Chapitre 3
Extirpée du sommeil, par une furieuse envie de me gratter. Je vais me rendormir, mais les souvenirs de ces derniers jours et plus particulièrement ceux de la veille resserrent la poigne qui tient ma gorge. Plaquée contre ma couverture grumeleuse, je laisse les larmes coulées sur mes joues.
Perdue. Je suis complètement perdue. Je n’ai plus aucun repère, plus aucun détail sur lequel me raccrocher. À part cet instinct : Survivre.
Mon doigt se pose sur le sol. Naturellement. Comme s’il répondait à un appel profond, à un cri impossible à ignorer.
Dans un demi-sommeil, je trace sans réfléchir, les mots qui me viennent à l’esprit la poussière. Je ne réfléchis pas, car comme toujours les mots s’imposent.
Une chaleur étrange pulse dans ma main. Légère et réconfortante.
Je ne sais pas où je suis.
Je ne sais plus qui je suis.
Alors je me contente de suivre.
Ce soleil que je ne vois plus, couleur cuivre.
Il n’y a plus de voie déjà tracée.
Il n’y a plus de chemin déblayé.
Mais il y a l’inconnue. Ce monde infini.
Et la vie.
Et apparemment ça suffit.
Vraiment ? Pour l’affirmation ce n’est pas vraiment prouvé. Mais qu’importe.
Suivre et survivre.
Ce sont maintenant mes mots d’ordre. Un bruit de pas m’extirpe soudainement de mes pensées.
— Soa ?
Ma voix pâteuse me fait sourire intérieurement et achève de me sortir complètement de mes rêves et de ma rumination.
— Grmbl ?
Sa réponse me tire un rictus. D’un mouvement souple, je repousse ma couverture. Le sol humide me fait frissonner. Réprimant un bâillement, je le rejoins.
Le vent frais et léger glisse dans mes cheveux comme une caresse. Je me tourne vers mon guide.
— Bien dormi ?
— Oui, et toi ? Pas trop dérangée par le hurlement du chat roux ?
— Non, je n’ai rien entendu.
J’ouvre la bouche pour poser la question qui me démange, mais il est plus rapide que moi.
— D’après le cri qu’il a poussé cette nuit. Il était gros, et assez proche. On par tout de suite, c’est plus sûr. Les chats roux sont très dangereux. Et je ne tiens pas trop à terminer dans son ventre.
Sa voix ne souffre pas de contradiction. De plus, il y a une telle urgence dans ses mots, que je n’hésite pas une seconde. Je me lève et le suis.
— À quoi ça ressemble ?
— C’est un immense animal, qui pullule par ici. Petit conseil de ma part, fais de ton mieux, pour ne jamais croiser sa route. Parce que pour beaucoup, ça a été la fin de la leur.
Je l’entends replier la tente. Et moi je reste plantée, dans l’herbe pieds nus. Je ne lui suis pas vraiment utile et risque d’ailleurs de le ralentir davantage.
Un hurlement déchire soudainement l’air.
Puissant.
Glaçant.
Tout mon corps tremble de peur.
— Ne reste pas plantée ici ! Prends ce sac et cours ! hurle immédiatement Soa.
J’entends le sac atterrir à mes pieds. Je l’attrape et me mets à courir, sans savoir vers quoi je me dirige. Près de moi, j’entends le souffle léger de Soa.
Mes jambes bougent vite, poussées par l’adrénaline. Ma main devant moi tremble. Le vent fouette mon visage, effluve de terre non habitée. Les minutes s’étirent et seul mon point de côté qui s’agrandit me donne la notion du temps.
Le souffle court je cherche ma respiration. Soa me guide de sa main entre mes omoplates. S’il n’était pas là, j’aurais paniqué.
La terre se met soudainement à trembler. Je trébuche sur une racine, et manque de m’étaler par terre, la main de Soa me rattrape in extremis m’empêchant de perdre de précieuses minutes.
— Cours ! Ne t’arrête pas !
Je n’en avais pas l’intention. La panique me force à accélérer. La terre bat toujours, aussi vite, sous la force des pattes de l’animal.
Un grognement rauque retentit derrière nous.
— À droite ! Ina à droite !
Je tourne, mais je ne sais pas vraiment ce qu’il attend de moi. Sa main m’agrippe le poignet et m’attire dans les broussailles. Mon cœur bat vite, et mes jambes flagellantes sont contentes de se reposer.
Sous mois, la terre bouge toujours autant, comme si c’était le dos d’un animal enragé.
— Qu’est-ce que..
Je n’ai pas le temps de terminer ma phrase. Il pose sa main sur ma bouche pour m’ordonner le silence. Les secondes s’écoulent doucement.
L’animal passe près de nous, de lui nous parvient son odeur de fauve et de viande pourris. Puis, la terre se calme doucement. Le séisme devient sursaut infime. Puis, disparaît.
— On l’a échappé belle, soupire Soa en enlevant sa main de ma bouche.
Je hoche la tête, et m’ébroue pour me calmer.
— On fait quoi ?
La paille sèche craque lorsque Soa change de position près de moi.
— On attend pour être sur qu’il soit parti. Et après on reprend la route…
J’écarte une mèche de mon visage, et remplis mes poumons d’air frais. Avant de me laisser tomber mollement sur ma couverture.
La journée est passée vite, et s’est résumée à de la marche. On a bien fait une pause à l’ombre pendant le pic de chaleur, mais ça ne change pas grand-chose. Le cheval de Soa s’étant sauvé à cause du chat roux, on a du continué le chemin avec les sac de marchandise.
Mes épaules déchirées crient de fatigue. Je me retourne vers mon guide.
— Tu penses que le chat roux reviendra cette nuit ?
— Non, la route jusqu’à Vayn, va être une lune morte. Normalement, nous ne sommes pas sur le territoire d’une de ses créatures
— Une lune morte ?
— C’est une expression chez nous, les caravaniers. Elle signifie que tout sera calme. La lune est magique et crée des interférences, la plupart du temps, quand on la voit les animaux sont agressifs et plus dangereux. Dans la culture, si elle n’apparaît pas, c’est que tous se passera bien. Mais c’est une croyance, typique, et il arrive que ça se révèle faux.
Je hoche la tête, ces mots ne m’ont pas rassurés.
— Demain matin nous arriverons à Vayn, conclu-t-il. Repose-toi, la journée qui arrive sera fatigante.
Je m’allonge sur la couverture et je tends l’oreille.
Pas loin, j’entends le claquement de doigts de Soa, qui fait s’éteindre les dernières braises du feu de camp. Puis le froid retombe, léger au début, puis de plus en plus mordant.
Dans ciel, la lune morte veille sur nous, mais dans mon crâne, des millions de questions sans réponse tourbillonnent encore.
Le soleil me réchauffe à peine de ses rayons, quand les premiers bruits de Vayn nous parviennent déjà. Malgré la peur qui me noue le ventre, je me surprends à sourire malgré moi, en entendant à nouveau la vie.
Ce matin, nous nous sommes mis en route très tôt, je n’ai pas arrêté de bâiller. Les questions, qui siégeait dans ma tête hier soir, ne se sont pas envolées non plus. J’appréhende, énormément. De rater, d’être perdu, de ne jamais rentrer chez moi… Et cette appréhension me tords le ventre en continu.
— Ça ne te fait pas bizarre, de passer autant de temps dans le silence de la nature et puis tout d’un coup de te retrouver avec autant d’agitation autour de toi ?
La question se glisse hors de mes lèvres, sans que j’aie besoin d’y réfléchir.
Soa éclate de rire.
— Si ! Des fois je me demande même pourquoi je ne vis pas totalement dans la forêt. C’est d’ailleurs pour ça que je n’effectue pas tous mes voyages en solitaire, et que de temps en temps je rejoins une caravane. Sinon je serais trop asociale !
— Tu m’étonnes…
Sa répartie me rend définitivement le sourire.
— On fait quoi ?
— Chaque chose en son temps : D’abord, on rentre dans la ville. Ensuite, on t’achète quelque chose, de disons… plus discret. Après on rejoint le marché centrale pour les marchandises, que je transporte. Et on essaye de comprendre, ce que tu fais dans ce monde. Pour moi, c’est une dérégulation magique ou un truc dans le genre. Bref, ça te va, comme programme ?
J’acquiesce.
On dévale la pente ensemble, je fais attention à ne pas me casser la figure, je ne tiens pas vraiment à me couvrir de ridicule dès le début. Je suis contente d’avoir trouvée Soa sur ma route, parce que sans lui, j’aurais non seulement terminé dans le ventre d’un chat roux. Mais je serais aussi morte de froid. Et bien sûr, je serais tombée un nombre incalculable de fois !
Autant dire que Soa est ma bonne étoile.
— Suis moi, et sois discrète, me chuchote l’adolescent.
Je ne comptais pas me faire remarquer de toute manière.
Deux hommes discutent devant nous. Des gardes de faction ? Pas la moindre idée, mais ils n’ont pas l’air très sympathiques.
— Vous êtes un marchand caravanier ?
Sa voix vibre grave et puissante.
— Oui, je viens d’Analcime.
— Et la fille derrière ? Elle n’est pas marchande elle aussi ? la suspicion est mal dissimulée dans sa voix.
— Si. C’est une peluche qui a fait un bout de chemin avec moi.
Je sursaute. Moi ? Une peluche ? Il allait falloir qu’on m’explique.
— Tu te moque de moi ? Elle ne ressemble pas à une marchande !
— Je viens de vous dire que c’est une peluche ! Elle ne ressemble pas à une marchande, mais elle va s’endurcir avec le temps, comme nous tous. Pas vrai ?
Il se retourne vers moi, dans un coup de vent. Pour attendre mon approbation. Je panique.
— Euh… Oui… Bien sûr !
— Vous voyez ?
— Mmh, marmonne la garde encore un peu sceptique. D’accord, mais vous n’avez pas intérêt à faire du grabuge.
Je hoche la tête, soulagée, qu’il nous laisse passée. Soa m’agrippe le poignet et nous entrons dans la ville.
Immédiatement, agressée par une dizaine d’odeurs différente. Vayn explose en une cacophonie désordonnée. Rire, discussion, hennissement des chevaux. Mes oreilles bourdonnent de surprise.
Les pavés de la ville vibrent sous mes pieds nus. Rapidement, la foule nous absorbe. Des corps me bouscule de partout. Quelqu’un m’écrase le pieds. Trop de bruit, et de gens, Soa serre mon poignet plus fort.
— Reste près de moi ! me hurle mon guide, quand la marrée humaine commence à nous séparée.
— J’essaye, mais c’est pas gagnée…, murmure-je.
D’une traction, il me rapproche de lui, agrippe mes épaules et me guide parmi la cohue. La panique me serre toujours autant la gorge. La foule c’est déjà angoissant, mais quand tu n’y vois rien, c’est encore pire !
Enfin sorti de l’artère principale, on se dirige vers une échoppe. Soa m’achète de quoi me changer et je jette mon pyjama usé dans une poubelle. On va enfin pouvoir traverser la ville sans attirer l’attention. Génial !
Plus qu’à comprendre ce que je fais là. Et pourquoi une simple pensée m’a fait changer de monde.
Mais chaque chose en son temps.
Mes pas et ceux de Soa résonnent sur le sol en pierre. La ville est incroyablement mouvementée, et un pressentiment me dit que je ne suis qu’au début.
Le cahot d’une charrette retentit derrière moi. Je me retourne et me décale.
— Soa !
Le cri qui déchire l’air me fait sursauter.
— Keed, soupire Soa.
— Comment vas tu, mec ?
Le cahot s’arrête, et je l’entends sauter à terre sans aucune souplesse.
— Alors ?
— Comme ci comme ça… Et toi ?
— La route est un ventre plein ces derniers temps. J’ai voyagé avec une bonne caravane, qui avait une excellente lanterne… Bref, et elle c’est qui ?
Je sens son regard sur moi, comme une légère brûlure.
— Ah, euh… Une peluche qui voyage avec moi. Keed, je te présente Ina.
—Ravi, gente demoiselle.
Je grimace légèrement, en tentant de sourire.
— Ina, je te présente Keed, c’est un marchand caravanier, avec qui j’ai voyagé plusieurs fois.
— Salut…
J’esquisse un léger geste de la main, hésitant.
— Tu as de la chance, de te faire accompagnée par Soa pour tes débuts, il est très fort. Vous allez où ?
— Au marché.
— OK ! Bon on se revoit plus tard, je dois allez voir quelqu’un. À plus Soa !
Le cahot reprend et s’éloigne doucement.
— Ce gars, c’est le vent en personne, me confie Soa. Il arrive, te pose ses questions et repars aussi vite. C’est dingue !
Je souris. C’est vrai, qu’il était un peu spécial quand même.
— C’est quoi une peluche ?
J’en ai un peu marre de toujours passer pour celle qui a raté le train comme ça. Mais plus vite je saurais mieux ce sera. Si je suis sensée en être une autant savoir de quoi il s’agit !
— Ah, oui… Excuse-moi. Une peluche c’est un nouveau marchant caravanier.
— Tout est bien plus clair tout d’un coup ! je lui réponds le sourire aux lèvres.
— Tu m’étonnes ! s’exclame-t-il en éclatant de rire.
Le marché, plus qu’une place est un tout autre monde bien différent du reste de la ville. À peine le seuil passé, les cris décuplés pas la toiture qui les fait résonné agressent les oreilles même celles des plus aguerris.
Les senteurs légères tournoient dans le vide. Sans un mot, Soa me guide à travers, ce que je devine être plusieurs étals. Au bout d’une minute de marche, il ralentit. Depuis, qu’on est arrivé, ici, il n’a aucune hésitation. Pas la plus infime seconde de questionnement.
Il me lâche fait encore deux pas, puis, s’arrête
— J’ai les marchandises en provenance d’Analcime.
— Content de l’apprendre, mon garçon, lui répondit une voix légère devant lui. Va voir au stand de Malk… Tu te souviens d’où c’est ?
— Oui bien sûr… Ina ? Tu viens ?
Je le suis d’un pas hésitant, le bras pas loin du sien, pour ne pas le perdre. Heureusement qu’il n’y a pas de foule sinon, ce serait autre chose.
Je reste à l’écart, pendant qu’il marchande sa cargaison. Je me délecte du bruit, et des odeurs si douces qui m’ont tant manquée.
— Désolée, pour le temps, je suis tombée sur un client qui aimait beaucoup marchander…
— T’inquiète pas, j’ai écouté, c’était bien.
— Tu veux acheter quelques choses ?
— Euh non. Quoi que, peut-être un bâton, qui me permettrait de ne pas buter sur, tous, les obstacles.
— Je peux te trouver ça… Attends-moi une minute.
Je hoche la tête, tout en sachant que ça ne sert à rien. Ses pas se sont déjà éloignés depuis longtemps. Quelques minutes plus tard, il débarque avec un bâton, qui fait parfaitement la faire.
Je retiens mal une exclamation ravie.
— Merci Soa !
— Content d’avoir pu t’aider !
Je me relève et le test. Enfin ! Je vais pouvoir marcher sans toujours devoir tenir Soa ! J’avais bien demandé à Soa, plusieurs fois, durant nos longues marches dans la prairie de prendre des bâtons à la lisière de la forêt pour m’en faire une canne. Mais la plus part du temps, il se cassait très vite, et je n’arrêtais pas de m’enfoncer des échardes !
Il se met à rire en voyant mon air ravi.
— Arrête ! lui dis je en lui fourrant un coups de coude dans les côtes.
— Comment ça se fait, que tu ne réussisses pas à faire trois pas toute seule. Mais que tu réussis à me taper ? gémit-il faussement outré.
— Tu es facilement repérable, vu comment tu rigoles fort !
Je secoue la tête amusée.
— On va manger quelque chose ?
— Avec plaisir ! Je meurs de faim !
L’un à cotée de l’autre on s’en va en riant. Sans savoir que nous fonçons droit dans une embuscade.
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