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Avais-je peur de la mort ? C’était une question intéressante. Pouvais-je avoir peur de quelque chose dont je ne connaissais rien ? Les émotions étant inhérentes à une personne, si je cessais d’exister alors je n’aurais pas peur, pas plus que je n’éprouverais de douleur. Et cela me semblait être un état plutôt enviable.

- Je devrais ?

Elle ne trouva pas de réponse à ma question. Alors je lui en posais une autre.

- Est-ce que la peur de la mort est une raison suffisante pour ne pas se suicider ? C’est ce que tu essayes de me faire dire ?

- Peut-être, elle devrait au moins te faire réfléchir à ce que tu comptes faire. La mort te semble plus attractive que la vie. Alors qu’est-ce qu’elle a de plus ?

- La vraie question, c’est qu’est-ce qu’elle a de moins ? La souffrance.

- Donc, tu souffres, murmura-t-elle. C’est bien pour cela que tu es là aujourd’hui, à un pas de la mort.

- Tu ferais une sacrée détective.

Elle leva les yeux au ciel et quand elle finit de les faire rouler dans leur orbite, les braqua dans les miens.

- On souffre tous, à un moment ou à un autre. Qu’est-ce qui fait que chez toi, ça t’entraine vers la mort ?

Peut-être que je n’étais pas aussi résistant que la plupart des autres gens.

Peut-être que je n’étais pas assez fort pour maintenir les armes.

Peut-être que je n’étais pas capable de faire abstraction, ni d’oublier.

Peut-être que je n’en avais juste pas envie.

- Ah tu t’attendais vraiment à ce que je réponde ? Répliquai-je.

- Tu sais quoi ? Je pense qu’on a tellement l’habitude d’être privilégié qu’on en oublie que c’est exceptionnel.

- Donc, tu fais la présomption que je suis privilégié ?

- Oui, répondit-elle sans ciller, ni hésiter.

Je me demandais ce qui lui faisait dire ça et où elle voulait en venir.

- Les pauvres, les gens qui ont moins de moyens, ont quelque chose qu’on a perdu. La simplicité. Tu as déjà remarqué ces sourires sur le visage d’une famille africaine qui n’a quasi rien ? Ils ont l’air heureux malgré tout. Ils vivent et profitent de la simplicité de ça. Nous, on espère plein de trucs qu'ils ne peuvent même pas imaginer. Et ça les préserve. Ils ne sont pas encombrés de tentations futiles. Ils connaissent la dureté de la vie et pourtant ils la chérissent plus que tout. Ils connaissent l'essentiel et c'est ça qui importe. Je fais la présomption que, toi, tu as oublié le plus important. Et si j’ai raison, alors tu devrais m’écouter. Tu devrais te focaliser sur la chance que tu as.

Bien sûr que j’étais privilégié. J’étais un blanc dans un pays riche… Je levai les yeux au ciel, désespérant de la voir partir. Avait-elle été les voir et leur demander s’ils étaient vraiment heureux ? Qu’en savait-elle, après tout ? Qui, mourant de faim et de soif, bénit la vie d’être sur terre ?

- Ah … fis-je comme si tout devenait clair.

Elle me regarda, pleine d’espoir, attendant la suite. C’était un vrai livre ouvert, cette fille. Une peinture d’émotions instantanées. Tout passait dans son regard, sans filtre.

- C'est donc cela. Tu devrais penser à dormir plutôt qu'à penser à ce genre de choses. Ça doit carburer là-dedans, fis-je, en faisant tourner mon index près de ma tempe. Tu m'étonnes qu'après, le sommeil t'échappe, lâchai-je, acerbe.

Touché.

Coulé.

Décontenancée, elle baissa les yeux sur ses mains en train de triturer le bas de son manteau. La lèvre inférieure martyrisée par ses dents. Des pensées lui obscurcirent le visage. Je m’en voulus aussitôt de voir ces ombres éteindre sa clarté. Elle ne le méritait sans doute pas. Au bout d’un moment, elle releva la tête et m’observant, elle répliqua un peu en retard.

- Peut-être... Et toi ? Tu penses quelquefois ? Tu souffres d’accord, mais penses-tu à la douleur que tu provoqueras chez tes proches ? Est-ce que tu penses à tes parents et à la tristesse quand ils apprendront que tu n'es plus ?

Je sentis mon regard se voiler à la mention de mes parents. Mes piliers. Mes points d’ancrage. Elle n’avait pas fait mouche en me parlant de l’injustice sur terre, mais là elle tirait dans le mille.

- Au moins, si je meurs aujourd'hui, je n'aurais pas à pleurer leur perte demain, répondis-je, sans la regarder.

Avait-elle déjà envisagé la mort de ses proches ? Moi, oui. Et c’était épouvantable. Inévitable, douloureux et insupportable. Je ne me croyais pas capable de survivre à leur mort. Et je me sentais égoïste de leur infliger la douleur de perdre un fils. Si je m’étais battu, c’était avant tout pour eux. J’aimais mes parents plus que tout. Ils n’étaient pas parfaits bien sûr, mais ils faisaient tout ce qu’ils pouvaient. Ils ne m’avaient jamais réellement compris cependant. Il semblait que personne ne le pouvait réellement. Ce n’était pas leur faute. Ils n’auraient rien pu faire de plus. Tous les gens qui gravitaient autour de moi. Amis, famille. Je les aimais sincèrement. Et pourtant… Ce n’était pas suffisant.

J’avais plongé mon inconnue en pleine réflexion, apparemment.

Elle restait concentrée sur le paysage avec toujours ce tic de mordiller sa lèvre inférieure. Pourquoi restait-elle là ? Pourquoi s’acharnait-elle ? Qu’est-ce qu’elle y gagnait ? Pourquoi ne pouvait-elle simplement pas passer son chemin comme la plupart l’aurait fait ? Qu’elle baisse les yeux et elle ne me verrait plus. Qu’elle les ferme et qu’elle m’oublie. Les Hommes étaient plutôt doués pour ce genre de choses.

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