Chapitre 1 "Premiers délires" - (Scènes 1, 2 et 3)

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Scène 1 – Scène d'ouverture

Marc ne dort qu’à moitié. Allongé sur le ventre, il flotte dans cet espace fragile où les pensées n’obéissent plus, où la réalité hésite encore à reprendre forme. Le parquet exhale une odeur de bois chauffé, une chaleur discrète, presque vivante. La lumière orangée du réverbère découpe sur le mur les cercles emmêlés du grillage, comme une respiration lente qui ne lui appartient pas.

Un craquement fend le silence. Sec. Minuscule. Pourtant il traverse l’air comme un avertissement. Marc ouvre légèrement les yeux, écoute. Le bois qui travaille… ou autre chose.

La rue laisse monter un souffle de pneus mouillés. Puis un klaxon éclate. Marc sursaute, un choc brusque lui remonte dans la nuque. Une nausée acide colle à sa gorge. Il inspire pour se stabiliser — et c’est là que le murmure glisse, presque trop discret pour exister.

« Marc… tu peux m’aider ? »

Il se redresse, immobile. Le plafond lui paraît légèrement mouvant, comme si la pièce respirait au ralenti. La lumière tinte faiblement contre la vitre. Il tend le bras, allume la lampe de chevet. La pièce bascule dans un calme artificiel.

Il scrute. Rien. Une mouche se débat contre le rebord de la fenêtre. Par réflexe, Marc se lève, entrouvre le carreau et la laisse s’échapper, comme s’il refusait d’ajouter la moindre souffrance au monde.

Marc éteint. Le noir revient, traversé seulement par la lueur orangée. Un souffle se dépose dans l’air, précis, familier : vanille et citron frais. L’odeur de Jimmy.

Elle se superpose au bois chaud comme une note qui n’aurait jamais dû revenir. Marc sent sa gorge se serrer, un mélange de panique et d’élan — comme si Jimmy entrait simplement dans la pièce.

Il ferme les yeux. Une seconde. Deux.

Jimmy est mort.

La phrase tourne en lui, inflexible. Mais l’odeur persiste, si nette qu’elle efface presque le reste.

La voix revient, obstinée, une goutte régulière contre la paroi fragile de son esprit.

« Marc… tu peux m'aider ? »

Il ne bouge plus. Chaque muscle suspendu. L’appartement paraît retenir son souffle avec lui.

Marc sait qu’il ne dormira plus. Quelque chose a été touché en lui. Quelque chose qu’il pensait stable. Et il sent — sans pouvoir l’expliquer — que la nuit ne le lâchera pas.

Scène 2 – Un réveil difficile

Marc n’a pas trouvé le sommeil. Il a glissé d’un état à l’autre, comme si la nuit refusait de se refermer autour de lui. Au matin, son corps se soulève avec lenteur : chaque geste semble fait à travers une brume épaisse.

Il entre dans la salle de bain, ouvre l’eau. La chaleur frappe ses épaules. Il ferme les yeux.

« Marc… tu peux m’aider ? »

La voix se reforme exactement comme la veille : même grain, même proximité. Elle ne flotte pas — elle s’insinue.

Son souffle se brise. Il coupe l’eau brusquement. La vapeur se plaque contre son dos, épaisse, presque hostile, comme si l’air cherchait à l’immobiliser.

En s’accroupissant pour reprendre son équilibre, il sent sous sa paume une flaque tiède. Une odeur métallique, vive, lui traverse le nez. Sous la lumière, une teinte sombre semble se répandre.

Pendant une seconde — une seule — Marc croit voir du sang.

Il cligne des yeux. La teinte se déplace. Ce n’est que de la rouille, reflétée dans l’eau qui coule encore de sa peau.

Il respire, mais son ventre reste noué. En passant le chiffon sur le sol pour absorber l’eau, il se surprend à murmurer : « Pauvre concierge, elle n’a pas besoin de ça en plus… » — une pensée douce, automatique, qui traverse malgré tout son état de tension.

Dans la cuisine, le parfum du café qu’il tente de préparer lui retourne l’estomac. Il s’assoit, s’essuie, s’habille mécaniquement. Dans l’ascenseur, son reflet lui semble étranger : yeux creusés, cheveux épars, posture décalée.

« Il faut que je sorte. »

La phrase sort d’elle-même, sans conviction.

Scène 3 – L’isolement sensoriel

La rame bondée oscille avec une régularité qui n’apaise rien. Les corps pressés les uns contre les autres créent une chaleur compacte, presque suffocante. Marc s’adosse à la porte, fixe un point vague devant lui. Quand un vieil homme peine à se maintenir debout à cause du freinage brusque, Marc lui tend immédiatement le bras, sans réfléchir, et l’aide à retrouver l’équilibre.

Le bruit du wagon se mélange en une masse confuse : conversations hachées, froissements de vêtements, crissements métalliques. Un bourdonnement qui semble filtré par une couche invisible.

Une odeur sucrée, trop insistante, lui agressse la gorge. En dessous, quelque chose d’autre se glisse : un parfum de métal chaud, le même que dans la salle de bain. Une résonance étrange. Son estomac se contracte.

À sa gauche, un enfant murmure à sa mère. Le wagon freine brusquement. Au milieu du crissement, Marc perçoit un fragment de souffle :

… tu peux m’aider…

Est-ce sa voix ? Celle de l’enfant ? Un débris du bruit ? Le doute remonte comme une lame froide.

Il ferme les yeux un instant. L’image de Jimmy apparaît, floue, comme imprimée sur une vitre qu’on aurait essuyée trop vite. Le souvenir de sa posture, sa manière de rire en se tenant à la barre.

Une annonce nasillarde sature les haut-parleurs. Les mots s’écrasent, indiscernables. Marc croit entendre son prénom, déformé, étiré.

Il pose la main sur la barre métallique. Le froid lui traverse la peau. Ou est-ce sa propre main qui tremble ? Il ne sait plus.

Les portes s’ouvrent dans un souffle froid. Marc se laisse pousser dehors. L’air frais ne le libère pas : il semble aussi chargé que celui du wagon.

Dans les escaliers, un souffle bref derrière lui. Trop proche. Il se retourne — personne. Un flot de passants anonymes.

Marc accélère. Ses pensées n’ont plus de contour. Il avance par réflexe, sans être sûr d’échapper à quoi que ce soit.

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