29.    Retour au cirque

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Le lendemain, nous reprenons la route du haras.

En voiture, Kalia me relit la lettre de son père et me confie :

- Je me languis de revoir papa. Il me manque... presque trois mois sans le voir.

- La semaine prochaine, nous allons le retrouver.

John tu es toujours partant pour nous accompagner ?

- Tout à fait, avec plaisir.

La semaine passe très vite. Nous assistons au dressage des chevaux. John est fier de son haras. Une grande jeune fille du nom d’Eloise, nous accompagne et nous vante les mérites du domaine, nous présentant le travail effectué sur les chevaux.

- Le travail est souvent réalisé par des instructeurs diplômés. L'objectif est de faire évoluer le cheval aussi bien dans son corps que dans son esprit, tout en préservant ses allures naturelles. Le dressage vise à renforcer la relation entre le cavalier et sa monture.

Elle poursuit avec passion :

- Le dressage repose sur une approche respectueuse, progressive et experte, afin d’obtenir des chevaux équilibrés, performants et épanouis. La renommée d’un haras se construit grâce aux chevaux qui le représentent.

- Mais je ne t’apprends rien, Michael. Toi et Saïda êtes un exemple.

Je souris, un peu gêné.

- C’est trop d’honneur... Je ne serai jamais un cavalier issu d’une grande école.

- Tu te trompes. Les chemins sont nombreux, mais ils mènent tous au même but : l’excellence.

Kalia me chuchote :

- Tu lui plais.

Je rougis légèrement avant de lui répondre :

- C’est Saïda qui lui plaît.

- Surement oui !

Le départ approche.

Kalia et moi nous présentons au bureau de John.

- Entrez.

- Bonjour John, comment allez-vous ?

- Très bien, et vous ? Il y a quelque chose que je peux faire pour vous ?

- Le cirque sera à Castle Rock le 20.

- Super ! Je vous accompagne comme prévu. Je dois justement me rendre à Denver, c’est parfait ainsi.

- Merci, John. Comment te remercier ?

- Michael, tu es comme un frère pour moi. Ici, c’est chez toi.

- Oui, vous êtes ma famille maintenant.

Les jours qui suivent, nous préparons notre départ. Je profite de ces derniers instants pour passer du temps avec Papi. Je sens bien qu’il est mélancolique, mais il le cache habilement.

Il hésite, comme s’il cherchait les bons mots. Alors je prends les devants :

- Oui, Papi, tu voulais me parler de quoi au juste ?

- Je ne sais pas trop comment te le dire, ne te fâche pas. Je t'ai inscrit en candidat libre pour obtenir un diplôme d'études supérieures en science.

- Mais tu es fou, je vais être ridicule.

- Je ne pense pas, tu peux me faire confiance, l'examen est début juin, je me suis renseigné, tu pourras le passer dans n'importe quelle ville.

- Je ne te garantis pas que je me présente.

- Tu feras comme tu voudras.

La maison est un havre de paix pour moi, avec ses odeurs si familières, surtout celle du bois ciré.

Je prends le temps de contempler chaque pièce, chaque meuble, chaque tableau, afin de les graver dans ma mémoire, jusqu’au craquement du vieux plancher sous mes pas. Tout m’est familier.

Partir d’ici sera une véritable épreuve. Je me pose mille questions : reviendrai-je un jour ? Papi sera-t-il encore en vie ?

Un vertige me gagne. Le trou noir m’aspire.

Je ne peux pas quitter Papi… C’est au-dessus de mes forces.

Nos bagages sont prêts depuis longtemps ; nous les chargeons dans le coffre. Nous embrassons Papi en lui promettant de revenir le voir.

Le moteur de la camionnette ronronne doucement, brisant le silence de l’aube. Je m’installe avec Kalia sur la banquette arrière, Saïda est déjà dans le van. John, concentré, ajuste le rétroviseur avant d’appuyer légèrement sur l’accélérateur.

Papi reste là, debout devant la maison, les mains croisées derrière le dos. Son regard est empreint d’une mélancolie contenue—celle d’un homme qui sait qu’il doit laisser partir ceux qu’il aime, mais dont le cœur refuse d’en accepter pleinement l’idée.

J’ouvre la fenêtre. L’air frais du matin me fouette le visage. Je souhaite dire quelque chose, une dernière phrase, un dernier mot qui pourrait rendre cet instant moins douloureux. Mais rien ne vient.

Le véhicule s’ébranle lentement. Kalia pose une main sur mon avant-bras, un geste à la fois tendre et silencieux, qui signifie tout : "On reviendra."

Papi lève la main—un geste sobre, une promesse. La maison rétrécit peu à peu dans le rétroviseur, jusqu’à devenir un point, puis disparaît.

Le voyage commence vers Castle Rock.

Nous contournons la ville, cherchant l’endroit où le chapiteau domine la place. À notre arrivée, les roulottes sont alignées avec une précision impeccable, créant une atmosphère vivante et accueillante.

La camionnette stoppe. Déjà, Kalia surgit du véhicule, traverse l’espace qui la sépare de son père et lui saute au cou. C’est beau de voir l’amour d’une fille pour son père leur complicité est évidente. Louis l’attrape fermement et fait tournoyer sa fille dans une ronde endiablée, riant aux éclats.

Je descends à mon tour et rejoint Kalia, qui annonce fièrement :

- Papa, je te présente mon fiancé, Michael.

Louis, sans hésiter, entre aussitôt dans le jeu :

- Bonjour, monsieur, enchanté de faire votre connaissance.

À la tête que fait John, je devine qu’il ne comprend rien.

- À mon tour de vous présenter mon frère, John.

- Enchanté, monsieur.

John sourit et tend la main.

- Je vois que nous formons une grande famille. Comme Papi, il comprend vite.

J’avais un peu appréhendé cette rencontre entre deux milieux si éloignés. Le monde du cirque est composé de gens simples, mais incroyablement attachants. John, lui, vit dans sa tour d’ivoire, il communique prudemment, il recherche l’excellence.

Mais en y regardant de plus près, les gens du cirque, eux aussi, ne se contentent pas de médiocrité.

Louis, en organisateur expérimenté, prend la parole :

- Il est bientôt l’heure du repas. Je vous invite tous à vous joindre à nous ; nous vous installerons ensuite.

John intervient :

- C’est fort aimable à vous, mais je dois être à Denver cet après-midi.

Louis insiste, avec son assurance habituelle :

- John, tu permets que je te tutoie ? Denver n’est pas si éloigné... Mais il te faudra bien manger. Fais-nous l’honneur d’être des nôtres, en tant que frère de Michael.

John esquisse un sourire, séduit par l’esprit familial du cirque.

- Dans ces conditions, j’accepte avec joie.

Comme à l’accoutumée, je retrouve l’ambiance qui m’avait tant séduit.

Les grandes tables sont dressées sous le chapiteau, garnies de plats simples mais généreux : du pain frais, des viandes savoureuses, des légumes rôtis, et même quelques spécialités du cirque, préparées avec soin.

Les conversations fusent de toutes parts. Les jongleurs racontent leurs prouesses, les clowns échangent des anecdotes drôles, et les musiciens improvisent un petit air festif.

John, d’abord silencieux, écoute et observe. Petit à petit, il se détend, répond aux questions, esquisse un sourire. Il semble surpris par cette ambiance si différente de son monde, mais il s’y laisse doucement entraîner.

Bien sûr, les chevaux sont sa passion, mais les écuyers et écuyères du cirque ne s’en laissent pas conter. La discussion s’anime, les connaissances de l’un et le savoir-faire des autres trouvent vite un terrain d’entente.

- C’est sur la piste que tout se réglera, en toute amitié, bien sûr.

Louis lève son verre :

- À nos invités, et à cette belle rencontre entre le cirque et le haras !

Les voix s’élèvent dans un joyeux "Santé !", et John, pris dans l’élan collectif, lève à son tour son verre.

Le temps file trop vite, déjà John doit nous quitter. Louis lui assure qu’il sera toujours le bienvenu et qu’il est attendu sur la piste pour comparer leur talent.

J’embrasse John et le remercie pour sa confiance, pour tout ce qu’il a fait pour moi.

- Tu reviens à la maison quand tu veux.

Puis, en se tournant vers les autres :

- Vous aussi, je vous remercie pour votre accueil, je ne l’aurais jamais imaginé.

- La camionnette démarre. Kalia me prend par le bras et m’entraîne… Je ne sais où.

L’après-midi touche à sa fin. Nos affaires sont désormais rangées dans notre roulotte. Après une visite à Saïda, nous retrouvons Louis pour discuter de la suite de nos activités. Il a planifié notre retour et nous présente son idée.

- Dans un premier temps, Kalia, tu reprends l’entraînement. Je te donne une semaine bien remplie. Ensuite, tu intègres le numéro et, le mois prochain, tu seras à nouveau la vedette.

- Mais papa, je peux reprendre immédiatement, je suis en forme !

- Tu ne discutes pas les règles de sécurité. Elles s’appliquent à tout le monde, toi y compris.

Louis se tourne vers moi.

- En ce qui concerne Michael, mercredi, tu pourras, avec Saïda, faire le tour avec les cartes. Les enfants adorent, et la séance photo rencontre aussi beaucoup de succès. Les mamans pourront aussi se faire photographier.

Un sourire satisfait se dessine sur le visage de Louis.

- Mais ce n’est pas tout. D’après les journaux, tu es un as de la gâchette.

Je secoue la tête.

- N’exagérons rien, je me débrouille.

- Là n’est pas le problème. Il est interdit de tirer avec une arme sous le chapiteau.

- Alors ?

- Personne ne le sait, et pourtant, il est possible de faire illusion.

Je fronce les sourcils.

- Comment ça ?

- Nous avons un artificier qui va fabriquer des balles à blanc pour ton colt.

- Qu’est-ce que la couleur de la balle vient faire dans cette histoire ?

Louis sourit.

- Dans le jargon des armes, une balle à blanc est une munition sans projectile. Elle contient uniquement une charge de poudre dans une douille, souvent de couleur différente des vraies cartouches pour éviter toute confusion.

- Et comment recréer l’impact d’un vrai tir ?

- Il y aura des cibles, généralement des potiches, qu’un marteau d’acier viendra briser au moment du coup de feu. Il suffira de synchroniser ton geste et le déclenchement du mécanisme.

Je hoche la tête.

- Oui, je comprends le tour. Il faut donc un complice ?

Louis acquiesce.

- Exactement. Tu vas donc t’entraîner avec Saïda et Paulo. Dès que le numéro est au point, on l’intègre. Je pense que ton succès sera immédiat.

- Je serai sur Saïda pour tirer ?

- Oui, évidemment. La difficulté n’en sera que plus grande… Et tes exploits encore plus spectaculaires.

Je souris, amusé.

- Vous n’avez peur de rien, Louis.

Il éclate de rire.

- Le cirque n’est que du spectacle. Sans spectaculaire, plus de cirque !

Je réfléchis un instant avant de répondre.

- Vu sous cet angle, bien sûr… Tu as raison.

Louis pose une main sur mon épaule.

- Merci de te l’entendre dire, Michael. Tu es de la famille.

Louis se lève.

- Il faut que je vous montre le projet sur lequel je travaille.

Et fait tomber un rideau, révélant une énorme affiche où je figure sur Saïda, devant le chapiteau. On peut y lire : "Le célèbre Michael se produit ici, une occasion unique de le voir."

- Kalia s’écrie :

- Super, tu vas être la vedette !

Je fronce les sourcils.

- Mon avis compte, oui ou non ?

Louis intervient aussitôt pour apaiser les tensions.

Michael, tu fais maintenant partie de la famille du cirque. Ici, tout est collectif.
Le monde change vite : les grands cirques ne voyagent plus avec des chevaux, mais avec des camions. Finies les roulottes, place aux caravanes.

Chacun contribue à sa manière. Sans même y penser, tu fais déjà partie du mouvement.

Il marque une pause avant de poursuivre :

- Nous avons déjà acheté un camion pour transporter le matériel le plus lourd. Il nous en faudrait encore cinq.

Je hoche la tête, comprenant où il veut en venir.

- Le problème, tu dois bien le comprendre, c’est la vitesse. Si le matériel voyage plus vite que les roulottes, l’investissement ne vaut pas le coup. Par contre, si tout le parc automobile est réuni, c’est une avancée considérable. Mais pour le rentabiliser, nous aurons besoin d’un plus grand chapiteau.

- Et plus de véhicules… Fais-je remarquer.

- Louis me fixe avec un sourire approbateur.

- Tu as tout compris. Et c’est là que ta participation entre en jeu. La foule que tu vas nous apporter peut rendre ce projet possible, si tu es d’accord.

- Je pense que je n’ai pas le choix.

- Si, bien sûr. Mais notre avenir est entre tes mains.

Michael inspire profondément, son regard se perd un instant. Puis, il hoche la tête.

- Vous avez donc mon accord.

Sans attendre, Kalia lui saute dessus et l’embrasse, débordante de joie.

- notre vie, c'est le cirque. Me dit-elle.

Je la serre dans mes bras. Ce n’est pas une aventure. C’est ma place.

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