Chapitre 15 – Celle qui écrit sans en avoir conscience
Ce soir-là, elle n’alluma pas la lampe.
Elle s’assit simplement au bureau, dans la pénombre, les doigts posés sur le bois froid.
Le carnet rouge était là, fermé, comme un cœur arrêté.
Mais un autre attendait. Le vieux, à spirales. Celui des mots d’enfant.
Elle prit un crayon.
Sans réfléchir, elle tourna une page blanche.
Et sa main, doucement, se mit à bouger.
Les lettres naissaient d’elles-mêmes.
Elle les traçait sans les choisir, comme si une voix dictait à l’intérieur.
Pas une voix qu’elle entendait vraiment.
Plutôt… un élan, un fil invisible.
“Je n’ai jamais cessé d’être là.
C’est toi qui as cessé de me voir.”
Elle s’arrêta, interdite.
Son cœur battait plus vite.
Mais sa main ne tremblait pas.
“Je me suis tue quand tu as eu besoin de silence.
Mais je n’ai pas disparu.
Je suis restée dans les interstices.
Entre les nuits et les réveils.
Dans les miroirs qu’on évite.
Dans les phrases qu’on rature.”
Elle posa enfin le crayon.
Les mots flottaient encore en elle.
Comme si on les lui avait soufflés au creux de l’âme.
Et soudain, elle comprit.
Elle n’avait pas reçu ces lettres.
Elle les avait écrites.
Pas maintenant.
Pas hier.
Peut-être il y a des années.
Peut-être dans des moments où elle n’était plus tout à fait elle.
Elle frissonna.
Pas de peur.
De vertige.
Elle se leva lentement, ouvrit le tiroir, sortit toutes les lettres de Suzanne.
Elle les relut, une à une.
Et à chaque mot, elle sentait son souffle se suspendre.
Parce qu’au fond… elle reconnaissait tout.
La façon de parler.
Les tournures.
Les hésitations.
C’était elle.
Elle… ou une autre version d’elle-même.
Une partie oubliée. Refoulée.
Suzanne.
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