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- Pas tant qu'on ne me répond pas !

- Je ne compte pas te répondre ! Peux-tu comprendre au moins ça ? Tu cherches des réponses, mais les écoutes-tu au moins ?

Ma voix avait claqué, plus dure que je ne l'aurais voulu. Je m'écartai. Je shootai dans la neige, l'expulsant d'un coup de pied. Elle se disloqua dans l'air en captant les rayons de la lune, brillant d'un éclat féerique, vola, s'éparpilla et retomba un mètre plus bas.

- Mais pourquoi pas ?

Sa voix à elle avait perdu son ton inquisiteur, elle avait parlé tout bas. Je fis volte-face.

-Je ne cesse de te le répéter. Parce que tout ça ne te regarde pas. Tu croyais devenir une héroïne, n’est-ce pas ? Tu me voyais confier tous mes secrets et toi me réconforter comme dans un magnifique film ? Repartir une fois que je t’aurais promis que je ne comptais plus sauter. Désolée pour tes grands rêves de sauveuse empathique. Tu devrais partir maintenant… Vraiment. S’il te plait.

-C’est vrai, acquiesça-t-elle. Je pensais trouver quelqu’un d’effondré qui attendait une oreille sans y croire. Bon ce n’est pas le cas, et alors ? L’enjeu est le même, non ? Je ne partirais pas, affirma-t-elle, pour la énième fois. Je ne te laisserais pas tomber et désolée pour le mauvais jeu de mots. Tu as besoin d'aide, je te la donne.

J’exhalai furieusement, en passant les mains dans mes cheveux et en tirant dessus. Comment je faisais pour m’en débarrasser ? Bon dieu, mais elle était pire qu’une sangsue !

- Je n’en veux pas. Je n’en ai pas besoin !

- Mais si, la preuve ! Regarde-toi.

- Et toi ? Regarde-toi, tu es trempée, tu es gelée, tu es exténuée et tout ça, pourquoi ? Pour rien. Alors, juste, pars !

Elle désigna, accusatrice, l'endroit où je me tenais debout et la rivière gelée dans laquelle j’étais prêt à sauter. Tandis que moi-même, je la désignais, debout au milieu du pont, les bottes ensevelis sous la neige. J’avais beau dire non, elle continuerait à dire oui.

- Mais arrête, arrête de me dire que je devrais me casser. Je suis là, profites-en ! Quel que soit ton problème je peux l’entendre.

- Je peux sauter à tout instant, la menaçai-je.

- Je ne crois pas que tu sauteras.

Elle emprunta un air orgueilleux, hautain. Elle n'avait pourtant pas l'air si sûr d'elle. C’était du bluff, elle m'en sentait capable. Elle m'avait déjà vu l'essayer une première fois.

- Je ne parierais pas si j'étais toi.

- Ok, bon admettons, fit-elle en haussant les épaules, changeant de tactique. C'est vrai, tu peux partir à tout instant. Ce n'est apparemment pas moi qui pourrais t'en empêcher. Pourquoi ne l'as-tu pas encore fait, alors ?

- Tu m'en empêches.

- Tu te contredis là !

- Tu ne m’en empêches, pas de la manière dont tu voudrais, pas à cause tes paroles, mais moi aussi j'ai une conscience et je n’ai pas envie de t'infliger ce spectacle. Ça te briserait sûrement, voir quelqu'un mourir est traumatisant.

Je n’avais plus mis d’ironie. J’étais sincère. Je savais de quoi je parlais. Dans ses yeux, l'étincelle de curiosité brillait toujours, mais était accompagnée d'un autre sentiment. De la compassion.

- Tu veux me préserver, comprit-elle.

- Je veux préserver ton innocence...

- J'ai l'impression que tu es quelqu'un de sensible, et pourtant, tu fais tout comme si ce n'était pas le cas. Dis-moi. Dis-moi ce qui te pèse. Raconte-moi ce qui te rend malheureux au point d'être là en cet instant prêt à te jeter du haut d'un pont. Juste pour une fois, partage ta souffrance, délègue ton fardeau. Confie-toi à moi. Ça ne t'engage à rien. Tu as peur de te montrer vulnérable, faible ? On s'en fout. Je m'en fous. Je ne te jugerais pas.

C'est déjà fait, pensai-je. Tu m'as déjà jugé. Et condamné.

- Cesse de me considérer comme une ennemie que je ne suis pas. Tu me trouves agaçante, trop curieuse ? Je le suis certainement, je ne le nie pas, mais je te promets une chose.

Elle expira profondément, pesant les mots qu'elle comptait prononcer. Qui lui coûtait.

- Une chose que j'essaierais de tenir du mieux que je peux. Je te laisserais achever ta vie de la manière dont tu le désires si là est vraiment ce que tu veux. C'est la seule manière pour que tu me fasses partir.

Elle grimaça. Comme cette idée devait lui être insupportable.

- Je ne te crois pas.

- Partage avec moi ton mal et je te laisse tranquille, continua-t-elle sans prendre en compte mon intervention. Promis. Soulage ta peine, au moins une fois dans ta vie...

Elle se mordit la lèvre, les larmes aux yeux.

- Avant de mourir. Ta confidence contre ma promesse de partir.

J’en restais muet de stupéfaction. Fini la curiosité malsaine. A la trappe le syndrome de la sauveuse. Elle était prête à renoncer. Je ne la croyais pas capable de mentir, pas avec cette sincérité si touchante qui émanait d’elle. Mais même si elle se croyait capable de partir, une fois que j’aurais dit tout ce que j’avais sur le cœur, en supposant que je trouve les mots pour le faire, elle ne pourrait pas s’empêcher de réfléchir sur ce que je lui aurais confié. Qu’importe alors qu’elle soit une personne de parole. Je la regardais dans les yeux. Je ne la connaissais pas. Pourtant, en ce moment, j’avais le plus grand respect pour elle. Dans une autre situation, j’aurais admiré sa grande humanité. N’avais-je pas cherché quelqu’un incapable de fermer les yeux devant les malheurs ? Je lui devais peut-être au moins ça. Mon histoire pour le froid qu’elle endurait. Elle me touchait, bien sûr elle m’énervait, mais j’étais également ému par ce que j’entrevoyais d’elle, un côté fragile, doux et attentionnée. Soudain, je me rendis compte que j’avais envie de me confier. Douloureusement envie. Mais malgré son soutien, les mots restaient coincés dans ma gorge, formant un nœud douloureux. Alors que pour une fois, j’étais prêt à parler, je n'y arrivais pas. Je serrai les poings, frustré. Comme si elle sentait tout ça, elle reprit la parole, encore, plus douce que jamais. Pour cette fois, se dévoiler. Lever un pan sur sa propre douleur.

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