15.    Saint-Louis.

8 minutes de lecture

Après avoir laissé Papi se reposer à l’auberge, où il m’avait raconté que la ville avait été fondée en 1764 par un Français, je me suis dirigé vers le centre-ville de Saint-Louis. Mon objectif était de localiser le poste de police pour vérifier si le commandant Harrison nous avait adressé un message.

En chemin, j’ai abordé un passant pour demander l’emplacement du quartier général de la police métropolitaine. Avec amabilité, il m’a répondu :

- Il est situé dans le quartier de West, au centre-ville, à l’ouest des rives du fleuve Mississippi. Cela ne vous prendra que cinq minutes à pied.

- Merci beaucoup, monsieur.

Je ne tarde pas à trouver la bâtisse flanquée de deux tours recouvertes d’un toit pointu. Je me dirige vers l’entrée « ouvert au public », à l’intérieur, je m’adresse à l’accueil.

- Bonjour monsieur. Je suis de passage dans votre ville et je viens voir si le commandant Harrison ne m’a pas adressé un courrier. Mon nom est Michael Hunter.

- Veuillez patienter un instant, je me renseigne.

Je me suis installé sur un banc de bois, légèrement usé par le temps, placé juste en face un mur recouvert par un tableau d’affichage. L’air ambiant porte une légère odeur de café venant d’un bureau voisin, mêlée au cliquetis cadencé des machines à écrire. Ces sons réguliers, ponctués par le "clinc" métallique caractéristique du retour chariot, donnent une étrange sérénité à l’effervescence administrative qui règne autour de moi.

Avant même que l’impatience ait eu le temps de s’installer, un agent en uniforme s’approche et me demande, avec un ton professionnel :

- Bonjour, vous êtes Michael Hunter ?

- Oui, c’est bien moi.

- Il y a deux lettres pour vous.

- Merci.

J’ai pris le temps de lire les lettres, la première est la copie de celle de Topeka. La seconde est tout aussi énigmatique.

Bonjour M. Stanford et M. Hunter, il se trouve que je suis fort embarrassé. En effet, M. George D. Begole, maire de Denver souhaite vous rencontrer le plus rapidement possible.

Prévenez-moi dès votre retour.

Commandant Harrison John.

Que peuvent bien nous vouloir tous ces gens ? Nous verrons bien le moment venu.

Je me suis promené dans la ville, même si je préfère la campagne, c’est une superbe ville, les pavés scintillent sous le soleil. Il y a du monde partout. Devant la faculté, l'air résonne au rythme des discussions passionnées sur la politique et les derniers événements mondiaux. Les éclats de rire et les bribes de discours se mélangent à une musique lointaine jouée par un groupe improvisé. L'énergie des étudiants semble presque palpable.

Ils sont habillés avec des vestes, des cravates et des robes élégantes. Un peu effrayé, je décide de passer sur l’autre trottoir. Alors que je traverse la rue, perdu dans mes pensées, le tumulte urbain se suspend une fraction de seconde lorsque mon nom retentit.

- Michael ! Michael !

Je m’arrête net, mon cœur bondissant à l’idée de ce que cela peut signifier.

Je me retourne, qui peut bien me connaître dans cette ville. Je vois une fille en jupe plissée bleu marine, un chemisier blanc et une veste, elle est superbe, un mélange de surprise et de nostalgie m'envahit à la vue de cette silhouette familière. C’est bien elle. Elle me rejoint et saute à mon cou.

Mon cœur se serre un instant, partagé entre l'étonnement et la joie de retrouver Sarah dans une ville si loin de chez nous.

- Michael, que je suis contente de te voir, tu m’as manqué, tu sais ?

- Que fais-tu ici si loin de chez toi ?

- C’est plutôt à toi de me dire ce que tu fais à St-Louis, moi, je fais mes études dans cette ville. Tu dois avoir une longue histoire à me raconter. Viens, ne restons pas au milieu de la rue, nous pourrons discuter plus librement dans ce café.

Sarah est là, et tout semble un peu moins déconcertant.

- Sarah, tu ne viens pas en cours ? Un jeune homme élégant en costume avec des épaules larges et un pantalon droit, l’interpelle.

- Non, je viendrai au prochain.

- Mais tu ne peux pas manquer ce cours.

- Fous-moi la paix, je fais ce qui me plaît.

- Tu te moques de moi, c’est qui ce gus ?

- Michael, je te présente Richard.

Richard, un sourire forcé sur le visage, me toisa de haut en bas, comme pour évaluer si j'étais une menace pour ses intérêts.

- Richard, merci de t'inquiéter pour moi, mais je dois vraiment parler à Michael. Nous nous connaissons depuis longtemps et nous avons beaucoup à rattraper. Pourrais-tu me rendre un service et prendre des notes pour moi en cours ? Je te revaudrai ça !

Richard fronce les sourcils et se tourne vers Michael avec une expression hostile.

- Et toi, t'es qui pour venir perturber notre journée ?

Son ton, légèrement condescendant, me fait sourire intérieurement, bien que je reste sur mes gardes.

Sarah se tourne vers Richard avec un sourire conciliant.

Un instant de silence s’installe, observant Richard avec calme. Puis, avec un sourire poli mais ferme, je réponds :

- Je suis un vieil ami de Sarah. Je suppose que cela fait de moi quelqu'un qui ne perturbe pas, mais qui partage.

Nous avons beaucoup de choses à discuter.

Sarah intervint rapidement pour calmer la situation.

- Richard, je t'ai dit que Michael est un vieil ami. Tu n'as rien à craindre. Va en cours et je te rejoindrai plus tard.

Richard lance un dernier regard méfiant à Michael avant de hocher la tête à contrecœur.

- D'accord, mais ne tarde pas trop. Le professeur ne sera pas content si tu manques trop de cours.

- Merci Richard, tu es un ange, répondit Sarah avec un sourire reconnaissant avant de se tourner vers Michael. Allons-y.

Pour moi, Sarah demeure libre et lumineuse, insaisissable comme une brise d'été.

Michael et Sarah se dirigent vers le café, laissant Richard derrière eux, encore un peu sur ses gardes. L'établissement est chaleureux, avec ses boiseries sombres et ses arômes si habituels qui emplissaient l'air. Les conversations animées des clients forment un fond sonore apaisant tandis que des rayons de soleil traversent les grandes fenêtres. Une fois installée, Sarah interroge Michael.

- Raconte-moi tout, je veux tout savoir.

- C’est une longue histoire, je te fais un résumé, voilà après mon départ du ranch…

Michael lui raconte son aventure et sa traversée de plus de la moitié des États-Unis.

- Je suis fière de toi, mais il te reste un long chemin d’ici à Gettysburg.

- Oui, je sais, nous faisons des étapes plus courtes. Et toi, quels sont tes projets ?

- Après le lycée, j’ai été admise à l’université, j’étudie les sciences politiques et prépare l’école de droit. Avec le contexte politique actuel, c’est difficile, mais ça me plaît énormément, je veux devenir avocate.

- Tu as de l’ambition, je te félicite, Richard, c’est ton copain ? Sarah baissa les yeux, visiblement gênée de l'avouer.

- Oui, c’est mon copain, murmura-t-elle, son regard fuyant celui de Michael.

Une pointe de regret traverse mon cœur. Mais, refusant de montrer la moindre faiblesse, j'affiche un sourire compréhensif et détaché.

- Oh, je vois, répond Michael, essayant de cacher sa déception. Sarah, sentant la tension, change rapidement de sujet.

- Quand repars-tu ?

- Demain, sûrement.

L'évocation de mon départ imminent semble suspendre notre échange, tel le souffle d'une brise qui cesse soudainement. Sarah esquisse un sourire qui se veut rassurant, mais son regard, chargé d'une douce mélancolie, trahit une émotion plus profonde. Un silence se posa entre nous, empreint de nostalgie et d'incertitude, avant qu'elle n'affiche à nouveau son sourire habituel et, avec curiosité, me demande :

- Quel chemin comptez-vous emprunter ?

Je lui explique que Papi souhaite traverser le Mississippi en empruntant le pont EADS. Il me l'a décrit avec admiration :

- Construit entre 1867 et 1874, avec ses arches grandioses en acier et sa silhouette audacieuse, ce pont semble défier le temps et la gravité. Une prouesse d'ingénierie qui, à son époque, avait repoussé les limites de l'imaginable.

Mon imitation de Papi déclencha chez Sarah un rire spontané.

- Tu as décidément toujours un talent caché, lance-t-elle avec amusement.

Je poursuis, sans relever sa remarque :

- Ensuite, nous prendrons la route en direction de Louisville.

- Vous partez tôt ? demande-t-elle ?

- Pas vraiment, autour de 10 heures. Papi a 78 ans, il a besoin de repos.

- Tu as raison, surtout avec plus de 1000 kilomètres à parcourir. Vous espérez arriver à Gettysburg à quelle date ?

- Le 2 juillet 1933, cela fera 70 ans. Il y a une cérémonie commémorative pour honorer les soldats qui ont combattu ou sont tombés lors de cette bataille historique. Papi souhaite être présent ce jour-là et je sais combien cela compte pour Papi d’y être présent.

- Je comprends pour nous tous la bataille de Gettysburg, marque le tournant de la guerre de Sécession. Tu as vu l’heure ? Je dois te laisser, j’espère que nous nous reverrons bientôt.

Lorsqu’elle se penche pour m’embrasser, une vague de chaleur me submerge, mêlée à une confusion silencieuse. Je reste figé, mon cœur battant à tout rompre, et je la regarde s’éloigner, sa silhouette gracieuse disparaissant dans l’ombre des rues animées.

Une fois de retour à l’auberge, j’échange avec Papi sur les événements de ma journée. La lettre le laisse pantois. Le comportement de Sarah ne l’étonne pas, il me dit :

- C’est une jeune fille de son temps, sa vie d’étudiante est une chose, avoir un petit copain est normal pour elle. Je pense que tu es son amour de toujours, elle pensait ne plus jamais te revoir, tu comprends ?

- Oui, tout à fait, moi aussi, je ne pensais pas la revoir, cela m’a fait un choc.

Le lendemain matin, nous nous préparons tranquillement, nous avons pris un copieux petit déjeuner. Nous avons réglé la chambre et nous sommes partis en direction du pont qui se trouve à l’est de la ville. Une fois arrivés, nous avons pris le temps d’admirer ce magnifique pont une merveille d’ingénierie qui enjambe le fleuve Mississippi. Papi me donne des détails sur sa construction…
Je vois Sarah qui se dirige vers nous. Elle m’embrasse avec fougue avant de me dire avec précipitation.

- J’avais tellement peur de te louper, depuis hier, je pense à toi.

- Moi aussi, je pense à toi.

- Bonjour, M. Anton.

- Bonjour Sarah.

- Excusez-moi, il fallait que je voie Michael, en juillet, j’aurai terminé mon année et je viendrai vous rejoindre à Gettysburg, je dois partir, je suis déjà en retard.

Elle s’éloigne en courant, puis se retourne soudain et, d’une voix vibrante, me crie :

- Michael, je t’aime !

Je reste immobile, sentant une vague d’émotion m’envahir alors que son élan passionné laisse une empreinte indélébile dans mon esprit. Nous restons un moment avant de reprendre nos esprits, c’est Papi qui le premier intervient.

- Quelle énergie et quelle détermination chez cette jeune fille. C'est vraiment admirable de voir à quel point elle est passionnée et respectueuse à la fois. Son amour est sincère.

- Sarah est une personne entière qui dit ce qu’elle pense. Papi, je dois être honnête. Sarah me dit qu’elle est avec Richard, mais ce qu’elle a fait... Ce baiser, ses paroles... Ça ne cadre pas. Je ne sais pas quoi penser. Est-ce que c’est normal de ressentir tout ça alors qu’elle est censée être avec quelqu’un d’autre ?

Papi posa une main sur mon épaule, son regard empreint de douceur. Michael, dit-il avec un sourire tranquille.

- Parfois, les jeunes sont plus courageux que nous. Tu as vu à quel point cette fille t’aime ? Elle fera des merveilles, et peut-être qu’un jour, tu comprendras ce que cela signifie vraiment.

Nous empruntons le pont, il est possible de traverser le pont Eads à pied. Le côté sud du pont dispose d'un trottoir séparé de la circulation des véhicules. Nous quittons Saint-Louis en direction de Louisville.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Dreumont ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0