5.    Une nouvelle vie

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Tôt le matin, Jack me réveille.

- Allez debout,

le patron réclame après toi,

dépêche-toi, il t’attend aux box

Je cours jusqu’aux écuries, Monsieur Liam est là devant sa selle sur le sol.

- Comment t’as pu faire ça, laisser ma selle dehors regarde dans quel état les chiens me l’ont mise.

- Mais…

- Il n’y a pas de mais, tu es un incapable, ma selle coûte une fortune, la réparation aussi.

Je me vois dans l’obligation de te renvoyer et pour tes mois passés ici, ça ne couvre même pas les frais.

Allez file, je ne veux plus te voir.

Vexé, je récupère mes affaires dans le cagibi. Je suis trop écœuré, je suis donc parti sans me retourner.

Une fois sur la route, je suis la direction de la ville, là, je trouverai sans doute un job dans un restau ou autre.

Je repense à ce qui avait bien pu se passer, je suis absolument sûr d’avoir rangé la selle de Monsieur Liam dans son emplacement, on ne voyait qu’elle une véritable œuvre d’art, je l’avais astiquée avec passion et émerveillement. Il n'est pas même pas envisageable de poser cette selle au sol…

Roy bien sûr, c’était Roy, il avait trouvé le moyen de me faire renvoyer.

Je marche la tête basse quand une voiture s’ arrête.

- Michael que fais-tu là ?

- Bonjour Yan, je vais en ville.

- Tu ne travailles pas au ranch aujourd’hui ?

- Non.

- Monte, tu me raconteras…

- Alors tu n’es pas bavard. Que s’est-il passé ?

- Rien.

- Rien ? Tu pars avec ta valise et il ne s’est rien passé ? Écoute, je t’aime bien, et je sais ce que la méchanceté peut faire aux gens comme toi.

- Je n’ai rien fait de ce que l’on m’accuse.

- Je n'en doute pas et de quoi t'accuse-t-on ?

J’hésite avant de répondre. Avouer la vérité me semble à la fois un soulagement, mais aussi un danger. Yan est le véto de M. Liam mais, je lui fais confiance.

- Il m’écoute sans rien dire et puis...

- Je connais bien Liam, il ne reviendra pas en arrière.

Roy ne supporte pas la concurrence.

- Moi ! Je lui fais de la concurrence, je ne vois pas comment.

- Si, si je t’assure. Il est jaloux de toi.

- Je n’ai rien il a tout.

- Il te faut un emploi, je pense que j’ai quelque chose qui va te convenir.

- Yan avait un regard franc et une manière rassurante.

- Pas dans un ranch au moins, j’en ai soupé.

- Si justement, mais celui-ci est plutôt un haras.

- C’est quoi au juste un haras.

- Un haras est un établissement qui accueille des chevaux, on élève des étalons et des juments pour la reproduction et l’amélioration de la race.

- Sa voix calme et son regard direct semblent dissiper mes craintes, au moins un peu.

- Et, Saida, je ne vais plus la revoir ?

- Pour la première fois, je pense à elle, et l’idée de perdre Saida m’est insupportable, une douleur sourde m’envahit.

- Ainsi va la vie, Michael, parfois, il faut savoir tourner la page … Te faire une raison. Par contre, il cherche quelqu’un pour s’occuper de son père, qui a beaucoup décliné ces derniers temps. Il a pris mal, il ne s’en remet pas, alors il a besoin qu’une personne soit auprès de lui en permanence. Je te propose que nous y allions, tu te fais une idée et tu décides, si c’est non, c’est non. OK.

- Merci... Oui, pourquoi pas.

- En premier, nous rendons visite à une cliente qui a son chien malade, vite fait, d’accord ?

Après, Yan, m’a amené dans un routier un restaurant pour les voyageurs de la route. Le routier était simple, mais chaleureux, avec des tables en bois vieilli et une odeur de café flottant dans l’air.

Une jeune serveuse s’approche de notre table, son bloc-notes à la main.

- Et, pour vous, ce sera ?

Yan, habitué des lieux, répondit sans hésiter :

- Une entrecôte.

Elle se tourne vers moi avec un grand sourire.

- Et pour vous, jeune homme ?

- Une entrecôte aussi.

- La cuisson ?

- À point, répondit Yan.

- Saignante pour moi.

- En accompagnement, vous préférez des frites ou des haricots verts ?

Yan jette un regard vers moi avant de répondre :

- Un peu des deux, rapidement si possible.

La serveuse acquiesce avec entrain.

Très bien, je suis à vous dès que c’est prêt.

Elle repart en cuisine, et nous n’avons pas eu à attendre longtemps avant d’être servis.

Nous sommes arrivés en début d’après-midi au Haras.

Je n’avais jamais vu un lieu pareil. Les vastes pâturages s’étendent à perte de vue, et les chevaux y évoluent avec une grâce naturelle, en harmonie dans cet environnement.

Je suis aussitôt séduit par le luxe et l’élégance des bâtiments : Façades en pierre claire, grandes fenêtres aux volets impeccables.

La demeure des propriétaires, majestueuse, domine le paysage.

Yan frappe à la porte, une jeune femme nous ouvre, elle porte un tablier blanc à dentelle, élégante et professionnelle, nous ouvre.

- Bonjour Yan, je vous conduis à M. Stanford. Quelques instants plus tard :

- M. Stanford, le vétérinaire est là pour vous.

- Bien, faites-le entrer.

- Bonjour M. Stanford, je vous présente Michael.

- Bonjour M. Stanford.

- Nous n’avons pas fait appel à tes services ?

- Non, effectivement. Ce jeune homme cherche du travail. J’ai pensé à votre père.

- Je ne pense pas qu’il puisse faire l’affaire.

- Il s’entend très bien avec les chevaux, et il s’occupe très bien des personnes aussi.

- Bien, c’est surtout Anton qui va décider, père devient de plus en plus impossible.

Nous traversons la cour pour rejoindre la maison d’Anton. Le vieil homme repose dans une chambre baignée de lumière.

- Père, tu as de la visite, tu m’entends ?

- Je ne veux plus voir personne, foutez-moi la paix.

- Sois un peu aimable.

Le vieil homme, s’est un peu redressé.

Ça, par exemple... Toni, viens que je te contemple ! Tu as encore grandi, mais tes traits me rappellent des souvenirs.

M. Stanford me pousse doucement vers le lit.

- Reste avec moi, vous autres, je n’ai pas besoin de vous.

Le vieil homme m’a raconté les débuts du ranch, la vie d’autrefois, quand le monde semblait encore tourner plus lentement. Quand le papi s’est endormi, je suis sorti sans bruit.

En quittant la chambre, je ne peux m’empêcher de penser au poids des années que porte le vieil homme, et à l’importance que ce moment, si simple, avait eu pour lui.

Je frappe à la porte du bureau de M. John Stanford.

- Oui, entrez.

- Ah, c’est toi entre, tu as réussi ton examen.

- Où est Yan ?

- Il avait du travail, si tu ne souhaites pas rester, il viendra te chercher, mais père t’a tout de suite adopté. Il est malade...Si tu acceptes, tu auras pour mission de veiller à ce qu’il ne manque de rien. Tu pourras utiliser la voiture pour te rendre en ville acheter tout ce dont tu as besoin.

- Je ne sais pas conduire.

- Sais-tu au moins monter à cheval ?

- Je pense que oui.

- Ici, on ne pense pas, on sait ou pas.

- Viens avec moi.

C'est ce qui frappe en arrivant : des collines verdoyantes baignées par le soleil, des plaines infinies ondulant sous la brise, et des rivières scintillantes qui serpentent là-bas, au loin. Le paysage est tout simplement fantastique.

Tout est pensé pour les chevaux et leurs cavaliers. Un lieu fonctionnel, vivant, somptueux. Je n’ai jamais rien vu de pareil.

M. John Stanford donne ses ordres, simples et directs :

- Mon cheval. Et un pour Michael.

Une fois en selle, je sens chaque mouvement du cheval. Fluide et assuré. Un vrai compagnon, avec un pied sûr, réactif et une sérénité qui inspire confiance. Du pur dressage de haras.

- Tu as fait connaissance, on peut y aller ? Suis-moi.

L’allure est très soutenue avec quelques sauts d’obstacles. Mon cheval étant bien plus doué que moi, je le laisse faire tout en maintenant un minimum de contrôle, juste de quoi lui montrer que je suis là, que je ne lâche pas. Cela fonctionne plutôt bien. Même dans cette grande descente que nous avons dévalée au galop. Saida aurait adoré.

Quand nous repassons au pas, M. Stanford lâche, un sourire au coin des lèvres :

- Hé bien Toni... Tu sais monter à cheval ! Pardon Michael.

- Merci Monsieur.

Malgré l’exaltation de la chevauchée, mon esprit revient sans cesse à Sarah. Son visage hante mes pensées, et un sentiment de vide s’insinue en moi.

À partir de ce jour, je m’investis auprès du Papi, j’ai compris que Toni était son fils perdu lors d’un accident, je suis inquiet, sa santé ne s’améliore pas.

Je décide donc d’aller en ville pour trouver des plantes médicinales dont Anna me parlait tant. Si elles ne le guérissent pas au moins, elles peuvent soulager ses souffrances.

Le jour suivant, je demande un cheval.

- Paulo, c’est lui que le patron t’a attribué, il est au box 24.

- Merci

- Le harnachement est aussi au 24. N’oublie pas de bien en prendre soin.

- Pas de souci, j’ai l’habitude.

- T’as intérêt, ici, on ne plaisante pas ni avec les chevaux ni avec le matériel.

- D’accord, merci.

Le chemin serpente à travers les collines et les champs, mais en approchant de la ville, il devient impraticable à cheval. Je me résolus donc à longer la route, bien moins agréable mais nécessaire.

Une fois en ville, l’agitation des rues et les vitrines animées me plongent dans une ambiance bien différente du calme des collines. Je fini par trouver une boutique où l’on vend un peu de tout.

Je prends quelques livres, du papier, des crayons, une écharpe, puis je demande.

- Avez-vous des plantes médicinales ?

- Non, il faut que tu t’adresses aux Indiens, ils ont une petite boutique au coin de la rue, à côté de l’échoppe en bois peint.

En effet, un peu plus loin sur le trottoir, une boutique aux allures mystiques avec des coiffes colorées suspendues, des arcs soigneusement exposés, des bottes ornées de motifs indigènes, des attrape-rêves qui dansent sous la lumière, et des crânes de vaches intimidants, témoins silencieux d’un autre temps...

Je sens une présence derrière moi. Je me retourne, et face à moi, un homme imposant, vêtu de vêtements traditionnels indiens, me fixe intensément. Ses yeux semblent percer mon âme.

- Vous désirez ?

Les questions fusent.

- D’où viens-tu ? Tu parles aux ancêtres ? Tu as le Don ? Viens entre.

Une fois entré :

- Regarde Mama, Toni est venu

- Je sais, il m’a parlé.

Viens t'asseoir.

Tu veux bien faire une expérience ?

- Pour quoi faire ?

- Si toi, tu peux parler à EHAWEE, nous saurons.

- Quoi ?

- Comment est morte EHAWEE.

- EHAWEE ? C’est qui ?

- Ma fille.

- Je veux bien essayer, il n’y a pas de risque ?

- Non.

Le breuvage a une odeur puissante et exotique, et une chaleur étrange envahit mon corps à la première gorgée. Puis, tout devint flou…

Je me réveille, désorienté, avec une sensation étrange, comme si un fragment de moi-même avait voyagé ailleurs. Je ne me souviens de rien…

- Que s’est-il passé ?

- Tu as été parfait Toni, pourquoi es-tu venu ?

- J’ai besoin de plantes pour soigner un froid qui est descendu sur les bronches.

- C’est pour une personne de quel âge.

- Entre 70 et 80 ans.

- Attends, je reviens.

Après un long moment, elle est revenue avec une poche en papier.

— Tu fais frémir de l’eau, puis tu plonges une petite poignée de ces plantes. Tu laisses infuser pendant exactement dix minutes. Ensuite, tu sers… et tu ajoutes une cuillère de ce miel, précieux pour apaiser les bronches.

— Merci. Combien vous dois-je ?

— Rien. Nous te serons toujours redevables. Ehawee repose en paix désormais.

— Expliquez-moi…

— Il n’y a rien à expliquer. Tu es un voyageur. Écoute ton cœur, lui saura. Et n’oublie pas : le fait de prendre soin de soi est un pas vers la guérison.

Je suis reparti sans la moindre explication. Mais une question me hante : qui était Ehawee ?

Ces paroles cryptiques résonnent encore en moi tandis que je quitte la boutique, le cœur lourd, l’esprit en ébullition.

Je marche longtemps, sur le chemin du retour. Je n’ai toujours aucune réponse. Mais peut-être que les réponses ne sont pas faites pour être trouvées. Peut-être qu’elles sont là juste pour me faire avancer.

Au loin, un tambour résonne faiblement. Ou peut-être n’est-ce que mon propre cœur.

Je marche encore.

Et chaque pas m’éloigne… ou me rapproche de quoi ?

La lumière décline. Les collines s’assombrissent dans un roux de poussière.

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