33.    Le Retour

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Je ne connais pas la ville de Madison.

Je parcours les rues, laissant Saïda me guider.

Soudain, un garçon d’une douzaine d’années m’aborde, les yeux brillants d’excitation.

- Tu es Michael ?

- Oui, c’est mon prénom.

- Je t’ai vu au cirque ! Tu es trop fort avec ton colt !

Je souris.

- C’est du spectacle.

Il me regarde, incrédule.

J’en profite pour changer de sujet.

- Tu sais où je peux manger, dormir, et trouver une étable pour Saïda ?

- Je peux la toucher ?

- Oui, montre ta main et ne bouge plus.

Le garçon lève lentement le bras en direction de Saïda.

Il reste immobile.

La jument baisse la tête… puis effleure sa paume du bout du museau.

Un frisson traverse le garçon.

- Elle m’a touché !

Je hoche la tête.

- Caresse-la.

Il pose délicatement sa main sur son encolure.

- Elle est douce…

Il lève enfin les yeux vers moi.

- Chez Harold, tu trouveras ce que tu cherches. C’est un peu plus loin.

- Merci.

Je fouille dans mon sac et en sors une casquette avec Saïda et Michael imprimés dessus.

Je la lui tends.

Il écarquille les yeux.

- C’est pour moi ?

- Oui.

Il n’en revient pas.

Puis, il file comme le vent.

J’ai bien trouvé l’auberge d’Harold.

La patronne me donne une chambre, tandis que son fils part s’occuper de Saïda.

Avant de monter, je lui demande :

- Savez-vous si un train part vers Denver ?

Elle réfléchit un instant, puis répond :

- C’est assez compliqué… Le mieux est d’aller directement à la gare. Ils vous indiqueront le meilleur itinéraire.

- Vous avez raison. La gare n’est pas trop loin ?

- Non, vous ne pouvez pas vous tromper. Prenez la première à droite, tout droit sur cinq cents mètres. C’est une maison en bois, vous la reconnaîtrez tout de suite.

- Merci, madame.

Je monte dans ma chambre, puis, sans attendre, me dirige vers la gare.

Une idée trotte dans ma tête.

Je vais revoir Papi.

À la gare, j’obtiens mes informations.

- Il y a un train pour Denver demain matin à 9 h 25. L’arrivée est prévue à 15 h 40.

- Est-il possible de téléphoner à Denver ?

L’employé grimace.

- Je vous le déconseille. L’attente pour avoir une opératrice est très longue. Il y a une opératrice par État, donc quatre jusqu’à Denver… Et encore une autre pour votre correspondant. Si la ligne est interrompue en cours d’attente, il faut tout recommencer.

Je soupire.

- Ok… Y a-t-il une autre solution ?

Il hoche la tête.

- Bien sûr. Le télégraphe est au point. Vous envoyez votre message, et le réseau se charge de l’acheminer. Il y a un préposé dans la pièce à côté.

Je prends ma décision.

J’ai réservé mon billet, celui de Saïda, puis envoyé mon télégramme à John.

Cette nuit fut terrible.

Le visage de Kalia en sorcière me hante.

Je me réveille en sueur.

Après une bonne douche, je sors du cauchemar.

Le lendemain, je suis enfin dans le train.

Et, après le départ…

Le paysage défile lentement.

Je ferme les yeux.

Je m’endors.

Le train avance, mais mon esprit reste figé dans le passé.

Je fixe le paysage qui défile derrière la vitre.

Pourquoi ?

Pourquoi Kalia agit-elle ainsi ?

Était-ce un jeu depuis le début ?

Et moi ? Suis-je un idiot d’avoir cru qu’elle pouvait changer ?

Je repense aux moments que nous avons partagés.

À ses sourires. Aux nuits où elle murmurait des mots tendres.

Mensonges.

Ou alors… vérité, mais trop fragile pour tenir.

Louis avait parlé de la mère de Kalia. "Elle est comme elle."

Est-ce une malédiction qu’elle porte ? Ou juste un choix qu’elle fait, encore et encore ?

J’appuie mon front contre la vitre.

Rien ne m’attend derrière moi.

Mais qu’est-ce qui m’attend devant ?

J’ai fui. J’ai laissé tout derrière.

Le cirque. Les rires. Les spectacles.

John me disait que ma vie était là-bas.

Mais est-ce que j’ai encore une vie qui m’attend quelque part ?

L'image de Saïda me vient à l'esprit.

Elle, au moins, elle est là.

Je ferme à nouveau les yeux.

Peut-être qu’en dormant, ces pensées s’apaiseront.

Le voyage semble interminable.

Les souvenirs défilent. Chaque étape de ma courte vie refont surface.

Sarah… Elle a toujours été un rayon de soleil pour moi.

Mais elle aussi a un copain, Richard.

Rien à voir avec Kalia.

Puis Helen me revient à l’esprit.

Une jeune fille simple, sans prétention.

Elle me regardait autrement.

Elle me trouvait incroyable.

Et moi ?

Je lui plaisais, je crois.

Un soupir m’échappe.

Qui croire ?

Les filles, sont-elles toutes aussi compliquées ?

Éloïse, Éloïse.

Petit à petit…

Mes yeux se ferment.

Une voix, dans le lointain, serine le même message.

Denver. Denver… Denver.

Je me réveille en sursaut.

J’écoute attentivement.

- Les voyageurs à destination de Denver sont priés de remonter dans les trois wagons de tête.

Trois wagons… Denver, c’est moi.

Il faut que je bouge.

Je rassemble mes affaires et remonte les voitures, mais les coursives sont encombrées.

Je peine à me frayer un chemin parmi les voyageurs.

Le train ralentit depuis un moment déjà.

La gare n’est plus très loin.

Tant bien que mal, j’arrive enfin en tête de train.

Une pensée me traverse. Saïda.

Pas de souci. La compagnie se charge du transfert des chevaux.

Je la récupérerai à l’annexe de la gare qui gère le fret.

Le train s’immobilise.

Les voyageurs pour Denver descendent.

Je les suis.

Nous montons sur une passerelle qui enjambe les voies ferrées.

Puis nous redescendons dans le hall de la gare.

Et là…

John m’attend.

Les retrouvailles sont énormes.

Je n’arrive pas à me contenir.

Je saute dans les bras de John.

Il me console, ses mains rassurantes sur mes épaules.

Puis, doucement, il murmure :

- Allons boire une boisson chaude. Ensuite, tu me raconteras.

Nous nous installons.

Mais les mots restent bloqués.

Alors, je lâche simplement :

- Ma liaison avec Kalia est terminée… Je suis fort triste.

Ils ne posent aucune question.

Aucun regard en quête de détails.

Juste sa présence.

Et ça me soulage.

Plus tard, nous récupérons Saïda.

John a pris le van.

Une fois au haras, je conduis Saïda dans son box.

Elle souffle doucement. Elle pose sa tête sur mon épaule.

Elle ne dit rien, bien sûr. Mais je sens son souffle, paisible. Peut-être que c’est ça, ma maison. Pas un lieu. Juste cette présence. Comme elle me comprend.

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