucune échappatoire. Il était pris au piège.

Ils furent emmenés de force par les hommes du général, passèrent une grande porte métallique, puis traversèrent un long bâtiment, descendirent des escaliers et arrivèrent aux sous-sols. Les pierres humides du sol refroidissaient ses pieds, mais la vision des cachots présents face à lui était ce qui le gelait le plus.

Et ils ne pouvaient pas y échapper. Ils furent poussés pour avancer dans ce long dédale lugubre, observer par les prisonniers déjà présents dans la quasi-totalité des cellules. Hommes ou femmes, ils étaient dans des états tout aussi piteux qu’eux. Certains étaient des pirates — de renom ou simple forban de pacotille — des femmes de joie, des sorcières ou des meurtriers.

Poussées dans une geôle commune, les garçons tombèrent à genoux, libérés de leurs liens. Earl se retourna vivement pour s’accrocher aux barreaux, fusillant ses bourreaux du regard.

— Nous vous attendions il y a plusieurs mois déjà. Le commodore ne doit arriver que dans une semaine, peut-être plus. Vous avez le temps de profiter de ces plaisantes compagnies jusqu’au jour de votre jugement, ricana l’officier.

— Vous regretterez vos paroles !

— Et tu regretteras d’être née, démon.

Le concerné hurla de rage en s’accrochant à ses barreaux tandis que le groupe d’hommes remonta les escaliers.

— Vous serez maudits ! Je vous tuerais !

Il vida ses poumons d’air, repris une grande inspiration et se remis à hurler. Il continua inlassablement, perdant sa voix petit à petit. Il s’attira les regards curieux ou empathique de certains détenus, mais ne s’en soucia pas. Cessant de s’user la voix inutilement, il tourna dans sa cellule telle un fauve en cage. Il cherchait n’importe quelle faille qui lui permettrait de s’échapper.

— C’est inutile.

La voix du garçon l’arrêta. Il se tourna vers lui, étonné d’enfin entendre ce prisonnier parler. Il n’avait pas bougé depuis qu’ils avaient été amenés ici, il restait assis là, les genoux pliés et les mains vides de toute énergie. Sa tête penchée en avant appuyait son air abattu, les yeux mis clos et les lèvres gercées.

— Rien n’est jamais inutile.

— Hurler est inutile. Je le sais, c’est ce que je faisais au début.

— Sur le Neptune ?

Son vis-à-vis acquise. Earl pris place face à lui, assis en tailleur, la tête penchée sur le côté dans l’espoir de pouvoir mieux voir le visage de son compagnon de cellule.

— Je m’appelle Earl. Je peux connaitre ton nom ?

— San, ancien membre de l’équipage du Tilidad.

— Le Tilidad ? Mais c’est le navire de John Robert ça, non ?

Un vieillard s’immisça dans leur conversation, accrocher aux barreaux de la cellule d’à côté. Sa peau était ridée, une barbe grisâtre et des dents cassées (deux en or) lui donnaient un air de vieux marins fou.

— Eh gamin, t’était sur le navire du cardinal Est, c’est ça ? J’suis étonné que tu te retrouves ici.

— Le cardinal Est ? l’interrompt le Mannred, curieux.

— Oui, il s’occupe de la mer d’Ashur et de Drampa. Il se partage le territoire de Brand’mond avec Ambroise, le cardinal Ouest. Des deux, c’est de Robert qu’il faut se méfier.

À l’énonciation de ce nom, le garçon remarqua les frissons qui parcourait la peau de San. Ce cardinal devait être bien différent d’Arawn. Son cœur se pinça en repensant au phénix. Il secoua la tête pour se concentrer sur le présent.

— Je sais que hurler est inutile, mais ça me permet de vider mon sac d’émotion. Et puis, je ne compte pas mourir ici, reprend-t-il en souriant légèrement.

— T’as pas trop le choix gamin, pi t’arrivera pas à maudire ces gars-là avec l’océan, tu peux m’croire ! lui répondit le vieillard en éclatant de rire.

— Oh vraiment ?

D’un air taquin, il n’ajouta rien, mais son regard chercha un point d’eau. Hélas, il n’y avait rien, pas un sceau laisser sans surveillance, un verre à moitié rempli, une flaque. Les barreaux de cette cellule étaient trop épais et rouillés pour être forcés. Sur ce coup, le vieil homme avait raison. D’ici, il ne pouvait rien faire. Mais une fois dehors, il aurait une chance de s’enfuir.

Alors il s’assit au fond de sa cage et patienta. San était légèrement intriguée par son changement de comportement et vint s’installer à ses côtés. Il se pencha à son oreille pour qu’il ne soit que le seul à l’entendre.

— J’ai entendu parler Mannles durant la traversée jusqu’ici, et même avant l’attaque. Tu es un—

— Mannred. Oui. Et je ne me laisserais pas faire, tu peux en être sûre.

— Je n’en doute pas.

Earl braqua son regard sur son nouvel ami, et examina l’épiderme de son torse. Ses yeux s’agrandirent lorsqu’il l’aperçut. Là, cacher entre les plies de sa chemise, se dessinait la tache d’encre qui le caractérisait.

— Tu en es un aussi… souffla-t-il silencieusement. C’est pour ça que Mannles t’a gardé prisonnier comme moi.

— Deux Mannred lui en rapportaient plus qu’un. C’est la raison pour laquelle il vous a attaqué. Pour te capturer, et assouvir sa vengeance envers Rackham.

— Et je me vengerais de lui, par n’importe quel moyen.

— Je te suivrais.

Il lança un regard vers San et fut surpris d’y voir un véritable sourire, divisé entre la rancœur et la joie d’avoir trouver un compagnon de route.

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