Chapitre 18 – Celle qui parlait aux oiseaux
Le soir, Anna retourna dans sa chambre.
L’enveloppe était encore sur sa table.
Le petit oiseau dessiné au dos, plume fine, aile déployée, tête penchée.
Rien d’extraordinaire, et pourtant…
Elle attrapa son carnet, celui des lettres et des indices.
Au fil des pages, elle avait commencé à tout consigner.
Elle ouvrit un moteur de recherche et tapa : symbole oiseau plume crochue, oiseau stylisé lettres anonymes, signification psychologique oiseau dessin enfant...
Des centaines de résultats, mais rien de concluant.
Puis, elle changea d’idée.
Elle se leva, alla fouiller dans un vieux carton au fond de l’armoire. Celui des souvenirs d’école.
Un vieux cahier de CP, aux coins mâchés.
Et soudain, sur une page de garde, elle le vit.
Le même oiseau. Un peu plus maladroit, mais clairement le même.
Et en bas de la page, au feutre violet :
"Pour elle. Pour qu’elle se souvienne."
Elle sentit ses doigts se crisper.
Ce n’était pas un oiseau au hasard.
C’était un rappel.
Un signe qu’elle se laissait.
Ou qu’elles se laissaient.
Anna referma le cahier doucement, comme si un fil fragile venait d’être tiré.
Puis elle repensa à une autre chose.
Mme Vernier.
Elle avait dit que sa mère n’aimait pas qu’on parle de Suzanne.
Mais elle n’avait jamais dit qu’elle ignorait tout.
Alors, elle décida d’y retourner.
Mme Vernier l'accueillit à nouveau, un peu surprise.
— Encore une question ? demanda-t-elle avec un sourire.
Anna tendit le dessin de l’oiseau.
— Vous avez déjà vu ce symbole ? Chez moi ? Sur mes affaires ? Ou celles de ma mère ?
La vieille dame fronça les sourcils.
Elle fixa longuement l’image.
— C’est drôle, dit-elle enfin. Ce petit oiseau... je l’ai vu, oui. Sur la boîte aux lettres, il y a longtemps. Gratté au stylo bille.
— Sur la boîte aux lettres ?
— Oui. Juste après que vous soyez revenues de je ne sais où. Tu devais avoir sept ou huit ans. Je m’en souviens parce que ta mère l’a effacé très vite, comme si ça la brûlait.
— Vous savez ce que ça voulait dire ?
Mme Vernier secoua la tête.
— Non. Mais tu sais, ce symbole… il me faisait penser à un truc bizarre. Tu avais une manière de le dessiner en boucle, comme un manège. Et une fois, je t’ai entendue dire : “C’est elle qui me l’a appris.”
Anna pâlit.
— Qui ?
— Tu parlais toute seule, chérie. Ou du moins… c’est ce qu’on croyait.
En rentrant chez elle, Anna s’arrêta devant la boîte aux lettres.
Elle passa lentement ses doigts sur la peinture grise, lisse.
Mais en plissant les yeux… elle vit une trace.
Un relief minuscule.
Un oiseau.
Gratté si finement qu’il fallait le savoir pour le voir.
Mais il était là.
Elle posa sa main dessus.
Un frisson lui parcourut l’échine.
Et soudain, une phrase lui revint, comme soufflée depuis l’intérieur :
“C’est elle qui m’a appris à voler.
Moi, je restais au sol.”
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