Chapitre 2

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« Donnez-moi un point d’appui, et avec mon levier j’ébranlerai le monde. »

ARCHIMEDE

Je plissai les yeux pour parvenir à déchiffrer la nuit. 3h33. Un frisson me parcourut, sans raison apparente. La nuit s’annonçait mal aisée. Je décidai de me lever, ramasser mes affaires et partir. J’ai toujours abhorré dormir dans le lit d’un – ou d’une – autre. L’intimité du sommeil m’est sacrée ; je n’avais jamais compris pourquoi on s’imposait de la partager avec un autre, si tant est que l’on ne partage pas le même souffle. J’avais toujours accordé une importance majeure aux privilèges qu’offrait la nuit. Il fallait admettre qu’il en fallait de l’espace, que mes rêves n’avaient de cesse d’envahir, des draps au cosmos, pour assembler ces fragments d’aventure générés dans ma tête. Dotés d’une vie propre, mes rêves cavalaient à une vitesse folle, qui m’échappaient parfois, souvent. Les pires étaient ceux qui survenaient à l’aube. C’étaient ceux-là même que je redoutais le plus souvent.

Malgré cela, malgré cette place requise par mon corps et par mes rêves, j’étais vraisemblablement accro à sa présence, sa présence masculine, S., qui pourtant, qui plus est, émettait des sons étranges souvent la nuit. Peu m’importait qu’il parle. J’avais le sommeil si lourd qu’il ne m’éveillait guère. Souvent, lorsque, de rares fois, je me trouvais éveillée, cela me faisait rire. Et souvent, il parlait de travail, et alors je prenais un malin plaisir à lui répondre.

Un problème était que lorsqu’il rentrait tard et que, par opposition, j’avais décidé de rester tranquillement à la maison, il m’était impossible de trouver le sommeil, du moins, pas tant qu’il n’était pas rentré. Malgré tous mes efforts, je n’y parvenais guère, pas tant qu’il n’était pas rentré, et souvent, d’ailleurs même pas non plus après. Dans ces moments-là, je le haïssais, malgré moi, certes, mais cela ne m’empêchait pas de le haïr, car si j’avais choisi de rester à la maison, c’était souvent pour un motif de fatigue extrême. Pourtant, paradoxalement, je ne parvenais pas à fermer l’œil, à trouver le sommeil, dont j’avais pourtant tant besoin. Cette éventualité tendre, celle de trouver le sommeil, se transformait alors en un torrent d’incertitude. Et souvent, je finissais par rejeter sur lui la faute de mon insomnie, et avec elle, de ma prétendue dépendance affective. Le moment le plus terrible était lorsque j’entendais son souffle rauque et ses débuts de ronflement, qui signifiaient qu’il trouvait le sommeil, et que moi, non. Je ne lui laissais jamais le temps de ronfler vraiment, d’ailleurs, je lui assénais un coup ciblé. Cette éventualité demeurait rare, et pourtant, je m’en souvenais parfaitement, comme si elle arrivait tous les jours ou presque.

Je m’extirpai du lit en prenant soin de ne pas le réveiller. En réalité, je ne risquais pas de le faire. Il avait le sommeil lourd, S. Et si d’aventure il se réveillait, il parviendrait indubitablement à se rendormir dans les cinq minutes qui suivraient.

Je glissai un pied sur le parquet, et puis l’autre. Au contact de l’autre, le parquet se mit à craquer tout à coup, d’un coup d’un seul dans un bruit lascif qui fit éclore mes doutes. Je me retournai brusquement, comme prise sur le fait, tandis que l’homme dont on parle, mon adonis, dormait toujours à point fermé. Son ronflement rauque m’intima de poursuivre mon échappée. Je tâtonnai longuement le lit ainsi que les lattes de ce parquet grinçant pour y trouver de quoi me vêtir. Ainsi que de coutume, je ne parvenais pas à débusquer mes dessous. Ainsi que de coutume, je ne pus m’empêcher de la trouver fascinante, cette capacité systématique à les égarer dans les recoins les plus improbables du lieu nuptial. Cette ineffable chasse au tissu eut le don d’épuiser ma patience, déjà moindre. Et mon corps nu qui demandait à être vêtu.

Je vins à bout de la fugitive. Pas le haut, pas le temps, tant pis. Et puis, nous étions en pleine nuit. Je n’en avais pas tant à faire de ce qu’un hibou se fasse juge de ma tenue. J’allai donc sein libre, et regagnai le deuxième balcon extérieur au sud de la villa, celui qui s’ouvrait sur le massif. Le château juché en son sommet dardait de sombres ruines, produisant, sous le ciel étoilé, un effet de douce épouvante.

Je posai les mains sur la balustrade, sentis la fraicheur, éprouvai la pierre. Le frisson tiède de la nuit me rappela humblement aux pieds des montagnes, là où nous nous trouvions, et ce depuis bientôt trois jours. Je humai l’air frais, me sentis vivante, mais pas trop. Pas suffisamment. J’aimais à posséder la nuit de la sorte. Rien, ni personne, ne pouvait, semble-t-il, m’ôter cette sensation d’immensité génuine, et de liberté. Aujourd’hui, pourtant, je sentais comme un voile entre moi et elle. Ce voile occultait légèrement la passion que je vouais à la vie, que je connaissais de source sure pour l’avoir connu par le passé. J’en connaissais la couleur, l’odeur et l’intensité, et celle-ci brillait présentement par ses carences.

Je ne parvenais point à me détacher de ce rêve. Il me collait à la peau comme la semelle à sa chaussure, et comme s’il éveillait en moi des questionnements occultes qui sommeillaient jusque-là. Tout ce que je savais, c’est que je ne pouvais regagner le lit conjugal de la sorte. Je finis par y retourner de force, lorsque, sous mes pieds, je sentis la fraicheur de la pierre me prendre, et en engourdir les doigts puis la plante. Je n’avais plus qu’à espérer retrouver le sommeil, et peut-être alors qu’au petit matin, à l’aube, je finirais par retrouver mes sentiments intacts pour S.

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