1.    Mon enfance.

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Maman était tout pour moi, même si elle me surprotégeait. Elle avait cette manière douce de toujours savoir ce dont j'avais besoin avant même que je le demande. Très vite, je me suis rendu compte que j’étais différent. Mes premiers jours à l’école furent très éprouvants pour moi. Les autres enfants semblaient si à l'aise, tandis que je me sentais comme un intrus dans cet univers bruyant et coloré, où chaque éclat de rire semblait être une moquerie à mon égard. J’avais envie de m’effacer, de devenir invisible.

Je ne comprenais pas ce que l’on attendait de moi et les autres discutaient entre eux ; si je me mêlais à leurs conversations, ils plaisantaient et se moquaient de moi. En classe, j’avais des difficultés à écrire et si j’inversais des lettres, c’était la rigolade. Quand je rentrais à la maison, le simple sourire de maman effaçait presque les blessures de la journée. Elle me prenait dans ses bras, murmurant que j’étais son trésor, et pour un instant, le monde extérieur disparaissait.

Après quelques années, maman a dû me retirer de l’école, je suis resté à la maison.

Il faut dire que certains élèves me faisaient vivre un enfer, surtout pendant les récréations. Ils se regroupaient pour me frapper, tandis que d’autres montaient la garde, veillant à ce que personne n’intervienne. Les surveillants, pourtant présents, semblaient détourner le regard, indifférents à ce qui se passait sous leurs yeux.

Il y avait un grand gaillard, Mohsen, le meneur, craint de tout le monde, et surtout de moi, le pire de tous. Un jour, nous étions en rang dans un escalier, quand poursuivant un autre gamin, Mohsen est passé en trombe devant moi. Sans réfléchir, j’ai mis mon pied…

Maman fut convoquée le lendemain, j’appréhendais son retour.

Elle m’a simplement dit :

- Tu n’iras plus à l’école.

Je ne suis donc jamais allé en CM1.

À partir de ce jour, les journées se ressemblaient toutes.

Le matin, je me levais à 7 h 00, je faisais ma toilette, puis je prenais mon petit-déjeuner avec maman. Le parfum du café fraîchement préparé se mêlait à l’odeur du pain grillé, et le doux murmure de maman remplissait la cuisine d’une chaleur rassurante. Nous bavardions beaucoup, c’est moi qui faisais la vaisselle. Pendant ce temps, maman préparait la table avec les livres, les cahiers, les crayons, la règle, le rapporteur, le compas et tout ce qu’il faut pour travailler comme à l’école.

L’après-midi, nous allions au parc ; il était toujours animé, avec des rires d’enfants, le bruit des ballons rebondissant sur le sol, le grincement des balançoires sur les portiques.

Je m’amusais beaucoup, maman disait : tu fais du sport.

Il y avait parfois des enfants de mon âge, maman m’encourageait à les rejoindre.

La peur de ne pas être à la hauteur me nouait le ventre ; dans un premier temps, ils m’acceptaient. Ils jouaient avec une telle rapidité, le ballon virevoltant de l'un à l’autre, je ne comprenais pas toutes les règles et le pire, ma maladresse les mettait dans une rage folle avec du mépris et des termes outrageants, comme taré, débile, arriéré. Chaque mot blessant résonnait comme un coup, et je sentais mes jambes se figer, incapable de bouger ou de répondre.

Maman a vite compris et nous évitions ces rencontres.

- Tu n’as pas besoin de prouver quoi que ce soit à qui que ce soit.

Tu es parfait comme tu es.

Il y avait aussi les courses que nous faisions ensemble, j’adorais surtout aller chez l’épicier, il avait un fils, Buddy, plus grand et plus âgé que moi, il me comprenait, avait cette manière unique de me faire sentir à l’aise. Nous pouvions passer des heures à assembler des puzzles, et chaque fois que je réussissais une pièce difficile, il applaudissait avec enthousiasme. Un autre jour, nous jouions aux billes et à plein d’autres jeux ; maman me laissait chez eux, je remontais le soir.

Les commerçants la saluaient avec un sourire sincère, comme si sa présence illuminait leur journée. Ils l'adoraient et lorsque je me présentais chez l’un d’eux, je n’avais pas besoin de chercher mes mots, ils connaissaient nos habitudes et souvent le panier était prêt, rempli de fruits frais et de légumes que maman aimait tant, souvent en ajoutant une pomme ou une fleur.

Je remontais à l’appartement, je rangeais les courses, ensuite, je m'asseyais à ses côtés et lui racontais « le monde magique, un royaume caché au fond de la mer, peuplé de sirènes et de coraux lumineux », espérant que mes histoires lui apporteraient un peu de réconfort. Elle m’écoutait, ses mains posées sur son ouvrage de couture, un sourire sous ses yeux fatigués.

Papa, je ne l’ai jamais connu, il est parti juste après ma naissance, rien à dire de plus.

Maman, elle passait son temps à coudre et réalisait des robes superbes.

Un jour, nous sommes allés consulter un spécialiste. Il m'a posé des questions, ainsi qu'à maman, sur mon comportement, mes relations avec les autres et mes difficultés en classe. Au fur et à mesure, il prenait des notes sur une échelle de notation.

- Michael, sais-tu quel métier je fais ?

- Oui, maman me l’a dit, vous êtes médecin.

- C’est très bien, Michael. Et sais-tu quelle est ma spécialité ?

- Oui, vous soignez la tête.

- Et sais-tu comment s’appelle mon métier ? Ta maman te l’a dit ?

- Oui… spycologue.

- Tu veux dire psychologue.

- C’est dur à retenir.

- Tu as raison, Michael, mais tu apprends vite.

- Pas toujours…

Le médecin et maman ont discuté longuement. En nous raccompagnant, il lui a dit :

- Ne vous inquiétez pas, c’est un autisme léger ; Il faut lui éviter les conflits, ne pas le dévaloriser, et lui permettre d’avoir des contacts avec des personnes empathiques.

Nous sommes ensuite rentrés à la maison.

Le soir, avant de m’endormir, maman me chantait ma chanson. Sa voix douce résonnait dans la chambre sombre, une mélodie familière qui m’enveloppait comme une couverture chaude.

Les jours, les semaines, les années s’écoulaient, j’étais heureux.

Quand maman est tombée malade, je venais juste d’avoir 15 ans.

Le matin, je me suis levé comme d'habitude, Maman n'est pas là, bizarre, cela ne lui ressemble pas. Je l'appelle.

- Maman ! Maman ! Rien.

Je frappe doucement à la porte de sa chambre. Silence. Rien. J’ouvre. Elle est allongée dans son lit, immobile. Je la secoue légèrement. Toujours rien.

Je ne comprends pas… Elle a toujours été robuste, une force immuable, un repère inébranlable. Invincible, quoi.

Et pourtant…

Un frisson me traverse. Quelque chose cloche.

Je suis descendu, et j'ai couru jusqu'à l'épicerie de M. Ross.
Il a téléphoné, une ambulance est venue rapidement, je suis parti avec maman. Je me souviens encore de l'odeur des médicaments, la lumière blanche et crue éclatait dans mes yeux, et les ombres des blouses blanches dansaient sur les murs. Les machines semblaient chanter une mélodie monotone et oppressante.

J'ai passé la journée à attendre qu'elle se réveille, le soir une aide-soignante, m'a demandée.

- Tu es tout seul ?

- Non, avec maman.

- Je veux dire à la maison.

- Oui,

- Tu as mangé ?

- Non.

Pourquoi toutes ces questions ?

- Viens avec moi.

Je l'ai suivi jusque dans une grande salle où il y avait tout pour se préparer à manger. Elle m'a fait asseoir, et m'a servi une collation que j'ai dévorée.

Le lendemain, elle m'a servi un chocolat chaud, et malgré la chaleur, mes mains tremblaient en tenant la tasse. Ensuite, je ne l'ai plus revue. Pourquoi ?

Le jour suivant, les blouses blanches tout autour du lit, m’ont fait sortir. J'ai entendu une blouse blanche dire.

- Il n’y a plus rien à faire.

Je ne comprenais rien, je suis resté dans le couloir, le soir est arrivé. Pourquoi les adultes parlaient-ils si doucement ? Chaque mot semblait être un coup de marteau sur mon esprit déjà fragile. Et maman... Pourquoi ne se réveillait-elle pas ?

- Ne reste pas là, rentre chez toi.

- Mais maman.

- Ta mère est morte, file.

Je suis rentré à la maison et me suis caché sous le lit. Les larmes coulaient de mes yeux, mais je n’arrivais pas à pleurer.

J’avais la chanson de maman dans la tête, je l’entendais chanter :

Tu es partie sans me dire pourquoi

Tu as laissé un vide dans mon cœur

Je ne sais pas quand tu reviendras

Tu me manques tellement, ma douceur

Tu es parti dans ton monde à toi

Tu as laissé un silence dans ma voix

Je ne sais pas comment te rejoindre

Tu me manques tellement, mon étoile

Je me souviens de nos moments tendres

De tes sourires, de tes gestes, de tes mots

De l'amour qui nous unissait sans fin

De la vie qui s’offrait à nous en cadeau

Je t'attends, je t'attends, je t'attends

Chaque jour, chaque nuit, chaque instant

Je t'attends, je t'attends, je t'attends

Reviens-moi, reviens-moi, reviens-moi

Je me souviens de nos moments heureux

De nos rires, de nos baisers, de nos jeux

De l'amour qui nous unissait si fort

De la vie qui nous souriait encore

Tu es revenu avec un miracle

Un regard qui croise le mien

Tu m'as dit que tu étais content

Que tu m'aimais plus que tout

Je t'attends, je t'attends, je t'attends

Chaque jour, chaque nuit, chaque instant

Je t'attends, je t'attends, je t'attends

Reviens-moi, reviens-moi, reviens-moi

Tu reviens, tu reviens, tu reviens

Vers la lumière, vers la joie, vers la vie

Tu reviens, tu reviens, tu reviens

Avec moi, avec moi avec moi… Mon enfant…

Je suis resté longtemps ainsi, je ne sais pas combien de temps dans la torpeur.

Juste le noir,

Quand des coups à la porte ont retenti.

Toc, toc, toc, toc

- Il y a quelqu’un, ouvrez la porte.

Encore des coups, encore plus forts.

Pam, Pam, Pam.

- Je reviens avec les clés puisque tu ne veux pas ouvrir.

Je ne savais pas quoi faire, je me suis couché pour ne penser à rien.

Ce n’est que tard dans l’après-midi, que la clé a tourné dans la serrure.

Deux hommes sont entrés dans la chambre.

Le plus grand avec sa voix grave m’a dit.

- Allons petit, tu dois être raisonnable et partir

- Mais c’est ma maison.

- Tu as de quoi payer le loyer ?

- C’est maman qui paie.

- Ta mère est morte, elle n’a pas réglé le dernier mois, je suis gentil avec toi, je ne te demande rien, mais tu dois partir.

J’ai fait une valise avec mes maigres affaires et j’ai pris la boîte en fer avec l’argent que maman rangeait dans le placard.

J’ai descendu les escaliers, en bas, je me suis assis pour réfléchir…

Je dois aller voir M. Ross l’épicier, j’ai poussé sa porte, plein d’appréhension, il était au fond de la boutique, il me tournait le dos, je me suis approché sans bruit, il s’est retourné.

- Hé bien alors, où étais-tu passé ? Nous avons dû enterrer ta mère sans toi.

J’ai couru me réfugier dans ses jambes et j’ai fondu en larmes.

Nous sommes montés voir Ellie. Ellie est la maman de Buddy, elle sourit tout le temps, c’est un rayon de soleil.

- Ne t’en fais pas Michael, tu es chez toi ici, nous avons une petite pièce qui fera très bien l’affaire. Buddy aide Michael à s’installer, après, on passe à table.

Je suis resté quelques mois chez les Ross l’épicier, ensuite, il a fallu trouver une solution.

C’est Buddy qui l’a proposé.

- Il pourrait aller travailler au ranch Mac-Enroll.

- Tu penses qu’il cherche quelqu’un comme Michael. Occupe-toi de ça, tu veux bien Buddy

- Oui papa.

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