Chapitre 20 – Celle qui a voulu disparaître
Elle n’était plus sûre d’être une ou deux.
Pas tout à fait entière. Pas tout à fait divisée non plus.
Juste fendue, comme une branche sous un orage : pas encore brisée, mais creusée par l’éclair.
Depuis qu’elle avait lu la lettre du cabinet, tout s’éclairait.
Pas en douceur.
Mais avec cette violence sèche de la vérité qu’on attendait sans vouloir l’accueillir.
Elle repensa à cette phrase dans le carnet :
“On ne voulait pas de nous deux. Alors j’ai disparu.”
Ce “je” qu’elle avait écrit, enfant.
Était-ce Suzanne qui parlait ?
Ou elle-même ?
Ou les deux, à tour de rôle ?
Elle prit une feuille blanche.
Et elle écrivit.
Pas une lettre. Pas un mot pour quelqu’un d’autre.
Juste un message pour elle-même, ou pour celle qu’elle avait laissée derrière :
“Tu n’as pas disparu.
Je t’ai cachée.
Pour te protéger.
Tu avais mal, trop mal. Et moi je n’ai pas su.
Mais je suis là maintenant.
Je n’ai plus peur de toi.
Je n’ai plus honte.
Reviens si tu veux.
Ou reste là, mais pas seule.
Je te vois.”
Elle laissa le stylo rouler sur la table.
Son cœur battait plus lentement.
Elle repensa à l’oiseau. Celui qu’elle croyait mort, dans le chapitre de l’enfance qu’elle avait réécrit.
Et si ce n’était pas lui qui était tombé ?
Et si c’était elle ?
Et si Suzanne avait pris son envol, ce jour-là, pour ne pas l’entraîner dans sa chute ?
Dans la chambre, la lumière filtrait doucement par la fenêtre.
Et sur le bord, quelque chose bougea.
Un oiseau, minuscule, venu se poser là.
Il tourna la tête, sans bruit.
Puis s’envola.
Anna sourit. Un sourire discret.
Mais réel.
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