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- Si j'étais toi, je ne sauterais pas.

Une voix féminine, douce et claire, s'éleva dans la nuit. Surpris, je sursautai violemment et faillis glisser, retrouvant mon équilibre, malgré moi, dans un réflexe de survie incontrolé. Mince, j’aurais du me laisser glisser.

- Putain, lâchai-je le cœur battant à mille à l’heure.

Elle ne voulait peut-être pas que je saute, mais j’avais bien failli mourir d’une crise cardiaque.

Je tournai brièvement la tête en direction de la fille qui avait surgi de nulle part.

- Et si j'étais toi, je ne me promènerais pas seule, à je ne sais quelle heure du matin dans un lieu infesté de drogués, répliquai-je, imitant grossièrement son ton, celle d’une miss-je-sais-tout.

Quelle instance toute puissante avait décidé de me mettre une Hermione Granger au travers de mon chemin ? N’avais-je pas dit que j’étais dans un lieu où personne ne me dérangerait ? Visiblement, je m’étais trompé. Elle resta silencieuse, me dévisageant longuement, méditant ce que je venais de dire. Les sourcils froncés, elle arborait un air un peu hautain. Se sentait-elle supérieure à moi ? Détentrice d’un secret auquel je ne pouvais pas avoir accès ?

- Si tu sautes, je pense que tu connaîtras la pire des souffrances.

Un ricanement m’échappa. Elle ne savait pas que c’était la vie qui m’infligeait la pire des souffrances. Ce qui m’attendait en bas, ce n’était rien. Juste une douleur physique qui s’éteindrait aussitôt. Elle s'était approchée du rebord pour juger de l'état de la rivière et de la distance qui nous en séparait.

- C'est peut-être même certain, fut son verdict.

- C'est peut-être ce que je cherche, justement !

Toute douleur prendrait fin, au contraire. Ma conscience se déliterait, je cesserais d’exister. Il n’y aurait alors plus rien. Que la douceur de l’oubli.

- N'empêche, insista-t-elle en croisant les bras sur sa poitrine, le suicide ne rime à rien.

Je soupirai. Cette fille qui osait se pointer, croyant tout savoir à la vie m'exaspérait profondément. Je ne cherchais pas un discours moralisateur sur le geste que j’étais prêt à réaliser. Si je l’avais voulu, j’aurais continué à voir un psy. C'était à croire qu'on ne me laisserait jamais tranquille.

- Moi aussi, je peux insister, tu devrais franchement rentrer chez toi. Tu n'as rien à faire ici.

Je voulais m'en débarrasser et le plus vite serait le mieux. Le silence se prolongea après ma remarque. Croyant lui avoir cloué le bec une fois pour toute, je m'approchai un peu plus du bord, inspirant une profonde goulée d'air froid qui me brûla la trachée. J’étais prêt à sauter. Je l'étais depuis un moment.

- Tu crois peut-être que le suicide est l’unique solution à tes problèmes, mais je suis certaine que non. On peut en parler, je peux peut-être t’aider. Tu vois, j'ai quelque chose à faire. Te redonner la raison.

Je fronçai les sourcils, l'agacement se transformant littéralement en colère.

- Non ! lançai-je, abruptement, la transperçant de mon regard gris que je savais orageux sous l’influence de mon humeur.

Pars, pensai-je. Va vivre, laisse-moi mourir.

Quelle raison croyait-elle pouvoir me rendre ? Comptait-elle pour m’aider me faire la liste de toute les choses que j’allais manquer en effectuant cet attentat à moi-même ? Je l’avais déjà faite. J’étais peut-être irraisonnable à vouloir me balancer du haut d’un pont, mais je savais exactement pourquoi j’étais là. Et quelques mots échangés avec une inconnue n’allait pas tout changer. Personne n'ébranlerait ma volonté.

Perdu dans mes pensées, j’en avais oublié la présence de la jeune fille. Et n'avais pas entendu des mots qu'elle semblait avoir prononcé. Je m'en fichais, je m'en moquais éperdument, j’aurais voulu qu'elle disparaisse, qu'elle s'en aille, qu'elle me laisse seul. Un jour peut-être, j’avais rêvé de ne pas être laissé dans la solitude, mais ce n’était plus le cas aujourd’hui. Mes choix n'avaient pas à être justifiés. Et encore moins à une fille à la curiosité malsaine qui n'avait pas à se trouver là, à cette heure. Je n'avais de compte à rendre à personne.

- Bordel, mais va-t’en, lâchai-je enfin, m'extirpant de mes pensées, à la place de la réponse qu'elle attendait. Tu n’as pas compris que je voulais que tu me laisses tranquille ?

- Et avoir ta mort sur la conscience, en sachant que j'aurais peut-être pu t'aider ? Certainement pas ! Rétorqua-t-elle. J'ai eu la chance de te voir, je ne vais pas la laisser passer.

Pour qui se prenait-elle ? Une héroïne des temps modernes ? Je soupirai bruyamment, ne lui cachant pas mon exaspération.

- Une sauveuse ! Génial ! Parfait ! Exactement ce dont j'avais besoin, m'exclamai-je, m’enveloppant dans le sarcasme comme d’un gilet pare-balle.

- C'est ça, allez vas-y, moque-toi ! Si tu crois que ça me fera décamper.

- Tu ne bougeras pas, bla bla bla, j'avais saisi. Mais si tu crois pouvoir me faire changer d'avis, tu te trompes, ma décision est déjà prise. Personne ne le peut et certainement pas une mêle-tout dans ton genre ! Et encore moins en une nuit. Tu perds ton temps.

Elle resta là, bien campée sur ses deux jambes. Elle croyait sans doute, voyant une silhouette se découper dans la nuit, avoir à faire à une âme solitaire qui cherchait désespérément une écoute. Je n’en étais pas une. Je n’étais pas perdu. Que du contraire.

Je m'avançai encore jusqu'à ce que les bouts de mes pieds ne rencontrent plus que le vide. Que le vertige fasse frémir la moindre parcelle de ma peau. Les poils de ma nuque se dressèrent sous l’assaut de l’adrénaline. Une simple brise pouvait me faire basculer. J’étais entre la vie et la mort.

- Tu ne veux peut-être pas partir, mais moi je m'en vais.

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