Partie 5 - Panique II

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« Je suis un personnage. »

Elle parcourt le décor. Tout lui semble si lointain. Si faux.

Le monde est lointain. Le monde est faux.

Elle s’attarde sur ses sensations avec l’impatience du désespoir.

Mais rien…

Mais rien.

Rien ne ressort de cette introspection. Juste le vide.

Les sens ont disparu.

Le monde est lointain. Le monde est faux. Les sens ont disparu. Elle est La Jeune Fille.

« Et maintenant quoi ? »

Ce monde est censé être le sien. Mais il ne l’est plus.

Est-il vrai ? Est-il faux ?

Fut-il vrai ? Fut-il faux ?

Fut-il seulement à un moment ?

« Et moi ? »

L’histoire doit continuer. Ne jamais s’arrêter. Si l’histoire s’arrête, le contrat est rompu.

Fut-elle vraie ? Fut-elle fausse ?

Est-elle vraie ? Est-elle fausse ?

Qu’est-elle ? Que fut-elle ?

Fut-elle seulement ?

Son regard est subitement attiré par les trois gouttes de sang.

Son regard est subitement attiré par les trois gouttes de sang.

« Je ne peux pas m’en détourner. »

Je ne l’autoriserais pas. Fait comme Perceval.

Quand Perceval elle vit tassé la neige sur laquelle l’oie était couchée et le sang qui apparaissait tout autour voit ainsi alignées sur le sol en bois sombre de son balcon les trois gouttes de sang tombées de son doigt, il elle s’appu[ie] sur sa lance ses paumes pour regarder cette apparence étrange ; car le sang et la neige le bois ensemble ressembl[ent] pour lui elle à la fraîche couleur du visage de son amie au plancher du navire où son mari vient de monter sur lequel le sang de celui-ci n’a cesse de se répandre. Il Elle y pens[e] tant qu’il elle en oubli[e] le reste, car ainsi était sur son visage le rouge est son sang rubis posé sur le blanc bois, comme étaient ces trois gouttes de sang qui apparaissaient sur la neige blanche le plancher brun.

Et tout en regardant, il lui sembl[e], tant cela lui [dé]pla[ît], qu’il elle vo[it] le teint frais du visage de sa belle amie la mort de son valeureux mari.

Son regard se porte de nouveau sur les navires et les fixe avec insistance.

Le cœur bat. Bat vite. Vite. Vite. Vite. Vitesse. Vision brouillée. Tremblement accentué du corps. Chaleur excessive se répand. Dans la tête. Les cheveux. Les sourcils. Les yeux. La bouche. Les dents. L’haleine. Le menton. Le cou. Les épaules. Le dos. Le torse. La poitrine. Les bras. La taille. Les jambes. Les mains. Les pieds. Les pieds et les mains picotent. Deviennent lourd. Finissent inutiles. Incapacité à se relever. Puis, frissons. Frissons qui parcourent la colonne vertébrale. Remontent jusqu’au crâne. Nausée. Monde tourne. Vertiges. Cœur bat. Bat vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Vite. Compressions de la poitrine. Souffle court. Étouffement. Mouvement rapide du corps. Regarder à gauche, à droite. Battement du cœur. Battement du cœur. Battement du cœur. Battement du cœur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur. Peur.

Et s’il se blessait ?

Et s’il se blessait mortellement ?

Et si la médecine actuelle n’était pas suffisante pour le sauver ?

Et si les pouvoirs des Faiseurs n’étaient pas suffisants pour le sauver ?

Et si on l’abandonnait, baignant dans son sang, au beau milieu de la bataille ?

Et si tout cela était vain, que la guerre était perdue d’avance ?

Et s’il allait se sacrifier pour rien, pour un monde qui n’existe pas ?

Et si…

Et si…

Et si…

Et s’il ne revenait pas ?

Et si…

Elle se précipite alors sur la rambarde et s’y accroche avec l’énergie du désespoir. Elle veut crier son nom, mais elle n’y parvient pas. Elle veut l’appeler, lui ordonner de lui revenir, mais elle n’y parvient pas.

Aucun son ne peut sortir de sa bouche.

Le monde dans lequel ils sont n’est pas le leur, elle en est à présent certaine. Ils doivent s’en enfuir, avant qu’il ne soit trop tard, avant que ce monde malade et déchéant ne les avale tout entier. Avant que ce monde malade et déchéant ne les tue. Il fallait qu’elle le rejoigne, qu’elle le sorte de ce navire qui commençait déjà à quitter le port. Elle devait faire vite. Aller vite.

Elle devait le sauver. Elle devait se sauver.

Elle jette un coup d’œil circulaire à la plaine, cette plaine fictive, mais qui forme un obstacle de taille, le seul qui l’empêche de retrouver son mari.

Elle la parcourt du regard, cherchant un moyen de la traverser aussi rapidement que possible. Mais rien n’y fait. Elle ne voit que les chemins comme tout autant de mensonges qu’un auteur sadique cherche à lui faire prendre pour des vérités.

Mais tout n’est que mensonges ! Tout n’est que vanité en ce monde qui n’existe pas !

Elle n’a aucun moyen de le rejoindre, il est déjà trop enfoncé dans ce monde fictionnel. Il est peut-être même déjà trop tard !

Il lui semble d’ailleurs que les combats ont déjà commencé. Censé être à l’autre bout des mers, mais, qui sait ?, peut-être les soldats ont échoué à retenir l’envahisseur qui sévit à présent sur leurs terres. Un envahisseur venu de loin, d’ailleurs, un ailleurs païen, peuplé de monstres en tous genres et corrompu par tous les vices que la terre ait pu porter. Un envahisseur de part lequel tous se trouvent punis et qui, pourtant, mérite tout autant que chacun d’être Sauvé. Un envahisseur qui n’a comme défaut que de n’avoir suivi la mauvaise voie, guidé par les paroles d’un roi décadent, et qui n’attend que la purification.

Tout du moins, c’est ce qu’en dit l’église.

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