17. Les champs de batailles
Nous sommes partis, comme chaque fois que nous dormons dans un lit, en milieu de matinée. Le temps est maussade, chaud et humide avec du vent, ce qui annonce la Caroline du Sud.
Notre voyage se fait au rythme du monde naturel, il faut s'adapter aux caprices du temps, s'abriter à l'ombre des arbres ou près des rivières, et vivre pleinement chaque instant sans distraction du monde moderne. Bien sûr, Papi en profite pour nous faire découvrir les champs de bataille, et Charleston est pour lui une étape incontournable, car les premiers coups de feu de la guerre de Sécession ont été tirés à Fort Sumter, dans le port de Charleston, en avril 1861. Cet événement a marqué le début officiel du conflit.
Une fois à Charleston début juin, nous avons pris notre temps pour visiter des lieux comme Fort Sumter, Castle Pinckney et d'autres sites liés à la guerre. Charleston est donc un véritable témoin vivant de cette époque tumultueuse, ses rues et ses monuments racontent encore les histoires de ce passé complexe. La ville historique est connue pour ses maisons élégantes, ses rues pavées et ses jardins luxuriants. Les traditions du sud y étaient très présentes, et la ville conservait un charme intemporel. J’ai laissé Papi pour me rendre au poste de police. Encore une fois, il y a les deux lettres du commandant et celle de John.
Je me suis hâté de rejoindre Papi, j’étais impatient de savoir ce que nous racontait John.
Nous sommes déçues, John ne nous raconte pas grand-chose si ce n’est qu’un adjoint au maire est venu pour nous voir. Cependant, j'en conclue.
- Cela ne doit pas être d’une grande importance.
Papi relit la lettre une dernière fois, ses sourcils se fronçant légèrement. Son regard s'attarde sur une phrase, comme s'il cherche à en extraire un sens caché. Michael, assis en face de lui, remarque son hésitation.
- Il y a un ton étrange..., murmure Papi, ses doigts tapotant nerveusement sur la table.
Je ne sais pas… De plus, on dirait qu'il sous-entend quelque chose.
Michael relève la tête, intrigué.
- L'adjoint au maire ne se déplace pas pour rien. Ainsi, il veut juste nous rencontrer, ou bien a-t-il mal formulé sa question. Tente-t-il de nous convaincre, bien qu'un doute subtil l'habite également ?
Papi secoue doucement la tête, ses yeux fixés sur la phrase en question.
- Non, ce n'est pas juste une question. Il sait surement quelque chose. Mais quoi ?
Et, pourquoi ne le dit-il pas franchement ?
Alors, il pose la lettre sur la table et croise les bras, son regard perdu dans le vide. À cet instant, une ombre de tension semble s'étendre dans la pièce. Michael observe son grand-père, hésitant à briser le silence.
Une pensée lui traverse l'esprit : et si quelqu'un leur cherchait des histoires ?
En ce début juin, c'est une journée chaude, typique du début de l'été dans cette région. Cependant, nous reprenons notre périple avec la chaleur ; heureusement, nous portons nos chapeaux.
Ainsi, nous débutons nos journées plus tôt, vers 7 h, nous nous reposons entre 12 h et 16 h, puis continuons jusqu’à 19 h. Les paysages sont d'une beauté à couper le souffle, tout nous émerveille.
Demain, nous serons à Hagerstown. Papi me raconte que la ville était un carrefour logistique : en raison de sa position géographique, Hagerstown était un point clé pour les mouvements de troupes et de matériel pendant la guerre. Après la défaite des Confédérés à Gettysburg, l'armée de Robert E. Lee a traversé Hagerstown lors de sa retraite vers la Virginie. Des combats ont eu lieu dans les rues de la ville entre la cavalerie de l'Union et celle des Confédérés, notamment lors de la bataille de Hagerstown, qui faisait partie de la campagne de Gettysburg.
Le lendemain, nous sommes allés voir les paysages autour d'Antietam Creek, avec ses champs et ses collines, où l'on peut encore ressentir le poids de l'histoire. La nature a repris ses droits, mais les vallonnements suggèrent les impacts d'obus. La bataille d'Antietam, également connue sous le nom de bataille de Sharpsburg, a eu lieu près de l'Antietam Creek, non loin de Hagerstown, dans le Maryland. Ce fut une journée tragique et historique, marquée par des pertes humaines massives : environ 23 000 soldats tués, blessés ou portés disparus en une seule journée, ce qui en fait le jour le plus sanglant de l'histoire des États-Unis.
- Tous ces valeureux soldats, ils sont morts ici, et bientôt plus personne ne se souviendra d’eux. Papi est mélancolique, je ne rajoute rien.
Nous avons marché le long de cette route, entre les deux positions. Papi me dit.
- Tu te rends compte, dans ce chemin creux de 800 mètres, il y a eu quelque 5 600 victimes en quelques heures. Viens, montons de plus haut, nous aurons une vue d’ensemble sur le champ de bataille.
Malgré le temps écoulé, nous sommes très touchés par nos émotions. Tandis que nous descendons le sentier escarpé, Papi, absorbé par le paysage, ne voit pas un trou dissimulé par des brins d’herbes folles. Son pied s’enfonce brusquement. Il part en avant, et son corps chute lourdement. Un cri, mêlé de douleur et de surprise, déchire l'air. En me précipitant vers lui, mon cœur bat à tout rompre, craignant le pire. Sa main agrippée à sa cheville, son visage pâle marque sa souffrance.
- Ne t’inquiète pas, reste immobile.
Lui dis-je, tâchant de cacher ma panique. Sans perdre une seconde, je me lance à grandes enjambées. Chaque pas semble une éternité, chaque seconde un poids. Mon esprit imagine les pires scénarios.
Enfin, je rencontre un gardien qui nous vient en aide.
Une ambulance nous conduit jusqu’à l’hôpital Meritus Health, situé au Medical Campus.
Je suis dans la salle d’attente depuis bientôt une heure quand une infirmière vient me rassurer.
- Votre grand-père va bien, il a une entorse avec un étirement des ligaments accompagné d’une déchirure partielle. Le médecin a prescrit un plâtre qu’il devra garder trois semaines.
- Nous voyageons à cheval, il ne va pas pouvoir continuer ?
- Surtout pas, il lui faut du repos.
Nous le gardons jusqu’à demain, il se trouve dans la chambre n° 251.
- Merci Madame.
Ainsi, je suis monté tout de suite au deuxième étage, j’ai frappé à la porte et je suis entré. Papi est assis dans son lit, bien calé avec des coussins. Quand il m’aperçoit, il grommelle.
- Ils font toute une histoire pour une foulure.
- Ne t'inquiète pas, ils savent ce qu’ils font.
- Que va-t-on faire maintenant ?
- Je ne sais pas, je dois réfléchir.
- Sois raisonnable, aucune solution n'existe, notre projet tombe à l’eau.
Cependant, je reste un peu avec lui, puis une idée me vient, il faut dire que je l’ai sous les yeux. Sur ce fait, je me rend à la boutique que l’on m’a indiquée et là, je trouve encore mieux que ce que je cherche. Le premier fauteuil roulant pliable en acier tubulaire, un modèle avec des roues pneumatiques, des repose-pieds avec cale. Le vendeur me le présente.
- C’est un exemplaire unique construit par l’ingénieur Harry .
- Combien ?
- Cependant, il n’est pas à vendre, me répond-il.
- Alors, je souhaite juste le louer.
- C’est pour quelle utilisation ?
- Je désire me rendre à Gettysburg avec mon grand-père.
- Ainsi, vous allez à la commémoration des 70 ans de la bataille de Gettysburg.
- Oui, c’est cela.
- Par ailleurs, il y aura le président Franklin D. Roosevelt.
- Non, êtes-vous sûr ?
- Oui, tout à fait, pour le fauteuil, je vous le loue, mais je mets une affichette pour le faire connaître, cela ne vous dérange pas ?
- Non, je vous remercie, je viendrai le chercher demain matin.
Dans la soirée, je trouve un hébergement pour les chevaux, nous les récupérerons au retour.
L’aubergiste m’a trouvé une petite chambre tranquille sous les toits, avec un repas simple, préparé avec des ingrédients locaux et le petit-déjeuner.
Après une toilette sommaire, je descends prendre mon dîner et je me retrouve à une table à laquelle la discussion allait bon train.
Je mange silencieusement quand mon voisin me demande.
- Vous n’êtes pas d’ici, jeune homme ?
- Effectivement, je suis du Colorado.
- Alors, vous avez traversé les États-Unis. Le voyage en train n’est pas trop long ?
- Si je vous dis à cheval, vous allez avoir du mal à me croire.
- Non, j'estime cela exceptionnel, de nos jours plus personne ne se déplace à cheval.
- Cependant, mon voyage avec mon grand-père a été interrompu inopinément à la suite d'un accident. Il a maintenant la jambe dans le plâtre.
- Mais, avec son plâtre, comment allez-vous faire ?
- J’ai loué un fauteuil roulant révolutionnaire et demain, nous prendrons le bus.
Car, il ne nous reste plus que trois jours avant la commémoration.
- Je suis de là-bas, peut-être nous reverrons-nous.
- Oui peut-être.
Nous avons discuté toute la soirée. Ce monsieur est venu se ravitailler chez un cultivateur cousin de sa femme.
Le lendemain, je vais réserver nos places dans le bus en direction de Gettysburg, les fauteuils ne sont pas admis. Je leur explique que notre modèle se plie et ne tient pas de place. Cependant, ils ne veulent rien savoir. Alors, je retourne à la boutique et récupère le fauteuil roulant, je rejoins Papi à l’hôpital, une fois les formalités faites, nous prenons la route de Gettysburg à pied.
La matinée est plutôt fraiche, nous avançons tranquillement d’un bon train. Papi trouve l’idée surprenante, mais avec moi plus rien ne l’étonne. La route est agréable bien que vallonnée, dans les montées Papi m’aide en actionnant les roues, dans les descentes, c'est un peu plus rigolo, je trottine en retenant le fauteuil. Ainsi, nous nous arrêtons souvent à l’ombre sous des arbres pour boire, car il commence à faire chaud. Un peu avant midi, nous faisons une halte pour nous restaurer et nous reposer. C'est seulement vers 14 h que nous reprenons la route. Il y a une grande côte que nous devons franchir et là au milieu de l’ascension une voiture s’arrête derrière nous et une voix nous interpelle.
- Ça alors, vous êtes encore plus fou que, je ne le pensais, vous comptez rallier Gettysburg à pied?
- Bonjour, Christopher. Ainsi, vous avez fini votre marché.
- Oui, je rentre, venez avec moi.
Christopher nous propose de nous prendre dans sa camionnette remplie de cagette avec des fruits et des légumes . Le fauteuil une fois plié ne tient pas trop de place.
Christopher, est un homme avenant, il porte un vieux chapeau de paille usé, une chemise à carreaux, avec un sourire qui inspire confiance. Il discute beaucoup avec Papi, il trouve admirable notre aventure. Ce qui lui rappelle des souvenirs, mais il ne comprend pas que nous n’ayons rien réservé, car cette journée attire beaucoup de personnes de toutes les régions, il n’y a plus une seule place de disponible.
Nous n’avons pas prévu cela, nous sommes fort dépités, Christopher est venu à notre secours une nouvelle fois.
- Ne vous inquiétez pas Louise, ma femme va trouver une solution et puis ma fille sera là aussi, elle ne manque jamais une commémoration, votre histoire va l’intéresser.
Nous parcourons les 50 km en moins d'une heure. Arrivés chez Louise, elle nous accueille chaleureusement et nous offre l'hospitalité dans la chambre de leur fils absent en ce moment. Le soir, réunis autour de leur table conviviale, nous faisons la connaissance de leur fille Helen. Curieuse et pleine d'enthousiasme, elle veut connaître chaque détail de notre aventure. La soirée est longue, mais passionnante.
- Demain, je vous présenterai à mon patron, il doit faire un discours avant le président.
Nous dit Helen en nous souhaitant bonne nuit.
Le lendemain, après nous être préparés, Louise nous sert un copieux petit déjeuner. Pendant que nous discutons, elle nous informe qu’Helen, à regret, a dû partir plus tôt.
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