2. Le ranch Mac Enroll
C'est ainsi que je me retrouve à travailler dans un ranch, loin de tout ce que j'ai connu. Je suis seul, sans repères.
Jack, le contremaître, me prend sous son aile et me fait découvrir le domaine. Le ranch est immense, avec des champs à perte de vue et des montagnes en toile de fond, majestueuses et intimidantes à la fois.
Jack m'accorde du temps pour m’expliquer chaque tâche, même celles qui paraissent les plus simples, comme construire une clôture.
- Il faut simplement du temps et de la patience. Tu vois, c’est simple, dit-il avec son ton calme.
- D’abord, tu choisis des poteaux imputrescibles. Comme celui-ci en châtaignier.
- Avant de creuser, tu définis soigneusement l’emplacement de chaque poteau.
- Tu places un piquet pour marquer l’emplacement.
- Et avec une ficelle, tu alignes les poteaux pour tracer la ligne de la clôture.
Chaque jour, Jack investit du temps afin de me montrer toutes les tâches inhérentes à la vie du ranch.
C’est un homme au cœur d’or, bien caché sous une carapace de fer. Il est d’une patience remarquable avec moi. Il ne me brusque jamais, et je fais de mon mieux pour bien comprendre et m’appliquer. Mais surtout ne pas le décevoir.
Il sait m’encourager avec une sincérité qui me touche profondément.
- Super.
- C’est très bien.
- Tu es doué.
- Tu es le meilleur.
- Bravo.
Tout cela, rien que pour moi.
Je me suis réveillé tôt. Trop tôt. Le ciel était d’une couleur étrange, comme s’il hésitait entre le gris et le bleu.
Le silence du matin n’était pas comme d’habitude. Il vibrait, feutré, suspendu. Puis j’ai entendu : tap, tap, tap. D’abord sur le bord de la fenêtre, puis sur le toit de la grange. La première pluie.
Je suis sorti sans veste. L’air sentait la terre, l’herbe et quelque chose de neuf. Jack m’a vu, un pied sur la barrière, les bras tendus. Il n’a rien dit. Il m’a laissé savourer.
Les chevaux remuaient doucement. On aurait dit qu’eux aussi reconnaissaient ce moment. L’eau brillait sur leur flanc. Tout brillait.
Jack a murmuré :
— Une bonne pluie, c’est comme un silence qui lave.
J’ai hoché la tête. Je ne voulais pas briser ça avec des mots.
Quand j’ai tourné la tête vers lui, il m’a lancé :
— Et en plus t’as pensé à fermer la bonde de l’abreuvoir hier. Tu vois, tu commences à avoir l’œil.
Ce matin-là, j’ai compris qu’ici, au ranch, même la pluie pouvait être une caresse. Que chaque geste avait son importance.
Les journées sont longues et épuisantes. Je passe mon temps à m'occuper des box, à réparer les clôtures, ou accomplir toutes sortes de tâches. Chaque soir, je rentre épuisé, mais avec un sentiment de satisfaction d'avoir accompli quelque chose de concret.
Le contact avec les gens du ranch a été difficile au début.
Le matin à six heures, nous sommes tous autour de la grande table.
À midi, nous mangeons la plupart du temps dehors. Le soir, nous sommes tous réunis dans la grande salle. Il me tarde d’aller me coucher.
- Hé toi, tu comptes t’en tirer comme ça ?
- Ici, tout le monde donne un coup de main, que sais-tu faire, rien je présume ?
Je suis tétanisé, mais Jack me souffle à l’oreille montre leur…
- Je peux faire la vaisselle, ou bien balayer, ou bien faire le petit déjeuner demain matin.
- Une femme au foyer voyez-vous ça, tu ne vas pas chômer ici.
Je leur ai montré comment je faisais les œufs au plat, ils apprécient tellement que tous les matins, ils font en sorte que ce soit moi qui m'y colle.
Les gens du ranch sont intransigeants, mais justes.
Malgré la dureté de la vie a la métairie , je trouve un certain réconfort dans la routine et dans la nature qui m'entourent. Les chevaux deviennent vite mes confidents silencieux, et les vastes étendues de terre me donnent un sentiment de liberté que je n'ai jamais connu auparavant.
Il y avait un cheval que personne ne montait. Trop nerveux, trop imprévisible. Les autres l’appelaient “le foutu gris”, à cause de sa robe argent sale et de ses sautes d’humeur.
Jack m’avait prévenu :
— Ne l’approche pas trop. Il mord, il rue, il n'aime personne.
Mais moi, je ne voulais pas le monter. J'ai trop peur, Je voulais juste le regarder.
Alors je me suis assis, un jour, sur un ballot de foin près du champ.
Je ne disais rien. Je respirais lentement. Je le regardais sans l'approcher.
Je suis revenu le lendemain. Même place. Même silence.
Le troisième jour, j'ai laissé une pomme.
Le quatrième, il s’est approché, mais pas trop.
La semaine est passée, nous faisions connaissance.
Je lui ai tendu la pomme, il s'approche, recule, tend le cou, approche un peu plus, mais toujours craintif.
En partant, je lui laisse la pomme et un croûton de pain.
Le lendemain, il s'approche saisi la pomme et s'enfuit.
C'est le jeu du chat et de la souris.
Le jour suivant, je reste immobile sans rien lui tendre, je ferme les yeux.
J’ai senti son souffle chaud contre ma joue, comme une question muette.
Quand Jack a vu ça, il a dit simplement :
— On n'apprend pas ça dans les livres. T'as le truc. Tu sens avant de penser.
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