4. Le retour de Roy.
Les menaces à peine voilées, m’ont fait comprendre que le fils du patron n’était pas commode. La saison des rodéos commence au printemps et se termine en automne. Roy avait encore brillé, c’était un champion.
Elle approchait de sa fin, il serait bientôt de retour, mais quand ?
Je travaille à déterrer des souches quand Sarah est venue me voir.
- Salut Michael,
- Hello Sarah,
- Tu viens faire un tour ?
- J’ai trop de travail.
- Dis plutôt que tu n’as pas envie.
- Si bien sûr, mais…
- Oh, ça va.
Elle est partie sans se retourner, sans un mot, et je sens une lourdeur dans ma poitrine. Pourquoi je n’arrive pas à dire ce que je ressens ?
Je suis triste, mais ce qui me préoccupe le plus, c’est la camionnette qui est passée derrière la haie et le regard du conducteur que j’ai croisé, je connais ce genre de regard, un mélange de défi et d'avertissement.
Quelques jours plus tard, une voix m’interpelle.
- Hé toi le Nabot, j’ai besoin de toi.
Tu montes à cheval ?
Alors grouille toi.
Je te préviens si tu revois ma sœur, je te démoli.
Ses yeux brillent d'une froideur calculée, et son sourire narquois me donne des frissons.
- Il y a une vache et son veau qui se sont échappés.
Il est parti au galop, sans m’attendre. Le galop de Saida est puissant, et je perçois chaque bond dans mes jambes épuisées. Roy, imperturbable, ne se retourne pas, me laissant seul dans cette course effrénée. Les sabots sur le sol résonnent à une cadence infernale. Chaque bond de Saida est le rappel de ma détermination à ne pas perdre de terrain. Roy me semble inatteignable, pourtant, une étincelle de défi me pousse à le suivre coûte que coûte.
Les leçons de Sarah me sont bien utile et je le rattrape. L'odeur musquée de Saida mêlée à celle de la terre humide envahisse mes narines, me ramenant à une réalité crue et intense.
Arrivé sur la colline, le calme semble reprendre ses droits, mais la tension oppressante entre nous est palpable, accentuée par ce calme trompeur.
Roy, pointant un doigt vers l'horizon, brise cette illusion de calme, il fixe son regard avec une intensité troublante. :
- Regarde bien, là-bas.
Tu vois la vache et son petit, je capture le veau, toi, tu contrôles la mère.
Roy a pris son lasso et le voilà au grand galop, Son cheval semble glisser dans l’air, chaque foulée précise, chaque muscle tendu comme un arc prêt à tirer. Il tient son cheval entre ses cuisses, il a le lasso dans sa main gauche et la main droite fait des Swings au-dessus de sa tête.
J’ai pris mon lasso sur ma selle, je ne m’en suis jamais servi auparavent en montant à cheval.
Déjà, le lasso de Roy a sifflé dans les airs avant de se refermer sur l'encolure du veau, un claquement net résonnant comme une victoire instantanée. Il stoppe son cheval aussi brusquement, tout en entourant la corde sur le pommeau, il est sur l’animal le retourne et lui ligote les jambes, je n’ai eu le temps de rien faire, quand la vache vole au secours de son veau, c’est là que Saida est intervenue, après un pivotement, elle s’interpose entre Roy et la vache qui nous percute, l'impact du choc, me projetant au sol dans un tumulte de poussière. je me retrouve à terre sans rien comprendre.
Roy saisi le veau comme une plume et le dépose devant sa selle, puis il se dirige vers moi, encore sonné, je n’ai pas vu arriver son poing… Mon esprit refuse de comprendre ce qui vient de se produire, mais mon corps porte déjà les marques de cette bataille impromptue. La douleur éclate dans ma tête comme un éclair, puis le noir…
Sarah me donne un baiser sur la bouche, c’est chaud agréable, mais pourquoi me lèche-t-elle la figure.
J’ouvre les yeux, recule, la langue de Saida encore sur mon visage.
Je cherche la gourde dans mes affaires et je la vide sur ma tête avant qu’elle n’explose.
Je rentre ne souhaitant rencontrer personne. Pourtant je tombe sur Jack, Il m’attendait, il sait déjà, mais comment ?
- Je te conduis voir Anna.
- Anna ?
Anna, c’est elle qui s’occupe d’un peu tout, elle répare aussi les bobos de chacun. Une fois installé sur la table. Anna, avec son regard perçant et ses mains expertes, semble toujours savoir exactement quoi faire, même dans les situations les plus délicates. Elle nettoie mes plaies, inspecte mon corps et surtout mon œil.
- Il ne t’a pas manqué.
- Il aurait fallu consulter le médecin, son œil ne me plaît pas du tout, je lui fais une compresse à base de camomille et de bleuet. Nous verrons bien demain.
Comme depuis plusieurs semaines, je mange seul dans mon coin. Une fois au lit, j’ai la tête qui tambourine.
Au petit matin, comme par miracle, mon œil va mieux, les plaisanteries courent, bon train. Je pars sans répondre voir Anna, qui me refait la compresse puis, je reste là, ordre de Jack, aujourd’hui repos.
Dans la matinée Monsieur Liam vient me voir
- Quoi de neuf .Désolé petit, Roy n’aurait pas dû.
Il est comme ça, tiens-toi loin de lui. Salut, petit.
- Aurevoir M. Liam. Une pointe d'amertume me gagne, mais je garde le silence.
J’apprécie ma journée de repos, les gens du ranch me parlent, ils sont plus aimables seuls.
Dans l’après-midi Sarah vient me chercher.
- Il y a une jument qui pouline viens. Nous aider.
- De suite, j’arrive.
L'odeur forte de la paille humide et des chevaux, mêle une chaleur rassurante à l'excitation palpable du moment.
Yan, le veto est déjà à l’œuvre, il nous ordonne de suite.
- J’ai attaché les pattes du poulain. Tirez, doucement, encore, arrêtez. Yan murmure des instructions avec une urgence maîtrisée, son ton trahissant une concentration extrême. Je comprends qu’il ne veut pas affoler la mère.
On y retourne, tirez, oui comme cela, il arrive.
Oui, il est beau, laissez-le se mettre debout tout seul.
Voilà, occupez-vous de lui, je soigne la jument.
Sarah, si proche, est absorbée par l'instant, son sourire déterminé illuminant la pénombre de l'écurie, tout contre moi, elle s’active à frotter avec de la paille le poulain, je m’efforce de faire de même. La jument est plus efficace que nous, elle nous repousse gentiment. Yan me remercie pour mon aide, je pars alors que Sarah est occupée.
Il vaut mieux que je reste seul et ne pas faire d’histoire. Alors je quitte l'écurie et l'intimité du moment qui me semble à la fois réconfortante et oppressante, un rappel de ma place solitaire au milieu de ce monde qui bouge autour de moi.
Je me réveille de bonne heure, et m’enfuie comme un voleur évitant les commentaires.
Il y a un ancien puits que Jack m'a montré en me disant.
- Il va bien falloir un jour ou l’autre remettre ce puits en service, l’eau se fait rare.
C’est parfait pour moi le plus loin possible. Je saisi une pelle, un seau, des cordes. Une fois sur place, je prends le temps de bien tout observer, bien moins évident qu’au premier abord.
Les pierres de la margelle sont tombées au fond du puits et de la terre a commencé à le combler.
Pendant plus d’une heure, je nettoie les abords, je place de grosses pierres que Saida m’a aidées à ramener près du bord. Le soleil est bien haut quand je termine l’aménagement du bord du puits.
J’attache ensuite la corde à une grosse souche et je descends, le seau et la pelle m’ont précédé. Une fois en bas, je me mets à creuser, le seau est vite plein, je remonte donc avec le seau et je me suis assis fatigué. À ce rythme, j’aurais les cheveux blancs avant d’avoir fini.
Saida me pousse dans le dos, je me retourne, elle s’ébroue et tape du pied.
- mais bien sûr, tu as raison, tu vas faire l’ascenseur.
J’attache la corde à la selle, je positionne Saida, fais une boucle à la corde avec l’autre extrémité avant de la positionner dans le puits. Il ne me reste plus qu’à mettre mon pied dans la boucle et je demande à Saida de bien vouloir reculer.
Ça marche encore mieux que prévu, les allers et retours s’enchaînent comme par magie, plus besoin d’ordre, Saida avance dès que mon pied est dans la boucle ou bien elle recule, je n’en reviens pas qu’un cheval puisse comprendre aussi vite.
Après la pause de midi et le repas frugal.
Je réfléchis, comment remonter la pierre que j’ai dégagée. Il suffit peut-être de l’attacher et de la remonter comme avec moi.
Une fois en bas, je creuse sous la roche pour pouvoir passer la corde, faire de même à 90° et voilà avec un beau nœud… La tête me tourne, sûrement le coup d’hier, j’ai du mal à respirer, je me couche…
- Michael, Michael, qu’est-ce que tu fous au fond de ce trou ?
T’es impossible ! Ce n’est pas un travail pour toi.
Allez, Sadia, tire ! Remonte-nous… Encore… Oh ! Voilà. Réveille-toi.
Jack me gifle, puis va chercher sa gourde. Il verse de l’eau sur mon visage, ce qui suffit à me ranimer.
- Si je ne t’avais pas retrouvé, tu serais mort dans ce trou. Mais qu’est-ce qu’il t’a pris ?
Jack est en colère, il a eu si peur.
- Respire calmement, bien, encore.
- Je voulais nettoyer le puits, me rendre utile...
- Il y a des règles à respecter, car c’est dangereux de creuser un puits, premièrement ne jamais être seul et après neuf mètres, le niveau actuel à peu près, il faut aérer le puits avec un tuyau de ventilation. Allons, bien assez pour aujourd’hui, il est temps de rentrer.
Nous passons voir Anna, mais elle ne trouve rien d’anormal.
La journée suivante, je me suis plongé dans le travail que jack m’a donné, le plus loin de tout, Jack a très bien compris, mais le calme est brisé…
Le soir, alors que je brossais Saida, Roy m’interpelle.
- Hé, Nabot, viens t’occuper de mon cheval ! Dit-il, le mépris suintant de sa voix.
Le temps que je dépose la selle et la range comme il faut.
- Quand je t’appelle, tu accours, tu me tiens tête ou quoi ?
Je rentre dans le box d’Aslan le cheval de Roy un superbe « Quarter Horse ».
- Montre-moi que tu es un homme.
Il me montre son biceps, le poing fermé, comme un défi.
Du plat de sa main, il me frappe à l’épaule, me projetant contre le montant. Un coup de pied dans les reins me fait chuter au sol, me coupant la respiration.
La douleur irradie, mais c’est son regard, chargé de mépris et de domination, qui me pétrifie davantage.
Au sol, la douleur résonne dans mon corps, chaque souffle une lutte. Le regard de Roy pèse sur moi comme une condamnation, mais en moi, quelque chose résiste. L'envie de fuir, de céder à la peur, pulse avec force, pourtant une autre voix, plus faible mais tenace, murmure : Tiens bon. Ne lui donne pas la victoire. Mes doigts, tremblants, se refermèrent sur un montant en bois. Il faut que je trouve la force de me lever, de continuer, malgré tout. Le chaos de mes pensées se dissolve peu à peu en une seule certitude : je ne fuirai pas.
- Tu as intérêt à ce que mon cheval soit impeccable demain.
Que puis-je faire ? Roy est une montagne, avec vingt-cinq centimètres et au moins trente kilos de plus que moi la différence est énorme. Un véritable athlète.
Depuis ce jour, je rentre tard, évitant Roy autant que possible.
Jack m'a ensuite affecté à la réfection d’un système d'irrigation, un travail intense mêlant sarclage, élagage et récurage...
Le soir, je rentre en prenant à chaque fois un chemin différent et à plusieurs reprises Saida évite des obstacles du type reste de clôture, rouleau de fils de fer abandonné, piquet, souche… J’en profite donc pour supprimer tous ces dangers, parfois le travail demandé m’oblige à revenir le lendemain, si je ne retrouve pas l’emplacement Saida, elle le retrouve à tous les coups. Chaque fois qu’elle m’indique un danger oublié, je ne peux m’empêcher de sourire et de la féliciter. Elle est si perspicace, presque intuitive.
J’ai remarqué aussi que souvent, elle anticipe mes décisions, je dois me faire des idées, pour en avoir le cœur net, je procède à de petits tests.
Je pose les rênes sur l’encolure, relâche mes jambes et pense.
- suis le chemin, puis prends à droite.
Saida marche doucement, arrivé à l’embranchement, elle bifurque à droite comme si elle entend mes pensées. Sans doute, le hasard, me dis-je, mais mon étonnement grandit. Un peu plus loin, il y a trois possibilités, dont un sentier sur la gauche pas très fréquenté et peu probable. C’est celui-là.
Sans hésitation Saida s’engage sur celui de gauche.
Une autre fois, j’étais un peu perdu, normalement je reviens sur mes pas descend la colline derrière nous pour retrouver le chemin du ranch. Je dis à Saida, allez, on rentre maintenant, elle continue, puis tourne sur la droite, passe une colline pour revenir sur la gauche et enfin rejoint le chemin du ranch. Effectivement, j’avais déjà pris cet itinéraire avec Jack.
Ma jument ne cesse de me surprendre. Plus capable, mais aussi plus fiable que moi, Saida est bien plus qu’un compagnon de route.
Ce soir-là, je rentre plus tôt et je m’arrête pour jeter ma récolte de détritus, quand Monsieur Liam m’interpelle.
- Michael on m’a dit ce que tu faisais, c’est bien petit, continue comme cela.
Dit-il avec un sourire approbateur. Ses mots m’ont encouragé.
- Peux-tu t’occuper de mon cheval ?
Prends bien soin de ma selle.
- Bien sûr Monsieur Liam.
J’attrape les rênes et me dirige vers les box. Là, après avoir soigneusement terminé avec les deux chevaux, je décide de passer un moment avec Anna avant de me coucher. Elle ne connaît pas seulement les plantes. La nature est son domaine de prédilection, j'aime l'entendre comme ce soir.
- Tu sais Michael, la nature est une source intarissable de sagesse et de leçons, mais il faut, en effet, savoir prendre le temps, ralentir, observer et écouter. Chaque arbre, chaque rivière, chaque animal a une histoire et un rôle à jouer dans l’harmonie de notre monde.
Les Amérindiens vont encore plus loin pour eux, chaque plante est considérée comme ayant une âme et un esprit…
Je l’écoute pendant des heures sans jamais me lasser.
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