35.    La visite

5 minutes de lecture

Le lendemain, je me suis rendu au ranch Mac Enroll avec une voiture que John, le fils d’Anton, m’a gentiment prêté.

C’est avec un pincement au cœur que j’ai franchi le portique du ranch.

Une vague de souvenirs m’a submergé.

Après avoir garé la voiture, je me suis approché de la porte et j’ai frappé.

Liam Enroll m’a ouvert.

Dès le premier contact, la chaleur de son accueil m’a mis à l’aise.

- Michael ! Quelle belle surprise, tu me fais vraiment plaisir. Je t’attends depuis si longtemps.

Un sourire m’échappe.

- Bonjour, M. Liam. Moi aussi, je suis heureux de vous revoir.

- Nous n’allons pas discuter sur le pas de la porte, entrons.

- Après vous, M. Liam.

- Merci, mais un peu moins de formalités, s’il te plaît.

Nous entrons dans l’immense demeure.

Une fois installés, Liam m’observe un instant avant de demander :

- Comment vas-tu ? Je vois que tu es avec Anton… Pardon, M. Stanford.

J’acquiesce.

- Je vais bien.

Il hoche la tête, un sourire sincère aux lèvres.

- Je constate que tu n’es plus le jeune homme timide de tes débuts ici.

Son regard se fait plus intense.

- Mais tu es toujours aussi poli et aimable. Tu es devenu un bel homme, maintenant.

Il marque une pause.

- J’ai aussi suivi tes aventures dans le journal. Tu peux être fier de toi.

Puis, avec une certaine hésitation :

- J’aimerais que tu me tutoies. Cela me montrera que tu m’as pardonné. Tu veux bien ?

Un silence.

Je le fixe.

- M. Liam… je veux dire Liam, je ne t’en ai jamais voulu et j’ai tourné la page depuis longtemps.

Son visage s’éclaire.

- Tu ne peux pas me faire plus plaisir. Merci.

Il inspire profondément, comme libéré d’un poids.

- J’avais cela sur la conscience depuis ce jour-là… Comment ai-je pu être aussi bête ?

Je secoue la tête.

- N’en parlons plus.

Un instant de silence s’installe, puis Liam reprend :

- Alors, qu’est-ce que je peux faire pour toi ? Tu cherches un travail ?

- Pas vraiment. En fait… Je suis venu parce que j’ai reçu une lettre de Roy.

Son expression change.

- Roy t’a écrit ?

- Oui.

- Mais pourquoi ?

- Il s’excuse pour son comportement.

Liam reste silencieux un instant.

Puis, dans un souffle :

- C’est bien. Parfois, je perds espoir avec lui.

Je fronce les sourcils.

- Je ne comprends pas… il s’est passé quelque chose ?

Liam hésite.

Puis se lève.

- Le mieux est que tu le rencontres. Viens, je vais te conduire.

Il m’amène jusqu’à la terrasse, à l’arrière de la bâtisse.

- Il est là, sur la terrasse. Je vous laisse.

Je m’approche doucement.

Roy est immobile sur une sorte de transat.

Une petite table nous sépare.

Je la contourne et m’annonce.

- Hello, Roy. C’est Michael.

Il relève légèrement la tête.

- Tu es venu voir le paralysé. Allez, approche. Je suis content que tu sois là.

Je fronce les sourcils.

Mais… que t’est-il arrivé ?

Un léger sourire amer se dessine sur ses lèvres.

- Tu n’es pas au courant de mon accident ?

Je secoue la tête.

- Non. Dans ta lettre, tu n’en parles pas.

Il lâche un petit rire sans joie.

- Toujours égal à toi-même, Michael. Tu accours sans savoir. J’aurais pu te tendre un piège.

Roy se redresse avec difficulté.

Chaque mouvement semble lui coûter.

L’effort est visible dans ses gestes.

Je serre les mâchoires.

- Raconte-moi plutôt ce qui t’est arrivé.

Il désigne la chaise à côté.

- Assieds-toi près de moi.

Je m’exécute.

- Voilà. Il n’y a pas de quoi en faire un mélodrame.

Il inspire profondément.

- Avec ma prime de la saison de rodéo, je me suis offert une voiture de sport. Une Duesenberg Model J de 1934.

Un sourire ironique.

- Pour frimer, tu penses bien. Les filles en étaient folles.

Son regard s’assombrit.

- Un soir, particulièrement arrosé, je fonçais comme un malade. Je me croyais indestructible.

Sa voix baisse.

- Dans un virage, j’ai perdu le contrôle. Heureusement, j’étais seul.

Un silence.

- Je me suis réveillé à l’hôpital. Les jambes et le torse dans le plâtre. Un vrai calvaire.

Il prend une profonde inspiration.

- Heureusement, le personnel était incroyablement prévenant. Toujours aimable. À mes petits soins.

Il me fixe.

- Et toi, Michael… Tu leur ressembles.

Sa phrase me surprend.

- Quand j’ai appris que je ne pourrais plus jamais marcher…

Il détourne légèrement le regard.

- Je voulais en finir.

Un frisson me parcourt.

- C’est terrible, ce que tu me racontes.

Je pose une main sur la table.

- Je peux faire quelque chose pour toi ?

Il esquisse un sourire fatigué.

- Tu n’as pas changé.

Il marque une pause.

- Écoute… J’ai été transféré dans un service de rééducation. Un kiné m’a pris en charge.

Un rire sec.

- Il lui a fallu me supporter. Toujours aussi têtu, je l’envoyais bouler.

Puis, lentement, il reprend :

- Petit à petit… Avec patience… Il m’a montré comment renforcer les muscles du dos. Utiliser mes bras.

Son regard brille d’une lueur différente.

- Avec ses assistants, j’ai découvert un monde de bienveillance. Des personnes à l’écoute. Pleines d’empathie.

Son sourire s’efface.

- Pas comme le monde de compétition que j’ai toujours connu. Où tous les coups sont permis et chacun ne cherche qu’à faire du fric.

Il inspire profondément.

- J’ai compris que tu étais comme eux. Toujours prêt à rendre service. Sans rien attendre en retour.

Sa voix tremble légèrement.

- Je me suis senti nul.

Il marque une pause.

- Et c’est ce qui explique ma lettre.

Je l’observe un instant.

- Je suis vraiment désolé pour ce qui t’arrive, Roy.

Je secoue la tête.

- Ce n’est pas parce que tu n’as pas été tendre avec moi que j’aurais souhaité une telle mésaventure pour toi.

Roy baisse la tête un instant, comme pour réfléchir.

Puis, doucement, il répond :

- Aujourd’hui, je comprends tout cela.

Il relève les yeux.

- Tu es quelqu’un de bien, Michael. Et je serais fier que tu me comptes parmi tes amis.

Un sourire sincère se dessine sur mon visage.

- Bien sûr, Roy. L’honneur est pour moi.

Il esquisse un sourire hésitant avant d’ajouter :

- Je te demande pardon pour ma sœur. J’aurais aimé être ton beau-frère.

Je pose une main sur son épaule avec bienveillance.

Ma voix est douce.

- N’en parlons plus.

Nous avons discuté un bon moment.

Roy me parle de mon voyage à Gettysburg, qu’il a suivi dans le journal.

Il me demande si j’ai vraiment rencontré le président.

Après nos échanges, je le quitte en lui promettant de revenir bientôt.

En rejoignant Liam à l’intérieur, il me remercie chaleureusement.

- Reviens quand tu veux, Michael.

Sur le trajet du retour, je conduis prudemment, incapable de chasser Roy de mes pensées.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Dreumont ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0