38. L’avion
Le lendemain, je retourne pour le rendez-vous chez Oliver.
Ils m’attendent, impatients et un peu tendus.
Oliver s’avance avec un sourire professionnel.
- Bonjour, Michael. Je te présente M. Jennings.
- Bonjour, Monsieur.
Jennings m’observe un instant, puis annonce :
- Oliver ne tarit pas d’éloges sur vous… et bien sûr, le fauteuil.
Son regard s’adoucit légèrement.
- Grâce à vous et à votre grand-père… La photographie dans le journal avec le président…
Il marque une pause.
- Les commandes sont impressionnantes.
Il croise les bras.
- Si je peux faire quelque chose pour toi, c’est avec plaisir.
Oliver prend la parole, enthousiaste.
- Je lui ai parlé de ton projet… Un fauteuil pour sportif.
Jennings arque un sourcil.
- Quelle drôle d’idée.
Son ton est intrigué.
Puis, il sourit légèrement.
- Mais avec toi, Michael… Le frein est un vrai succès.
Il inspire profondément.
- Ton projet me plaît beaucoup.
Je hoche la tête.
- C’est pour Roy Mac Enroll.
Jennings semble surpris.
- Le champion de rodéo ?
- Oui, un superchampion. Renchéri oliver.
- Il a besoin d’un fauteuil ? Après son accident de voiture ?
Je baisse les yeux.
- Il a perdu l’usage de ses jambes.
Jennings souffle, son expression change.
- Exactement… Son moral est au plus bas.
Il s’impose une forme d’ascétisme, il semble s’être retranché loin des plaisirs, comme s’il les jugeait désormais inaccessibles. Cela me touche profondément, je dois agir.
Je marque une pause.
- Il lui faut pouvoir se déplacer… Mettre son fauteuil dans sa voiture… Faire du sport, vivre.
Mon regard se durcit légèrement.
- D’où mon souhait de faire un cadeau à Roy.
Jennings hoche lentement la tête.
- Tu peux me montrer le dessin que tu as apporté ?
Je prends le carton à dessin et sors notre travail.
Oliver met ses mains sur sa tête, écarquille les yeux.
- Je n’en crois pas mes yeux !
Jennings semble vexé.
Son regard se durcit.
- Vous avez fait appel à un cabinet d’ingénieur ? Vous n’avez pas confiance en moi ?
Je secoue la tête.
- Non, pas du tout.
Je pose le dessin sur la table.
- C’est Papi qui est ingénieur.
Jennings fronce les sourcils.
- Ah…
- Nous avons simplement mis au propre mon imagination.
Un silence s’installe.
Il regarde les plans de plus près, intrigué.
- Quelle imagination…
Il tapote le papier du doigt.
- Peux-tu m’expliquer à quoi sert ce disque en plus de la roue ?
Je hoche la tête, prenant mon temps pour répondre.
- Oui.
Je désigne le schéma.
- Cela permet de tenir fermement la roue sans se salir… Les jours de pluie, par exemple.
Le volant est en métal lisse, ce qui permet de freiner une roue et non l’autre ainsi de virer sans ralentir.
Jennings acquiesce lentement.
- Et ?
Un sourire naît sur mes lèvres.
- Mais aussi de tourner la roue droite vers l’avant… et la gauche vers l’arrière, pour faire demi-tour sur place.
Il lève les sourcils.
- Je vois très bien, pour cela…
Il désigne un autre point du dessin.
- Tu as prévu deux roues indépendantes.
- Oui, exactement.
Je prends une profonde inspiration avant d’ajouter :
- Et en plus, Papi a calculé un centre de gravité plus bas.
Avec son axe décalé… pour se mettre en équilibre sur deux roues.
Sa réaction ne tarde pas.
- Tu es fou !
Son regard s’agrandit.
- Ils sont déjà paralysés… Tu veux qu’ils chutent encore ?
Je soutiens son regard.
Puis, lentement, je lâche ma réponse :
- Roy a passé sa courte vie en équilibre sur des bêtes en folie.
Un silence.
- Aujourd’hui… Un peu de folie sera la bienvenue, je crois.
Je marque une pause avant d’ajouter :
- Il y a aussi le côté pratique.
Je désigne le plan.
- Le siège et le dossier sont en cuir souple.
- Intéressant… Murmure Jennings, étudiant le dessin.
- Et une fois plié, le fauteuil ne devra pas faire plus de vingt centimètres d’épaisseurs.
Il y a aussi des tubulures en aluminium pour le poids.
Jennings hoche lentement la tête.
- Compact et fonctionnel… Il m’observe, l’œil pétillant.
Michael, tu as un don rare : la sérendipité.
- Un don de quoi au juste, je ne connais pas ce mot.
Jennings à un sourire.
La sérendipité, c’est l’art de faire des découvertes heureuses, sans les chercher. La sagacité d'esprit permet de transformer des hasards en inventions utiles.
Gêné par tant d’éloges, je change de sujet :
- Si Roy ne l’accepte pas ou qu’il le trouve inutile… Je vous rembourserai.
Jennings lève un sourcil, puis éclate de rire.
- Avec toutes tes trouvailles, Michael... C’est encore moi qui te dois de l’argent !
Il tapote le plan du doigt.
- Le bureau d’études va vérifier les possibilités.
Il l’observe une dernière fois avant de conclure :
- À première vue, tout semble correct.
Un sourire naît sur ses lèvres.
- Papi n’a pas perdu la main… Tu pourras le féliciter.
Il se redresse légèrement.
- Nous allons fabriquer deux prototypes.
Je me penche, intéressé.
- Je t’expédierai l’un d’eux… avec un contrat.
- Un contrat ? Pour quoi faire ?
Jennings esquisse un sourire énigmatique.
- Tu verras.
Je le fixe un instant, intrigué.
Puis, je souffle.
- Je vous remercie pour tout.
Je peux espérer le recevoir dans combien de temps ?
Jennings réfléchit brièvement.
- D’ici un mois.
Je hoche la tête, satisfait.
- C’est parfait. Demain, je retourne à la maison.
Jennings prend son menton dans sa main.
- Tu voyages comment ?
Je le regarde, intrigué.
Où veut-il en venir ?
- En train, pourquoi.
Un sourire se dessine sur son visage.
- Demain, je t’apporte un billet d’avion.
Je m’exclame, surpris.
- Mais… je n’ai jamais pris l’avion !
Jennings sourit, amusé.
- Il y a un commencement à tout.
Nous nous quittons très enthousiaste.
Le lendemain, je repasse par la boutique.
Oliver m’ouvre avec une expression excitée.
- Bonjour, Michael !
Il referme rapidement la porte derrière moi.
- M. Jennings est désolé, il a dû repartir, mais ton projet a mis en effervescence tout l’atelier.
Je fronce les sourcils, intrigué.
- Hier au soir, ils travaillaient encore tard pour voir évoluer le prototype.
Un frisson me parcourt.
- Sérieux ?
Oliver acquiesce.
- J’ai ton billet. Ne t’attarde pas, l’aéroport est en dehors de la ville.
Je prends le billet en main, réalisant pleinement la situation.
- Merci, Oliver. À bientôt.
Une heure plus tard…
J’embarque dans un splendide Douglas DC-3, un avion de transport bimoteur à hélices, flambant neuf.
Je lève les yeux vers son imposante structure.
Il est énorme.
Une pensée me traverse.
Comment peut-il voler ?
Je prends place à bord, bouclant ma ceinture.
L’avion roule doucement, rejoignant le bout de la piste.
Un silence flottant.
L’attente.
Puis, enfin…
Le bruit des moteurs s’amplifie.
La carlingue vibre sous la puissance mécanique.
Puis…
Un rugissement impressionnant.
L’avion s’élance.
Il roule, roule, roule, de plus en plus vite.
Va-t-il décoller ?
Le bout de la piste ne doit pas être très loin.
Tout à coup…
Le nez de l’avion se lève.
Une pression me plaque contre mon siège.
Il n’y a plus le roulis.
On vole.
L’atterrissage à Denver est tout aussi émouvant.
Je respire profondément. Je suis rentré. Je récupère la voiture.
J’arrive enfin à la maison, je passe dire bonjour à John, Il semble en forme et heureux de me voir.
- Salut, Michael comment vas-tu ?
Tu as fait un bon voyage ?
- Oui, mon voyage a été très fructueux. Et figure-toi que j’ai fait le voyage retour en avion.
- Tu es un homme moderne Michael. Ton projet de fauteuil avance ?
- A grand pas le constructeur M. Jennings est emballé, il prévoit de faire deux prototypes dont un pour Roy.
John a une mine étonnée.
- C’est super, tu me tiens au courant pour la suite, il y a des propriétaires qui cherchent à investir à l’heure qu’il est les secteurs porteurs sont rares.
- Ok, à plus tard, il me tarde de voir Papi.
je me dirige vers la maison de Papi. J’entre.
- Je suis dans le bureau.
Sa voix résonne.
Je pousse la porte… Et je le trouve devant la table à dessin.
Un instant, je reste là, à l’observer, réalisant à quel point cette scène m’est familière.
- Que fais-tu ?
Il lève les yeux, un sourire en coin.
- J’étudie une idée qui m’est venue.
Je m’approche, intrigué.
- Et quelle sorte d’idée ?
- Les roues sont parallèles normalement, mais pour augmenter la stabilité… nous pourrions les mettre en oblique.
Je fronce les sourcils.
- Il va se déplacer en crabe !
- Moi aussi, j’ai pensé ainsi… Mais d’après mes calculs, tout se passe normalement.
Il marque une pause.
- Dis-moi plutôt… Comment s’est passée ton entrevue avec M. Jennings ?
Je m’adosse au mur.
- Il est très satisfait de notre projet. Les idées lui plaisent… Même l’atelier est en effervescence. Ils travaillent sans arrêt, trop curieux de voir le résultat.
Je croise les bras.
- Il m’a parlé d’un contrat qu’il souhaite me proposer. Tu en penses quoi ?
Papi observe le dessin devant lui.
Puis il se tourne vers moi, son regard est sérieux, mais bienveillant.
- M. Jennings est quelqu’un d’honnête. Il ne veut pas faire des affaires dans ton dos.
Il pose doucement une main sur la table.
- Je pense qu’il souhaite te rémunérer.
Un silence flotte.
Je ressens quelque chose d’étrange.
Papi n’a jamais été un homme de longs discours. Pourtant…
- Mais c’est toi qui as le plus travaillé.
Il secoue la tête, un sourire calme.
- Tu dois penser à ton avenir.
Il marque une pause avant d’ajouter :
- Le mien… Il est derrière moi.
Son regard devient plus doux.
- Je n’ai pas à me plaindre.
Je regarde autour de moi…
Les plans, les calculs, les dessins de mon fauteuil…
C’est un super cadeau pour Roy.
Papi a cet esprit discursif si particulier : chaque réponse appelle une anecdote, chaque explication déborde sur une leçon de vie. Avec lui, un simple schéma devient voyage, et un compas… Un complice philosophique ou un Mandala, puis à une réflexion sur les choix qu’on fait dans la vie.
j'ai tellement appris à son contact.
Les semaines passent vite, la quatrième vient juste de débuter, quand John, nous appelle, le colis que vous attendez est arrivé venez voir.
Nous accourons, sur le pas de la porte de John, il y a une caisse en bois avec des fermetures en métal. Cela ressemble à un emballage d'œuvres d'art.
Une fois les ferrures libérées, le côté s'ouvre, il est alors aisé de faire sortir le fauteuil plié.
C'est un jeu d'enfant de le déplier, nous sommes tous les trois à le contempler. Il est rutilant, flambant neuf. Je n'ai qu'une envie m'asseoir, mais je n'ose pas. Papi a compris, il me dit :
- Alors qu'est ce que tu attends, tu en meurs d'envie. Fonce.
Je m'approche, je touche l'accoudoir, passe ma main sur le cuir, puis me retourne et, m'assois. Mes mains se portent naturellement sur le volant, je l'actionne et là surprise la réaction est immédiate, la maniabilité surprenante, comparée au fauteuil de Papi, je prends vite goût à lui faire faire des figures en avant en arrière et puis presque par hasard, je me retrouve en équilibre sur les deux-roues, la sensation de liberté est énorme. Je sais que nous avons gagné.
Ce n'est que plus tard, en rangeant que je trouve l'enveloppe, je l'ouvre, il y a une lettre et un dossier, je lis la lettre.
Mon Cher Michael, Anton et John.
C'est avec une immense joie que je vous envoie le colis avec le fauteuil.
Comme vous avez dû vous en rendre compte, le résultat dépasse toutes mes espérances, les personnes handicapées qui l'ont expérimenté ne jurent que par lui.
Ils le veulent à n'importe quel prix.
Ce que vous avez accompli, Michael et Anton, est tout simplement fabuleux.
Prends le temps de lire le contrat et dis-moi ce que tu en penses ?
Harry Jennings.
J'ai ouvert le dossier pour découvrir le contrat. De quoi parlait-il donc ?
Je le prends en main, mais je ne réalise pas encore ce qu’il contient.
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