9. Les préparatifs
Papi est très content pour moi. Saida est une belle jument. Nous allons pouvoir entraîner nos chevaux pour la piste, sur de plus longues distances, m’a-t-il dit. Il tient parole.
Un mois plus tard, nous avons décidé de partir en randonnée pour trois jours, il faut prévoir tout l’équipement :
L’eau, la nourriture, les couvertures et la tente. Les ustensiles de cuisine, des vêtements légers qui sèchent rapidement, des tenues adaptées aux climats variés, et un peu de linge de rechange.
Je suis allé voir notre cuisinière Marta, c’est une femme très énergique, elle a pris en main le côté pratique, elle m’a dit de repasser le lendemain matin.
Le lendemain, tout est prêt, les gourdes, les sacoches, les couvertures roulées, une cantine avec tout ce qu’il faut pour cuisiner, une trousse de secours. Marta avait même glissé une lampe-tempête dans les sacoches, comme si elle savait qu’un jour, on aurait besoin de lumière au milieu de l’inconnu.
Papi m’a montré comment préparer son cheval avant une sortie, il a insisté, il faut que tu cures soigneusement ses pieds et que tu vérifies la ferrure.
Nous avons partagé de façon à équilibrer la charge des chevaux. Et nous voilà partis.
« En route Papi m’a parlé des contraintes quand on se déplace à cheval.
— Tu vois Michael, toutes les petites sorties que nous faisons tous les jours ont préparé nos montures, car pour parcourir de longues distances, il faut des montures de fond, athlétiques, dotées d'un pied sûr et d'une santé de fer. Capables de marcher des heures en terrain difficile, de dormir à l'attache, de supporter des chaleurs écrasantes ainsi que des basses températures, des pluies battantes, des moustiques et autres insectes, de croiser des serpents. Ce sont des guerriers de la piste !
— Trois jours, c’est vite passé.
— Tu as raison, si tout va bien. Mais, on ne sait jamais ce qui peut arriver, Imagine un orage. Ton cheval prend peur, il peut s’enfuir. Et si le bridon se casse, tu te retrouves en pleine montagne sans rênes pour le guider. Si ton cheval perd un fer et que tu n’as pas prévu le matériel nécessaire pour le remettre. —
— Il y a beaucoup de choses à penser.
— Je veux savoir si nous allons vivre une expérience concluante et en tirer des leçons
— Papi, tu as déjà vécu cela ?
— Oh, oui, à quinze ans, déjà, je convoyais des troupeaux dans tout l’ouest, c’était une autre paire de manche, tu peux me croire. Ta jument, tu connais son histoire ?
— Pas vraiment, Sarah devait me raconter, nous n’avons pas eu le temps.
— Saida est une superbe jument Appaloosa, ces chevaux sont originaires de la tribu Nez Percé dans le Nord-ouest, leur pelage parfois unis comme Saida, est souvent un chef d’œuvre tacheté de couleurs et de motifs, ces chevaux attirent toujours l’attention. Je ne t’apprends rien si je te dis qu’ils sont, doux, amicaux et curieux, ils apprennent vite, ils sont de nature intelligente, disposés à coopérer et désireux de plaire à leurs cavaliers.
— Oui, c’est le portrait de Saida. Je regarde Saida. Elle semble déjà savoir ce qui nous attend.
— Il me semble que nous sommes fin prêts. »
Le premier jour, nous avons marché un peu moins de cinq heures avec une pause toutes les heures, Papi me montrait des astuces, mais aussi des gestes simples de prudence, par exemple.
« Il me disait :
— Quand on met pied à terre, il faut toujours remonter les étriers, car si tu les laisses pendre, le ballottement va gêner le cheval, s’il y a un obstacle une branche ou autre, l’étrier peut se coincer et blesser le cheval qui lui-même en voulant chasser un insecte peut coincer son mors ou la muserolle dans l’étrier, un cheval qui s’affole peut-être très dangereux.
— Sarah m’a parlé de la sécurité du cheval, je n’y connaissais rien du tout et apprendre tous ces mots a été très dur pour moi.
— Tu te débrouilles plutôt bien maintenant.
— Merci.
— Tu observes beaucoup et ça, c’est un grand atout. Il y a de nombreux moments où ton cheval devra marcher derrière toi, sur un chemin étroit, par exemple. Un bon cheval sait marcher derrière, avec confiance et respect de ton espace personnel.
— Oui, Sarah m’a appris tout cela.
— Tu l’aimes bien, Sarah ? demande Papi, en ajustant les rênes.
— Oui, elle me manque beaucoup. »
Nous avons traversé et parcouru des forêts, des montagnes, des plaines ou des chemins de campagne, il a fallu tenir notre monture, bien fermement sur les sentiers à flanc de montagne, mais, Saida est docile, je sais qu’elle me fait confiance.
Le soir, le cheval vient en premier, il faut le décharger, puis le laisser, se reposer et marcher tranquillement pour détendre ses muscles. L'hydrater progressivement, ensuite, il y a tous les soins habituels, mais surtout, il faut inspecter son corps et ses membres, le récompenser avec des caresses, lui donner à manger et à boire. Nous les installons pour la nuit un peu plus tard.
Le lendemain, a été une journée calme nous rallongeons la distance, nos montures sont toujours partantes.
Mais bientôt, le ciel se durcit. Les nuages s’amassent, sombres, lourds, presque menaçants.
« Papi lève les yeux, scrute l’horizon, puis donne l’ordre :
— Tiens-toi éloigné de moi, nous allons remonter sur la route là-haut. Il faut s’éloigner des arbres.
Un éclair zèbre le ciel. Le tonnerre claque comme une gifle. Saida renâcle, nerveuse. Ses oreilles pivotent, son flanc tremble légèrement. Je murmure quelque chose, une caresse de la voix.
L’orage est à deux kilomètres, il faut se mettre à l’abri.
Une fois sur la route.
Marche au milieu du chemin, regarde là-bas une bâtisse. »
Nous approchons, c’est une sorte de grange avec une porte maintenue fermée par une poutre. Une fois ouverte, la grange est vide et présente un abri sûr. Nous pénétrons et refermons la porte, il y a même un peu de paille dans un coin. La pluie s’est mise à tomber.
À l'abri dans la vieille grange, nous restons auprès des chevaux, cherchant du réconfort dans leur chaleur rassurante. La pluie battait les murs de bois, chaque goutte résonnant comme un battement de tambour contre les vieilles planches. Les éclairs fendaient le ciel, illuminant la grange d'une lumière blanche et éphémère, transformant les ombres des chevaux en silhouettes fantomatiques. Le tonnerre grondait, faisant trembler la structure, un écho puissant et primal.
Les chevaux, pourtant, restaient étonnamment calmes, leurs grandes prunelles brillaient d'une lumière douce et leur respiration lourde se mêlait à l'odeur du foin et de la terre humide. Les éclats de lumière et le fracas du tonnerre créaient une symphonie naturelle, à la fois terrifiante et majestueuse. À chaque coup de tonnerre, notre cœur se serrait, mais la présence des chevaux apportait une étrange tranquillité, une promesse de sécurité malgré la tempête déchaînée à l'extérieur.
Le déferlement s’est prolongé une bonne heure, puis le bruit du tonnerre et les éclairs se sont éloignés. Papi et moi, nous nous sommes assis pour attendre la fin de l’orage.
« Il m'interroge.
— Tu en conclus quoi, au juste ?
— Je ne sais pas, nous avons eu de la chance de trouver cette grange.
— Eh oui, c’est cela. Il vaut mieux avoir un point de chute. À l’avenir, il faudra prévoir une carte avec le maximum de refuges sur notre route, si possible.
— Tu envisages de faire d’autres excursions ?
— Oui, pourquoi pas. Tu n’as pas aimé ?
— Si, j’adore... Mais tu ne m’as pas dit comment tu fais pour savoir que l’orage était à deux kilomètres ?
— C’est juste un peu de mathématiques. Tu comptes le nombre de secondes entre l’éclair et le tonnerre, que tu multiplies par 300 : ça te donne la distance en mètres.
— Pourquoi 300 ?
— La vitesse du son est d’environ 340 mètres par seconde. Ce n’est qu’une approximation. Ce qu’il faut retenir, c’est que trois secondes représentent environ un kilomètre.
— Avec toi, les mathématiques, c’est un jeu d’enfant… Tu as fait des études ?
— Oui. Mais j’ai tout arrêté. Je préférais la nature… et surtout les chevaux. »
Nous avons passé la nuit dans la grange, au petit matin après avoir tout remis en place et bien refermé la porte, nous avons pris le chemin du retour.
Une fois à la maison, Papi a sorti son carnet où il note beaucoup de chose.
« je lui ai demandé.
— À quoi te sert ton carnet.
— C’est une vieille habitude, je note tout ce qui peut avoir un intérêt, cela semble futile, mais si un jour, tu prends cette habitude, tu t’apercevras que cela a de très nombreuses utilités.
— Comme quoi par exemple.
— Eh bien, voilà, au cours de notre randonnée, j’ai noté le nombre de fois où il aurait été souhaitable que nous disposions d’un ustensile. Et de la conclusion, si nous souhaitons faire un plus long voyage, il nous faudra un autre cheval pour porter plus de charge. Il nous faudra aussi trouver les étapes avec un refuge. As-tu repéré quelque chose, qui mérite d’être noté ?
— Non, je ne vois pas.
— Nous avons croisé au moins deux Crotalus viridis.
— Deux quoi ?
— Le Crotalus viridis est un serpent à sonnette des prairies. À l’avenir, je prendrai mon fusil. Sais-tu tirer ?
— Non.
— Il va falloir que tu apprennes.
— Papi, tu comptes aller où ?
— Tu te rappelles mon projet de parcourir les champs de bataille jusqu’à la tombe de mon père.
— Oui, mais tu étais jeune !
— Grâce à toi, je me sens capable de le faire.
— Tu crois que c’est raisonnable.
— Comment le savoir, si on ne tente pas ?
— C’est grandiose, comme projet, il va falloir penser à tout.
— Que faisons-nous depuis un mois ?
— Tu es un drôle de cachottier. »
Papi me surprenait tous les jours de par ses connaissances, son expérience, mais aussi par sa vitalité, qui lui était revenue, depuis que nous sommes montés à cheval. Pour lui faire plaisir, je suis retourné à la boutique des Amérindiens.
« Pas plutôt j’ai franchi le seuil, j’ai été accueilli par une voix que je connaissais.
— Alors le voyageur, tu as besoin de quoi aujourd’hui.
— Bonjour, je me demande si des fois, vous n’auriez pas pour nous dépanner…
— Dis-nous de quoi tu as besoin, si c’est possible, ce sera avec plaisir.
— Nous projetons de nous rendre à Kansas city à cheval.
— Sacré voyageur, tu ne doutes de rien.
— Pourquoi tu m’appelles le voyageur, mon nom, c’est Michael.
— Le mien c’est Chayton, le « faucon.
— Tu ne comprends toujours pas. Tu entreprends un voyage de plusieurs centaines de kilomètres…
J’ai ce qu’il te faut, va voir Mama, elle t’attend. »
« De retour, je montre les cartes à Papi.
— Où as-tu trouvé tout cela ?
— Ces Chayton, les Amérindiens en ville.
Une fois au lit les paroles de Mama me sont revenues
— Au moment du choix, surtout écoute ton cœur et n’oublie pas, tu es le voyageur.
Encore le voyageur, je ne comprends rien de rien, je me suis endormi. »
Les jours suivants, nous avons listé tout ce qui nous serait utile pour le périple. Papi m’a montré le maniement du fusil, et du colt 38, modèle Police officielle. Le fusil ne me procure pas la même sensation. Je préfère le colt. Il tient dans la paume, il pulse un souffle sec. Papi me fait tirer sur une cible située à 100 m, il y a toute une technique à mettre en œuvre, ensuite nous sommes allés à la chasse, aux Jackrabbits, lièvres très présents, ou le merle. Papi me conseille, tu ne quittes pas ta cible des yeux, pour le lièvre regarde les oreilles, sur le merle la tête. J’apprends vite, à choisir, j'affectionne le colt, je dispose des boites ou des bouteilles, puis je tire à la volée. Au début, je rate tout. Mais au fil des jours, je deviens précis. Incroyablement précis. Ce jour-là, il ne m’a plus corrigé. « Juste regardé. Et souri.
— À ce stade, tu n’as plus besoin de moi. Je ne pourrais pas mieux t’enseigner. Le tir, c’est devenu ton instinct. »
J’ai compris qu’à cet instant, ce n’était plus les balles qu’il regardait… mais le garçon que je suis devenu. Et moi… Je ne me suis, plus jamais, regardé comme avant.
Les préparatifs allaient bon train, nous avions le matériel, les chevaux, Papi avait sélectionné un Quarter Horse, il est robuste et endurant, avec sa nature calme, ce qui le rend idéal pour les longues randonnées.
Nous étions enfin prêts, en cette fin février 1953, les nuits étaient froides, nous avons eu moins dix degrés cette nuit, il nous faut attendre que les températures remontent, car dormir sous la tente avec des températures négatives ce n’est pas prudent ni pour nous ni pour les chevaux.
Il nous restait le plus dur convaincre Liam, nous nous sommes présentés à lui un matin.
« J’ai laissé Papi lui expliquer.
— Entrez, vous avez besoin de quelque chose.
— Non, nous sommes venus t’informer de notre départ.
— Comment ça, quel départ.
— Je me fais vieux et tu sais que j’avais à cœur de rejoindre la tombe de mon père avant de mourir.
— Vous allez faire le voyage par le train ?
— Non, nous voyagerons à cheval.
— Tu es complètement fou, c’est de la folie, tu dois traverser les Etats-Unis d’ouest en est.
— Nous savons tout cela, il y a des mois que nous nous préparons.
— Je me disais bien qu’est-ce qu’ils fabriquent tous les deux, mais de là à imaginer et toi Michael, tu ne l’as pas raisonné ?
— Si bien sûr au début cela m’a paru irréalisable, mais Papi connait tous les dangers, nous nous sommes entraînés, et puis nous ne serons jamais très loin de la route, un retour est toujours possible, sur notre itinéraire, il y a de grandes villes avec des hôpitaux.
— Ah ! Très bien vous avez tout prévu et Michael est ton avocat, je m’incline donc, mais s’il arrive quoi que ce soit, je te tiendrai pour responsable Michael. »
Nous avons fixé notre départ au dimanche 05/03/1933. Il n’a pas gelé cette nuit-là, il ne pleuvait pas non plus.
Je suis fébrile. Rien qu’à l’idée de partir. De quitter le quotidien. De chevaucher vers quelque chose qui dépasse le simple itinéraire. Vers un lieu mythique. Vers un père inconnu. Vers moi peut-être.

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